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Compréhension du processus d'engagement écologique - l'importance du collectif, des connaissances et des émotions pour une transformation intérieure et extérieure de nos représentations


par Laurie Benisti
Institut Catholique de Paris - Politiques environnementales et management du développement durable 2018
  

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PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE

I- Tableau de la situation actuelle

« Entrer dans la réalité profonde du monde est infiniment dangereux. Il s'y mêle l'horreur et la merveille et toujours nous demeurons suspendus entre les deux », Jacques Masui.

Cette partie a pour objectif de comprendre les connaissances et les fondements qui sous-tendent l'engagement écologique. Pour cela, nous essaierons d'abord de dresser les principaux constats écologiques et sociaux, puis les implications de ces constats, et enfin comment y faire face.

1) Constats et mécanismes des crises socio-écologiques

Nos sociétés industrielles connaissent une série de problèmes environnementaux, socio-économiques et politiques graves et indéniables. Dans la 1ère partie de son ouvrage « Comment tout peut s'effondrer », Pablo Servigne présente cinq problèmes fondamentaux de nos sociétés modernes en prenant l'image de la voiture pour symboliser la civilisation industrielle.

a) La grande accélération

Après un démarrage lent et progressif au milieu du XIXème siècle, la voiture prend de la vitesse et entame une ascension fulgurante appelée « la grande accélération ». En effet, depuis la révolution industrielle, de très nombreux paramètres de nos sociétés et de notre environnement montrent une allure exponentielle. C'est ce que représente ce « tableau de bord », très connu parmi les scientifiques, et qui décrit très bien la nouvelle époque géologique appelée Anthropocène1.

1 Anthropocène : époque où les humains sont devenus une force qui bouleverse les grands cycles du système-Terre. Terme popularisé à la fin du XXème siècle par le météorologue et chimiste de l'atmosphère Paul Joseph Crutzen prix Nobel de chimie en 1995.

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Figure 1 : Le tableau de bord de l'Anthropocène

Source : W.Steffen et al. « The trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration », The An-thropocene Review, 2015

Population, PIB, consommation d'eau, d'énergie, transports, télécommunication, tourisme, en même temps qu'émissions de gaz à effets de serre, acidification des océans, déforestation... La tendance est claire et présente partout : nous sommes dans une société marquée par l'accélération et la croissance exponentielle, dans un monde où des plafonds existent.

b) Des ressources limitées

Au fur et à mesure qu'elle accélère, la voiture épuise peu à peu les ressources dont elle est devenue dépendante. Parmi ces ressources : les énergies fossiles, qui représentent 80% de notre production d'énergie et dont nous sommes totalement dépendants. Or, selon l'Agence internationale de l'énergie, le pic mondial de pétrole conventionnel a été franchi en 2006. Nous nous trouvons au-jourd'hui sur un plateau, après lequel nous connaîtrons le déclin. Les spécialistes s'accordent au-jourd'hui à dire que l'ère du pétrole facilement accessible est révolue. Ces limites desquelles nous nous rapprochons touchent d'autres ressources que nous exploitons. Une étude récente2 a par exemple évalué la probabilité pour 88 ressources non renouvelables de se retrouver en situation de pénurie avant 2030 : argent, indium, lithium... des ressources utilisées pour la fabrication d'éoliennes, de cellules photovoltaïques et de batteries. Philippe Bihouix, spécialiste des ressources et auteur de

2 C. Clugston, « Inscreasing global non renewable natural resource scarcity - An analysis », Energy Bulletin, vol. 4, n°6, 2010

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« l'Age des Low Tech », explique : « Nous pourrions nous permettre des tensions sur l'une ou l'autre des ressources, énergie ou métaux. Mais le défi est que nous devons maintenant y faire face à peu près en même temps. », ce qui pose un problème de taille puisqu'il faut de l'énergie pour extraire des métaux, et il faut extraire des métaux pour produire de l'énergie renouvelable.

c) Frontières planétaires et points de bascule

En plus d'un réservoir qui se vide, la voiture a franchi les bords de la route et se trouve dans une zone instable avec des obstacles imprévisibles. Le franchissement des bords de route, c'est ce que les scientifiques appellent les frontières planétaires, et les obstacles, ce sont les « tipping points » ou « points de bascule ».

Le climat est la plus connue de ces frontières invisibles, car, cela fait maintenant consensus au sein de la communauté scientifique, elle pourrait provoquer à elle seule des catastrophes globales, massives et brutales, qui pourraient mener à la fin de la civilisation, voire de l'espèce humaine. Mais il y en a d'autres : déclin de la biodiversité, acidification des océans, perturbation du cycle du phosphore et de l'azote, pollution chimique... Dans une étude publiée en 2009 et mise à jour en 20153, une équipe internationale de chercheurs a identifié 9 frontières planétaires vitales à ne pas franchir pour éviter de basculer dans une situation dangereuse et irréversible ; or 4 ont été identifiées comme déjà franchies. Non seulement chacune de ces frontières peut à elle seule provoquer un emballement et des catastrophes irréversibles, mais en plus il existe des liens, des connexions entre tous ces phénomènes, qui font qu'ils viennent se renforcer les uns les autres dans un effet domino que l'on ne maîtrise pas et que l'on ne perçoit pas. L'aspect systémique des crises est donc central.

Lorsque l'on dépasse une frontière, les réponses du système-Terre deviennent très imprévisibles, et le risque de dépasser des points de basculement augmente très fortement. Pour mieux comprendre ces tipping points, imaginons un interrupteur sur lequel on exerce une pression croissante. On sent que l'interrupteur est sous pression et prêt à céder, mais on ne peut pas en prévoir le moment exact. D'un coup, l'interrupteur bascule. Pour les écosystèmes, la situation est comparable : ils subissent des perturbations régulières qui leur font progressivement perdre leur capacité de résilience, jusqu'à atteindre un point de rupture (tipping point), un seuil invisible au-delà duquel l'écosys-tème s'effondre de manière brutale et imprévisible. En 2008, une équipe de climatologue a recensé 14 « éléments de basculement climatiques », dont le permafrost en Sibérie, les courants océaniques atlantiques, la forêt amazonienne, les calottes glaciaires4... Non seulement chacun peut accélérer le changement climatique de façon catastrophique, mais en plus déclencher les autres dans un effet domino incontrôlable. D'où la volonté du GIEC de limiter la hausse de la température à 2°C : au-delà,

3 W.Steffen et al, « Planetary boundaries : Guiding human development on a changing planet », Science, sous presse, 2015

4 T.M. Lenton et al, « Tipping elements in the Earth's climate system », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 105, n°6, 2008, p1786-1793.

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on prend le risque de dépasser la frontière et de connaitre des effets d'emballement et des points de bascule dévastateurs et irréversibles.

Dans le cas de l'interrupteur, nous pouvons décider d'enlever notre doigt facilement et éviter ainsi son basculement ; mais dans la situation actuelle, la voiture est toujours en pleine accélération, a déjà dépassé des barrières, et nous ne savons pas si nous pourrons l'arrêter avant qu'elle n'atteigne les points de bascule.

d) Un système ultra-verrouillé

D'autant plus que la pédale d'accélérateur et la direction de la voiture semblent bloqués. Nos sociétés sont maintenues par de véritables verrouillages socio-techniques (lock in). L'efficacité des systèmes en place rend difficile d'en sortir, surtout quand une compétition s'est instaurée entre pays. En se mondialisant, notre société industrielle a étendu ses verrouillages sociotechniques ; nous connaissons en fait un « gobal lock-in ». Nous sommes arrivés à un tel niveau de développement et de complexité, et un tel niveau de mondialisation, que nous ne pouvons en sortir sous risque de déstabiliser complètement nos économies et vies qui en découlent. Ce global lock-in peut être illustré par trois exemples. Dans le champ financier, ces dernières années, la finance se concentre en un nombre très réduit d'immenses institutions financières, qui sont devenues « too big to fail » (trop grands pour faire faillite) et « too big to jail » (trop grandes pour aller en prison). Notre dépendance aux énergies fossiles est probablement le plus grand verrouillage de l'histoire : presque tout ce que nous connaissons en dépend. Il en va de même pour la croissance : nos institutions ne sont pas adaptées à un monde sans croissance, puisqu'elles ont été conçues par et pour la croissance. Sans croissance, le système économique risquerait d'imploser sous des dettes qui ne seraient jamais remboursées.

Nous semblons nous trouver dans une situation inextricable : nous avons créé des systèmes gigantesques et dévastateurs, mais qui sont devenus en même temps indispensables au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Servigne résume la situation ainsi : « Pour espérer survivre, notre civilisation doit lutter contre les sources de sa puissance et de sa stabilité, c'est-à-dire se tirer une balle dans le pied. » Autrement dit, si nous décidons de lever le pied de l'accélérateur pour éviter ou limiter l'accident à venir, nous risquons aussi de provoquer un accident.

e) Des systèmes ultra fragiles et vulnérables

Enfin, l'habitacle de la voiture est de plus en plus fragile et vulnérable, et pourrait céder à tout moment. L'hyperglobalisation et la complexification caractéristiques de nos sociétés ont transformé l'économie mondiale en un système hautement complexe où tout est devenu interconnecté, augmentant aussi considérablement la vulnérabilité et la fragilité de ces systèmes. C'est le cas dans le champ de la finance, dans les chaînes d'approvisionnement, et dans nos réseaux (transports, électriques, télécommunication...). La moindre perturbation peut se répandre comme une traînée de poudre, avoir

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des effets en chaîne et provoquer des dégâts considérables sur le système global. Par des chaînes d'approvisionnement optimisées et des stocks se renouvelant sans cesse, le système économique mondial a gagné en efficacité mais perdu en résilience. Or, nous sommes devenus totalement dépendants de ce système complexe : « Très peu de gens savent survivre sans supermarché, sans carte de crédit ou sans station-service. Quand une civilisation devient hors-sol, c'est-à-dire lorsqu'une majorité de ses habitants n'a plus de liens directs avec le système-Terre (la terre, l'eau, le bois, les animaux, les plantes, etc.), la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Si cette structure, de plus en plus puissante mais de plus en plus vulnérable, s'écroule, c'est la survie de l'ensemble de la population qui pourrait ne plus être assurée

».

Nous avons donc vu, par le biais de la synthèse scientifique faite par Pablo Servigne, que nous accélérons dans un monde de ressources finies, en franchissant des barrières planétaires qui ne devraient pas l'être, que nous allons si vite que nous n'arrivons plus à freiner, et que nous avons créé des degrés d'interconnexion et de complexité qui nous rendent de plus en plus fragiles et vulnérables.

2) Implications de ces constats

Face à tous ces constats, il est maintenant clair que la voiture ne pourra pas s'en sortir indemne. Les catastrophes sont en effet déjà présentes et vont inévitablement se renforcer, et il y a un risque élevé que nos civilisations s'effondrent, ce qui impose des changements nécessaires, radicaux et urgents.

a) Les catastrophes en cours et à venir

Aujourd'hui déjà, des catastrophes sont en cours. Hausse globale des températures, événements climatiques extrêmes, effondrement de la biodiversité, montée des eaux, acidification des océans, pollution de l'air, déforestations... ces phénomènes ont déjà un impact considérable d'un point de vue humain, environnemental, et économique. L'exemple de la biodiversité est l'un des plus parlants : selon le WWF (World Wildlife Foundation), sur les 40 dernières années, nous avons perdu plus de 60% des animaux sauvages. Cela fait maintenant consensus, la 6ème extinction de masse est en cours. Autre exemple : l'OMS estime à 7 millions le nombre de personnes qui meurent prématurément chaque année dans le monde à cause de la pollution, et 48000 morts par an en France.

De plus, certaines crises sont enclenchées et vont inévitablement se renforcer dans les années à venir. Même si l'on arrivait à entreprendre des changements radicaux, rapides et efficaces - ce qui est peu probable au vu des constats précédemment énoncés - les effets des changements climatiques continueront à se mettre en oeuvre dans les prochaines décennies. Il s'agit en effet d'un phénomène différé dans le temps : les émissions que nous émettons aujourd'hui ont un impact dans les

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décennies suivantes. Même logique pour la biodiversité : l'extinction d'une espèce a un impact sur toute la chaîne alimentaire, entraînant d'autres espèces dans un effet domino difficilement arrêtable. Le rapport publié en mai 2019 par l'IPBES, le « GIEC de la biodiversité », estime qu'1 million d'es-pèces vont disparaître dans les années à venir. L'ONU a estimé à 250 millions le nombre de réfugiés climatiques à horizon 2050, ce qui risque de provoquer une crise migratoire sans précédent.

Les conséquences sur les écosystèmes et sur les sociétés humaines sont déjà visibles et graves, et vont inévitablement se renforcer dans les années à venir et causer des catastrophes naturelles, humaines, économiques et sociales.

b) Un effondrement de nos civilisations industrielles ?

De plus en plus de spécialistes évoquent même la probabilité d'un effondrement de nos civilisations industrielles. C'est la thèse centrale du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens « Comment tout peut s'effondrer », qui ont créé le concept de collapsologie, « l'exercice transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder ». Selon eux, l'étude approfondie des 5 paramètres que nous avons présentés précédemment (accélération de nos sociétés, limites planétaires, frontières planétaires et points de bascule, verrouillage socio-technique et fragilité de nos systèmes) mène à la conclusion qu'un effondrement de notre civilisation est très probable, voire inévitable.

Un effondrement peut être défini par une diminution rapide et importante de la population et/ou de sa complexité. Une autre définition a été formulée par l'ancien ministre de l'environnement Yves Cochet comme une « situation dans laquelle les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». De tels effondrements ont déjà eu lieu dans l'histoire de l'humanité. Jared Diamond, dans son livre « Effondrement », étudie la façon dont des civilisations passées (Mayas, île de paques, vikings...) se sont effondrées, afin d'en tirer des leçons. Cinq facteurs entrent toujours potentiellement en jeu : des dommages environnementaux, un changement climatique, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux, et les réponses apportées par une société à ces problèmes ; des facteurs réunis aujourd'hui. Il a aussi mis en évidence le fait qu'un effondrement ne se produit pas de façon brutale, mais sur des durées parfois très longues. Certains considèrent d'ailleurs que nous serions déjà dans une période d'effondrement. Diamond note que la grande différence entre les effondrements passés et la situation actuelle est qu'au-jourd'hui, nous vivons dans une civilisation mondialisée et interconnectée, et donc que le risque d'ef-fondrement pèse sur la civilisation humaine dans sa globalité, et non plus sur une civilisation isolée. Enfin, à la différence de nombreuses prédictions de fin du monde et notamment de l'eschatologie basées sur des croyances ou des religions, les théories de l'effondrement n'annoncent pas la fin du

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monde, mais évoquent, en s'appuyant sur des données scientifiques, la possibilité de la fin d'un monde, celui de nos sociétés thermo-industriels et de notre civilisation.

c) Des changements nécessaires, radicaux et urgents

Si certains spécialistes estiment que l'effondrement est inévitable, voire déjà en cours, d'autres postulent qu'il est encore possible de l'éviter, mais à condition que des changements radicaux soient mis en oeuvre rapidement. Ici, nous donnons au mot « radical » son sens originel, qui vient du latin radicalis, dérivé de radix (« racine ») et signifie agir sur la cause profonde que l'on veut modifier. Il faudrait donc remettre en question et repenser totalement et fondamentalement nos modèles économiques, de production, de consommation et sociétaux.

Actuellement, le chemin pris par les sociétés occidentales n'implique pas de remise en question fondamentale de nos systèmes. Les modèles du développement durable et de croissance verte misent avant tout sur le déploiement de technologies et des comportements plus sobres, qui permettraient d'éviter l'effondrement de la civilisation tout en maintenant une croissance économique globale. Cela implique ce qu'on appelle un découplage, c'est-à-dire la séparation entre la croissance économique et la consommation de ressources et d'énergies (et donc l'impact environnemental). Cette idée représente la pensée dominante dans laquelle s'inscrivent entreprises, politiques et population. Pourtant, de nombreux spécialistes ont montré que ce découplage absolu était impossible, qu'il n'a aucun fondement scientifique et qu'il n'a jamais eu lieu. Aujourd'hui, on vit même plutôt un « surcouplage ». Le seul espoir reposerait sur le fait de trouver et de mettre en oeuvre rapidement une innovation ou technologie révolutionnaire à la fois non polluante et non consommatrice d'énergie et de ressources. Or, il est fort probable que cela n'arrive pas à très court terme.

Trois grandes possibilités se distinguent donc. La première est que nous entreprenions des changements radicaux rapidement, mais avec le risque de provoquer des crises économiques et financières à court terme. L'autre option est la transition écologique, le développement durable, ou encore croissance verte, qui misent sur le découplage entre croissance et impact environnemental, avec cependant une forte probabilité que ce découplage ne fonctionne pas, que ces changements ne se fassent pas assez vite, trop superficiellement, et une forte probabilité d'un effondrement de nos civilisations à moyen terme voire court terme. Enfin, et c'est le chemin que nous sommes en train de suivre globalement, nous pouvons ne rien changer fondamentalement - c'est le cas par exemple des Etats-Unis - et empirer la situation, auquel cas la probabilité d'un effondrement est presque certaine.

Ainsi, que nous le subissions (catastrophes, effondrement) ou que nous le décidions (changements radicaux, mobilisation générale), nous allons connaître des bouleversements profonds ; nous ne vivrons pas demain comme aujourd'hui. Mais la collapsologie et ces perspectives pessimistes - mais réalistes, cela ne fait plus de doute - ne sont pas pour autant fatalistes. Au contraire, pour Pablo

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Servigne et Raphaël Stevens, elles sont une invitation, voire une injonction à agir, partout et en profondeur. Face à ces constats et à ces perspectives, que pouvons-nous faire ?

3) Moyens d'actions face à ces constats

Que l'effondrement et les catastrophes soient évitables ou non, il est essentiel d'agir, à la fois pour en limiter les conséquences, et pour d'ores et déjà construire de nouvelles façons de penser et de faire. Les moyens et leviers d'actions sont nombreux, et chaque personne a un rôle à jouer. Joanna Macy, par son ouvrage « Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre », propose un guide pratique pour aider chacun d'entre nous à prendre part à la « révolution silencieuse » qui est en marche, qu'elle appelle le « Changement de cap », ou le passage radical d'une société de croissance industrielle autodestructrice à une société compatible avec la vie. Macy décrit trois dimensions complémentaires et interdépendantes de ce Changement de cap.

a) Résister et atténuer

Le premier pilier regroupe toutes les actions ayant pour but de limiter et ralentir la destruction de la vie en cours. Il peut s'agir du travail politique, législatif, et judiciaire, qui vise par exemple à limiter les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation ou la production de déchets. Il peut également s'agir d'actions directes comme des boycotts ou des actions de désobéissance civile visant à inciter les politiques et les grandes puissances économiques à entreprendre les changements et transformations qui s'imposent. Selon Joanna Macy, ceux qui agissent en ce sens peuvent ressentir beaucoup d'anxiété, d'exaspération et d'épuisement. Selon elle, il s'agit en effet du travail le plus difficile, mais qui est nécessaire et utile car il fait gagner du temps et sert à sauver des vies et des écosystèmes.

b) Construire des alternatives

Le deuxième pilier consiste à analyser les causes structurelles de la situation tout en pensant et entreprenant la création d'institutions et de modèles alternatifs. Pour limiter les dommages créés par nos sociétés, il est en effet important d'en comprendre les dynamiques. Selon Joanna Macy, ce travail permet aussi d'éviter de diaboliser des personnes mais de les comprendre, une philosophie qui rappelle Spinoza et son fameux « ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre ». Pour Joanna Macy, c'est un travail difficile car il faut du courage et de la confiance dans notre sens commun pour regarder le tableau de nos sociétés avec réalisme. Cette deuxième dimension du Changement de Cap comprend aussi la création d'alternatives à ce système, les deux efforts allant de pair. Selon elle, « les actions qui bourgeonnent de nos esprits et de nos mains peuvent sembler marginales, mais elles contiennent les graines du futur ».

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c) Changer nos façons de voir le monde et de nous voir dans le monde

Le troisième grand champ d'action concerne un changement des perceptions de la réalité sur les plans cognitif et spirituel. Il s'agit du pilier le plus fondamental pour Joanna Macy. C'est un pilier qui s'impose de plus en plus comme une des clés du changement, et qui semble depuis peu commencer à germer dans la société française. De plus en plus d'auteurs, d'artistes, d'écrivains, et de citoyens s'emparent de la question et travaillent sur la construction de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires positifs, désirables et humains. Selon Dominique Bourg, « le seul choix qui nous reste est de repenser notre manière de voir le monde, c'est-à-dire notre manière d'être au monde ». Ainsi, selon lui, ce changement de perception se fait aussi par notre façon d'agir et notre façon d'être. Cela rejoint la célèbre citation de Gandhi : « sois le changement que tu veux voir dans le monde ». Cela peut inclure d'autres façons de voyager, de consommer, de travailler, de vivre en société... Pour Joanna Macy, « ces révélations et ces expériences sont absolument nécessaires pour nous libérer de l'emprise de la société de croissance industrielle. Elles nous offrent des objectifs plus nobles et des plaisirs plus profonds ».

Ainsi, « le grand tournant » ne pourra advenir que si nous conjuguons trois niveaux d'action : résister, c'est-à-dire refuser les projets industriels catastrophiques pour l'environnement (c'est ce que font les opposants à la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à l'exploitation des gaz de schiste, à l'hégémonie de Monsanto...) ; préparer et mettre en place le monde de demain (expérimenter d'autres sources d'énergie, d'autres modes d'éducation, une autre économie, une autre manière de vivre ensemble...) ; et surtout, en amont, opérer un changement intérieur en reconsidérant notre vision de nous-mêmes et de notre place dans la nature.

Par cet état des lieux rapide de la situation actuelle, nous avons cherché à présenter les fondements du processus de prise de conscience et d'engagement étudiés. Nous connaissons une crise socio-écologique vaste, complexe, sans précédent et caractérisée par la diversité et par l'intercon-nexion de problèmes environnementaux, socioéconomiques, politiques, culturels et psychosociaux. Cette crise a déjà des conséquences catastrophiques, qui vont se renforcer dans les années à venir, allant jusqu'à menacer la survie même de la civilisation, voire de l'humanité telle qu'on la connait. Mais ces constats pessimistes et réalistes ne sont pas fatalistes, et d'innombrables moyens d'action existent pour changer de cap : cela passe à la fois par limiter au maximum notre impact, par penser et créer des modèles plus résilients et durables, et par réinventer notre façon de penser, de voir et d'être au monde, à l'autre et à nous-même.

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Mais nous sommes soumis à de nombreux blocages qui nous empêchent de prendre conscience de tous ces éléments et de prendre part au Changement de Cap que décrit Joanna Macy, qui doute alors de sa réussite :

« Bien que nous discernions le Changement de cap et que nous prenions courage dans ses activités multiples, nous n'avons aucune certitude qu'il arrivera à temps. Nous ne pouvons prédire ce qui arrivera en premier : le point de non-retour, celui où nous ne pourrons plus arrêter la destruction des systèmes qui soutiennent les formes de vie complexes, ou le moment où les éléments d'une société soutenable détermineront la direction du système entier. Si le Changement de cap devait échouer, ce ne serait pas par manque de technologie ou d'information, mais par manque de volonté politique. Lorsque nous sommes confus ou apeurés et que l'adver-sité nous frappe, il est très facile de se retrouver le coeur et l'esprit engourdis. Les dangers que nous encourons à présent sont si omniprésents et en même temps si difficiles à distinguer - et douloureux à voir quand on arrive à les regarder en face - que cette anesthésie nous touche tous. Tout le monde en est affecté. Personne n'est immunisé contre le doute, la dénégation ou l'incrédulité quant à la gravité de notre situation et à notre capacité à changer cet état de fait. Et pourtant, au-delà de tous les dangers encourus, des changements climatiques aux guerres nucléaires, aucun n'est aussi grave que notre paralysie. Cette insensibilité de l'esprit et du coeur nous afflige déjà, dans les diversions que nous créons en tant que citoyens et en tant que nations, dans les querelles que nous choisissons, les objectifs que nous poursuivons, les articles que nous achetons. Alors, ouvrons les yeux. Examinons à quoi cette paralysie correspond et comment elle se produit. Reconnectés à notre désir le plus profond, nous serons capables de prendre part à ce Changement de cap. Nous choisirons la vie. »

Alors, à quoi est due cette paralysie ? Pourquoi, face à de telles perspectives et face à un risque qui touche à notre survie même, pourquoi chacun n'agit-il pas en conséquence ?

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault