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L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.

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par Michael Farchakh
Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015
  

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III- LE DÉRAILLEMENT DE LA FONCTION ÉTATIQUE

Le problème examiné ici sort du cadre strict de la question de l'égalité des armes. Il s'agit d'un problème se situant non pas au niveau du mécanisme lui-même mais au niveau des conséquences indirectes de l'utilisation du mécanisme sur la situation des parties. On regardera donc au-delà de la procédure arbitrale et du droit substantiel de l'investissement pour essayer de comprendre quelles sont lesrépercussionsde l'arbitrage d'investissement qui ont conduit au mécontentement grandissant des États envers ce système. De par sa nature, le système Investisseur-État a posé un fardeau excessif (undue burden) sur l'État qui se trouve de plus en plus souvent pris dans un dilemme entre le respect de ses obligations envers les investisseurs et l'exercice nécessaire de ses fonctions régaliennes. En plaçant l'État dans une telle situation, celui-ci est naturellement désavantagé par le système ; comme mentionné plus haut, ses options se résument alors à un choix entre une violation de ses obligations envers les investisseurs étrangers et une violation de ses obligations envers ses citoyens. L'égalité des armes (au sens large) est alors violée du fait que quoi que fasse l'État, il sera d'une manière ou d'une autre en violation de ses obligations. L'arbitrage d'investissement porte donc atteinte aux fonctions étatiques tantôt de manière active en se heurtant à l'intérêt public (A) tantôt de manière passive en privant l'État de sa capacité de réglementer (B).

A) LA MÉCONNAISSANCE DE L'INTÉRÊT PUBLIC

La souveraineté appartient au peuple, et dans toute société démocratique, le gouvernement est responsable devant ses citoyens. La promotion et la protection des investissements étrangers est loin d'être la seule fonction d'un gouvernement, celui-ci doit organiser et réguler d'innombrables secteurs d'activités conformément à une politique publique bien définie, afin de promouvoir l'intérêt public. De plus, un gouvernement est élu spécifiquement sur la base d'une politique qu'il entend mettre en oeuvre, celle-ci devient une mission du gouvernement et même une obligation envers ses citoyens. Si ce dernier n'arrive pas à tenir ses promesses électorales, l'intérêt public est alors lésé et le gouvernement aura manqué à ses obligations envers le peuple. Qu'arrive-t-il alors si cette politique publique se heurte avec les garanties de protection données aux investisseurs étrangers dans des contrats ou des traités ? Le tribunal arbitral dans l'affaire Soabi c. Sénégal apporte la réponse suivante :  «it is not the function of an arbitral tribunal to ensure compliance with the internal public policy of a country for discharging the government of that country of an obligation it recognizes»113(*).Cette position est fortement remise en question aujourd'hui, les États et leurs citoyens acceptent mal que les intérêts financiers d'acteurs étrangers prévalent sur l'intérêt public de tout un pays.

L'affaire Soabi date d'une époque où l'arbitrage d'investissement n'avait pas la même envergure qu'il connait aujourd'hui. La méconnaissance par les tribunaux de l'intérêt public de l'État partie au différend a déjà conduit à un nombre de sentences très controversées. Même dans certaines affaires qui au final n'ont pas été décidées en faveur du demandeur, la simple contestation d'une politique publique d'intérêt général avait suffi pour déclencher des troubles publics au sein de l'État concerné. Dans le contexte de l'ALENA par exemple, la responsabilité du Canada a été mise en cause dû à sa prohibition d'un produit cancérigène114(*), celle des États-Unis pour des mesures de protections culturelles et sanitaires115(*), et celle du Mexique pour le refus d'un permis de traitement de déchets dû à des risques environnementaux116(*). L'Allemagne s'est engagée en l'an 2000 à un abandon progressif du recours à l'énergie nucléaire ; cette décision a conduit à la contestation de ces mesures par un investisseur dans un arbitrage Vattenfall II c. Allemagne117(*). Selon Stephen Schill, la question de l'abandon du nucléaire représente «an issue which has marked Germany's social and political culture over the past decades like no other issue apart from the fall of the Berlin Wall»118(*), on peut donc comprendre que sa remise en question par un tribunal arbitral sorti de nulle part pourrait frustrer l'opinion publique allemande.

L'Argentine, le Venezuela et l'Espagne ont eu des expériences très amères avec le CIRDI. Suite à une crise financière en 2001, l'Argentine a dû prendre des mesures urgentes pour la sauvegarde de son économie, ces mesures ont donné lieu à une pléthore d'arbitrages CIRDI initiés contre l'État sud-américain qui lui ont couté des centaines de millions de dollars en dommages-intérêts, sans oublier les frais d'avocats et d'arbitres119(*). L'un des projets phares depuis 1998 du gouvernement socialiste du Venezuela a été la renationalisation de certains secteurs de l'énergie, une politique qui était au centre du schéma dessiné par Hugo Chavez pour la réforme de l'économie vénézuélienne et la réduction du taux de pauvreté endémique. Cette politique, très populaire parmi les citoyens du pays, a provoqué l'initiation de plus d'une dizaine d'arbitrages, ce qui a conduit à la dénonciation par le Venezuela de la Convention de Washington et d'un nombre de TBI120(*). La politique d'austérité menée par le gouvernement espagnol depuis 2011 comprend entre autres une réforme dans le système des subventions qui a lourdement affecté les investissements dans les énergies renouvelables, par conséquent, l'Espagne fait actuellement face à plus de 24 arbitrages enregistrés en moins de trois ans121(*).

Face à des crises économiques, environnementales et humanitaires, les États ont un droit légitime d'intervenir par le biais de régulations et de législations afin de remédier à ces problèmes122(*). Un gouvernement a une obligation envers ses citoyens non seulement de tenir ses promesses électorales, mais plus généralement de veiller au respect et à la promotion de l'intérêt public. Même si au final l'arbitrage ne va pas annuler la réglementation prise par l'État, le simple fait que celui-ci va devoir payer des millions de dollars en compensation à un investisseur étranger est assez pour frustrer l'opinion publique. Quoi que fasse le gouvernement, il risque l'érosion de son soutien populaire, il est constamment dans une position inconfortable qui le pousse souvent à résoudre ce genre de litiges à l'amiable123(*) ; face à des armes trop puissantes il préfère brandir le drapeau blanc.

* 113 CIRDI, Société Ouest-Africaine des Bétons Industriels c. Sénégal, Sentence du 25 févier 1988

* 114 CNUDCI, Ethyl Corporation c. Canada, Sentence du 24 Juin 1988

* 115 CIRDI, Glamis Goldc. États-Unis d'Amérique, Sentence du 8 Juin 2009

* 116CIRDI-MS, Metalclad c. États-Unis du Mexique, Sentence du 30 aout 2000

* 117 CIRDI, Vattenfall AB et autres c. Allemagne, affaire pendante

* 118 Schill (S.), «A Question of Democracy: The German Debate on International Investment Law», in Kluwer Arbitration Blog, at http://kluwerarbitrationblog.com/2015/03/02/the-german-debate-on-investor-state-dispute-settlement/ (19 décembre 2015)

* 119 Spears (S.), «Making way for the public interest in international investment agreements», in Brown (C.) & Miles (K.), Investment Treaty Law and Arbitration, Cambridge University Press, 2011, pp. 272-273

* 120 https://www.iisd.org/itn/2012/04/13/venezuelas-withdrawal-from-icsid-what-it-does-and-does-not-achieve/ (19 décembre 2015)

* 121 http://investmentpolicyhub.unctad.org/ISDS/CountryCases/197?partyRole=2 (19 décembre 2015)

* 122 Adeleke (F.), «Investor-State Arbitration and the Public Interest Regulation Theory», in Society of International Economic Law 4th Biennial Global Conference, 2014, pp. 5-9

* 123 Dupont (C.) & Schultz (T.), «Investment Arbitration: Promoting the Rule of Law or Over-Empowering Investors? A Quantitative Empirical Study», in King's College London Dickinson Poon School of Law, Legal Studies Research Paper Series, No. 2014-16, pp. 17-18

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