§2. La loi du pays de protection (lex loci
protectionis)
A. Analyse
Quant on parle la loi du pays de protection, on sous entend la
loi du lieu de survenance du fait dommageable. L'article 5 al.2 de la
Convention de Berne ne dispose que la loi du pays où la protection est
demandée règle « (...) l'étendue de la protection
ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses
droits (...) »65. Il est difficile d'identifier avec
l'exactitude le lieu de survenance du fait dommageable parce que l'internet n'a
pas d'espace. L'internationalité de l'internet rend le fait dommageable
d'être localiser ou observer sur toute l'étendu de l'espace
terrestre.
En soi, l'application de la lex protectionis est
possible lorsqu' une violation de droit de propriété
intellectuelle se fait grâce à l'internet mais débouche sur
des actes matériels dans un pays précis pour lequel on revendique
la protection66.
Exemple : Ainsi, le célèbre film d'un Rwandais
reconnu sous le nom « hôtel Rwanda » de Mr RUSESABAGINA
Paul67 sur le génocide Tutsi de 1994 peut être interdit
de publication au Rwanda ; mais, on peut le faire venir sur un site en France ;
de là, quelqu'un peut le décharger ; puis le graver ou l'imprimer
en Italie ; et vendre des exemplaires sur des CD en Suisse.
63 A. Lucas, Droit d'auteur et
numérique, Litec, 1998, p.100.
64 L'article 2 de la convention de Bruxelles du 27
septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution
des décisions en matière civile et commerciale.
65 L'article 5 al.2 de la Convention de Berne de 1886.
66 N. GAUTRAUD, Internet, le législateur et
le juge, dossier spécial internet, gaz. Du palais, 25-26
octobre 1996, p.63.
67 L.COSTES, Quel cadre juridique pour internet
?, supplément du droit de l'informatique, n0 98, décembre
1997,p.1
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La loi de la protection sera celle de chacun des quatre lieux
pour lesquels les droits sont violés ; c'est-à-dire, le droit de
communication publique au Rwanda, le droit de reproduction électronique
en France, le droit de reproduction d'exemplaire gravées ou
imprimées en Italie, le droit de mise en circulation (ou de
distribution) en Suisse. Selon les conclusions de l'éditeur, l'un ou
l'autre de ces droits s'appliquera.
B. Critique
La loi du pays de protection présente, des avantages
très évidents. Il est plus logique d'appliquer le même
droit à toutes les atteintes subies dans un même
pays68. Cela est également plus simple en pratique lorsque ce
droit est en même temps le droit du for, ce qui, on l'a dit, est
fréquent. Au contraire, la loi du pays d'origine qu'on a vu
précédemment est souvent difficile à connaître pour
le juge, « ce qui laisse beaucoup de champ libre pour le meilleur plaideur
»69 .
L'objection majeure qui lui est opposée est qu'elle se
ramène en réalité à la lex loci delicti,
(loi du lieu de l'acte dommageable) laquelle ne prendrait en compte que
l'atteinte au droit. Or ce droit existe avant toute violation et il est
indispensable de savoir dès l'origine quelle loi va le régir,
sans avoir à attendre qu'il soit méconnu.
On peut répondre que l'expression « loi du pays de
protection » permet précisément de dissiper cette
équivoque70. Il ne s'agit pas seulement de la loi applicable
à l'action en responsabilité civile consécutive à
la violation, mais bien de la loi applicable à l'exploitation du droit
sous toutes ses formes, même si, dans la pratique, c'est le droit
d'interdire et non le droit d'autoriser (pour reprendre une formulation
classique, et d'ailleurs critiquable) qui va susciter des
difficultés.
Quid de la juridiction compétente en cas de
violation des Droits de propriété intellectuelle sur
internet
Le recours partiel à la loi du pays d'origine est le
plus souvent justifié par l'argument de la sécurité
juridique. En effet, pour les tenants de cette thèse, s'en remettre
à la seule loi du pays de protection risque de poser d'importants
problèmes de prévisibilité et de sécurité
juridique car le titulaire du droit peut changer lorsque l'oeuvre
concernée franchit une frontière.
68 G. KOUMANTOS, op.cit, p.217.
69 A. STROWEL et J.-P. TRIAILLE, Le droit
d'auteur, du logiciel au multimédia, préc., note 27,
n.511.
70 J.-S. Bergé, op. cit., n.204.
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Ainsi, pour Jane GINSBURG, si « c'est aux pays
où l'oeuvre est accueillie de veiller à la floraison, (...) leur
jardinage ne remet pas en cause l'identité de la souche
»71. La titularité initiale constituerait, dans
l'optique retenue par cet auteur, une question préalable
réglée par la loi du pays d'origine.
L'argument est à première vue séduisant.
Selon nous, il ne résiste cependant pas à l'analyse, et ce pour
quatre raisons au moins72. L'identification du pays d'origine pose
tout d'abord problème compte tenu de la définition très
restrictive de la publication que retient la Convention de Berne, qu'il semble
difficile d'écarter. S'en remettre à un critère de
rattachement principal insatisfaisant, voire inapplicable, ne présente
pas d'avantage significatif en termes de sécurité
juridique73.
Par ailleurs, il est artificiel de séparer les
questions de la détermination de l'auteur et de sa protection et de les
soumettre, le cas échéant, à deux lois distinctes.
Séparer le droit d'auteur de son titulaire est dangereux car le droit
d'auteur ne peut être défini que par référence
à son titulaire, l'auteur. En effet, le droit d'auteur a notamment pour
finalité la défense de la personnalité de l'auteur, qui
s'exprime au travers de son oeuvre.
Régler la titularité des droits et leur
protection selon deux lois distinctes pourrait amener à de nouveaux
problèmes dans l'hypothèse de contradictions entre les
différentes lois désignées.
L'argument de la sécurité juridique est ici un
leurre. Si le renvoi à la loi du pays d'origine pour la question de la
titularité originaire des droits permet d'identifier une loi unique, il
ne fait en réalité que déplacer l'insécurité
juridique compte tenu des difficultés évoquées ci-avant.
Pour certains, s'en remettre à la loi du pays d'origine ne peut en outre
que conduire à des « incohérences discriminatoires
» entre auteurs (ainsi, une même création pourrait ou
non être protégée sur un territoire donné en
fonction de la nationalité de l'auteur). Cet argument n'est donc
nullement décisif.
Les partisans d'une application partielle de la loi du pays
d'origine invoquent également la préexistence du droit avant
toute atteinte qui y serait portée. Mais cet argument semble
inconciliable avec la position adoptée par la jurisprudence en
matière de droits de la personnalité. Il est incontestable que le
droit au respect de la vie privée ou le droit à l'image existent
préalablement à toute atteinte qui y serait portée. Or, la
jurisprudence se prononce en faveur de l'application de la seule loi du lieu de
l'acte dommageable (lex loci delicti).
71 Jane GINSBURG
72 A. STROWEL et J.-P. TRIAILLE, op.cit,
p.30
73 G. KOUMANTOS, op.cit.p. 126
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Nonobstant certaines faiblesses rédactionnelles de la
Convention de Berne, il est difficile de contester la portée
générale de la règle de conflit de lois
énoncée à l'article 5 al.2, car en désignant «
l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis
à l'auteur »74, c'est bien tant la jouissance que
l'exercice du droit d'auteur que vise le texte conventionnel75.
L'application partielle de la loi du pays d'origine au-delà des
hypothèses strictement définies par la Convention de Berne nous
semble donc inconciliable avec les termes de l'article 5 al.2. On pourrait
toutefois être tenté de trouver un fondement à cette
thèse dans une interprétation a contrario de l'article
14bis, 2, a, qui réserve à la loi du pays de protection
la détermination du titulaire du droit d'auteur afférent à
une oeuvre cinématographique, mais pareille interprétation se
heurterait à la lettre de l'article 5 al.2 précité. Si
l'application générale de la loi du pays de protection peut
constituer un inconvénient pratique pour l'exploitant qui souhaite
exploiter une oeuvre de l'esprit sur plusieurs territoires, cette règle
de conflit de lois constitue un avantage du point de vue de l'utilisateur des
oeuvres. En effet, l'utilisateur sait que l'usage d'une oeuvre sur un
territoire donné sera régi par la seule loi de ce pays, ce qui
confère une prévisibilité certaine dans son
chef76. Par contre, une référence partielle à
la loi du pays d'origine nécessiterait de la part de l'utilisateur une
délicate démarche de recherche et de compréhension du
droit étranger (sans négliger les éventuels
problèmes d'articulation entre les différents droits
applicables)77.
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