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L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.

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par Michael Farchakh
Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015
  

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B) LE RISQUE DE GEL RÉGLEMENTAIRE

Le « gel réglementaire » ou `regulatory chill', expression anglaise plus couramment utilisée, est une théorie avancée par plusieurs auteurs affirmant qu'en conséquence de la multiplication des recours à l'arbitrage d'investissement, les États sont désormais méfiants d'adopter de nouvelles réglementations et législations. «Regulatory chill in the face of litigious heat»124(*), le risque d'être poursuivi devant un tribunal arbitral par un investisseur étranger rendrait les États réticents d'exercer leurs pouvoirs réglementaires, créant ainsi une quasi-paralysie de la fonction créatrice de normes de l'État. L'État pourrait aussi choisir de ne pas assurer la mise en oeuvre de règles déjà existante de peur que leur application ne conduise à un contentieux Investisseur-État. «A State actor will fail to enact or enforce bona fides regulatory measures because of a perceived or actual threat of investment arbitration»125(*).

L'arbitrage d'investissement aurait donc pour effet non pas seulement la remise en cause de mesures prises en vertu de l'intérêt public, mais aussi la neutralisation du pouvoir de l'État de réglementer et de légiférer. Cette hypothèse est d'ailleurs au coeur des critiques dirigées envers l'adoption proposée du Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (connu communément par l'abréviation anglaise TTIP) qui contient lui-même un mécanisme de résolution des différends Investisseurs-États126(*). Une constatation scientifique de ce phénomène est difficile à élaborer ; l'effet analysé a un caractère passif donc non quantifiable, ce qui rend compliqué l'apport de preuves tangibles qui pourraient confirmer l'hypothèse avancée. Kyla Tienhaara arrive quand même à illustrer le problème par le biais d'un exemple relatif à la régulation environnementale au Costa Rica : Harken Energy et Vanessa Venture dont deux affaires distinctes où, suite à l'instauration d'un moratorium sur l'exploitation des mines à ciel ouvert, des investisseurs étrangers ont menacé de recourir à l'arbitrage d'investissement. Tienhaara démontre le changement d'attitude de l'État centraméricain entre les deux affaires : après avoir ignoré la menace lors de la première affaire et par la suite subit les complications d'un arbitrage contre une société multinationale, le Costa Rica décide de ne pas mettre en oeuvre sa réglementation environnementale face à une menace renouvelée par une autre société de recourir à l'arbitrage d'investissement. Cet État a donc préféré abandonner sa politique environnementale plutôt que de devoir faire face à une nouvelle action par un investisseur127(*).

On peut par ailleurs s'apercevoir que certaines sociétés multinationales semblent avoir détourné le système pour exercer de la pression sur des États afin de les pousser à abandonner de nouveaux projets de réglementation. Deux affaires très médiatisées128(*) ont été initiées par le géant du tabac Philip Morris International à l'encontre de l'Australie et de l'Uruguay respectivement. Philip Morris allègue une violation de garanties TBI à la suite de campagnes anti-tabac menés par ces États. Le tribunal dans l'affaire contre l'Australie s'est récemment déclaré incompétent pour connaitre du fond du litige129(*), et l'affaire contre l'Uruguay est toujours pendante, mais l'important ici n'est pas vraiment le résultat final de ces arbitrages, mais le pouvoir de chantage dont disposent désormais les investisseurs étrangers à l'encontre des États. L'absence de force obligatoire du précédent jurisprudentiel, couplé avec l'impossibilité pour l'État de présenter des demandes reconventionnelles, signifie que celui-ci ne pourra jamais s'assurer qu'une menace d'arbitrage, même outrageuse, ne finira pas par aboutir et l'obliger à payer.

Malgré le fait que le phénomène du « gel réglementaire » ne peut pas vraiment être mesuré ou évalué objectivement, il n'est pas impossible d'imaginer que le système Investisseur-État pourrait être perverti par les entreprises multinationales pourexercer de la pression et mener un chantage à l'encontre d'États afin que ceux-ci renoncent à l'application ou à l'introduction de réglementations contraires à leurs intérêts financiers. On ne parle alors plus d'une inégalité des armes inhérente au système de l'arbitrage d'investissement, mais de l'utilisation du système lui-même en tant qu'arme pour contraindre les États à se plier à la volonté des multinationales, déraillant ainsi la souveraineté étatique.

En conclusion, un problème tangible existe aujourd'hui en arbitrage d'investissement. En voulant protéger la partie faible on l'a surarmé, de sorte qu'aujourd'hui l'État se trouve bien souvent en position de faiblesse, the State has been outgunned. La configuration actuelle de l'Arbitrage Investisseur-État a permis « an Over-Empowering of Investors »130(*), brisant ainsi l'égalité des armes, garantie fondamentale d'un procès équitable et pierre angulaire de la justice internationale. Une analyse a été portée sur l'asymétrie inhérente au système du fait de l'impossibilité pour l'État de se poser en demandeur, et les répercussions de cet état d'affaires sur le bon déroulement de la justice. L'étude des nombreux aléas du mécanisme a révéléqu'il est extrêmement difficile, si ce n'est impossible, pour l'État de préparer une bonne défense. Enfin, il a étédémontré comment, en raison de ces incertitudes et ces incapacités d'action, le système lui-même a été perverti pour servir de moyen de chantage des sociétés multinationales contre les États. Avant d'envisager les solutions possibles à ces problèmes, il convient de s'attarder d'abord sur certaines préoccupations des investisseurs concernant la structure du système. Il est vrai que cette étude penche plutôt vers l'hypothèse selon laquelle c'est l'État, et non pas l'investisseur, qui est désavantagé par la configuration actuelle de l'arbitrage d'investissement, mais cela n'empêche pas de prendre en considération certains arguments avancés par le camp pro-investisseur afin d'étudier les solutions possibles dans une perspective plus large et mieux informée, et d'élaborer des propositions susceptibles de satisfaire un plus grand nombre d'acteurs.

* 124 Brown (J.), «International Investment Agreements: Regulatory Chill in the Face of Litigious Heat?», in Western Journal of Legal Studies, Vol. 3 No. 1, 2013, p. 1

* 125 Tietje (C.), The Impact of Investor-State Dispute Settlement (ISDS) in the Transatlantic Trade and Investment Partnership, Ministry of Foreign Affairs of the Netherlands, 2014, p. 40

* 126 Butler (N.), «Regulatory chill? Why TTIP could inhibit governments from regulation in the public interest», at http://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2015/06/09/regulatory-chill-why-ttip-could-inhibit-governments-from-regulating-in-the-public-interest/ (19 décembre 2015)

* 127 Tienhaara (K.), «Regulatory chill and the treat of arbitration: A view from political science», in Brown (C.) & Miles (K.), op.cit., pp. 618-625

* 128 http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/nov/16/philip-morris-uruguay-tobacco-isds-human-rights (19 décembre 2015)

* 129 CPA, Philip Morris Asia Ltdc. Australie, Sentence du17 décembre 2015

* 130 Dupont (C.) & Schultz (T.), op.cit., p. 1

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