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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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INTRODUCTION

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« Le régime présidentiel est réputé fondé sur la séparation, stricte, des pouvoirs ; il est donné comme caractérisé par l'égalité et l'équilibre des organes »1. La séparation stricte des pouvoirs signifie, qu'à côté du pouvoir législatif détenant le monopole de l'initiative législative et la pleine maîtrise de la procédure législative, existe un président de la République disposant, quant à lui, pleinement du pouvoir exécutif2 ; ces deux pouvoirs existent indépendamment l'un de l'autre et ne disposent pas de moyens d'actions réciproques : le Parlement ne peut renverser le Gouvernement et le Président ne peut dissoudre le Parlement3.

Il est, en outre, caractérisé par le mode d'élection -au suffrage universel- du président de la République. C'est cette élection au suffrage universel -au même titre que l'organe législatif donc- qui lui confère une légitimité et un prestige semblables à ceux dont jouit l'Assemblée4. Car toute autre solution ne contribuerait qu'à l'affaiblir vis-vis de la représentation nationale et à en faire un Chef d'État parlementaire, c'est-à-dire dépourvu de tout pouvoir5. Il faudrait enfin ajouter aux critères du régime présidentiel le monocéphalisme de l'exécutif : le président de la République détient à titre exclusif le pouvoir exécutif6.

C'est ce régime présidentiel que prétend établir la Constitution de 2000 à l'alinéa 7 de son préambule : « (le peuple de Côte d'Ivoire)... exprime son attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les peuples libres, notamment (...) la séparation et l'équilibre des pouvoirs... ». Plusieurs éléments du texte constitutionnel vont clairement en ce sens : l'élection au suffrage universel direct du président de la République (art. 35), le caractère exclusif du pouvoir exécutif qu'il détient -renforcé par la responsabilité du Gouvernement devant lui (art. 41), l'affirmation du principe de l'irrévocabilité mutuelle des pouvoirs, c'est-à-dire l'inexistence du droit de dissolution reconnu au président de la

1 Francis V. WODIÉ, Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, Abidjan, P.U.C.I., 1996, p. 191.

2 Ce n'est que par commodité que nous continuons à désigner par le terme de « pouvoir exécutif » une autorité, le président de la République, qui, aux termes de l'article 50 de la Constitution, détermine et conduit la politique de la Nation. La fonction présidentielle va bien au-delà de la traditionnelle exécution des lois du Parlement (Yédoh S. LATH, Systèmes politiques contemporains, Abidjan, ABC, 2013, p. 208).

3 Maurice DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, 10e éd., Paris, P.U.F., 1968, p. 152 ; Obou OURAGA, Droit constitutionnel et sciences politiques, 3e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 66 ; etc.

4 Georges BURDEAU, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 18e éd., Paris, L.GD.J., 1977, p. 181 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 181 ; Marcel PRÉLOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, 5e éd., Paris, Dalloz, 1971, p. 87 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Institutions politiques et droit constitutionnel, 31e éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2012, p. 152.

5 Georges BURDEAU, op.cit., p. 180-181 ; etc.

6 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 152 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 66 ; etc.

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République et la contrepartie de ce droit de dissolution aux mains du Parlement de renverser le Gouvernement, etc.7.

Le président de la République et l'Assemblée nationale entretiennent pourtant dans ce régime présidentiel des rapports étroits, très proches des rapports de type parlementaire. Il s'agit notamment de rapports de collaboration, qui se manifestent tout particulièrement à l'occasion de l'élaboration de la loi8. Il est, à cet égard, important de garder à l'esprit que la Constitution de 2000 -comme toutes celles qui ont régi nos institutions jusqu'à nos jours9-emprunte énormément à la Constitution française du 4 octobre 1958 qui établit -nous le savons- un régime parlementaire, quoique très rationalisé10. Or, comme l'écrit Maurice Duverger :

« Techniquement, régime parlementaire et séparation des pouvoirs sont deux choses différentes. En régime parlementaire, les organes collaborent et les fonctions sont mélangées : Gouvernement et Parlement ont des moyens d'action réciproques ; lois et règlements ne sont pas confinés dans des domaines rigoureusement délimités, mais interfèrent dans les mêmes matières. Au contraire, les régimes de séparation des pouvoirs se caractérisent par un double effort d'isolement des organes et de délimitation des fonctions »11.

De cette constatation, il est autorisé de penser que la Constitution de 2000 établit un régime hybride : dans le cadre d'un régime présidentiel, elle introduit des éléments de collaboration des pouvoirs.

C'est dans le cadre de ce régime présidentiel atypique que s'inscrit l'objet de notre étude, à savoir les rapports entre les pouvoir exécutif et législatif en Côte d'Ivoire.

I. DÉLIMITATION DU SUJET

7 La volonté de certains de doter la Côte d'Ivoire d'un régime parlementaire ou même de type mixte lors la rédaction de la Constitution de 2000 n'a d'ailleurs pas été retenue. Les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont clairement voulu confirmer le régime présidentiel de la Constitution de 1960.

8 Initiative des lois partagée entre le Président et l'Assemblée nationale (art. 42.1), prérogatives aux mains de l'exécutif dans la procédure législative telle que l'opposition d'irrecevabilité (art. 76 et art. 78.2), la saisine du Conseil constitutionnel (art. 95.2), la demande de seconde délibération (art. 42.3), la promulgation des lois (art. 42.1), etc.

9 La constitution du 26 mars 1959, celle du 3 novembre 1960 et enfin celle du 1er août 2000.

10 Les rapports entre la Constitution française de 1958 et la plupart des Constitutions des ex-colonies françaises (Maurice A. GLÉLÉ, « La Constitution ou Loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de l'Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les Nouvelles éditions africaines, tome I, 1989, pp. 21-52).

11 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 512.

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Si la notion de pouvoir législatif ne pose pas tellement de problème en ce que le pouvoir législatif est sans conteste détenu et exercé par l'Assemblée nationale, celle de pouvoir exécutif doit être précisée. Jusqu'en 1990, le président de la République a cumulé les fonctions de Chef de l'État et de chef de Gouvernement réalisant le monocéphalisme de l'exécutif12. A la suite de la révision constitutionnelle du 6 novembre 1990, il est institué un poste de Premier ministre : on est ainsi passé du monocéphalisme au bicéphalisme13. Cette réforme constitutionnelle dont Obou Ouraga écrit, à juste titre, qu'elle se justifie difficilement dans un régime présidentiel -d'autant plus que le Premier ministre est formellement désigné comme le chef de Gouvernement14- sera pourtant réaffirmée dans la Constitution de 200015. Mais la distance est grande entre le droit et le fait. En droit, il y a un commencement de partage du pouvoir exécutif entre le président de la République et son Premier ministre. Celui-là ne peut, en effet, nommer les autres membres du Gouvernement et mettre fin à leurs fonctions que sur proposition de celui-ci ; le président de la République ne jouit plus d'un pouvoir discrétionnaire et inconditionné en matière de formation du Gouvernement et de révocation des ministres, ce pouvoir étant désormais subordonné à une proposition faite par le Premier ministre. Il en résulte que le pouvoir de nomination et de révocation aux mains du président de la République peut être paralysé par le pouvoir de proposition aux mains du Premier ministre16. Mais en fait, nous pouvons en douter : politiquement on voit mal comment le Premier ministre refuserait de faire la proposition de nomination d'une personnalité au sein du Gouvernement ou de révocation d'un ministre si le président de la République le lui demandait. Nous pouvons en douter d'autant plus que la situation du Premier ministre s'est précarisée depuis l'avènement de la seconde République : la Constitution ne dit plus, en effet, que le président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre « sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement »17. Il en découle que le sort du Premier ministre -et partant celui du Gouvernement dans son ensemble- dépend désormais

12 Le président de la République est, aux termes de l'article 12 de la Constitution de 1960, « le détenteur exclusif du pouvoir exécutif » ; celui-ci n'est donc nullement partagé avec un Premier ministre qui n'existe d'ailleurs pas à cette époque (avant 1990).

13Loi constitutionnelle n° 90-1529 du 6 novembre 1990 portant modification des articles 11, 12 et 24 de la Constitution du 3 novembre 1960, Journal officiel, numéro spécial, n° 43 du mercredi 7 novembre 1990, p. 379.

14 L'article 41.2 de la Constitution de 2000 désigne le Premier ministre comme le chef du gouvernement.

15 Obou OURAGA, op.cit., p.139.

16 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.130.

17 L'article 12.2 de la Constitution de 1960 était ainsi écrit : « Le président de la République nomme le Premier ministre, chef du Gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Il en découlait en conséquence que le président de la République ne pouvait mettre fin aux fonctions du Premier ministre que sur présentation, par ce dernier, de la démission du Gouvernement. Mais sur ce point également, le droit avait peu de chances de s'appliquer car le Président pouvait toujours, en fait, contraindre à la démission le Premier ministre et son Gouvernement.

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tout entier -sur le plan juridique même- du président de la République18. Sur ce point, le droit a rejoint la réalité : si, d'aventure, le Premier ministre refusait de proposer la révocation d'un ministre ou la nomination d'une personnalité au Gouvernement, le président de la République mettrait tout simplement fin à ses fonctions (art. 41.2 de la Constitution de 2000).

D'autre part, la qualité de chef de Gouvernement reconnue au Premier ministre est vide de toute substance. Tout au plus, la Constitution lui reconnaît un rôle d'animation et de coordination de l'action gouvernementale (art. 41.2), une faculté de suppléance du président de la République (art. 53.2) et, enfin, la possibilité -seulement si le Président le veut bien- de se voir déléguer certains des pouvoirs de celui-ci. Mais cette possibilité est limitée dans le temps et dans la matière (art. 53.3) et il n'est plus le seul du reste à pouvoir en bénéficier19.

Contrairement à ses homologues des régimes semi-présidentiels africains, le Premier ministre ivoirien -et pas plus que le Gouvernement qu'il dirige- ne dispose donc pas de pouvoirs propres. Dans le régime établi par la Constitution malienne du 25 février 1992, c'est le Gouvernement -instance collégiale distincte du président de la République- qui détermine et conduit la politique de la Nation, dispose de l'administration et de la force armée (art. 53)20 et c'est le Premier ministre qui, en plus de suppléer le président de la République à la présidence des conseils et comités supérieurs de défense nationale (art. 55.4) et à la présidence du Conseil des ministres (art. 55 in fine), dirige et coordonne l'action gouvernementale (art. 55.1), assure l'exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire commun et est responsable de l'exécution de la politique de défense nationale (art. 55.2), etc. D'autre part, le Gouvernement et le Premier ministre prennent une part très active dans l'élaboration de la loi ordinaire et ont en charge la préparation et l'exécution des lois de finances : initiative des lois et droit d'amendement (art. 75.1, 76, etc.), saisine de la Cour constitutionnelle (art. 88, 89.2, etc.), etc. Il en résulte que le Premier ministre malien et son

18 Il convient de faire ici une mise au point : techniquement, la démission du Gouvernement -qui est liée au fait que le président de la République mette fin aux fonctions du Premier ministre- est différente de la révocation des ministres. Tandis que la démission du Gouvernement est collective et entraîne nécessairement avec elle le départ du Premier ministre, la révocation des ministres est individuelle et n'a pas d'incidence sur le sort de celui-ci.

19 Aux termes de l'article 53.1 de la Constitution de 2000 en effet : « Le président de la République peut, par décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du Gouvernement ». Sous l'empire de la Constitution de 1960, cette possibilité offerte au Président de déléguer certains de ses pouvoirs était expressément limitée au Premier ministre (art. 24.1). Le pouvoir de délégation s'est par conséquent élargi du Premier ministre à tous les ministres ; il en résulte que le Premier ministre apparaît de plus en plus comme un ministre parmi d'autres.

20 De manière générale, toutes les compétences exercées en Conseil des ministres appartiennent en fait au Gouvernement : le décret d'état d'urgence et d'état de siège (art. 76), les ordonnances (art. 74.2), les projets de lois (art. 75), etc.

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Gouvernement forment avec le président de la République un véritable bicéphalisme à la tête de l'exécutif21.

Le bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien est une illusion. Comment pouvait-il en être autrement dans un régime présidentiel ? L'institution d'un Premier ministre n'apparaît, en définitive, que comme un emprunt -parmi d'autres, nous l'avons déjà fait observer- à une Constitution établissant un régime de type parlementaire -la Constitution française du 4 octobre 1958. Mais cet emprunt s'arrête à la simple désignation et ne touche pas au fond : le Premier ministre français est doté de pouvoirs propres et le Premier ministre ivoirien reste « primus inter pares »22. Ou alors l'institution primo-ministérielle n'apparaît que comme purement accidentelle dans notre histoire constitutionnelle23. Quoiqu'il en soit, c'est le président de la République qui détient entre ses mains la réalité du pouvoir exécutif et c'est lui qui exerce chacune des compétences que nous avons vu détenir et exercer le Premier ministre et le Gouvernement d'un régime semi-présidentiel24. C'est lui qui -sans être formellement désigné comme tel- exerce sans aucune concurrence toutes les prérogatives du chef de Gouvernement25. Comme le fait observer Francis Wodié à propos de la situation sous la première République -mais l'observation vaut parfaitement pour la seconde- le fait que la Constitution désigne et qualifie toujours le président de la République détenteur exclusif du pouvoir exécutif dit tout26.

C'est cette réalité qui justifie que nous ayons -dans le cadre de cette étude relative aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif en Côte d'Ivoire- fait abstraction du Premier

21 Le président de la République malien nomme le Premier ministre et, sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement, met fin à ses fonctions (art. 38.1). C'est sur proposition du Premier ministre qu'il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions (art. 38.2). Cependant, comme le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale et non devant le Président (art. 54), celui-ci ne peut librement procéder ni à la nomination du Premier ministre et des ministres ni à leur révocation : il doit tenir compte de la majorité à l'Assemblée nationale. Il en résulte un bicéphalisme réel : le président de la République ne pourrait déterminer la politique nationale et la mettre en oeuvre que s'il est soutenu par la majorité ; dans le cas contraire, il y a cohabitation et l'effectivité du pouvoir exécutif est transférée au Premier ministre.

22 Littéralement « premier parmi les pairs > : le Premier ministre ivoirien « préside > le Gouvernement sans avoir de pouvoirs propres ; il n'exerce que des fonctions de représentation (Yédoh S. LATH, op.cit., p. 211).

23 Le 1er Premier ministre, Alassane Ouattara, fut nommé dans un contexte de crise politique et socio-économique aigüe aggravée par la maladie du président de la République, Houphouët-Boigny : il fit alors office de véritable chef de l'exécutif.

24 Dans la Constitution de 2000, le président de la République, détenteur exclusif du pouvoir exécutif (art. 41.1), continue tout naturellement à déterminer et à conduire la politique de la nation (art. 50), à disposer de l'initiative législative (art. 42.1), à être doté du pouvoir réglementaire (art. 42.1, 44, 72), à être le chef de l'administration et à nommer aux emplois civils et militaires (art. 46), le chef suprême de l'armée (art. 47), etc.

25 Voir note précédente.

26 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 135.

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ministre et du Gouvernement27. Il n'y a même pas à proprement parler de Gouvernement28, puisque les ministres ivoiriens ne forment pas un organe collégial et solidaire, ayant des tâches et des responsabilités propres : nommés individuellement et étant tout aussi individuellement responsables devant le Président, ils sont des collaborateurs individuels de celui-ci. Ils sont, en effet, chargés de mettre en oeuvre sa politique, chacun en ce qui le concerne et pour les tâches qui lui sont confiées. Dans le droit constitutionnel étatsunien, on parle précisément de secrétaires d'État29. Quand le Premier ministre ou tout autre ministre rentre en relation avec l'Assemblée nationale, c'est, en définitive, en tant qu'auxiliaire ou délégataire du président de la République de sorte que la substance des rapports entre organes exécutif et législatif se situe en vérité entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon