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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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Les conditions de production

Prenons enfin les conditions de production comme un facteur majeur d'influence sur le discours. En France comme au Québec, le processus d'écriture et le choix de l'angle pour aborder certains aspects se décline de la même manière.

Discours majeur, celui-ci est envisagé à long terme, et son processus de construction débute au minimum deux mois à l'avance. Nous mobiliserons particulièrement l'exemple de la rédaction des discours de Jean Charest en 2003 et 2006 dont nous avons pu connaître les détails et dont le processus reflète d'une manière générale la construction de la plupart de ce genre de discours76(*). Ainsi, de nombreux acteurs apportent leur contribution lors de la préparation.

Tout d'abord, signalons que les discours ne sont jamais écrits par le Premier ministre en personne, mais ils sont délégués à des conseillers en communication que l'on nomme parfois « nègres », « plumes de l'ombre » ou « speechwriters »77(*). Ces individus travaillent souvent au sein même du cabinet ministériel, mais ils choisissent parfois de travailler à domicile en tant que consultants pour s'éloigner de toute forme de pression. C'est le cas de Pascal Servant qui a rédigé le discours de Jean Charest en 2003. On retrouve généralement chez ces conseillers le même type de parcours : hommes de lettres, ils ont souvent été journalistes, et leur passion pour l'écriture les a conduit à assister les mots du pouvoir. Prenons l'exemple de Jean-François Lisée, ce « speechwriter » de Jacques Parizeau puis de Lucien Bouchard est directement issu du journalisme. Pigiste pour Le Monde, Libération et l'Express, il fut ensuite correspondant à Washington pour La Presse, et l'Événement du Jeudi. L'actuel directeur du centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal passa de la plume à l'action en 1994, et son rôle évolua en celui d'un conseiller stratégique.

La conception du discours est initiée par le Premier ministre ou par son chef de cabinet. En France et au Québec, le professionnel de l'écriture rencontre généralement le politicien afin de se placer sur la même ligne et de lui proposer un parcours intellectuel dans le traitement des thèmes principaux. Dans le cas de Jean Charest, le processus de construction revient à l'initiative de Stéphane Bertrand son chef de cabinet. Selon ses proches collaborateurs, Jean Charest est négligeant vis-à-vis de ses discours et délègue bien volontiers cette tâche ardue à son entourage. À l'opposé, Lionel Jospin donnait une place centrale à ses moindres propos et veillait avec une attention perfectionniste à disposer de discours d'une grande qualité. Il imposait d'ailleurs à ses équipes de nombreuses relectures et retravaillait lui-même longuement les discours.

Une fois le départ donné, le discours est sans cesse travaillé et remodelé. Le conseiller en communication commence par produire un squelette du discours, puis une version rédigée. Richard Vigneault souligne que son objectif lors de l'écriture est de « donner de l'altitude, un Premier ministre doit voler haut ». Ces véritables auteurs se fixent des objectifs élevés et prennent beaucoup de temps pour lire, réfléchir, et s'imprégner du contexte d'énonciation avant de se lancer dans la rédaction. 

Outre la fonction d'écriture, de très nombreux intervenants participent à l'élaboration du contenu des discours. Le moteur central de cette dynamique est le couple constitué par le chef de cabinet et le directeur des communications. Mais se greffent ensuite les nombreux spécialistes de domaines connexes. Ainsi, les rédacteurs des discours feront appel à l'expertise du conseiller économique, du directeur des politiques, du responsable des relations extérieures, de la personne qui s'occupe des dossiers jeunesse, emploi... Chacun vient apporter sa contribution ou une relecture pour valider la pertinence du propos. Notons qu'au Québec les députés et futurs ministres viennent quémander une phrase à leur égard afin de disposer d'une caution institutionnelle du Premier ministre. Au final, pour le discours de Jean Charest en 2006, pas moins de soixante personnes seront intervenues sur un discours qui aura évolué à travers quatorze versions différentes, la dernière étant finalisée quelques minutes avant la déclaration.

Il convient maintenant de s'interroger sur l'aspect personnel du discours, comment pouvons-nous l'attribuer à un Premier ministre qui ne l'a même pas conçu ? On ne peut nier que le Premier ministre ne tient pas une place majeure, mais il s'approprie tout de même son discours. Tout d'abord, il faut souligner que les conseillers en communication s'imprègnent du « parlé » du personnage afin de lui écrire un discours proche de sa personnalité. Dans le cas de Jean Charest, son conseiller Pascal Servant souligne qu'il essaye de capter un style en fonction de la manière dont s'exprime le politicien. Il avait dans ce cas la consigne supplémentaire d'écrire des phrases courtes. Lors des relectures et jusqu'à la dernière minute, le Premier ministre impose certains changements de style et de termes. C'est ainsi que Denis Monière a démontré que les deux discours d'ouverture de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, bien qu'ayant été écrits par la même personne (en l'occurrence Jean-François Lisée), sont bien emprunt du style personnel du Premier ministre. Il a prouvé en comparant avec des exercices de conférences de presse que le chef du gouvernement s'appropriait réellement son texte.

Bien que le discours soit lu à partir d'une version rédigée et non à partir de notes, il est fréquent qu'un orateur « sorte » de son texte. Souvent, le Premier Ministre rajoute quelques éléments qui avaient été supprimés dans des versions antérieures en fonction du déroulement de son élocution et de son ressenti personnel. Ces hommes politiques disposent d'une très grande connaissance de leurs dossiers ce qui leur permet une aisance du propos. Cet aspect vient renforcer notre perspective associant réellement la parole à son orateur. Par exemple, Jean Charest est sorti de son dernier discours durant une quinzaine de minutes. Il s'agissait d'anecdotes vécues lors de récentes tournées dans les régions. Pour son conseiller en communication, ce fait relève d'une volonté de l'homme politique de « faire le pont avec son auditoire ».

Nous venons donc de démontrer qu'il existe des contraintes institutionnelles sur les discours. Un état de la littérature a permis de dresser un panorama des déclarations gouvernementales en général, puis nous avons pu réduire l'analyse au cadre du Québec et de la France. Une contextualisation historique a permis de nous familiariser avec deux régimes politiques distincts dont l'évolution politique récente est bien différente. Au terme de ce premier chapitre, il faut remarquer que des contraintes pèsent sur les deux discours, mais celles-ci ne sont pas les mêmes. Cependant, elles agissent par un mécanisme similaire sur des variables que partagent les deux types de discours étudiés. Ainsi, nous retrouvons un propos réalisé d'une manière équivalente sous une forme programmatique, destiné à une énonciation d'assemblée dont les auditoires sont divers et multiples.

Désormais, nous allons démontrer empiriquement grâce au recours à la lexicométrie les effets de cette contrainte institutionnelle. En outre, le chapitre suivant nous permettra de mettre à jour tous les éléments réunissant les discours de notre corpus. Tout d'abord, nous mettrons à jour cette contrainte discursive avant de comparer les styles de chaque Premier ministre.

* 76 Sources : Patrice Servan, Plume de Jean Charest pour son discours inaugural de 2003, actuellement consultant en communication pour le parti Libéral ; et Richard Vigneault, auteur du discours inaugural de D.Johnson en 1994 et de Jean Charest en 2006 ; rencontre à Outremont, 31 mars 2006.

* 77 Emmanuel Faux, et al., Plumes de l'ombre, Les nègres des hommes politiques, Paris, Ramsay, 1991, 266 pages.

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