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Les soignants et leur téléphone portable à  l'hôpital

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par Frédéric GRIPON
Université de Caen Basse- Normandie - Master 1 des sciences de l'éducation option éducation, mutations, formation 2012
  

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2.6 - Une problématique pour les cadres

Ainsi, Marie se trouve confrontée à un usage qu'elle juge « abusif » de la part d'une infirmière anesthésiste de son service et se dit agacée par cette pratique :

« Ben moi j'ai une IADE163 qui m'agace prodigieusement parce qu'elle l'a constamment sur elle donc non seulement elle s'en sert pendant les anesthésies [...] »

Le terme d'agacement est ici probablement amplifié par les sollicitations qu'elle subit de l'équipe médicale pour résoudre ce comportement :

« C'est parce que je l'ai vue et qu'en plus les médecins anesthésistes me l'ont dit "ouais, elle est tout le temps avec son portable." »

Parallèlement elle reconnait ne pas savoir quel usage font les autres personnels de leur téléphone portable, mais dans ce cas précis, alertée par les médecins, elle focalise toute son attention sur cet agent :

162 Bourret P. , Les cadres de santé à l'hôpital, un travail de lien invisible, Paris : Séli Arslam, 2006, pp.216-217.

163 Infirmière Anesthésiste Diplômée d'Etat.

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« Par contre c'est vrai que dans le bloc, il y en a d'autres qui ont des portables effectivement perso mais qu'en ont pas apparemment un usage apparemment abusif, maintenant je saurais pas dire vraiment parce que je suis pas derrière tout le monde moi non plus. »

Cette notion de méconnaissance de la réalité de l'usage par les soignants dont les cadres ont la responsabilité semble identique pour Flore :

« Je pose des limites pour ne pas qu'il y ait de débordement, mais je ne vais pas aller non plus heu... (Silence) [...] mais je ne sais pas comment c'est respecté hein, je ne sais ce qu'il se passe quand je suis partie le soir ou la nuit euh, j'en sais rien, mais personne ne le sait hein. »

Il semble que l'absence de règle formelle occasionne des prises de position des cadres de santé au coup par coup, en fonction des problèmes aigus que les usages observés ou dénoncés apparaissent, comme nous l'exprime Flore :

« Moi au sein de l'équipe j'ai des gens qui ont leur téléphone, mais je leur demande de l'utiliser sur leur temps de pause [...] Bon y'en a une je sais que dès que je m'en vais elle va passer un petit coup de fil à la maison, euh, c'est une mère de famille , ses enfants rentrent à pied, euh bon, je sais très bien qu'elle va dans la petite pièce du fond se planquer euh, 3 minutes pour passer son coup de fil, après je ne vais pas non plus euh... Ce n'est pas mon rôle euh, je ne suis pas là pour euh... Je leur demande d'être vigilant, de pas utiliser ça dans les couloirs, après euh...je comprends quand elle est d'après-midi, ses enfants rentrent de l'école tout seuls, bon, je ne vais pas faire ma vieille "rabajoise" [...] Moi je suis intervenue, c'était principalement euh, ben la fameuse maman qui passe son petit coup de fil euh, bon voilà, je pose des limites pour ne pas qu'il y ait de débordement.»

Eviter les débordements parait effectivement la problématique première pour cette cadre. Mais l'absence de volonté institutionnelle de faire respecter la circulaire de 1995 et la description des pratiques qui est faite par Flore sur la véritable déferlante du mobile dans l'hôpital ne l'aide pas à affirmer son positionnement :

« Aujourd'hui, c'est infernal hein... (L'air désabusée) euh, entre les ambulanciers qui ont leur casque ou leur téléphone greffé, euh, qui sont dans le couloir, euh, les médecins pareil, le personnel qui commence aussi à avoir euh ... Tiens, ce midi

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je pensais à vous parce que je descendais m'acheter un sandwich vite fait dans le hall pour déjeuner et il y avait deux stagiaires, élèves planquées derrière euh... en train de téléphoner, en tenue dans le hall. Alors super l'image euh... pft ! je pense qu'on peut quand même euh...euh, être sur son lieu de travail et ne pas être en permanence relié avec l'extérieur, enfin... (Semble agacée, un peu dépitée)... (Long silence, je ne relance pas volontairement...) C'est mon avis... Surtout qu'on est quand même tous joignables euh relativement facilement quoi.»

Le statut des cadres, avec leur DECT les rend plus facilement joignables comme nous l'indiquions en préambule tandis que les agents dont ils ont la responsabilité doivent se contenter d'utiliser le téléphone de service en transitant par le standard. Mais là n'est pas seulement la source d'iniquité que pourrait voir les personnels soignants, dans une interdiction formelle par le cadre de santé. Des médecins, des intervenants extérieurs, des visiteurs et même des stagiaires utilisent leurs téléphones en tous lieux. Dès lors, cibler l'interdiction sur une catégorie spécifique de personnel sans règle institutionnelle claire parait illusoire et peut constituer une prise de risque managériale pour le cadre qui prendrait une décision ferme de manière isolée. Cette situation rejoint l'analyse faite par Paule Bourret, concernant le cadre et la règle dans son chapitre 6. Au travers de l'exemple du port des bijoux par les soignants, elle y explique que le cadre peut se trouver « pris dans un dilemme : déstabiliser le collectif des soignants au risque de ne pas y arriver et de provoquer une coalition contre lui, ou laisser faire164. » Elle y convoque également une étude psycho dynamique du travail réalisée auprès des cadres de l'AP-HP (1998) qui décrit « le débat entre les tenants d'une position légaliste et les défenseurs d'une approche pragmatique165. » Il en résulte donc des prises de position sous forme de conseils, d'injonctions orales suivies ou non d'effets. Par exemple, Marie a profité de l'entretien annuel de l'agent pour évoquer l'usage qu'elle considère abusif de son Smartphone :

« On en est resté là sur le fait que la lecture ou le portable c'était pareil pour elle, mais pas pour moi et qu'il faudrait éviter de s'en servir en salle. J'attends de voir si ça va changer avec l'entretien qu'on a eu. [...] C'est vrai que j'ai fait ça progressivement comme toujours, mamie prudence, mais le médecin anesthésiste chef de service m'a donné un article sur les téléphones portables au bloc opératoire qu'il a

164 Op. Cit. Bourret P. , 2006. pp.194-236.

165 Ibidem.

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eu sur internet et je l'ai placardé en salle de réveil au tableau d'affichage en pensant très fort à cette JADE qui m'agace, qui elle ne l'a pas lu évidemment [...] »

L'absence de règle formelle conduit les cadres à argumenter de façon pédagogique, en faisant appel à la raison des utilisateurs et en stimulant leur réflexivité sur leurs pratiques.

Nous évoquions la notion d'exemplarité dans le chapitre concernant la perturbation de la concentration. Ce problème de l'exemplarité se trouve à tous les niveaux pour les deux cadres interrogés. En effet leurs supérieures hiérarchiques utilisent également leurs téléphones portables personnels pendant le travail. Marie nous livre ainsi :

« Ma cadre supérieure par exemple, elle l'a dans sa poche ... Et il sonne ! (rires) Elle tapote plus dessus qu'elle ne reçoit d'appel, mais bon, je ne suis pas allée vérifier hein (rires) [...] Je ne sais pas si elle fait des SMS, des emails ou quoi, mais bon elle pianote pas mal oui. Enfin bon, maintenant ils ont tous leur agenda dessus alors si vous voulez, ils ont tous une bonne raison de le regarder comme ça. »

Cette pratique de l'encadrement supérieur est confirmée par Flore :

« Bah dans nos réunions il y en a 2 et oui, tous ils en ont tous les deux un. Enfin une en continue et l'autre souvent quoi il sort de la poche oui [...] Quand c'est eux qui animent ils ne répondent pas, mais quand ce n'est pas eux qui animent, ils répondent et là ça peut être des réponses comme ça dans la réunion du style "oui ,
· non ,
· non ,
· oui" euh.»

Alors même que les cadres tentent de réguler l'usage du téléphone personnel des soignants dans les services, maintenir un discours cohérent auprès des collaborateurs dans ce contexte devient particulièrement difficile. Certaines catégories professionnelles comme les médecins, les ambulanciers et même les stagiaires s'affranchissent de la circulaire de 1995 et à cela s'ajoute une utilisation du portable personnel par la hiérarchie paramédicale supérieure. Nous pouvons dès lors aisément mesurer le jonglage difficile que cela peut entrainer dans le management des équipes avec une telle hétérogénéité de pratique.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery