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La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

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par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

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I.3- Le concubinage malgré tout.

Toutes les stratégies déployées n'ayant pas abouti, La Loi décide de vivre sous le même toit avec Agatha. Mais avant d'y parvenir, il tente une réconciliation qui échoue, après s'être rendu compte que tout le monde est désormais informé de sa liaison avec Agatha. Il tient à se faire excuser et à amener Maa Médi à approuver non seulement leur union, mais également la possibilité de leur mariage. La rencontre est ainsi décrite :

« L'incident de la rue, ce matin-là, ainsi que la bonté de ma femme, m'encouragèrent à aller affronter ma mère. - Tu sais, lui dis-je un soir tandis que nous dînions ensemble chez-elle, tu sais, tu dois me pardonner d'avoir été brusque l'autre jour. Tu es la seule personne au monde qui puisse vraiment me pardonner. Je regrette beaucoup cet incident, mais tu dois comprendre, toi aussi, qu'à présent j'ai grandi... » (FAM, 153.154).

La réaction de l'interlocutrice à l'entendre dire qu'il a grandi, fait en sorte que « la discussion de ce soir-là n'aboutit à rien » (FAM, 154). Chacun reste sur sa position sans « aucune intention de démordre [des] points de vue respectifs » (FAM, 154). Dans une hostilité ouverte, Mbenda déclare :

« Il fallait en finir, et je considérais [...] qu'il était temps pour moi de prendre des décisions, moi-même. Pourtant, la première décision que je voulais prendre, c'était d'épouser Agatha, et cela, je ne me sentais pas la force de le faire sans l'avis de ma mère » (FAM, 154).

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Malgré la flamme qui le parcourt et le soutien de Fanny, Mbenda qui, pourtant, a la compétence d'épouser Agatha en secondes noces, parce qu'il a le vouloir-faire27, ne se sent pas la performance de réaliser son voeu. Car il sait que c'est une tâche qui incombe aux parents et que la caution de sa mère est importante pour une telle entreprise.

C'est dans ce sens qu'il cherche un médiateur qui a pour mission d'infléchir la position de Maa Médi. Il sollicite la sagesse du roi Salomon pour cela. Ce dernier n'adhère pas promptement à ses intentions et lui rappelle d'ailleurs ceci : « fils, tu vas tuer ta mère si tu fais cela » (FAM, 154). Son insistance, parce qu'il pense que « [sa mère] n'en mourra pas » (FAM, 154), oblige son vis-à-vis à affermir sa position :

« J'insiste, fils, je crois que tu vas faire beaucoup de mal à ta mère si tu épouses cette fille-là et puis, qui dans ce village te pardonnerait d'avoir pris une fille comme celle-là qui a une si longue histoire derrière elle, et qui a causé du tort à notre communauté... » (FAM, 155).

Cependant, Mbenda finit par avoir le dessus sur lui. Et le roi Salomon décide de rencontrer la mère de Mbenda. Le sage roi, à l'image de celui de la Bible, affronte ainsi la détermination et la finesse d'esprit de Maa Médi :

« Femme, je reconnais avec toi que la conduite de [Agatha] n'est pas exemplaire. Loin de là. Mais peut-être que si elle était aux mains de quelqu'un qui l'aime, elle changerait vite, elle deviendrait une autre femme, elle deviendrait même l'exemple de la vertu ? » (FAM, 156).

L'honneur et l'attachement viscéral de la mère à la dignité inspirent une objection :

« C'est vrai que l'on a vu cela dans les temps anciens ; c'est vrai, mais aujourd'hui, cela ne se voit plus nulle part, et surtout pas dans ce village et puis, roi, dis moi : qui veux-tu qui porte la honte d'avoir une bru qui a fait la vie avant l'âge, sous les yeux de tout le monde, et qui vient se caser chez mon fils alors que personne ne veut d'elle ? Qui ? Moi ? » (FAM, 156).

L'intelligence des deux « anciens » du village rend le débat très houleux et très enlevé. Mais, tout compte fait, « du haut de son rang d'ancien [le plus sage] » (FAM, 152) et sa notoriété dans le village, Salomon ne réussit pas à l'emporter sur Maa Médi. Les derniers arguments sont fort précis, déterminants et tranchés. Le roi qui croit pouvoir infléchir en

27- Groupe d'Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1985, P.17.

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dernier ressort la position de son adversaire, en lui rappelant que la première épouse de Mbenda lui a été imposée et donc il est normal de respecter son choix, lance :

« Femme, tous tes arguments sont bons. Ce n'est pas moi qui irais te donner tort. Mais il faut que tu comprennes les choses comme elles se présentent : [ton fils] aime une fille. Il se trouve que c'est selon nous, une fille perdue. Mais lui, il l'aime, et il voudrait l'épouser. Il nous a d'abord témoigné son respect envers nous, en épousant une femme que nous lui ordonnions pratiquement de prendre ; mais il attend de même, que nous respections sa personnalité en acceptant le choix qu'il a fait, de son plein gré, d'épouser Agatha... » (FAM, 157-158).

La réplique est foudroyante et sans appel. Maa Médi, visiblement, tient à mettre un terme à cette discussion en étant plus catégorique et ferme sur sa position :

« Jamais, roi, je te dis qu'il ne l'épousera jamais sinon, moi, je cesserai d'être sa mère. Quoi ? [...] Dis-moi que La Loi va épouser une telle créature, et je te répéterai que je cesserai d'être sa mère s'il fait cela malgré mon refus » (FAM, 158).

Malgré la grande sagesse, la notoriété et la forte personnalité du roi Salomon28 dans le village, Maa Médi, alors qu'elle n'est qu'une femme, ne cède pas. Ce qui traduit sa ferme détermination à ne pas voir le mariage entre son fils et Agatha se réaliser. Ce qui arrive pourtant. Mbenda finit par « épouser » la fille honnie à la grande déception de sa mère. L'histoire remonte à quelque temps après l'altercation entre Salomon et Maa Médi. Agatha est allée rencontrer son partenaire pour lui soumettre son projet de « partir pour un long voyage. [...] Elle allait y rester très longtemps» (FAM, 159). Elle sollicite pour cela son avis : « Alors décide-toi... Que je parte demain ? » (FAM, 160) demande-t-elle. L'amant a bien compris le manège de la « fille perdue » : « C'était une véritable déclaration que la belle Agatha était en train de [lui] faire » (FAM, 160).

Fanny qui est-là et comprend tout, « cligna de l'oeil » (FAM, 160), question de dire à son mari : « Allons donc, pourquoi laisserais-tu passer une telle occasion ? Sois raisonnable : une femme qui vient te demander de la prendre, ne t'y trompe pas, c'est une femme qui meurt

28- Le roi Salomon est un personnage dont la notoriété est établie dans tout le village Bonakwan. Sa vivacité intellectuelle lui vaut son nom, à en croire ce passage: « il disait les choses qu'il pensait, avec des pointes de sagesse dignes du nom qu'il portait. C'était, du reste, à cause de cette sagesse que notre village l'avait sacré roi, bien que de toute sa vie, Salomon n'eut connu que son métier de maçon » (FAM, 62). La célébrité évoquée dans l'extrait tire son fondement du parallélisme entre ce personnage et celui de la Bible ayant le même nom. Ce texte sacré présente le roi Salomon comme un personnage dont la sagesse est incommensurable.

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d'amour pour toi » (FAM, 160). Ayant découvert le manège, « l'aveuglement »29 et surtout la naïveté de Mbenda, le pousse à persévérer dans l'erreur. Au lieu d'encourager sa concubine à s'éloigner de lui question d'obéir à sa mère, il l'empêche plutôt de partir:

« Ecoute, [...] Maa Médi ne veut pas entendre parler de notre mariage, et personne dans notre village [...]. Personne sauf peut-être le roi Salomon. [...] A part lui, il y a Fanny. Elle ne te veut pas de mal, bien au contraire. Nous sommes deux à vouloir que tu ne t'en ailles pas en voyage demain, ni même après demain » (FAM, 160-161).

Fanny toute aussi naïve que son mari, argumente « Oui, c'est vrai [...]. S'il n'y avait pas les `'autres» à considérer, tu sais, tu pourrais venir habiter ici n'importe quand. Mais surtout il ne faut pas que tu partes » (FAM, 161).

A partir des deux dernières interventions, il apparaît que dans le jeu de relations entre les personnages, Mbenda en tant que sujet opérateur et d'état, bénéficie du soutien de Fanny et du roi Salomon qui sont ses adjuvants. Quand à Maa Médi qui est le chef de file des opposants, elle a, comme alliés, tout le reste des habitants du village et surtout la mère Mauvais-Regard qui lui manifeste publiquement son attachement. Reconnu comme un personnage ayant des pouvoirs maléfiques capables de sonder l'invisible, son nom en dit d'ailleurs long, elle envisage un mauvais sort contre Fanny et Agatha au cas où Mbenda vient à épouser cette dernière. Ayant été au courant de tout ce qui se trame entre les trois, elle va tout raconter à Maa Médi ; «Puis elle rentra chez elle, en se disant dans son for intérieur que si `'leur fils» s'amusait à leur faire `'une chose pareille», elle `' couperait le fil des grossesses à ses deux épouses» » (FAM, 161). N'empêche qu'après cette nuit, le mariage factice entre Mbenda et Agatha se concrétise. Le narrateur raconte la scène :

« En effet, quelque temps après ce soir-là, [Agatha] revint une nuit accompagnée d'une de ses tantes. [...] Chacune d'elles portait une valise, une lourde valise. Elles s'étaient installées, et avaient d'elles-mêmes décidé qu'Agatha ne repartirait plus dans son village. ?C'est ta femme à partir de cette nuit? [...] avait dit la tante d'Agatha, et je vous souhaite du bonheur pour toute la vie... » (FAM, 168-169).

La facticité de ce « mariage » tient au fait qu'il ne s'est pas passé selon les règles traditionnelles de l'art. C'est donc à juste titre qu'il est caractérisé de concubinage. Puisque Mbenda qui s'engage dans une telle alliance viole un interdit ; il en est sévèrement puni.

29- Bremond Claude estime que l' « élément moteur de la faute [est] l'aveuglement. » in Communication, 8, L'Analyse structurale du récit, Paris, Le Seuil, 1981, P.79.

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Au terme de cette analyse, il est clair que ce chapitre relève le distinguo qu'il y a entre l'instabilité d'un marié et celle d'un célibataire. Il a aussi pour objectif de démontrer l'importance de la stabilité des partenaires dans une relation amoureuse même illégitime. Par conséquent, il vise à prouver que la frivolité est interdite dans Le Fils d'Agatha Moudio. Mbenda viole cette loi en développant une relation intime avec Agatha qui est une prostituée, alors que sa mère s'y oppose vivement. La répression de son acte se manifeste par la mise en quarantaine dont il est victime de même que sa maisonnée. Dès le lendemain du jour où il s'installe dans un concubinage avec la fille honnie, sa mère ne tarde pas à réagir. Elle vient le voir le lendemain, accompagnée de son acolyte la mère Mauvais-Regard, et lui dit :

« Je viens te voir et te parler en présence de quelqu'un qui doit être mon témoin même après ma mort. Tu as refusé d'écouter mes conseils, et tu es allé prendre cette fille. Reste avec elle, je te souhaite de ne jamais le regretter. Je sais, quant à moi, que cette petite femme blanche que tu viens d'épouser t'en fera voir de toutes les couleurs [...] et, entends bien ce que je te dis : Ne t'attends plus à me voir chez toi. Jamais plus » (FAM, 169).

La rupture est scellée. Le mouvement est suivi par les autres habitants du village. Le coupable décrit ainsi sa nouvelle situation à la suite de sa mère : « Et les deux femmes étaient reparties sans me laisser placer un mot. Depuis nous vivions tous les quatre, mes deux épouses, `'ma fille» et moi, et tout le village nous évitait autant qu'il pouvait » (FAM, 169). Même ses fidèles compagnons de pêche le rejettent, ne voulant plus de lui dans leur équipe. Mbenda est « furieusement mis en quarantaine » (FAM, 169). Malgré les supplications du roi Salomon pour que ses amis le gardent dans leur groupe, la décision reste inchangée :

« Depuis près de deux mois, je vivais seul, avec mes deux femmes et l'enfant de Fanny. J'allais seul à la pêche, malgré l'intervention personnelle du roi Salomon, qui avait longuement supplié mes compagnons de me garder dans leur équipe. `'Nous aimons bien La Loi, avaient-ils répondu, mais quand il s'amuse à épouser une femme qui fait la honte de notre communauté, alors, nous ne sommes plus d'accord avec lui... »» (FAM, 168).

Mbenda se retrouve donc seul, abandonné à lui-même, à cause de sa relation intime avec une fille frivole. C'est pour éviter la prostitution que la société exige que la jeune fille soit vierge avant le mariage.

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