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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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Première partie : Cadre théorique, hypothèse, méthodologie

L'objectif de ce premier titre est de positionner ma recherche dans les différents champs qui ont alimenté mon appréhension du terrain, ma démarche et ma réflexion, notamment des travaux de géographes, d'historiens, d'anthropologues, et bien sûr de sociologues. Le freetown de Christiania a été l'objet de nombreuses études et recherches, mais la plupart d'entre elles sont malheureusement en danois et donc peu accessibles sans maitriser la langue. Mon étude concerne la « vie politique » de Christiania en tant qu'espace occupé illégalement. Je me suis donc concentré sur les travaux focalisés sur la sociologie des mouvements sociaux, la sociologie de l'action publique et des institutions, et enfin la sociologie et la géographie urbaines. C'est dans ce cadre que j'ai été amené à approfondir certaines notions ou concepts comme le « mouvement squat », la « contre-culture » ou encore le « pouvoir ». J'exposerai enfin les hypothèses de départ ainsi que la méthodologie mise en place lors du travail de terrain, qui s'est déroulé durant près de dix mois à Copenhague.

1.1 Cadres théoriques

Dans l'introduction du livre « Space for Urban Alternatives ? Christiania 1971-2011 », Håkan THÖRN, Cathrin WASSHEDE et Thomas NILSON, indiquent que l'un des objectifs de ce livre est d'analyser Christiania avec une approche historique « en se focalisant sur la ville libre en tant que question sociale, qu'espace pour la construction de cultures alternatives et un site pour les luttes politiques urbaines » (THÖRN, 2011 : 33).

Les notions de « culture alternative », « culture underground », « contre-cutlure », « sous-culture », sont des termes qui ont leur définition propre dans les travaux des `cultural studies'. Toutefois, ces notions sont relativement proches les unes des autres en ayant en commun une opposition à une culture dominante. De plus, ces expressions posent souvent des problèmes de traduction et d'interprétation. C'est la raison pour laquelle j'utiliserai indifféremment dans ce mémoire l'une ou l'autre de ces expressions avec pour définition minimale : « ce qui s'oppose à la culture dominante ».

La dimension des « luttes politiques » à Christiania lui confère le caractère de mouvement social. En effet, un mouvement social se définit par quatre éléments principaux. D'abord par son caractère politique, dans le sens où les mouvements sociaux vont occuper un espace public, parfois chercher à interpeller les institutions, etc... Il y a ensuite un critère d'intentionnalité. Un mouvement social est avant tout une volonté d'agir, et une volonté d'agir-ensemble intentionnel. Il y a en effet une dimension de collectif, d'ensemble d'individus qui vont se concerter, se coordonner en faveur d'une revendication, d'une cause...

Le « mouvement squat » est un mouvement social urbain. Le squat peut être défini comme « l'action d'occupation illégale d'un local en vue de son habitation ou de son utilisation collective », « des actes illégaux localisés permettant la réalisation immédiate de la réclamation » (PÉCHU 2010 : 8-10). Dans ses travaux, Florence Bouillon propose une division des squats en deux catégories : d'une part des « « squats d'habitation »  auxquels les occupants attribuent pour fonction première la résidence ou l'abri, et les « squats d'activités », destinés d'abord à accueillir des projets artistiques, culturels ou militants » (BOUILLON 2011 : 7). Toutefois, Florence Bouillon précise que « cette typologie, comme toute catégorisation idéal-typique présente une limite évidente : celle de la mixité de nombreux squats, lieux d'activité et d'habitation à la fois » (ibid.). Etablir une typologie des squats est une chose importante car le terme de « squat » recouvre bien souvent des réalités très différentes (AGUILERA 2011). Hans PRUIJT (2011 : 4) a proposé une typologie des squats. Selon lui on peut les distinguer selon cinq configurations : le squat de privation, basé sur la non possession de logement (personnes SDF ou qui n'ont pas d'autre option que de dormir dans des refuges pour sans-abris), le squat comme une stratégie de logement alternatif (basée sur l'activisme et l'expression d'une contre-culture dont l'objectif est de créer des logements pour eux), le squat entrepreneurial dont l'objectif est de monter des centres sociaux et des `espaces libres', le squat de conservation qui cherche à protéger un quartier, un bâtiment, un paysage, etc., et enfin le squat politique dont l'objectif est de former un contre-pouvoir face à l'Etat. Comme l'affirme Håkan THÖRN (2012 : 7) ces cinq configurations se retrouvent simultanément à Christiania. Cécile Péchu propose pour sa part une typologie en termes de logiques, plutôt que les configurations de Pruijt. Il y aurait d'une part des squats de logique « classiste » (engagé dans un rapport de négociation, ou exprimant la volonté d'interpeller les autorités pour l'obtention de logements), et des squats de logique « contre-culturelle » (affirmant un droit à l'espace, le plus souvent un « droit à la ville ») d'autre part. Toutefois une telle classification n'évite pas le même écueil que celui de Florence Bouillon, à savoir que des squats peuvent à la fois être le résultat simultané des deux logiques.

La forme d'action collective « squat » possède une histoire, différente dans chaque pays : « quelques pays européens avaient une « tradition » du squat, qui faisait l'objet d'une forme de tolérance ; des solutions juridiques et administratives étaient inventées pour permettre à des situations de se stabiliser et de se pérenniser » (BOUILLON 2011 : 80). Toutefois, de plus en plus, même dans les villes qui ont connu une longue tradition de squat, celui-ci est criminalisé. La notion de « territoire » a reçu de nombreuses définitions de la part de la doctrine juridique et des juristes donnant lieu à plusieurs théories. « Le droit n'a jamais pensé le territoire que par rapport à l'Etat » indique même Paul ALLIES (1980 : 19). De plus, la définition wébérienne de l'Etat par le monopole de la violence légitime doit s'entendre comme sa monopolisation dans un espace donné. La répression du mouvement squat apparait comme naturelle du point de vue du pouvoir, en tant que volonté d'affirmer ou reprendre la main sur un territoire dissident. Comme je l'exposerai au fil de ce mémoire, nous verrons que la répression et l'intégration (par l'institutionnalisation) sont caractéristiques des relations entre l'Etat et les mouvements urbains radicaux.

Les travaux de Michel Foucault sur le pouvoir permettent de distinguer entre trois grandes « théories du pouvoir » : la souveraineté, le pouvoir disciplinaire et le bio-pouvoir. La souveraineté chez Foucault s'exerce sur un territoire, au contraire de la discipline qui s'exerce quant à elle sur le corps. Pour lui, la souveraineté correspond au « droit de glaive », autrement dit, le droit de vie et de mort du souverain sur ses sujets et la « forme juridique [propre] à un type historique de société où le pouvoir s'exerçait essentiellement comme instance de prélèvement, mécanisme de soustraction, droit de s'approprier une part des richesses, extorsion de produits, de biens, de services, de travail et de sang, imposée aux sujets. Le pouvoir y était avant tout droit de prise : sur les choses, le temps, les corps et finalement la vie ; il culminait dans le privilège de s'en emparer pour la supprimer (FOUCAULT, 1976 : 178)». Michel Foucault observe ensuite que « l'Occident a connu depuis l'âge classique une très profonde transformation de ces mécanismes du pouvoir », et qu'ainsi, « la vieille puissance de la mort où se symbolisait le pouvoir souverain est maintenant recouverte soigneusement par l'administration des corps et la gestion calculatrice de la vie (ibid. 184) ». Le pouvoir disciplinaire consiste, en bref, en l'ensemble des techniques de contrôle des individus et de leurs corps pour augmenter leur productivité. Quand la souveraineté se concentre sur l'espace, la discipline se focalise sur le corps « son dressage, la majoration de ses aptitudes, l'extorsion de ses forces, la croissance parallèle de son utilité et de sa docilité, son intégration à des systèmes de contrôle efficaces et économiques, tout cela a été assuré par des procédures de pouvoir qui caractérisent les disciplines : anatomo-politique du corps humain » (ibid. 183). Il s'agit en cela d'un levier important de l'émergence du capitalisme. Enfin, le bio-pouvoir se concentre sur la population dans son ensemble, il est « centré sur le corps-espèce, sur le corps traversé par la mécanique du vivant et servant de support aux processus biologiques : la prolifération, les naissances et la mortalité, le niveau de santé, la durée de vie, la longévité avec toutes les conditions qui peuvent les faire varier ; leur prise en charge s'opère par toute une série d'interventions et de contrôles régulateurs : une bio-politique de la population » (ibid. 183). Cette nouvelle théorie du pouvoir qui s'intéresse à la population ne supprime pas la technique disciplinaire. « Les gouvernements s'aperçoivent qu'ils n'ont pas affaire simplement à des sujets, ni même à un « peuple », mais à une « population » » (ibid. 36), on assiste autrement dit à une matérialisation du pouvoir. La mise en place des mesures statistiques afin de collecter des données sur la `population' symbolise le bio-pouvoir qui vise ainsi à minimiser les risques, les dangers, les crises, à traiter les aléas de la vie de la population en s'appuyant d'abord sur la connaissance de cette population. « Ce bio-pouvoir a été, à n'en pas douter, un élément indispensable au développement du capitalisme; celui-ci n'a pu être assuré qu'au prix de l'insertion contrôlée des corps dans l'appareil de production et moyennant un ajustement des phénomènes de population aux processus économiques [...] les rudiments d'anatomo- et de bio-politique ont opéré aussi comme facteurs de ségrégation et de hiérarchisation sociale, agissant sur les forces respectives des uns et des autres, garantissant des rapports de domination et des effets d'hégémonie ; l'ajustement de l'accumulation des hommes sur celle du capital, l'articulation de la croissance des groupes humains sur l'expansion des forces productives et la répartition différentielle du profit, ont été, pour une part, rendus possibles par l'exercice du bio-pouvoir sous ses formes et avec ses procédés multiples. L'investissement du corps vivant, sa valorisation et la gestion distributive de ses forces ont été à ce moment-là indispensables. » (ibid. 185). Le bio-pouvoir est un mécanisme de domination du capitalisme car il entend le gouvernement d'une population en de seuls termes économiques. Cela explique le recours fréquent aux principes de « laissez-faire », et des libertés individuelles. Toutefois, si dans un sens les gouvernements de pays d'économie capitaliste et libérale cherchent à maximiser la liberté de circulation des biens et des personnes, trop de circulation peut au final être perçu comme une menace pour la sécurité et l'ordre public. On retrouve ces deux aspects du libéralisme dans le discours du premier ministre danois en 2004, M. Rasmussen, membre du Parti Libéral (Venstre), auteur d'un livre qu'Håkan Thörn décrit comme un « manifeste néolibéral célébrant la liberté et l'idée de « l'Etat minimal » ». M. Rasmussen est l'initiateur du plan de normalisation de 2004, et, à une question qui lui fut posée par le Parti Socialiste à propos de ce plan, il répondit par une allocution de cinq minutes au cours de laquelle il utilisa à douze reprises le mot « liberté », mais aussi dix fois le mot « loi(s) ». Autrement dit, ce discours peut être résumé ainsi : « la liberté oui, mais dans le respect de la loi ». Ce discours est imprégné par l'idée sous-jacente qu'il faut qu'une normalisation de Christiania s'opère, que cela passe par le recours au pouvoir disciplinaire (répression) ou par le bio-pouvoir où le Freetown finira par se normaliser de lui-même. Autre exemple de recours à ce type de discours, à propos de manifestations en 2008 réclamant l'ouverture d'une nouvelle « maison des jeunes » (« Ungdomshuset ») expulsée en 2007 : « Pia Allerslev, leader du Parti Libéral et adjointe à la culture, consternée a alors déclaré "Il est absolument regrettable que la mairie reprenne des négociations. Ils/elles [les manifestants] ne dénoncent pas l'usage de la violence et ça semble pourtant signifier qu'ils auraient gagné. Ceci est une insulte à tous les citoyens obéissants à la loi qui font pacifiquement la queue quand ils ont quelques chose à demander à la mairie." »3(*). Ces propos illustrent bien également l'idée, qu'il existerait certes une liberté de revendiquer, mais que celle-ci doit se tenir dans le cadre strict de la loi.

« Même si très peu de Christianites font partis d'organisations anarchistes, une claire majorité d'entre eux partagent les analyses anarchistes sur l'Etat, l'autorité ou le travail » (TRAIMOND, 1994 : 137). L'objet de ce mémoire n'est pas de m'interroger et débattre sur les différents courants de pensées de l'anarchisme puisqu'il n'existe pas une doctrine standard ni de comité central distribuant des cartes d'adhésion à un mouvement anarchiste. Christiania revendique une autonomie et un mode de fonctionnement libertaire qui nécessite un éclairage et un cadrage sur tout ce que l'on associe à l'anarchisme et à la notion d'autonomie (qu'il ne faut pas confondre avec le « mouvement Autonome » comme le rappelait Sébastien Shiffre dans son mémoire : « l'autonomie [étant] cependant l'une des caractéristiques des autonomes »). L'anarchisme signifie différentes choses pour différentes personnes. Il existe cependant des principes de bases sur lesquels la plupart des anarchistes s'accordent et que l'on peut retrouver en application à Christiania : l'autonomie et l'horizontalité (par des structures de prises de décision horizontales), l'aide mutuelle, l'association volontaire, l'action directe... (GELDERLOOS, 2010 : 3). De là à dire que Christiania est une réelle société anarchiste, Jean-Manuel Traimond, lui-même ancien Christianite s'abstient prudemment de répondre : « Christiania est-elle anarchiste ? L'auteur prudent laisse au lecteur le soin d'en juger » (TRAIMOND, 1994 : 139).

Qu'elle soit ou non une société anarchiste, la naissance de Christiania a été le fruit d'une convergence de personnes impliquées certes dans le mouvement autonome et d'anarchistes, mais aussi de babas-cool hippies, de « drop-outs », etc... comme l'annonce la quatrième de couverture des « Récits de Christiania » de Jean-Manuel Traimond : « Dès 1971, anarchistes et théologiens, yogis et trafiquants, militants communistes et alcooliques militants, clochards repentis et clochards pratiquants, cas sociaux et clarinettistes, anthropologues et fraiseur-tourneurs occupèrent une caserne de Copenhague, créant le plus vaste squat d'Europe : Christiania. »

* 3 http://toulouse.indymedia.org/spip.php?article19045

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore