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Les soignants et leur téléphone portable à  l'hôpital

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par Frédéric GRIPON
Université de Caen Basse- Normandie - Master 1 des sciences de l'éducation option éducation, mutations, formation 2012
  

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2.5 - le portable met en question la qualité et la sécurité des soins

Dans nos recherches théoriques et l'enquête exploratoire sur l'usage du portable à l'hôpital, nous avons pu identifier une inquiétude des professionnels sur la qualité et la sécurité des soins. Les entretiens menés pour notre recherche font apparaitre également cette préoccupation tant chez les cadres que chez les soignants.

2.5.1 - Une atteinte à la concentration sur le travail

Les cadres identifient l'usage du portable comme pouvant être une atteinte à la concentration pendant le travail. Ainsi Marie nous indique :

159 Op. Cit. in Martin C. , 2007, pp. 20-21

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« Je pense que c'est source de déconcentration, elle est dans son truc et bon moi je veux bien que ce soit une fille comme dirait l'autre mais là, qu'elle peut faire plusieurs choses à la fois... Mais quand même je ne pense pas que tu as la même concentration quand tu es dans ton téléphone que quand tu n'y es pas. Même quand tu lis quelque chose, c'est différent... Une lecture en salle (d'opération) ça t'occupe moins que... euh de pianoter sur ton truc. [...] Je lui en ai parlé, c'est là qu'elle m'a dit que non. Elle me dit que "non, ça joue pas sur la concentration". »

Mais cette altération de la concentration vaut à ses yeux également pour les DECT des chirurgiens auprès desquels elle essaie également de faire limiter l'usage du téléphone pendant qu'ils opèrent :

« Y'a un chirurgien aussi qui a un portable DECT et même quand il opère, il faut que les panseuses répondent. Alors elles ont refusé alors maintenant il me l'amène sur mon bureau. [...] Quand je vois les filles m'amener le téléphone du chirurgien dans mon bureau, je me dis qu'au moins c'est une bonne chose, comme ça il n'a pas le stress en salle quand il répond et que ça ne le déconcentrera pas. Si son téléphone sonne en salle il est forcément déconcentré, je suis désolé mais euh... il n'est pas... heu... hein. »

Une prise de conscience apparait donc sur le terrain et nous faisons le lien avec les articles développés dans notre chapitre sur « la nécessaire concentration sur la tâche » de la troisième partie de notre étude. La réflexion portée par cette cadre se justifie par sa responsabilité quant à la qualité et la sécurité des soins qui sont offerts à la personne soignée.

Cette altération de la concentration est relevée par les soignants eux-mêmes dans les autres témoignages. Y compris l'infirmière anesthésiste Chloé qui utilise son Smartphone en salle d'opération :

« Ben après moi, j'ai pas l'impression qu'il y ait d'influence négative parce que je touche du bois mais j'ai jamais vu qu'il y avait de préjudice pour moi ou vis-à-vis de la sécurité du patient, du suivi de l'intervention ou de quoi que ce soit, donc je pense pas, mais je pense que effectivement il peut y avoir des dérives et puis ça peut poser des problèmes au niveau sécurité parce que t'es quand même heu... quand t'es dedans, t'es dedans quoi tu vois. [...] voilà quoi, ça peut quand même te sortir de ta concentration

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parce que tu rentres sur autre chose, je parle de quand tu regardes des trucs perso, là c'était le cas, ce n'était pas pour le boulot. Voilà quoi. »

Voilà pour le moins une analyse contradictoire puisqu'elle semble constater que cela peut la déconcentrer, mais elle poursuit malgré tout cet usage puisque pour l'instant, ça n'a pas porté « préjudice ». Faut-il attendre que cela arrive pour que la pratique se trouve modifiée ? En tous cas, la position de la cadre de santé de bloc opératoire peut être considérée comme confortée par ce témoignage et alimente la réflexion engagée par l'article de la revue « perfusion160 » sur l'utilisation des téléphone mobiles pendant les procédures de circulation extracorporelle décrites dans notre cadre théorique.

Les autres soignants identifient également ce risque, ainsi Laurent reconnait que :

« Enfin... euh, si peut-être heu, peut-être une disponibilité euh... comment dire, une disponibilité mentale moins, moins euh... moins, moins importante parce que on est quand même intellectuellement attiré par le pourquoi de cet appel en fait. Euh, comme en voiture quoi. »

Cette observation est corroborée par Samia, l'infirmière de salle de réveil qui considère que :

« On est quand même pas concentré pareil sur ce qu'on fait quoi. »

Le fait d'être attiré par les vibrations du téléphone semble enclencher un état de veille psychique qui va réduire alors la concentration du soignant jusqu'à ce qu'il ait pu vérifier l'origine et la nature du message. Cette forme de stress ne risque-t-elle pas de le pousser à terminer plus rapidement son soin afin de se rassurer rapidement en prenant connaissance des informations reçues sur son téléphone ? Le risque nous parait élevé et rejoint l'analyse faite sur le rôle d'objet transitionnel et de réassurance déjà développé dans le chapitre éponyme ci-dessus.

Flore se plaint également de la déconcentration occasionnée par la présence des téléphones portables personnels, qu'il s'agisse de celui des médecins durant la visite ou de celui de son encadrement supérieur lors des réunions qui sont déjà « parasitées » par les sonneries des DECT.

160 « 2010 Survey on cell phone use while performing cardiopulmonary bypass », Perfusion, vol. 26 n°5 381-382, September 2011.

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« C'est devenu un peu euh, la grande mode, y'a deux politiques là. On commence à avoir des cadres qui ont leur téléphone portable perso qui sonne comme ça, même en réunion à longueur de temps et puis à côté de ça, il y a des cadres qui n'ont jamais leur téléphone qui sonne, qui n'ont jamais leur téléphone sur eux et qui gardent simplement leur téléphone professionnel, leur outil de travail quoi. Mais c'est récent ça hein. »

Le caractère récent du phénomène laisse à penser qu'il s'accélère avec la diffusion massive des Smartphones et toutes leurs fonctionnalités. Les dernières études sur le portable au travail rendent compte de ce phénomène avec 84% des français qui considèrent le téléphone mobile dans le monde du travail comme une bonne chose.161

Pour Flore, il semble que la vision de l'entrée du portable au travail soit en opposition avec le plébiscite révélé par cette statistique. Elle poursuit en expliquant sur un ton tout à la fois agacé et désabusé que l'organisation du travail peut également être perturbée par ces immiscions de la vie privée :

« mais moi ça "m'agace" d'être en réunion, on a déjà ceux-là (elle me montre son DECT) qui sonnent en permanence parce qu'on est appelé par untel qui cherche des lits enfin bon, faut voir sur une réunion d'1H30 on a déjà au moins 10 coups de fils qui sonnent (ton très exclamatif) aller 10, 15, 20 coups de fils, alors si en plus faut tous qu'on ait notre portable perso enfin euh, bon alors quand on a juste une ou deux personnes, ça rajoute du parasite, mais on pourrait se dire après tout, pourquoi tout le monde fait pas ça ? Et là ça devient de la folie quoi ! Moi je vois bien, le médecin avec qui je travaille elle a tout le temps son portable perso sur elle, sans rire, sur une journée de travail, enfin après ça la regarde hein, mais euh en plus c'est épuisant, ça n'arrête pas toc ça sonne, toc, c'est ça [...], il faudrait que je chronomètre mais bon l'autre fois elle me disait « j'ai le temps de rien, j'ai le temps de rien, euh... » Ça fait partie des choses qui parasitent sur euh, sur notre organisation quoi. »

Là encore, l'organisation des soins relève de la fonction du cadre de santé et nous comprenons bien que cette perturbation permanente du déroulement de la visite du service par des appels privés rend sa mission difficile. D'une part pour le déroulement de ce temps fort de l'activité du service qui impacte le travail du reste de l'équipe si des

161 TNS-SOFRES - AFOM, Observatoire sociétal du téléphone mobile, 6e édition, octobre 2010, p. 16.

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retards sont accumulés et d'autre part sur l'exemplarité que cette attitude peut avoir sur l'équipe.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille