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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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Chapitre 3

L'influence des spécificités nationales

Après avoir soulevé un certain nombre de normes partagées dans la composition des discours au Québec et en France, nous allons mettre en relief les spécificités de chaque discours. C'est désormais davantage sur les thèmes que portera notre propos, et nous mettrons en exergue les éléments caractéristiques d'un pays. Ensuite nous verrons si le système politique influe sur certains choix lexicaux.

1. L'enjeu de la souveraineté au coeur des discours d'ouverture au Québec.

La bataille du « Québec »

Comme nous l'avons montré lors de notre préalable historique, le phénomène du souverainisme québécois n'est pas récent. Il est issu d'une culture de conflit entre anglophones et francophones qui a traversé les siècles pour évoluer d'une lutte militaire à une revendication politique. La place et le choix des mots revêtent alors une place essentielle, car comme le note Olivier Reboul, « les croyances, les idéologies qui fondent une position politique s'objectivent dans le langage112(*) ». Le nationalisme québécois se construit ainsi dans le langage à travers ses désignants. Le théoricien Karl Deutsch souligne que le groupe national défini un « nous » collectif qui se différencie des autres113(*), il apparaît alors normal que le premier vocable historique apparu soit canadien français. La première identité reposait sur un territoire, et sur le fait culturel du partage de la langue française. L'identité s'est développée par opposition aux anglophones, et la conservation de canadien a été analysée comme « une collectivité soumise qui porte la marque de sa dépendance114(*) ». Avec le terme Québécois, l'identité a évolué vers un contenu politique et ne s'est pas restreinte à un groupe d'individus mais prend une conception plus large. Ce n'est plus la langue qui permet d'effectuer une distinction, mais l'appartenance à un État.

Cependant, il faut insister sur le fait que le vocabulaire nationaliste autour du terme Québec est produit à la fois par les souverainistes, mais et par les libéraux qui sont pourtant fédéralistes. En réalité, le sens accordé à cet ensemble de vocables fait constamment l'objet de conflits entre les deux entités politiques.

Comme on le voit ci-dessous, il n'y a pas d'emploi homogène des vocables Québec, Québécois, québécoise, québécois car chacun tente de se l'approprier et en aucun cas un Premier ministre ne pourrait négliger cela. Cette bataille lexicale incessante transparaît encore plus nettement grâce au calcul des spécificités115(*) : Québec est une spécificité positive de Jean Charest et négative de Lucien Bouchard ; québécoise est une spécificité positive Bouchard et négative de Charest, etc...

Graphique n°8 : Fréquences relatives des vocables du nationalisme par année.

Il est vain de démarquer un des deux partis, car l'appropriation du sens est au coeur de leur lutte de pouvoir. Comme le soulignait Annette Paquot il y a plus de vingt ans, « le mot Québec, nom propre qui fonctionne comme un collectif, est défini limitativement par la majorité des énonciateurs nationalistes comme l'ensemble des francophones de vieille souche. Employé en ce sens, il est porteur de connotations, idéologiques et affectives particulières116(*) ». Ce sens est celui adopté par le Parti québécois, dont on n'oubliera pas de noter que le choix du nom entre réellement dans cette lutte d'appropriation identitaire. Le Parti libéral, soit Jean Charest dans notre corpus, use de la polysémie du terme pour considérer les Québécois comme tous les habitants du Québec, sans effectuer une restriction liée à l'origine, à la langue, ou à la revendication politique.

Le choix sémantique pour qualifier le projet politique se situe dans le même ordre. Historiquement, on a parlé de séparatisme, puis d'indépendance, et aujourd'hui de souveraineté117(*). Denis Monière souligne que le sens des termes n'est pas le même, car la souveraineté est la « détention du pouvoir suprême » alors que l'indépendance est « la forme que prend la souveraineté dans les relations avec les autres États118(*) ». Le mot souverainisme apparaît élastique et plus ambigu car il n'exclut pas, par exemple, la thèse du fédéralisme asymétrique.

Graphique n°9 : Fréquences relatives de souveraineté, séparation et référendum.

On peut voir que le Parti québécois monopolise l'emploi de souveraineté, ce qui apparaît normal dans la mesure où il s'agit de son unique finalité. À l'opposé, Jean Charest fait apparaître un mot nouveau en désignant ses adversaires de « tenants de la séparation », il joue alors sur la connotation péjorative associée à ce terme. Il y adjoint référendum qu'il brandit comme l'obsession qui éloigne les péquistes des réalités. Ceux-ci l'avaient progressivement abandonné suite à l'échec de 1995 et à sa résonance défaitiste.

Le discours souverainiste de Bouchard et Landry passe aussi par le recours aux noms propres Canada, Ottawa, et Ontario. Nous avons tenté de faire émerger une structure actancielle sous la forme de celle proposée par Jacqueline Picoche119(*). On constate que le nom propre sujet Canada est plus souvent agent que patient : le Canada a fait son choix, force le jeu, impose ses vues et la personnalisation va jusqu'à le faire parler à l'aide du verbe dire. De plus, Canada est accompagné de l'adjectif anglais dans 29% de ses utilisations (15), reproduisant le vocabulaire du nationalisme de conservation qui primait de la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle. Les vocables Canada-anglais (+13) et Canada-français renvoient à cette fracture linguistique dans la confédération, et on notera à cet égard que le substantif langue (21) est beaucoup plus utilisé par le Parti québécois, et au regard des concordances, la langue est associée à la nécessité de conservation du français (9), mais aussi à l'ouverture vers d'autres langues (7).

Graphique n°10 : Spécificité des noms propres Canada et Ottawa par parti.

Le graphique ci-dessus rend évidente cette opposition dans l'utilisation du champ lexical fédéral. De la même manière que Canada, le nom propre Ottawa (+4) est personnalisé par les péquistes et devient littéralement acteur ; la capitale incarne alors tous les maux du gouvernement fédéral (+11)120(*). Ottawa s'autorise certaines légèretés, Ottawa préfère créer une nouvelle bureaucratie... Les libéraux font bien moins référence au Canada et à Ottawa, alors qu'on aurait pu s'attendre à ce que l'ancien ministre de l'environnement, fédéraliste convaincu, oppose à une vision souverainiste les avantages d'un Québec fort dans un Canada riche de son union.

* 112 Olivier Reboul, Langage et idéologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1980.

* 113 Karl Deutsch, Nationalism and Social Communication, Cambridge, The MIT Press, 1969, cite par Denis Monière, Les enjeux du Référendum, Montréal, Éditions Québec-Amérique, 1979, page 36.

* 114 Denis Monière, L'indépendance, Montréal, Éditions Québec-Amérique, 1992, page 74.

* 115 Cf. annexes, Graphique n°1, page 17.

* 116 Annette Paquot et Jacques Zylberberg, « Lexique flou d'un Québec incertain », in École Nationale Supérieure de Saint-Cloud, Actes du 2ème colloque de lexicologie politique, Colloque organisé à Saint-Cloud du 15 au 20 septembre 1980, Paris, Librairie Klincksieck, Institut national de la langue française, 1982, pages 577 à 594.

* 117 Denys Arcand, Le confort et l'indifférence, l'échec du référendum de 1980. La fin de la Révolution tranquille, in Denys Arcand : L'oeuvre documentaire intégrale, Office national du film du Canada, 2004.

* 118 Denis Monière, L'indépendance, Montréal, Éditions Québec-Amérique, 1992, pages 83-84.

* 119 Cf. Jacqueline Picoche, Dialectique du vocabulaire français, Paris, Nathan, 1993, 206 pages.

* 120 Cf. Denis Monière, « Les mots du pouvoir. Cinquante ans de discours inauguraux au Québec (1944-1996 ) », in Le « programme de gouvernement » un genre discursif, Lexicométrica - Mots, n°62, mars 2000, 13 pages.

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