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Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale internationale

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par Pierre GIRAUD
Paris 2 Panthéon Assas - Institut des hautes études internationales  - Certificat de recherche approfondie 2012
  

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    Université Paris II Panthéon Assas
    Institut des Hautes Études Internationales (IHEI)

    Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale
    internationale

    2

    Rapport de recherche dirigé par Mme Pascale MARTIN-BIDOU pour l'obtention du certificat de recherche approfondie (février 2012)

    Pierre GIRAUD, Magistrat

    3

    L'Institut des hautes études internationales n'entend ni approuver, ni désapprouver les opinions émises dans ce rapport. Ces opinions sont considérées comme propres à leurs auteurs.

    4

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION 5

    PREMIERE PARTIE La consécration et l'encadrement statutaires du

    pouvoir discrétionnaire du Procureur 12

    A) La reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire aux stades de l'ouverture d'enquête et du

    déclenchement des poursuites ..13

    B) Les controverses liées au pouvoir discrétionnaire 18

    DEUXIÈME PARTIE Les contrôles et garanties dans la mise en oeuvre du

    pouvoir discrétionnaire du Procureur 28

    A) Les garanties et contrôles internes au Bureau du Procureur 29

    B) Le contrôle judiciaire sur l'action discrétionnaire du Procureur .36

    CONCLUSION .40

    BIBLIOGRAPHIE 42

    5

    INTRODUCTION

    6

    Le travail du Procureur a « sans aucun doute un effet politique et nous le voyons tous les jours. Et là, le nouveau Procureur va devoir trouver le juste équilibre ». Les propos tenus par M. Christian WENAWESER, président sortant de l'assemblée des Etats parties au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale illustrent les liens étroits qu'entretiennent la justice pénale internationale et le politique, et plus particulièrement, la relation qui lie le Procureur de la Cour pénale internationale aux acteurs internationaux traditionnels que sont les Etats et les organisations internationales. Dans ce discours, tenu à l'occasion de l'élection de Mme Fatou BENSOUDA pour succéder au Procureur Luis MORENO OCAMPO, le président de l'assemblée des Etats parties évoque les effets politiques possibles des décisions du Procureur sans induire pour autant que ses décisions sont déterminées par des considérations d'ordre politique. La politisation possible des décisions, et notamment des décisions du Procureur, constitue néanmoins l'un des aspects de la justice pénale internationale donnant le plus lieu à controverses. Cette critique, tenace, est inhérente à l'essor même de la justice pénale internationale.

    L'histoire de la justice pénale internationale révèle en effet la forte proximité qu'entretiennent répression internationale et politique. C'est dans le contexte de guerres au retentissement majeur et dans la recherche de moyens de châtier les vaincus, que l'idée de justice pénale internationale a trouvé ses premières concrétisations. Ainsi, après la première guerre mondiale, les alliés ont envisagé au titre des sanctions infligées à l'Allemagne, la constitution d'un tribunal composé de cinq juges nommés par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et le Japon pour juger l'ex-Empereur d'Allemagne, Guilllaume II, mis en accusation par ces mêmes puissances pour offense suprême contre la moralité et l'autorité sacrée des traités1.

    Cette première étape en vue de l'instauration d'une juridiction pénale internationale montre que les origines de la justice pénale internationale sont moins à rechercher dans la volonté de promouvoir un droit international des droits de l'homme et d'en garantir l'effectivité que dans la volonté de punir l'ennemi et en quelque sorte, « de continuer la guerre par d'autres moyens ».

    Les tribunaux militaires institués après la seconde guerre mondiale s'inscrivaient dans

    1 Article 227 du traité de Versailles. Réfugié aux Pays-Bas, Guillaume II ne fut jamais livré aux vainqueurs.

    7

    la même logique de règlement des conflits voulue par les vainqueurs. Ainsi du tribunal militaire international de Nuremberg crée par les accords de Londres du 8 août 1945 et du tribunal international pour l'Extrême-Orient crée suite à la déclaration du Général MacArthur, Commandant suprême des forces alliées. Conformément au souhait des alliés, ces premiers tribunaux internationaux n'étaient composés que de membres issus des Etats victorieux à savoir, l'URSS, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Bien que non exemptes de tout grief en ce qui concerne notamment la commission de crimes de guerre2, les puissances alliées avaient exclu que la responsabilité pénale de leurs propres dirigeants puisse être recherchée.

    De plus, les procès satisfaisaient peu aux standards du procès équitable3, et ce notamment dans le domaine de l'administration de la preuve. Les articles 19 et 21 des accords de Londres stipulaient par exemple que « le Tribunal n'exigera pas que soit rapportée la preuve des faits de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis. Il considère également comme preuves authentiques, les documents et rapports officiels des gouvernements alliés ».

    Enfin, les libertés prises quant au respect du principe fondamental du droit pénal de non-rétroactivité de la loi pénale, tendaient également à renforcer l'idée que la justice pénale internationale était moins mobilisée comme institution destinée à prémunir contre l'arbitraire et à promouvoir le respect de la règle de droit, que comme instrument des vainqueurs. Ainsi, l'introduction du crime contre l'humanité au sein des accords de Londres a eu pour effet de voir reprocher aux accusés, la commission d'un crime qui n'avait pas été défini et qui n'existait pas au moment où ils avaient agi. Si l'idée qui a prévalu alors était de pallier l'insuffisance de la notion de crime de guerre seule en vigueur et qui, ne concernant que les actes commis sur des civils et militaires d'Etats ennemis excluait de son champ, les actes commis par des Allemands sur des juifs allemands, cette brèche dans la non- rétroactivité a pu conforter les critiques contre la justice pénale internationale, justice d'exception4.

    Les premières juridictions pénales internationales s'inscrivent donc davantage dans la volonté

    2 Le massacre de Katyn avait été imputé par les Soviétiques aux troupes allemandes jusqu'à la chute du mur de Berlin où ils ont reconnu qu'il avait été commis sur instruction de Staline.

    3 L'article 19 des accords de Londres stipule que « le tribunal ne sera pas lié par des règles techniques relatives à l'administration des preuves. Il adoptera et appliquera autant que possible, une procédure rapide et non formaliste et admettra tout moyen qu'il estimera avoir une valeur probante ». 4Cependant, l'incrimination de crimes contre l'humanité a été peu retenue par le Tribunal de Nuremberg.

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    des vainqueurs d'étendre leur domination au plan international que dans celle d'affirmer la prééminence du droit.

    Les juridictions internationales instituées plus récemment ont pâti de la même suspicion d'instrumentalisation par le politique mais force est de constater qu'elles ont su aussi s'affirmer en tant que juridictions garantissant le respect des droits de la défense.

    Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie crée le 25 mai 19935 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda crée le 8 novembre 19946 ont été institués sur résolution du Conseil de sécurité de l'organisation des Nations Unies prises sur le fondement du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire par l'organe exécutif de l'ONU, agissant dans le cadre du règlement des conflits. Ils ont pu être perçus comme un levier actionné par les vainqueurs pour asseoir leur victoire fondant ainsi un argumentaire facile aux accusés poursuivis devant elles. Ce fut, entre autre, la stratégie de défense adoptée par le Président Slobodan MILOSEVIC devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, celui-ci refusant, lors de sa première comparution devant le tribunal pénal le 3 juillet 2001 de répondre aux juges affirmant : « je considère que ce tribunal est faux, que l'acte d'accusation est un acte erroné, sans légitimité » et ajoutant « le but de ce tribunal n'est autre que de justifier les crimes commis par l'OTAN en Yougoslavie ». Cependant, tout autant le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie que le tribunal pénal international pour le Rwanda ont respecté les principes fondamentaux du procès pénal. Les infractions dont ils ont été et sont encore amenés à connaître ont été, par ailleurs préalablement définies.

    L'observation, sur le temps long, du développement de la justice pénale internationale montre qu'elle a connu un double mouvement de diversification et d'approfondissement.

    Diversification puisque la justice pénale internationale est rendue selon des formes multiples. Par des juridictions internationales mais aussi par des juridictions internes auxquelles sont reconnues le cas échéant, une compétence universelle. En 1993 par exemple, la Belgique s'était doté d'une législation accordant à ses juridictions, compétence universelle pour juger

    5 Résolutions 808 et 827 du Conseil de sécurité. Le TPIY est compétent pour l'ensemble de l'ex-Yougoslavie c'est-à-dire à la fois pour les conflits de Croatie, de Bosnie et du Kosovo.

    6 Résolution 955 du Conseil de sécurité

    9

    les auteurs présumés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité commis à l'étranger quelque soit leur nationalité et celle des victimes7. Diversification encore, car la justice pénale internationale peut également être rendue par des juridictions mixtes, à l'instar des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Diversification enfin car la justice rétributive traditionnelle a parfois été délaissée au nom de la recherche de la restauration des liens, c'est l'exemple des commissions vérités et réconciliation.

    Approfondissement de la justice pénale internationale avec la Cour pénale internationale. La création de cette Cour apporte en effet un bouleversement notable dans la manière dont la justice pénale internationale s'est jusqu'à présent mise en oeuvre.

    Tirant les enseignements des lacunes dont ont souffert les juridictions répressives internationales ayant précédé la Cour pénale internationale, les Etats présents à Rome pour l'élaboration de son Statut8, ont crée une juridiction à vocation universelle et non plus ad hoc. La Cour pénale n'a par ailleurs plus rien d'une juridiction circonstancielle. Elle est permanente et sans compétence rétroactive.

    L'ancrage de la justice pénale internationale interroge. Pourquoi les Etats s'en remettent-ils aux juges ? Pourquoi les chefs d'Etat bénéficiant d'immunités traditionnellement reconnues consentent-ils à devenir justiciables ? Sont-ils vraiment seuls à l'initiative de l'abandon de leurs immunités ? Si la justice pénale internationale s'est autant développée c'est sans doute qu'elle est assise sur d'autres ressorts que celui de la quête de puissance des Etats. L'avènement des droits de l'homme, l'universalisme juridique ont favorisé son développement. Le postulat réaliste qui prétend voir dans la justice pénale internationale, la traduction d'un rapport de force au profit de ceux qui en sont les instituteurs révèle non seulement la difficulté à concevoir une justice qui dépasserait le cadre étatique9 mais aussi l'incapacité à envisager la justice de manière autonome.

    7Cette législation avait notamment pour objectif de juger les génocidaires rwandais. Le succès de la loi expliqua son extension quelque soit la qualité officielle des personnes mises en cause. La loi niait les conséquences attachées aux immunités des chefs d'Etat et ministres des affaires étrangères. Après l'arrêt Yerobia rendu par la Cour internationale de justice en 1993 dans lequel celle-ci rappelait l'opposabilité de ces immunités aux Etats, la Belgique a adouci sa législation.

    8 Le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par 60 pays. A ce jour, 120 Etats sont parties au Statut de Rome.

    9V. notamment GARAPON (A), Des crimes qu'on ne peut ni punir ni pardonner, pour une Justice internationale, Odile Jacob, novembre 2002.

    10

    L'interpellation du Procureur général américain au Tribunal militaire de Nuremberg, M.JACKSON évoque cette justice au-dessus des Nations, l'idée d'un monde commun, d'une justice post-conflit chargée de sauvegarder une communauté de valeurs :

    « Que quatre grands pays exaltés par leur victoire et profondément blessés, arrêtent les mains vengeresses et livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la Loi est un des plus grands tributs que la Force payât jamais à la Raison [É] Nous ne devons jamais oublier que les gestes sur lesquels nous fondons aujourd'hui notre jugement contre ces défendeurs sont ceux sur lesquels l'histoire nous jugera demain. Offrir à ces accusés une coupe empoisonnée est aussi porter cette coupe à nos lèvres. Nous devons appliquer à la tâche qui nous attend un tel détachement et une telle intégrité intellectuelle que ce procès passera à la postérité comme étant la réalisation des aspirations de l'humanité à la justice ».

    Alors que l'année 2011 a été une année où l'actualité de la Cour pénale internationale a connu une réelle importance : élections d'un nouveau Procureur et de six nouveaux juges, ouverture de deux nouvelles enquêtes concernant les situations en Libye et en Côte d'Ivoire, les critiques restent encore pregnantes. C'est moins la Cour en général et donc le principe de justice pénale internationale qui sont critiqués que les décisions rendues par les organes de la Cour et singulièrement par le Procureur. Le Procureur est en effet l'un des organes incontournables et fondamentaux de la Cour. Au regard des prérogatives qui lui sont confiées, son action conditionne l'existence du procès international. Il suscite en conséquence de nombreuses attentes et, corollaire, déceptions. Que juger ? Qui juger ? La marge d'appréciation que lui ont reconnu les Etats parties, la manière dont le Procureur de la Cour pénale internationale élabore ses choix en matière d'enquête et de poursuites ou encore les garanties qu'il présente en matière d'impartialité constituent le siège des objections.

    L'examen des dispositions statutaires montre que le Procureur dispose d'un large pouvoir d'appréciation à l'occasion de deux stades procéduraux fondamentaux : l'enquête et les poursuites. Ce pouvoir peut d'ailleurs être qualifié de pouvoir discrétionnaire. L'octroi de celui-ci tend à confirmer ce mouvement vers l'autonomisation du judiciaire dans l'ordre

    11

    international (I). Il suscite des reproches, alors qu'il est malgré tout encadré par l'existence de garanties internes au Bureau du Procureur et par l'existence d'un contrôle judiciaire (II).

    12

    1ère partie : La consécration et l'encadrement statutaires du pouvoir discrétionnaire du Procureur

    13

    Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale reconnaît aux Etats ainsi qu'au Conseil de sécurité, un rôle essentiel dans la répression des crimes internationaux en leur laissant la possibilité de renvoyer des situations au Procureur, étape préalable à une enquête voire à des poursuites. Rôle essentiel mais non prépondérant. Le Procureur apparait en revanche, comme le protagoniste dans la mise en mouvement de l'action répressive internationale. En effet, le Conseil de sécurité et les Etats parties ne peuvent que lui renvoyer des situations. Ils ne peuvent saisir directement la Cour et doivent en conséquence saisir le Procureur. De plus, à côté de cette possibilité qu'il a d'être saisi pour enquête par les Etats parties et par le Conseil de sécurité, le Procureur dispose également du pouvoir d'agir proprio motu et donc de diligenter des enquêtes d'initiative sans y avoir été préalablement invité par les Etats parties ou par le Conseil de sécurité. Le Procureur dispose d'un pouvoir discrétionnaire en matière d'ouverture d'enquêtes et de choix des poursuites (A). L'existence d'un tel pouvoir est à l'origine de controverses, lesquelles s'expliquent notamment par les enjeux inhérents à l'action de la Cour, juger dans un contexte politique (B).

    A) La reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire aux stades de l'ouverture d'enquête et du déclenchement des poursuites.

    La notion de pouvoir discrétionnaire est largement utilisée par la doctrine pour appréhender le pouvoir d'appréciation statutairement reconnu au Procureur de la Cour pénale internationale au stade de l'ouverture d'enquête et de la décision sur les poursuites10. Il faut y voir une référence à la notion anglo-saxonne de « Prosecutorial discretion ».

    Pourtant cette notion de pouvoir discrétionnaire est inconnue de la justice judiciaire française qui, pour saisir le pouvoir d'appréciation des autorités de poursuite lui préfère la notion « d'opportunité » opposée à celle de « légalité ». La notion de pouvoir discrétionnaire relève plutôt du contentieux administratif 11.

    La caractéristique des ordres judiciaires dans lesquels s'applique le système d'opportunité des

    10 Cette notion relève plutôt du droit administratif où elle est opposée aux cas dans lesquels l'administration est en situation de compétence liée. La notion de pouvoir discrétionnaire est comme l'écrit le Professeur René CHAPUS, « le pouvoir de choisir entre deux décisions ou deux comportements (deux au moins) conformes à la légalité ». CHAPUS (R), Droit administratif général, PUF.

    14

    poursuites est que le Procureur peut engager des poursuites lorsqu'il a connaissance d'une infraction juridiquement poursuivable mais qu'il ne s'agit aucunement pour lui d'une obligation12. Ce système s'oppose aux systèmes « légalistes13 » dans lesquels le Ministère public doit engager des poursuites dès lors que les conditions légales sont réunies, c'est-à-dire dès lors qu'il existe une infraction juridiquement poursuivable. Dans les systèmes légalistes, seuls des motifs juridiques rendant les poursuites impossibles telles que la prescription et l'amnistie par exemple, permettent au Procureur de ne pas engager de poursuites.

    Le pouvoir d'appréciation reconnu au stade de l'enquête et des poursuites au Procureur de la Cour pénale internationale par les articles 15 et 53 du Statut est semblable à celui que connaissent les Procureurs dans les systèmes dits « d'opportunité des poursuites ».

    Le Procureur dispose en effet du pouvoir de décider d'ouvrir ou non une enquête ainsi que du pouvoir d'engager ou non des poursuites, prérogatives résultant des articles 13, 14, 15, 18 et 53 du Statut de Rome.

    Le principe d'opportunité avait déjà été introduit dans les Statuts de juridictions internationales créées antérieurement. Au sein des tribunaux ad hoc créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies par exemple, le Procureur dispose d'un pouvoir analogue d'appréciation en opportunité 14.

    Manifestation du pouvoir discrétionnaire dans l'enquête diligentée par le Procureur de la Cour pénale internationale en application de l'article 15 du Statut de Rome

    Aux termes de l'article 15-1 du Statut de Rome, le Procureur a la faculté d'initier des enquêtes proprio motu suite aux renseignements qui lui sont adressés. Il convient de relever

    12 La France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg ou encore les Pays-Bas figurent au nombre des Etats dont les systèmes répressifs sont dits « opportunistes ».

    13L'Allemagne, le Portugal ou encore l'Italie voir Le ministère public en Europe, de Gilles ACCOMANDO et Christian GUERY, in Le Parquet dans la République : vers un nouveau Ministère Public ?, Colloque organisé les 29 et 30 mai 1995 à l'Assemblée nationale.

    14 Le Bureau du Procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) - tout comme celui du Tribunal international pour le Rwanda - est distinct du Tribunal mais toute mise en accusation proposée doit être soumise à un juge du TPIY pour approbation. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire du Procureur d'entamer des poursuites devant le Tribunal est donc également tempéré par le contrôle judiciaire.

    15

    que cette enquête d'initiative qui correspond à un examen préliminaire se distingue de l'enquête préalable aux poursuites, visée à l'article 15-3 du Statut. Le Statut consacre en effet deux types d'enquête, l'une découlant du pouvoir reconnu au Procureur de s'autosaisir, correspondant en fait à un examen préliminaire effectué par son Bureau, l'autre étant officiellement organisée par les articles 15 (3) et 53 (1) du Statut comme phase préalable aux poursuites. C'est ce qu'expliquent Morten BERGSMO et Pieter KRUGER15 analysant la rédaction anglaise de l'article 15 (1) du Statut16. Selon ces auteurs, il y a effectivement une différence entre les enquêtes spécifiques de l'article 15(1) et l'enquête préalable à la décision sur les poursuites. L'emploi du pluriel dans la version anglaise pour décrire « the investigations » menées par le Procureur montre selon eux que les plénipotentiaires ont reconnu au Procureur, la faculté de diligenter des enquêtes avant d'envisager de demander à la Chambre préliminaire de l'autoriser à diligenter une enquête, en vue d'engager éventuellement des poursuites.

    Lorsqu'il entend mener des enquêtes d'initiative, le Procureur a pour seules obligations, d'avoir préalablement recueilli des renseignements mettant en évidence des crimes relevant de la compétence de la Cour17. Si ces deux conditions cumulatives - le recueil de renseignement et la compétence de la Cour - obligent le Procureur à disposer d'éléments de fait et à procéder à un contrôle juridique sur la compétence de la Cour avant d'envisager l'ouverture d'une enquête proprio motu, cette double exigence constitue une exigence minimale pour toute autorité judiciaire. Il ne s'agit pas de mettre obstacle au pouvoir d'initiative du Procureur en matière d'enquête mais plutôt d'inscrire sa démarche dans la légalité et dans l'impartialité.

    L'examen préliminaire mené par le Bureau du Procureur dans le cadre de l'article 15 (1) comprend deux phases, l'une « passive » consistant à recevoir des informations, l'autre « active » consistant à en rechercher puis à en contrôler la pertinence. Les renseignements

    15 BERGSMO (M), KRUGER (P), in Otto Triffterer (editor): « Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court » p 704.

    16La version anglaise de l'article 15 (1) stipule que « The Prosecutor may initiate investigations proprio motu on the basis of information on crimes within the jurisdiction of the Court » tandis qu'aux

    termes de la version française : « le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ».

    17Le respect de ces critères fait néanmoins l'objet d'un contrôle par le Bureau du Procureur et éventuellement par les juges. V. 2ème partie.

    16

    réunis par le Procureur dans ce cadre sont qualifiés par le Statut de communications. Ils proviennent pour l'essentiel d'acteurs extra étatiques, notamment d'organisations non gouvernementales.

    Le Statut précise qu'il appartient au Procureur qui en est destinataire, d'en vérifier le sérieux en recourant pour cela à de larges sources non limitativement énoncées par l'article 15 (2) du Statut, dès lors qu'elles sont dignes de foi. Au nombre d'entre elles figurent les Etats ainsi que l'Organisation des Nations Unies.

    Il incombe donc au Procureur qui envisage de demander à la Chambre préliminaire d'autoriser l'ouverture d'une enquête, d'avoir réuni ou de réunir des renseignements sérieux puis de s'assurer que ceux-ci tendent à caractériser la commission de crimes relevant de la compétence de la Cour. En tout état de cause, il ne lui appartient pas à ce stade d'avoir réuni des éléments de preuve18.

    Si le Procureur refuse de diligenter une enquête d'initiative, il ne peut y être contraint même par la Chambre préliminaire. Le Statut lui impose uniquement d'aviser ceux qui lui ont fourni les renseignements de son refus d'enquêter sans qu'aucun recours ne leur soit accordé.

    Les conditions requises par l'article 15 (1) pour permettre au Procureur d'initier des enquêtes sont limitées de sorte que son pouvoir d'initiative est réel. Le Procureur est donc bien en mesure de mener discrétionnairement des enquêtes d'initiative dans le cadre de l'article 15 du Statut.

    L'ouverture d'enquête sur renvoi de situations

    18 En ce sens notamment, l'arrêt rendu par la Chambre préliminaire II le 31 mars 2010 relative à la demande d'autorisation d'ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en République du Kenya rendue en application de l'article 15 du Statut de Rome, ICC-O1/09 14/86 : « en ce qui concerne la condition fondée sur la base raisonnable pour croire, énoncée à l'article 53-1-a, la Chambre considère que c'est là la norme d'administration de la preuve la moins stricte que prévoit le Statut. Cela est logique étant donné la nature de la procédure à ce stade précoce, laquelle se limite à un examen préliminaire. De ce fait, par comparaison avec les éléments de preuve recueillis au cours de l'enquête, les renseignements en possession du Procureur, n'ont pas à être complets ni déterminants. Cette conclusion émane également du fait que, à ce stade précoce, les pouvoirs dont dispose le Procureur sont limités et ne peuvent être comparés à ceux que lui confère l'article 54 du Statut au stade de l'enquête ».

    17

    Les articles 13 et 14 du Statut confèrent respectivement qualité au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies et aux Etats parties au Statut de Rome pour demander au Procureur de diligenter une enquête.

    L'article 13 du Statut reconnaît au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies le pouvoir de demander au Procureur de la Cour pénale internationale d'ouvrir une enquête, sur le fondement d'une résolution prise au visa du chapitre VII de la Charte, c'est-à-dire lorsque la paix et/ou la sécurité internationale(s) sont menacée(s)19.

    Aux termes de l'article 14 du Statut, tout Etat partie peut saisir le Procureur aux fins d'enquête dès lors qu'un crime relevant de la juridiction de la Cour paraît avoir été commis20.

    Lorsqu'une situation est renvoyée par un Etat partie au Procureur aux fins d'enquête, ou lorsque celui-ci est saisi par le Conseil de sécurité des Nations Unies poursuivant les mêmes fins, il doit en principe ouvrir une enquête, l'article 53 du Statut utilisant l'indicatif et stipulant que le Procureur ouvre une enquête après évaluation des renseignements fournis21. Toutefois, ce même article réserve au Procureur la faculté de décider de ne pas en ouvrir dans des cas limitativement énumérés qui relèvent pour deux d'entre eux d'une appréciation strictement juridique - en cas d'incompétence de la Cour et d'irrecevabilité de l'affaire - et pour le dernier, de l'appréciation d'une notion aux contours plus incertains, celle des intérêts de la justice. Dans tous les cas, la décision de refus peut alors être soumise au contrôle de la Chambre préliminaire, soit sur demande des parties ayant saisi le Procureur d'une demande d'enquête22, soit sur autosaisine de la Chambre préliminaire si la décision de refus est fondée sur les seuls intérêts de la justice23.

    Dans le cas de renvois de situations par les Etats parties et par le Conseil de sécurité,

    19 Le Conseil de sécurité a déféré deux situations à la Cour : celle de la région du Darfour au Soudan ainsi que la situation en Libye, deux Etats non parties au Statut de Rome. Le Procureur a ouvert une enquête sur ces deux situations.

    20 À ce jour, trois États parties au Statut de Rome - l'Ouganda, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine - ont déféré à la Cour des situations concernant des faits s'étant déroulés sur leur territoire.

    21 article 53 du Statut.

    22 article 53 (3) a du Statut.

    23 article 53 (3) b du Statut.

    18

    l'ouverture d'enquête apparaît moins relever de l'opportunité que de la légalité dans la mesure ou, exception faite du recours aux intérêts de la justice pour ne pas enquêter, la décision du Procureur sur l'ouverture d'enquête est déterminée par des considérations strictement juridiques.

    Dans la décision sur les poursuites

    Une fois les investigations terminées, le pouvoir discrétionnaire du Procureur s'exerce à l'occasion de la décision sur les poursuites. Le Procureur peut choisir tant les crimes que les personnes qu'il entend poursuivre mais s'il envisage de ne pas poursuivre, il doit se fonder sur l'absence de base raisonnable pour le faire, sur l'irrecevabilité de l'affaire ou encore sur les intérêts de la justice. Cette notion déjà mobilisable en matière d'ouverture d'enquête est élargie en ce qui concerne la décision sur les poursuites puisqu'elle recouvre aussi des considérations propres à l'auteur des crimes tels que son âge et éventuellement son handicap.

    C'est donc d'un pouvoir discrétionnaire que le Procureur dispose dans le déclenchement de l'enquête et des poursuites, ce pouvoir se rapprochant de ce que le système judiciaire français connaît sous le nom d'opportunité même s'il connaît, selon le stade procédural, certaines nuances. Déjà connu des juridictions répressives internationales avant sa reprise dans le Statut, le principe d'opportunité présente des avantages significatifs en matière de punition des infractions internationales. Il permet tout d'abord au Procureur d'opérer un filtre dans les affaires soumises au Juge. Bien employée, cette liberté lui permet de ne soumettre au juge que les affaires les plus graves conformément à la règle selon laquelle De minimis non curat Praetor règle d'ailleurs reprise dans le Statut de Rome qui fait de la gravité, une condition de recevabilité des affaires.

    Outre qu'il permet d'éviter de paralyser les juridictions en opérant un choix au sein des infractions poursuivables, le principe d'opportunité permet de tenir compte des évolutions survenues dans les affaires. MM. MERLE et VITU24 relèvent en effet que:

    « L'expérience prouve qu'une affaire se modifie parfois d'une façon considérable entre l'ouverture des poursuites et le jugement qui sera rendu : tel dossier se gonfle d'éléments

    24 MERLE (R), VITU (A), « Légalité ou opportunité des poursuites » in Extrait du « Traité de droit criminel », T.II, 4e éd., p.331 n°278 - Éditions Cujas, Paris 1989.

    19

    nouveaux qui traduisent progressivement la gravité réelle de l'affaire; dans tel autre, l'infraction commise prend des dimensions sensiblement plus modestes. En reconnaissant au ministère public la possibilité d'arrêter le cours de l'action répressive, on renonce à l'idée d'une immutabilité du procès jusqu'à la décision juridictionnelle, mais on accorde

    plus d'importance à la « vie » de l'affaire et à ses transformations ».

    L'ensemble de ces caractéristiques expliquent la préférence pour ce principe plutôt que pour le principe de légalité même si ce dernier est traditionnellement présenté comme plus respectueux de l'égalité devant la justice et de l'indépendance des juridictions dans la mesure où d'une part, il nie à l'autorité poursuivante le pouvoir de classement d'une affaire lorsqu'une infraction existe et empêche toute discrimination parmi les affaires et où d'autre part, il ne reconnaît qu'aux seules juridictions de jugement, le pouvoir de mettre fin au procès25.

    25 Aussitôt prise la décision sur la mise en mouvement de l'action publique, le Procureur ne peut abandonner les poursuites car cela reviendrait à dessaisir la juridiction de jugement. Son pouvoir d'initiative est alors très restreint à ce stade.

    20

    B) les controverses liées au pouvoir discrétionnaire

    Les critiques formulées à l'encontre de la justice pénale internationale tiennent d'abord aux circonstances de création de ces juridictions. La création de juridictions à compétence rétroactive a en effet favorisé le discours selon lequel le vainqueur d'un conflit recourait à la justice afin d'obtenir une sanction pénale contre les perdants. Cette justice post-conflit était donc décrédibilisée ab initio. Ces critiques n'ont pas totalement disparu avec la signature et la ratification du Statut de Rome mais elles se sont malgré tout affaiblies, la Cour pénale internationale ayant une vocation permanente et n'ayant pas de compétence rétroactive.

    En revanche, la marge d'appréciation conférée au Procureur, tout au long de la phase précédant le jugement, est le siège de nombreux reproches. Ces reproches ont trait tout autant à la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire dans la décision d'enquêter qu'au choix des personnes poursuivies ou encore qu'aux incidences de la mise en oeuvre de ce pouvoir discrétionnaire sur les processus de paix.

    Les griefs quant à la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire dans la décision d'enquêter

    L'octroi au Procureur de la Cour pénale internationale de la possibilité de mener discrétionnairement des enquêtes d'initiative a été discuté lors de la conférence diplomatique des plénipotentiaires qui s'est tenu à Rome en juin et juillet 1998.

    Les délégations étaient divisées en deux camps. Certaines ont défendu cette possibilité affirmant que l'efficacité de la Cour serait renforcée ainsi que l'effectivité de sa juridiction dans les cas où le Conseil de sécurité, par le biais du veto, ou les Etats parties, ne voudraient pas la saisir. L'autosaisine devait donc constituer une garantie contre une politisation de la Cour à supposer bien sûr que le Procureur soit indépendant.

    A l'opposé, certaines délégations arguaient que cette troisième voie allait précisément politiser l'action de la Cour et l'institution du Procureur. Selon ce point de vue en effet, le Procureur risquait d'être saisi de demandes d'enquêtes émanant d'entités diverses telles que des organisations non gouvernementales ou des personnes privées, animées par des considérations politiques. Parmi les Etats défavorables, les Etats-Unis d'Amérique ont fait

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    valoir qu'il serait peu judicieux de donner au Procureur la faculté d'entamer de lui-même des enquêtes car, outre la surcharge de la Cour qui en résulterait, cela provoquerait des confusions et controverses et affaiblirait la nouvelle institution plutôt que de la renforcer. Considérant que la menace était que le Procureur se transforme en ombudsman des droits de l'homme se saisissant des plaintes émanant de n'importe quelle source, ils avaient plaidé en faveur de la limitation de la compétence de la Cour pénale internationale aux seuls cas qui lui seraient soumis par le Conseil de sécurité.

    L'analyse des dispositions statutaires régissant l'enquête initiée par le Procureur montre que les décisions négatives de celui-ci, celles par lesquelles il refuse de s'autosaisir et de provoquer une enquête proprio motu sont parmi les plus critiquées26. En effet, le Procureur est conduit à opérer un choix que peuvent ne pas comprendre, ceux qui lui ont adressé les renseignements d'autant que le Procureur a pour seule obligation statutaire de leur notifier sa décision de ne pas diligenter d'enquête sans avoir à motiver cet avis. Or les raisons d'un tel refus peuvent être très variables.

    L'examen préliminaire des renseignements reçus par le Bureau du Procureur peut en avoir révélé l'insuffisance de même qu'il ne peut parfois être tiré aucune conséquence juridique des renseignements reçus, lesquels ne caractérisent pas une infraction susceptible de relever de la compétence de la Cour. Dans ces deux cas de figure, le refus du Procureur se comprend dans la mesure où sa fonction impose de ne pas donner suite aux plaintes futiles le Statut réservant la compétence de la Cour aux crimes les plus graves.

    Des considérations extra-juridiques peuvent cependant également être à l'origine du refus du Procureur d'envisager d'ouvrir de lui-même une enquête.

    Ainsi notamment de la politique revendiquée par le Bureau du Procureur qui entend, au nom de l'efficacité de l'enquête postérieure à l'examen préliminaire, limiter l'usage des dispositions du Statut concernant l'enquête proprio motu et favoriser les enquêtes sur renvoi

    26 Certains auteurs considèrent que le pouvoir discrétionnaire du Procureur se manifeste surtout dans ses décisions négatives. En ce sens, STITH (K), « The arc of the Pendulum ; Judges, Prosecutors and the Exercise of Discretion », Yale Law Journal 2008 ; pp 1420 à 1422 « In the context of the criminal law, to exercise discretion means, most simply, to decide not to investigate, prosecute, or punish to the full extent avalable under the law ».

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    de situations27.

    Ces refus s'inscrivent alors dans un choix de politique pénale du Bureau du Procureur. Les critiques quant au contenu même de cette politique pénale, voire quant à la légitimité du Procureur de la Cour à définir une politique pénale, sont alors mobilisées. Elles émanent notamment des organisations non gouvernementales et de la société civile internationale qui ne disposent que de la voie de l'article 15 (1) pour accéder à la juridiction de la Cour.

    Par ailleurs, le choix des infractions objet des poursuites tout comme celui des personnes devant être poursuivies constituent également des aspects controversés de la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire générant des critiques tenaces étant observé que contrairement au Statut des tribunaux militaires et des tribunaux ad hoc, le Statut de la Cour pénale internationale ne prédétermine pas les situations justifiant l'ouverture d'enquête et de poursuites28.

    27 A la date de rédaction du présent rapport, le Procureur n'a sollicité la Chambre préliminaire aux fins d'autorisation d'ouverture d'une enquête, qu'à deux reprises, en 2008 s'agissant de la situation au Kenya dans le contexte des violences post- électorales ainsi que la situation en Côte d'Ivoire par demande du 23 juin 2011. Dans ces deux cas, la Chambre préliminaire a autorisé l'ouverture d'une enquête.

    Dans un document du Bureau du Procureur d'octobre 2010, le Bureau indique que si l'Etat concerné refuse de déférer la situation, il peut alors à tout moment décider l'ouverture d'une enquête de sa propre initiative et rappelle que c'est ce choix qui a été fait s'agissant de la situation au Kenya. In « Document de politique générale relatif aux examens préliminaires », octobre 2010, p17, disponible sur www.icc-cpi.int

    28 Par exemple l'accord de Londres du 8 août 1945 instituant le tribunal militaire de Nuremberg stipulait en son article 6 que : « Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants [à savoir] « Les crimes contre la paix (É), les crimes de Guerre, les crimes contre l'Humanité ».

    La résolution 955/1994 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies portant Statut du Tribunal pénal international pour le RWANDA stipule en son article 1er qu'un tribunal international est crée et « chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».

    La loi sur la création des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens dispose en son article 1er que ces chambres sont établies pour juger « les hauts dirigeants du Kampuchéa démocratique et les principaux responsables des crimes et graves violations du droit pénal cambodgien, des règles et coutumes du droit international humanitaire, ainsi que des conventions internationales reconnues par le Cambodge, commis durant la période du 17 avril 1975 au 6 janvier 1979 ».

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    Dans ces circonstances, le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Procureur de la Cour pour choisir les Etats au sein desquels une enquête sera diligentée génère reproches et suspicions quant à sa capacité à agir contre les puissants.

    Le Bureau du Procureur a par exemple procédé à un examen préliminaire s'agissant des situations en Irak, Afghanistan, Colombie, Géorgie, Guinée, Palestine, Venezuela, Honduras et République de Corée mais sans ouvrir d'enquête. En ce qui concerne la situation en Afghanistan de nombreuses organisations non gouvernementales ont dénoncé les agissements des forces de la coalition29. Le Bureau du Procureur a annoncé officiellement qu'il analysait cette situation en 2007 et que cet examen porterait sur des crimes présumés relevant de la compétence de la Cour qu'auraient perpétré tous les acteurs concernés, y compris les forces de la coalition et les rebelles, mais il expose, à ce jour, n'avoir reçu aucune réponse à ce jour du gouvernement afghan malgré ses demandes de renseignements.

    L'implantation des situations actuellement soumises à la juridiction de la Cour conforte les critiques liées à la capacité de la Cour à agir contre les puissants et à tendre vers l'universalisme de la sanction. Toutes ces situations concernent en effet exclusivement l'Afrique.

    Treize affaires dans le contexte de sept situations ont été ouvertes à la Cour depuis son instauration jusqu'à aujourd'hui.

    Ces situations concernent l'OUGANDA qui a renvoyé en décembre 2003 au Procureur, la situation concernant le nord du pays et plus spécifiquement les agissements de l'Armée de résistance du seigneur30 ; la République centrafricaine, le gouvernement

    29 Différentes accusations sont évaluées, aussi bien contre les soldats de l'OTAN que contre les rebelles. Selon les Nations unies, plus de 2 000 civils ont été tués en Afghanistan en 2008. Environ 40% d'entre eux l'ont été par les armées de la coalition. L'Afghanistan ayant ratifié le traité de Rome qui fonde la Cour pénale internationale, tout crime de guerre commis sur son sol après 2002 peut être l'objet d'une enquête de la Cour. Le procureur OCAMPO a annoncé qu'il procédait à un examen préliminaire.

    30 Le conflit actuel en OUGANDA dure depuis l'insurrection réussie de 1986 d'un groupe rebelle mené par l'actuel président, Yoweri Museveni. Depuis que le Président Museveni et son mouvement, l'Armée de résistance nationale, ont pris le pouvoir et ont installé le système de « démocratie sans parti », il y a eu de nombreux mouvements rebelles basés dans le nord de l'OUGANDA. Le plus puissant, l'Armée de résistance du Seigneur (ARS) ou Lord Resistance Army (LRA) continue à lutter contre le gouvernement. L'armée de résistance du Seigneur (ARS), accusée d'avoir mené depuis 1987 une insurrection contre le gouvernement et l'armée ougandais, entendait renverser le président

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    centrafricain ayant renvoyé au Procureur de la Cour les crimes commis sur son territoire depuis juillet 2002 date d'entrée en vigueur du Statut de Rome31 ; la situation en République démocratique du Congo (RDC) suite au renvoi de la situation par le président de la RDC le 19 avril 2004, pour des faits commis sur son territoire notamment en Ituri depuis l'entrée en vigueur du Statut32 ; la situation au Soudan et notamment dans la province du Darfour suite à la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 31 mars 200533 ; la situation

    ougandais MUSEVENI et mettre en place un régime basé sur les Dix Commandements de la Bible. En 2002, son chef Joseph KONY aurait ordonné aux forces de l'ARS d'attaquer les populations civiles et aurait eu recours à la conscription forcée d'enfants. S'en seraient suivis des actes criminels comprenant le meurtre, l'enlèvement, la réduction en esclavage sexuel, la mutilation ainsi que l'incendie d'un grand nombre de logements et le pillage de camps. Le 7 juillet 2005, un mandat d'arrêt a été décerné par la Cour pénale internationale à l'encontre de Joseph KONY mais ce dernier est toujours en fuite.

    31 Depuis son indépendance en 1960, la République centrafricaine a connu de nombreuses révoltes armées et coups d'État. En 2002 et 2003, le conflit armé entre les forces armées nationales du président de l'époque, Ange-Félix PATASSE et les forces de rébellion menées par M. François BOZIZE, ancien chef d'état-major des forces armées centrafricaines et, soutenues par les forces du Mouvement de libération du Congo (MLC) dirigé par Jean-Pierre BEMBA GOMBO a été marqué par quantité de violences sexuelles commises à l'encontre de la population civile. Le 22 décembre 2004, les autorités de République centrafricaine (RCA) ont déféré la situation au Bureau du Procureur. Après analyse de la situation, le Bureau du procureur a annoncé le 22 mai 2007 sa décision d'ouvrir une enquête en RCA. Le 24 mai 2008, Jean-Pierre BEMBA GOMBO a été arrêté par les autorités belges et remis à la Cour en exécution du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 23 mai 2008 pour crimes de guerres et crimes contre l'humanité qu'il aurait commis en RCA pendant la période allant du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003.

    32 Le 17 mars 2006, un premier mandat d'arrêt concernant la situation en RDC a été descellé et rendu public. Il visait Thomas LUBANGA DYILO, le chef de l'Union des Patriotes Congolais (UPC), un mouvement politique et militaire. Thomas LUBANGA a été arrêté et transféré à La Haye le jour même. Le 26 janvier 2009, le procès contre Thomas LUBANGA DYILO s'est ouvert à La Haye, pour l'enrôlement et la conscription présumés d'enfants soldats pour les faire activement participer aux hostilités. Le procès contre Germain KATANGA et Mathieu NGUDJOLO CHUI qui s'est ouvert le 24 novembre 2009 est le deuxième procès de la CPI. Ils sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans le village de Bogoro (Ituri, est de la RDC) entre janvier et mars 2003.

    33 La crise du Darfour est un conflit qui se déroule dans l'ouest du Soudan depuis 2003 et qui oppose d'une part l'armée soudanaise, et la milice janjaweed, recrutée principalement parmi les tribus du nord, les Rizeigat, aux populations « africaines » de la région (Fur, Zaghawa, MassalitÉ) notamment au Mouvement de Libération du Soudan et au Mouvement pour la Justice et l'Egalité. Le gouvernement soudanais dénie publiquement tout soutien au mouvement janjaweed, mais il lui aurait fourni argent et assistance et aurait participé avec elle à des attaques contre les Fur. Les attaques du gouvernement et des Janjaweed contre la population civile non-Baggara ont provoqué plusieurs centaines de milliers de morts et une crise humanitaire majeure avec le déplacement de plus de deux millions de personnes. Deux mandats d'arrêt ont été décernés à l'encontre du Président du Soudan, M. Omar Hassan Al Bashir qui serait pénalement responsable en tant que coauteur ou auteur indirect, au sens de l'article 25-3-a du Statut de Rome pour cinq chefs de crimes contre l'humanité : meurtre ; extermination; transfert forcé; torture; viol. Deux chefs de crimes de guerre : le fait de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités - article 8-2-e-i ; et pillage - article 8-2-e-v.

    Trois chefs de génocide : génocide par meurtre (article 6-a), génocide par atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale (article 6-b), et génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à

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    au Kenya ; la situation en Côte d'Ivoire et enfin la situation en Libye suite à la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité du 26 février 2011.

    Dans les deux cas d'ouverture d'enquête proprio motu, seules des situations en Afrique ont été choisies. Il ne peut être exclu que le Procureur ne peut que difficilement envisager, non pas de procéder à un examen préliminaire, mais d'ouvrir une enquête sur des situations qui intéressent des puissances de premiers plans et a fortiori engager des poursuites contre leurs auteurs. En effet, ces dernières peuvent par le biais du Conseil de sécurité des Nations Unies, ordonner qu'il soit sursis à enquête ou à poursuites34. Certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas signé ou ratifié le Statut de Rome35.

    Mais si les attentes en terme d'universalisme des situations soumises à la Cour sont légitimes, aucune disposition statutaire n'énonce pour autant d'obligation particulière en matière de répartition géographique des situations. Le Statut n'oblige pas le Procureur à s'assurer que les enquêtes et les poursuites dont il a l'initiative concernent tous les continents, tout au plus a-t-il l'obligation d'être impartial dans l'exercice de ses prérogatives36.

    Les cas d'enquête et de poursuites décidées après renvoi des États parties et du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies suscitent quant à elles des critiques qui sont moins dirigées contre le Procureur, que contre ceux qui le saisissent.

    S'agissant des renvois de situations par les Etats parties, il est parfois opposé que les nouveaux régimes politiques cherchent ainsi à se retourner contre leurs prédécesseurs et opposants. Cette remarque n'est pas sans fondement dans la mesure où certains Etats parties ont pu désigner au sein des situations qu'ils déféraient à la Cour, des groupes ou des individus susceptibles d'être poursuivies. Ainsi par exemple du renvoi par l'OUGANDA de la situation dans le nord du pays et spécifiquement des agissements de l'Armée de résistance du Seigneur. Toutefois, le Procureur de la Cour pénale internationale,

    des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique (article 6-c).

    Voir In SELLIER (J), Atlas des peuples d'Afrique, La Découverte, 2005, p 46. V. aussi BONIFACE (P), Atlas des relations internationales, Hatier.

    34 Cette résolution doit cependant être adoptée sur le fondement du Chapitre VII de la Charte ce qui suppose que l'enquête ou les poursuites menacent la paix et/ou la sécurité internationales. V. Article 16 du Statut de Rome.

    35 Notamment la Chine, Les Etats-Unis, la Russie et l'Inde.

    36 Sur l'impartialité et la déontologie voir II -2.

    26

    M. OCAMPO avait alors indiqué expressément qu'il fallait interpréter le cadre de ce renvoi à la lumière des principes énoncés dans le Statut de Rome et analyser en conséquence, les crimes liés à la situation au nord de l'OUGANDA, quels qu'en soient les auteurs37. Le Bureau rappelle régulièrement ce principe. Ainsi en ce qui concerne la situation en COTE D'IVOIRE, le Procureur a déclaré en marge des poursuites engagées contre l'ancien président Laurent GBAGBO qu'il saisirait la Cour de nouvelles affaires et ce quelque soit l'affiliation politique des personnes concernées, c'est-à-dire même si elles font parti du camp des Forces nouvelles, ex rebelles, du président OUATTARA38.

    S'agissant des renvois de situations par le Conseil de sécurité, les critiques liées à la composition du Conseil de sécurité sont parfois utilisées pour tenter de jeter le discrédit sur le renvoi en soulignant le défaut d'impartialité du Conseil.

    En ce qui concerne enfin le choix des personnes poursuivies, le Bureau du Procureur ne s'est jamais considéré lié par les listes nominatives éventuellement fournies par les Etats parties ou le Conseil de sécurité, à l'appui de leurs renvois39. Ainsi dans le cadre de la situation au Kenya, une commission avait été créée par le gouvernement kenyan en février 2008. Cette commission, dite « Commission of Inquiry on post Election violence », présidée par un juge kenyan, Philippe WAKI, avait fourni avec son rapport, une liste de suspects au Secrétaire général des Nations Unies qui l'a transmise le 9 juillet 2009, au Procureur de la Cour. M. OCAMPO a affirmé par l'intermédiaire de son Bureau que cette liste n'était pas tenue pour contraignante ; qu'elle reflétait les conclusions de la commission et qu'elle serait soumise au même examen que les autres sources qui lui parviennent40.

    Le Procureur, seule structure investie du droit de poursuivre, a donc une liberté totale pour

    37 Lettre du Procureur M. MORENO OCAMPO au Président de la Cour, M. KIRSCH. Lettre annexée à la Décision relative à l'assignation de la situation en Ouganda à la Chambre préliminaire II le 6 juillet 2004. Disponible sur www.legal-tools.org

    38 Déclaration du Procureur du 30 novembre 2011, « Justice sera faite pour les victimes ivoiriennes de crimes commis à grande échelle : M. GBAGBO est le premier à devoir rendre compte de ses actes. Il ne sera pas le dernier. » sur http://www.icc-cpi.int

    39 A l'inverse, au tribunal militaire de NUREMBERG, 4 organisations avaient été déclarées criminelles et le simple fait d'en faire partie constituait un crime (le NSDAP (le parti nazi) ; la S.S. ; le S.D. (Service de Sécurité) ; la Gestapo (Police politique).

    40 Une approche similaire avait été suivie s'agissant de la situation au Darfour, la Commission internationale d'enquête de l'Organisation des Nations Unies ayant adressé au Procureur en avril 2005, une liste incluant les noms de 51 personnes ainsi que les raisons pour lesquelles la Commission les soupçonnait de s'être rendues coupables de crimes au Darfour.

    27

    apprécier quelles personnes il poursuivra, en tenant compte en particulier de ce que la Cour est compétente pour juger les plus hauts criminels.

    Les réserves quant aux incidences de la voie judiciaire sur les processus de paix

    Cette critique opposée à la justice pénale internationale se décline en réalité en deux griefs. L'un est dirigé contre la justice pénale internationale en général au motif que la voie judiciaire serait inopportune et constituerait une forme d'ingérence dans le politique, les questions dont elle est amenée à connaître étant strictement politiques41. C'est ici le principe même de justice pénale internationale qui est en cause. D'autres contestent moins le principe que le moment où la justice pénale internationale tend à être mise en oeuvre en raison des incidences que peuvent avoir les décisions de justice sur des Etats en transition. Ce type d'argument est facilement mobilisable lorsque le Procureur de la Cour pénale internationale met en oeuvre son pouvoir discrétionnaire pour poursuivre les auteurs de crimes qui viennent de se commettre dans des Etats entrant à peine dans un processus de transition. Dans ces circonstances en effet, l'intervention judiciaire est perçue comme étant de nature à attiser les dissensions internes ; les décisions d'ouvrir une enquête voire d'engager des poursuites, perçues comme menaçantes pour la paix. Dans un article consacré « aux enquêtes et à la latitude du Procureur de la Cour pénale internationale42 », Arnaud POITEVIN cite la situation en OUGANDA et plus particulièrement l'intervention d'une délégation de chefs Acholi du Nord du pays ayant fait part au Procureur de ses craintes quant aux conséquences pernicieuses d'une décision d'enquête sur le cessez-le-feu alors en pourparlers. L'actualité plus récente fournit également des exemples similaires. Ainsi de la situation en COTE D'IVOIRE, le Front populaire ivoirien (FPI), parti du président GBAGBO, ayant annoncé qu'il suspendait sa participation à tout processus de réconciliation nationale par suite du transfèrement de l'ancien président à la Cour pénale internationale à LA HAYE.

    L'examen des travaux préparatoires et des dispositions statutaires montre que les Etats parties ont également craint les possibles conséquences négatives de la mise en oeuvre de la voie judiciaire sur les processus de paix puisqu'ils se sont réservés la possibilité d'agir sur les

    41 voir introduction

    42 POITEVIN (A), « Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur », Droits fondamentaux, n°4, janvier-décembre 2004. Voir aussi ALLEN (T), Trial Justice: The International Criminal Court and the Lord's Resistance Army (2006)

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    travaux du Procureur de la Cour dans de telles circonstances. Le Statut permet en effet au Conseil, qui a la responsabilité principale du maintien de la paix, de suspendre les enquêtes ou les poursuites lorsqu'elles sont susceptibles de menacer la paix et/ou la sécurité internationales43. Le Conseil de sécurité n'a pas fait un usage efficace de cette prérogative même si à deux reprises, en 2002 et en 2003, il a adopté des résolutions préventives dans lesquelles il demandait sur le fondement de l'article 16 du Statut de Rome, qu'aucune enquête ou poursuite ne soit engagée à l'encontre de personnels originaires d'un Etat non partie, qui aurait contribué à une opération de maintien de la paix sur le territoire d'un Etat partie.

    Cette initiative, particulièrement contestable sur un plan juridique dans la mesure où elle consistait pour le Conseil de sécurité à se reconnaître la faculté de suspendre préventivement les enquêtes et poursuites alors même que l'article 16 s'applique à des situations pendantes devant la Cour, n'a eu aucun effet et n'a pas été renouvelée44.

    Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale internationale est incontestable tant dans sa décision d'ouvrir ou non une enquête que dans la sélection des affaires et des personnes poursuivies. La mise en oeuvre d'un tel pouvoir dans un domaine où les questions judiciaires et politiques s'imbriquent, explique les attentes et les craintes que cristallise le Procureur. Le Statut lui confère en effet des prérogatives de nature à en faire une institution essentielle dans l'approche des questions relatives à la résolution des conflits les plus graves. Mais, le Procureur reste avant tout une autorité judiciaire dont l'action est soumise au respect de la règle de droit, en l'occurrence du Statut, lequel le contraint à respecter des critères juridiques dans ses décisions sur l'action répressive. Aux garanties internes au Bureau du Procureur de nature à assurer du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (A), s'ajoute la soumission éventuelle de ce dernier au contrôle juridictionnel (B).

    43 L'article 16 du Statut de Rome intitulé « sursis à enquêter ou à poursuivre » dispose que : « aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions ».

    44 Résolution 1422 (2002) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12 juin

    2003

    et Résolution 1487 (2003) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12 juin

    2003

    29

    IIème partie- Les contrôles et garanties dans la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire du Procureur

    31

    Dans ses décisions sur l'enquête et sur les poursuites, le Procureur est notamment soumis, au respect des dispositions des chapitres 2 et 5 du Statut de Rome. En interne, son Bureau doit s'assurer, chaque fois qu'il est fait usage du pouvoir discrétionnaire, de la juridicité de ses décisions et du respect des conditions énoncées dans le Statut. Ce contrôle de légalité effectué au sein même du Bureau témoigne de ce que le Procureur est avant tout une autorité judiciaire ce que confirment aussi les garanties statutaires qui s'attachent à la fonction de Procureur de la Cour (A). En tout état de cause, l'existence d'un contrôle judiciaire possible sur l'action discrétionnaire du Procureur constitue une garantie supplémentaire du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (B).

    A- Les garanties et contrôles internes au Bureau du Procureur

    Le Procureur de la Cour pénale internationale dispose de garanties statutaires fortes inscrites à l'article 42 du Statut de Rome afin d'éviter que ses décisions soient arbitraires et de permettre donc, des décisions rendues de façon indépendante et impartiale.

    Ainsi, aucune autorité n'exerce de contrôle direct sur le Bureau du Procureur de la Cour. La durée de son mandat, 9 ans, l'absence de possibilité d'être reconduit dans ses fonctions au-delà de ce délai, sont de nature à accroître l'efficacité de son action et le suivi d'une politique pénale cohérente.

    Le Procureur doit agir en toute indépendance et a pour devoir d'être impartial sauf à s'exposer à la mise en oeuvre de la procédure de récusation organisée par le Statut. Le Procureur est mis à l'abri de poursuites inopportunes même s'il doit être relevé qu'il peut en cas de manquement aux devoirs de son état, être démis de ses fonctions par la voie judiciaire conformément à l'article 46 du Statut.

    Les contrôles effectués par le Bureau, sur le respect des conditions de mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire apportent également des garanties.

    Avant d'envisager l'ouverture d'une enquête, le Procureur doit conformément aux dispositions des articles 15 (3) et 53 (1) du Statut et 48 du Règlement de procédure et de preuve, s'assurer qu'il résulte des renseignements fournis, une base raisonnable laissant penser qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis. Le Procureur a

    32

    l'obligation d'établir l'existence de cette base raisonnable devant la Chambre préliminaire lorsqu'il est à l'initiative de l'enquête ce qui implique qu'il s'assure de l'existence d'une base raisonnable anticipe dès le stade de l'enquête.

    Dans certains cas restrictifs où il n'envisage pas d'initier une enquête bien qu'il a été sollicité en ce sens par le Conseil de sécurité ou par un Etat partie sur renvoi d'une situation, le Procureur peut être obligé de prouver l'absence de base raisonnable pour suivre.

    La notion de base raisonnable ne se limite pas à l'appréciation d'éléments factuels. Elle renvoie également à une appréciation juridique de la compétence de la Cour et de la recevabilité de l'affaire.

    Le Procureur doit s'assurer que la Cour pourrait être compétente temporellement, matériellement, territorialement et personnellement.

    La compétence ratione temporis de la Cour implique que le crime ait été commis après l'entrée en vigueur du Statut, soit en général après le 1er juillet 2002 ou après l'entrée en vigueur du Statut pour l'Etat partie lorsque celui-ci l'a ratifié après45. En cas de renvoi par le Conseil de sécurité, le Procureur ne peut ouvrir d'enquête que pour les faits commis à partir de la date stipulée dans le résolution. Pour ce qui concerne la situation en Libye par exemple, seuls les faits postérieurs au 15 février 2011 entrent dans la compétence temporelle de la Cour. Enfin, en cas de déclaration déposée par un Etat partie en application de l'article 12-3 du Statut de Rome46, la compétence temporelle s'apprécie à la date indiquée dans cette déclaration. Ainsi s'agissant de la situation en Côte d'Ivoire actuellement pendante devant la Cour, le Procureur s'est fondé sur une déclaration d'acceptation de compétence de la Cour du 18 avril 2003 par laquelle l'Etat ivoirien a accepté pour une durée indéterminée, la compétence de la Cour. Cette déclaration ayant été confirmée par le Président OUATTARA, le 14 décembre 2010.

    45 Article 11 (2) du Statut

    46 Aux termes de l'article 12 (3) du Statut : « si l'acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n'est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l'égard du crime dont il s'agit. L'Etat ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX.

    33

    La compétence matérielle implique que les renseignements examinés fassent ressortir l'existence d'un crime relevant de la compétence de la Cour c'est-à-dire conformément aux articles 5 et suivants du Statut, le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression47.

    Le contrôle effectué par le Bureau du Procureur sur la compétence ratione loci48 de la Cour pour connaître des faits pour lesquels il envisage de diligenter une enquête consiste à s'assurer que le crime a été commis sur le territoire d'un Etat partie ou dans un Etat non partie au Statut qui a néanmoins consenti par déclaration à ce que la Cour exerce sa compétence où encore dans n'importe quel Etat lorsqu'il a été saisi par le Conseil de sécurité.

    Quant à la compétence personnelle, elle suppose, dans les cas notamment où les crimes ont été commis dans un Etat non partie au Statut, que le crime ait été commis par le ressortissant d'un Etat partie ou par n'importe quel ressortissant si le Conseil de sécurité est à l'origine du renvoi de l'affaire. Si le Procureur ne peut incontestablement ni enquêter ni poursuivre les crimes commis sur le territoire d'Etats non parties par les ressortissants d'Etats non parties, sauf saisine du Conseil de sécurité des Nations Unies, la communication de son Bureau dans de telles circonstances, est susceptible d'alerter l'opinion internationale et de constituer une pression sur le Conseil de sécurité afin que ce dernier renvoie le cas échéant, la situation au Procureur.

    Ainsi que le rappelle le Procureur dans le Document de politique générale relatif aux examens préliminaires rendu public en octobre 2010, à travers le contrôle de la caractérisation des critères de compétence c'est un cadre objectif à l'intérieur duquel le Bureau peut mener ses enquêtes qui se définit. Il s'agit de s'assurer que l'action du Bureau du Procureur s'inscrive bien dans le respect du Statut et dans les limites qu'il lui impose.

    47 Le Statut ne définissait pas le crime et ne prévoyait pas les conditions d'exercice par la Cour, de sa compétence. Le 11 juin 2010, les États présents à la Conférence de révision du Statut de Rome ont adopté par consensus des amendements au Statut de Rome, notamment une définition du crime d'agression. Désormais au terme de l'article 8 bis du Statut, le crime d'agression s'entend de « la planification, la préparation, le lancement ou l'exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État, d'un acte d'agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ». Les conditions d'entrée en vigueur adoptées à Kampala prévoient que la Cour ne pourra exercer sa compétence à l'égard du crime d'agression qu'à partir du 1er janvier 2017, date à compter de laquelle les États parties devront prendre une décision pour activer la compétence.

    48 Articles 11 et 12 du Statut

    34

    Le contrôle de la recevabilité de l'affaire implique de s'assurer que l'affaire pour laquelle une enquête est envisagée satisfait aux conditions de l'article 17 du Statut, c'est-à-dire qu'elle se concilie avec le principe de complémentarité, essentiel dans le Statut de Rome, et avec l'exigence d'un certain niveau de gravité de l'affaire.

    Le Procureur doit s'assurer que l'affaire pour laquelle il envisage une enquête n'a pas fait l'objet d'une enquête ou de poursuites internes, la Cour étant complémentaire des juridictions nationales. Deux cas de figure doivent être envisagés, celui d'une enquête ou de poursuites en cours au sein de l'Etat partie concerné d'une part, celui d'un enquête terminée au sein de l'Etat partie concerné lorsque ce dernier a décidé de ne pas poursuivre d'autre part. En principe dans ces deux cas de figure, l'affaire est irrecevable. La Cour ne pouvant en connaître, le Procureur ne devrait pas la solliciter pour ouvrir une enquête. Cet article prévoit néanmoins des réserves qui tiennent aux cas où un Etat n'aurait pas la capacité de faire l'enquête, de poursuivre lui-même ou bien n'en aurait pas la volonté49. Le Bureau du Procureur doit donc procéder à un examen préliminaire de l'existence ou non d'enquêtes et de poursuites dans les Etats parties concernés. En l'absence d'enquête ou de poursuites sur les faits pour lesquels le Procureur envisage d'initier une enquête, la recevabilité de sa requête paraît acquise. En revanche, la tâche de son bureau est moins évidente lorsqu'une enquête a effectivement été faite par l'Etat partie concerné mais que celui-ci n'entend pas engager de poursuites. L'examen porte alors sur la volonté de l'Etat dans l'enquête ce qui implique d'apprécier le comportement des autorités de poursuites internes. Le Statut est taisant quant aux éléments de comparaison.

    Le Procureur doit également s'assurer que les personnes qu'il entend éventuellement poursuivre n'ont pas déjà été jugées pour les mêmes faits et que l'affaire présente un caractère suffisant de gravité. L'examen de ce dernier critère constitue une obligation en vertu de l'article 17 (1d) du Statut mais également du préambule puisque celui-ci affirme que la Cour est instituée afin de sanctionner les crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale et ainsi de lutter contre leur impunité. Aucune disposition ne vient préciser la consistance de ce critère mais le Bureau du Procureur a précisé que dans son appréciation de la gravité, il tenait compte d'aspects qualitatifs et quantitatifs et qu'il prenait

    49 Ce principe tend à distinguer la Cour pénale internationale des tribunaux pénaux internationaux qui avaient primauté sur les juridictions pénales nationales et qui pouvaient notamment demander le dessaisissement des juridictions à tout stade de la procédure et pour toute affaire.

    35

    ainsi en considération, l'échelle, la nature, le mode opératoire et l'impact des crimes. Dans sa demande d'autorisation d'ouverture d'enquête s'agissant de la situation au Kenya, le Procureur a évoqué au soutien de sa demande, le nombre estimé de victimes, 1200, et leur nature, meurtres et violences sexuelles notamment. Dans son document de politique générale relatif aux examens préliminaires, le Bureau du Procureur invoque également le critère de gravité pour justifier qu'il n'a pas envisagé d'enquête s'agissant de la situation en Irak. Le Bureau affirme en effet que les renseignements reçus ont établi l'existence d'une base raisonnable permettant de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis, à savoir l'homicide intentionnel et le traitement inhumain. Toutefois, il indique qu'il ressort de ces renseignements que les crimes commis l'ont été en nombre limité, quatre à douze victimes estimées d'homicides intentionnels et un nombre réduit de victimes de traitements inhumains, à savoir, près de vingt personnes 50.

    Le critère des intérêts de la justice est au nombre de ceux qui ont donné lieu à critiques51. Si le Procureur n'a pas à démontrer que l'enquête ou les poursuites serviraient les intérêts de la justice ce qui lui facilite la tâche dans sa décision d'ouvrir une enquête ou de poursuivre, il peut par contre invoquer le fait que cette enquête ou ces poursuites ne serviraient pas les intérêts de la justice, pour refuser d'enquêter ou de poursuivre. Ainsi l'article 53-1 (C) dispose que « s'il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu'une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice », le Procureur peut conclure qu'il n'y a pas de base raisonnable et donc ne pas ouvrir d'enquête. Une décision similaire peut-être prise en ce qui concerne les poursuites si conformément à l'article 53-2 (C), le Procureur estime que « poursuivre ne servirait pas les intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la gravité du crime, les intérêts des victimes, l'âge ou le handicap de l'auteur présumé et son rôle dans le crime allégué ». Le Statut octroie au Procureur la possibilité de refuser l'ouverture d'enquête ou l'engagement de poursuites sur ce seul fondement. Aucune disposition statutaire ne vient en fixer précisément le contenu ce qui interroge quant à cette notion d'intérêts de la justice.

    50 Le Bureau du Procureur précise que les autorités internes ont engagé des procédures pour ces faits bien que non concernées par le principe de complémentarité en raison de l'insuffisante gravité des crimes. V. le communiqué du Bureau du Procureur du 9 février 2006 intitulé « Réponse du Bureau du Procureur concernant les communications reçues à propos de l'Irak ».

    51 Aucune décision de refus d'enquête ou de poursuites n'a pour le moment été fondée sur les intérêts de la justice.

    36

    Les intérêts de la justice semblent autoriser à « ne pas savoir » puisque le Procureur peut, en les invoquant, refuser d'enquêter. Ils semblent également permettre et ce alors même que des responsabilités individuelles auraient été identifiées, que la Cour serait compétente et l'affaire recevable, de ne pas poursuivre.

    Telle que formulée dans les articles 53-1 (C) et 53-2 (C), la notion d'intérêts de la justice semble donc ouvrir la voie à un possible « déni de justice ».

    Malgré l'importance de ses effets, cette notion est imprécise dans son contenu, imprécision qui l'expose à de nombreuses interprétations possibles. D'aucuns défendent le fait qu'elle pourrait permettre au Bureau du Procureur de laisser place à la mise en oeuvre des formes alternatives de justice et notamment de formes réparatrices.

    D'autres ne la définissent pas positivement mais concluent qu'elle n'est pas synonyme de bonne administration de la justice et ne renvoie pas exclusivement aux droits de la défense ou aux conditions du procès équitable52.

    En tout état de cause, la notion d'intérêts de la justice est distincte de celle d'intérêts de la paix. Les intérêts de la paix dont la sauvegarde relève essentiellement du Conseil de sécurité de l'organisation des Nations Unies, ne sauraient être mobilisés trop aisément par le Procureur pour refuser d'enquêter ou de poursuivre ce d'autant plus que le Conseil dispose déjà de la prérogative de suspendre les enquêtes ou les poursuites pour ces mêmes motifs.

    Une approche positive de la notion permet plutôt de conclure que les intérêts de la justice, qui s'apprécient toujours in concreto, incluent la gravité du crime et les intérêts des victimes, même si la formulation française est moins explicite que la formulation anglaise sur ce

    52 Dans ses « réflexions sur la notion d'intérêts de la justice au terme de l'article 53 du Statut de

    Rome », la Fédération internationale des droits de l'homme faisait valoir que cette notion est plusieurs fois mobilisée dans le Statut et dans le Règlement de procédure et de preuve faisant référence alternativement aux :

    1- intérêts de l'institution judiciaire, au sens d'une bonne administration de la justice.

    2 - Droits de la défense, l'intérêt de la justice est invoqué comme exception aux poursuites en cas de

    violation de ces droits

    3 - Procès équitables : l'exception est justifiée par une règle du droit international des droits de l'Homme ou, à défaut, en droit comparé.

    37

    point53.

    Le critère de gravité du crime ayant nécessairement été examiné au stade de la recevabilité de l'affaire, il est peu probable que le Procureur examine de manière autonome la caractérisation de ce critère dans le cadre de l'examen sur les intérêts de la justice et surtout qu'il apprécie cette notion différemment qu'au stade de l'examen préliminaire.

    La notion d'intérêts des victimes n'est pas non plus précisée mais le Bureau du Procureur a tenté de l'expliciter affirmant qu'elle renvoyait tout autant à leur intérêt à voir la justice rendue qu'à celui de voir leur protection assurée. Ce critère a été particulièrement pris en compte par le Bureau du Procureur dans les situations en OUGANDA et au Darfour, la vie même des victimes étant en cause.

    Le Statut précise les contours de la notion d'intérêts de la justice lorsqu'elle est utilisée pour refuser d'engager des poursuites. Dans ce cadre, des considérations propres à la personne de l'auteur peuvent être prises en compte notamment en ce qui concerne son âge ou son état de santé.

    Le Statut est sans ambiguïté sur le fait que le recours aux intérêts de la justice se doit d'être exceptionnel, le principe étant l'enquête et les poursuites lorsque la compétence de la Cour est établie et que l'affaire est recevable.

    Le Procureur de la Cour pénale internationale voit donc sa marge d'appréciation des situations considérablement encadrée par le Statut. Conduit à s'assurer par l'intermédiaire de son bureau de ce que les situations pour lesquelles il envisage une enquête ou des poursuites satisfont aux conditions juridiques requises, le Procureur peut par ailleurs voir ses décisions soumises à un contrôle judiciaire.

    53 Aux termes de la version anglaise de l'article 17 du Statut, le Procureur doit déterminer si « taking into account the gravity of the crime and the interests of the victims, there are nonetheless substantial reasons to believe that an investigation would not serve the interests of justice ».

    38

    B- Le contrôle judiciaire de l'action discrétionnaire du Procureur

    L'instauration d'un tel mécanisme a été voulue par les Etats parties comme contrepartie au pouvoir d'initiative du Procureur, afin notamment de garantir qu'aucune accusation ne soit lancée sans motif valable, les craintes étant que le Procureur soit soumis aux pressions politiques émanant notamment des organisations non gouvernementales.

    Certains Etats avaient d'ailleurs souhaité qu'un appel puisse être interjeté à l'encontre des décisions d'enquête et de poursuites du Procureur mais c'est finalement un contrôle judiciaire a priori qui a été retenu. En effet, en application de l'article 15 (3) du Statut : « s'il conclut qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur présente à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation en ce sens accompagnée de tout élément justificatif recueilli ». La Chambre préliminaire peut alors autoriser ou non l'ouverture d'une enquête54.

    La Chambre préliminaire est peu exigeante concernant les éléments rapportés à ce stade par le Procureur au soutien de sa demande proprio motu. Elle se borne à exiger que ces éléments soient « complets » ou « déterminants » compte tenu du stade procédural peu avancé. Elle paraît effectuer un contrôle très restreint précisant d'ailleurs qu'admettre à ce stade que les éléments présentés par le Procureur constituent une base raisonnable de penser qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis, ne préjuge en rien de la suite.

    Son appréciation est autonome. Et si dans sa décision sur la situation au Kenya du 31 mars 2010, la chambre préliminaire a jugé que la base raisonnable dont elle était amenée à s'assurer de la caractérisation55 recouvrait la même acception que celle devant être prouvée par le Procureur56, elle a précisé l'approche qu'il convenait d'avoir de certains critères, complétant ainsi la lecture qu'en avait le Bureau du Procureur.

    Ainsi par exemple de la notion de gravité, la Chambre jugeant dans la décision précitée que la gravité des crimes peut être appréciée tant quantitativement que qualitativement et que

    54 Au sein du Tribunal pénal international pour l'ex- Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Bureau du Procureur est un organe distinct du Tribunal mais toute mise en accusation proposée doit être soumise à un juge pour approbation. Le pouvoir discrétionnaire du Procureur d'entamer des poursuites devant ces tribunaux est donc également tempéré par un contrôle judiciaire.

    55 article 15-4

    56 Article 15-3 et 53-1

    39

    « sur le plan qualitatif, ce n'est pas le nombre de victimes qui importe, mais plutôt l'existence de certains facteurs aggravants ou qualitatifs liés à la commission des crimes qui font qu'ils sont graves ».

    De plus, la Chambre a circonscrit dans le temps, la période pour laquelle elle autorisait le Procureur à enquêter alors même que celui-ci était approximatif dans sa demande se bornant à citer des évènements commis en 2007 et en 200857. Enfin la Cour n'a pas hésité à préciser le champ matériel possible pour l'enquête, à savoir, les seuls crimes contre l'humanité visés dans la demande du Procureur58.

    Le contrôle judiciaire s'exerce sur le pouvoir discrétionnaire du Procureur d'ouvrir une enquête d'initiative mais pas dans ce seul cas de figure. Ainsi, lorsque le Procureur décide de ne pas ouvrir d'enquête ou de ne pas poursuivre et qu'il s'agit d'une situation déférée par le Conseil de sécurité ou par un Etat partie, le Conseil ou l'Etat partie peut saisir la Chambre préliminaire afin qu'elle examine cette décision. La Chambre peut éventuellement demander au Procureur de la reconsidérer.

    La Chambre préliminaire peut également contrôler d'office les décisions de ne pas enquêter ou de ne pas poursuivre du Procureur prises sur le seul fondement des intérêts de la justice ainsi qu'en dispose l'article 53-3 (b) du Statut.

    Dans la mise en oeuvre de sa marge d'appréciation, le Procureur est donc incontestablement soumis au respect de la règle de droit. L'enserrement de ses décisions dans des critères étroits dont il assure l'application et dont il contribue avec la Chambre préliminaire à fixer les contours, confirme qu'il est en situation de pouvoir discrétionnaire et jamais d'arbitraire. En l'état du nombre réduit de décisions judiciaires l'autorisant à enquêter et en l'absence de décision judiciaire relative à un refus du Procureur d'enquêter ou de poursuivre, son pouvoir discrétionnaire n'apparaît pas entamé. De l'intensité du contrôle judiciaire sur ses décisions dépendra en effet, l'étendue de son pouvoir discrétionnaire car ainsi que le formule le Professeur CHAPUS, « au fur et à mesure que s'accroît le contrôle du juge, l'opportunité

    57 La Chambre a ainsi fixé une période comprise entre le 1er juin 2005 date à laquelle le Statut est entré en vigueur pour le Kenya et le 26 novembre 2009, date à laquelle le Procureur a déposé sa demande d'autorisation à la Cour.

    58 Le Juge Hans-Peter KAUL a émis une opinion dissidente considérant que la Chambre aurait dû
    refuser d'autoriser le Procureur à ouvrir une enquête. Le juge s'est principalement fondé sur le fait que

    les actes qui ont été commis sur le territoire de la République du Kenya ne constituaient pas selon
    lui, des crimes contre l'humanité relevant de la compétence de la Cour.

    s'échappe59 È.

    40

    59 In CHAPUS (R), op.cit p. 1058

    41

    CONCLUSION

    42

    Le Procureur de la Cour pénale internationale est l'un des organes incontournables et fondamentaux de la Cour puisque son action conditionne l'existence du procès international.

    L'affirmation de cette institution et les prérogatives qui lui sont conférées en matière de poursuites des crimes les plus graves est sans nul doute, l'une des manifestations les plus significatives de l'autonomisation du judiciaire dans l'ordre international. L'analyse de la manière dont l'exercice des poursuites internationales a été envisagé depuis la création des premières juridictions répressives internationales montre en effet une translation qui s'opère depuis les Etats, autrefois fortement influents dans le choix des personnes poursuivies, vers le Procureur, autorité judiciaire, dont l'indépendance et l'impartialité sont garanties.

    Les orientations affichées par le Bureau en termes d'examens préliminaires et de poursuites constituent les prémisses d'une véritable politique pénale internationale. Elles viennent par ailleurs soutenir ce constat qu'émerge dans l'ordre international, une autorité nouvelle aux prérogatives conséquentes.

    Mais les décisions du Procureur de la Cour pénale internationale sur l'enquête et sur les poursuites sont avant tout des décisions fondées en droit et en fait. Elles sont discrétionnaires, donc jamais arbitraires et susceptibles par ailleurs d'être l'objet d'un contrôle juridictionnel.

    Les questions posées par les choix effectués par son Bureau renvoient quant à elles à une interrogation essentielle, celle de la consistance de l'acte de justice. La décision d'initier une enquête comme la décision de poursuivre sont en effet des actes judiciaires c'est-à-dire des actes rendus dans des affaires particulières qui vont néanmoins exercer des effets au-delà de ces affaires. Les décisions du Procureur de la Cour pénale internationale ne sont pas politiques en ceci qu'elles ne sont pas générales mais toujours prises à l'occasion de l'examen d'affaires particulières. Ceci dit, elles se rapprochent des décisions et délibérations politiques dans la propension qu'elles ont à tirer vers l'exemple, vers le général dans le but de dissuader la réitération des crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale.

    Ces décisions qui ont bien sûr des effets politiques garantissent aussi incontestablement la primauté du droit dans l'ordre international. Elles contribuent ce faisant à consolider cet universalisme juridique qui est au principe même de l'idée de justice pénale internationale car

    pour juger ces crimes, « il faut une juridiction plus élevée, des débats plus retentissants, une scène plus grande 60».

    43

    60 Cité in GARAPON, Des crimes que l'on ne peut ni punir ni pardonner (op cit)

    44

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    Site des « Outils juridiques » de la CPI (Travaux préparatoires,Traité de Rome, Règlement de procédure et de preuve, décisions des chambres) : http://www.legal-tools.org/

    Site de l'Organisation des Nations Unies ONU : http://www.un.org/fr/law/ The Hague Justice Portal : http://www.haguejusticeportal.net/

    Site du Comité international de la Croix rouge : http://www.icrc.org/






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