2.2.1.2. La valeur intrinsèque
Traditionnellement, il y avait la distinction entre les
personnes et les choses. D'un coté, les sujets humains qui sont des fins
en soi et doivent être traités comme tels, et de l'autre
coté, la catégorie des choses, de tout ce qui peut être
instrumentalisé. Cette catégorie s'étend, pour Kant,
à tous les êtres naturels, c'està-dire les êtres dont
l'existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté
mais de la nature. Etant donné qu'ils sont des êtres
dépourvus de raison, ils n'ont qu'une valeur relative, celle de moyens,
et voilà pourquoi on les nomme des choses39. Ceci
fait de la morale le domaine des fins et la circonscrit à
l'humanité. C'est dans ce même ordre d'idées que Richard
ROUTLEY construit, dans son article « is there a need for a new
environnemental éthic ? », un cas fictif, celui du dernier
homme à survivre sur la terre après une catastrophe mondiale. Cet
homme s'emploie, avant de disparaître à détruire tout ce
qui l'entoure : plantes, animaux... Comment évaluer moralement ce qu'il
fait si l'on s'en tient à l'éthique dominante dans le monde
occidental où il n'y a des droits et des devoirs qu'entre les hommes ?
Nous pouvons
dire donc qu'il ne fait rien de mal puisqu' il ne lèse
personne. Cependant, si l'on considère qu'il y a des valeurs dans la
nature, alors nous devons reconnaître que l'homme a des devoirs
vis-à-vis de la nature. Ainsi son acte doit être qualifié
de moralement condamnable.
La morale kantienne présente l'élaboration la
plus explicite et, peut-être la plus achevée, d'une idée
à peu près incontestée selon laquelle le concept de
moralité et celui d'humanité sont coextensifs, si bien que seuls
les humains, et seulement les êtres humains, sont dignes de
considération morale. Raison pour laquelle l'éthique de
l'environnement a été élaborée autour de
l'idée de la valeur intrinsèque, celle des entités
naturelles. L'expression valeur intrinsèque se trouvait
déjà chez Kant, pour qui a une valeur intrinsèque tout ce
qui peut être traité comme une fin en soi, c'est-à-dire un
être raisonnable, donc l'homme.
De par son ambition philosophique, l'éthique
environnementale pourrait être interprétée comme un
défi et une menace lancée contre la philosophie morale
traditionnelle. Cependant, tel n'est pas son but. La dignité morale de
l'être humain n'est pas mise en cause par l'extension du domaine moral
parce qu'en effet, reconnaître une valeur intrinsèque aux
entités naturelles ne signifie pas que celle-ci soit retirées aux
hommes. L'éthique environnementale s'attaque, plutôt, à
l'appropriation technique qui veut que la nature soit considérée
comme un dépotoir et un ensemble des ressources à la disposition
de l'homme.
Si l'anthropocentrisme consiste à affirmer
l'instrumentalisation du monde, l'expression qui l'exprime mieux est celle des
ressources naturelles. Si encore l'anthropocentrisme proclame l'homme comme
étant la mesure de toute chose, l'économie est l'appareil qui lui
permet de mesurer quantitativement la nature comme ressource. Ainsi, nous
pouvons comprendre le refus de certaines puissances économiques de
ratifier le traité sur la protection de l'environnement.
L'idée de l'éthique environnementale est que
là où il y a des moyens, il y a nécessairement des fins.
Or tous les organismes vivants du plus simple ou plus complexe, qu'il s'agisse
d'animaux, de végétaux, d'organisme monocellulaire,... tous
déploient pour se conserver dans l'existence et se reproduire des
stratégies
adaptatives complexes qui sont autant de moyens aux services
des fins. Les mutations du plasmodium constituent un exemple frappant. Il y a
donc des fins dans la nature.
Les organismes, affirme Rolston III, valorisent leurs
ressources de façon instrumentale, parce qu'ils accordent à
eux-mêmes, à la forme de vie qu'ils sont, une valeur
intrinsèque. Il faudra alors substituer à l'opposition «
personne humaine- chose », celle d'une multiplicité
d'individualités téléonomiques, qui peuvent
prétendre au même titre, avoir des fins en soi, et donc avoir une
valeur intrinsèque. Tout individu vivant est, à
égalité avec les autres, digne de considération morale.
C'est ce qu'on appelle le biocentrisme. L'éthique biocentrique
reconnaît un vouloir-vivre dans la nature et accorde à toutes
formes de vie une dignité morale. Ce qui n'était pas le cas chez
Kant. Pour Paul Taylor, l'éthique biocentrique implique une
éthique du respect de la nature. Il justifie sa position de la
manière suivante : si tous les vivants ont un statut égal, et
qu'on ne peut pas traiter une valeur intrinsèque comme un moyen, alors
chaque entité individuelle a droit à la protection parce qu'il
s'agit là d'une affaire de principe. L'éthique du respect de la
nature est donc une éthique déontologique qui évalue les
actions selon qu'elles respectent ou non les principes moraux.
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