WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba

( Télécharger le fichier original )
par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu
Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 4. Discriminations, tensions et conflits de condition à Ngaba.

Après avoir, dans les sections précédentes, circonscrit l'environnement social des discriminations sociales, montré l'assignation statutaire qu'elles impliquent et les enjeux autour desquels elles se réalisent, il nous revient, dans la présente section, d'examiner leur impact sur les rapports sociaux.

Nous avons, dans le point précédent, montré que les rapports entre les différentes forces sociales se tissent sur fond des plusieurs contradictions. Les unes fondées sur des considérations matérielles, les autres sur les aspects culturels, les autres encore sur les valeurs ethico-religieuses. De toutes ces contradictions, celles fondées sur les considérations matérielles paraissent être principales et opposent les « nantis » et les démunis, mais l'aspect principal de cette contradiction principal semble s'articuler entre le pouvoir économique et le pouvoir culturel. L'essence spécifique de ces contradictions se trouve dans la recherche du prestige social et non dans la recherche de transformation de l'ordre social établi, générateur des discriminations sociales. Cette nature spécifique détermine celle des luttes dans le champ social et les stratégies que les acteurs mettent sur pied pour se procurer des positions favorables.

Les résultats de nos enquêtes sont explicites à ce sujet, 89,5 % des enquêtés ont affirmé que les discriminations génèrent les conflits sociaux dans leurs quartiers. Ces conflits consistent en des affrontements (relation antagonique) entre deux personnes (deux sujets se posant face à face comme des identités distinctes) pour le monopole d'une situation donnée.

4.4.1. Fondement des conflits.

Les réactions à l'infériorisation statutaire enregistrées au point précédent préludent (sont suggestives de) la conflictualité des rapports entre les personnes valorisées ou qui se valorisent et celles infériorisées. Les conflits dont question ici n'opposent pas des groupes sociaux structurés, avec des idéologies opposées, dont le terme est le changement de l'ordre social comme c'est le cas de la lutte de classes. Ils opposent essentiellement des individus ou, à la rigueur, deux familles qui s'affrontent dans une double logique d'humanisation de soi et de déshumanisation de l'autre. Le noeud de ce type de conflit réside dans la disparité des conditions d'existence qui crée les frustrations dans le chef de ceux qui ne trouvent satisfaction à leur besoin primaire que difficilement, et l'arrogance ou la prétention chez ceux qui se tirent facilement de l'affaire. C'est ainsi que certaines personnes, du fait de leur avoir matériel, cultivent un complexe de supériorité et une arrogance qui, finalement, narguent tous les voisins. Dans leur vécu quotidien, ils se distinguent par un comportement ostensible qui doit témoigner de leur réussite sociale. Ils doivent montrer qu'il n'y a que eux qui mangent mieux (la viande), qui s'habillent bien, qui font étudier leurs enfants dans des écoles renommées, etc. D'autres, par contre, du fait de la misère dans laquelle ils vivent depuis des nombreuses années (les démunis) finissent par développer un complexe d'infériorité tel qu'ils trouvent dans la conduite de ceux qui ont un train de vie, même moyen, un certain orgueil. Ces attitudes antinomiques recèlent en soi les germes de conflictualité qui n'attendent qu'un détonateur pour que le conflit éclate au grand jour. Les disputes se focalisent sur ce que l'un manque ou sur ce que l'autre a ou prétend avoir. C'est pourquoi nous les avons qualifiés de conflits de condition. Ils s'expriment par des violences qui brisent l'harmonie et la quiétude de la vie quotidienne.

Avant d'en examiner les modalités de manifestation, disons que ces conflits reposent sur deux fondements. D'abord, sur les catégories (critères) de perception et d'évaluation mises en oeuvre par les agents sociaux qui ne font pas toujours l'unanimité parmi eux. Nous avons vu, dans le tableau XIV que les enquêtés ont aligné trois critères d'évaluation sociale, à savoir l'avoir matériel, le niveau d'instruction, la moralité et la spiritualité. Il va de soi que des agents sociaux inclinent à faire prévaloir, dans leur propre évaluation et dans celle des autres, le critère auquel ils satisfont et rejeter ceux dont ils sont dépourvus. Il apparaît déjà, à ce niveau, que les propriétés pour mesurer la valeur sociale d'un individu sont des armes et des enjeux de lutte entre les agents sociaux. Ainsi, nous avons constaté au cours de nos investigations, que les personnes dotées d'un capital culturel important (niveau d'étude élevé) mais dépourvues du capital économique estimaient qu'une évaluation sociale objective devrait reposer sur le niveau d'instruction et non sur l'avoir matériel. Par contre, celles pourvues du capital économique mais dépossédées en capital culturel plaidaient en faveur de l'avoir matériel et récusaient le niveau d'instruction comme critère d'évaluation sociale. Les personnes pourvues à la fois en capital culturel et économique balançaient selon le cas entre ces deux positions. En face de personnes pourvues en capital culturel mais dépourvues en capital économique, elles font prévaloir leur avoir matériel alors qu'elles mettent en avant plan leur niveau d'instruction face aux personnes moins instruites. Mais celles dépourvues à la fois du capital économique et culturel s'inscrivent dans le critère de moralité et de spiritualité, par conséquent, rejettent l'avoir matériel et le niveau d'instruction comme critère d'évaluation sociale. Il en résulte qu'appliquer à une personne un critère d'évaluation auquel il ne répond que médiocrement est une déclaration de guerre, et donc, une cause de conflit. Comme nous pouvons le remarquer, l'enjeu majeur de la lutte à ce niveau est, ainsi que le dit P. Bourdieu, la représentation même du monde social et de la hiérarchie au sein du champ social109(*).

Ensuite, assigner une place inférieure à un individu par une évaluation négative de sa personne signifie pour lui une marginalisation, une déshumanisation ou encore une humiliation qui appelle de sa part une certaine agressivité au titre de réhabilitation de son image sociale ternie par cette infériorité statutaire.

Tout compte fait, au fond de ces conflits se trouve la représentation que les uns et les autres ont de leur situation. Ceux qui se considèrent ou sont considérés comme ayant réussi socialement, c'est-à-dire « les gens fortunés », exaltent leur bravoure grâce à laquelle ils ont réussit à se tirer de la misère qui lamine la masse des pauvres. Ils estiment que la situation de ceux-ci s'explique par leur paresse ou leur incapacité d'entreprendre des activités susceptibles de les sortir de la précarité. Ils dénoncent généralement l'illusion de certains diplômés des universités et instituts supérieurs en chômage ou de certains agents des services publics d'espérer en Etat qui ne leur procurera jamais un travail décent. Par contre, ceux-ci expliquent leur propre situation par la désorganisation de la société congolaise par l'élite politique qui empêche la redistribution équitable des richesses nationales. Et souvent, ils dénoncent, à leur tour, l'avoir mal acquis ou l'enrichissement illicite (par voie de fraude, de détournement, de sacrifices humains, de fétiches, etc.) dont se targuent ces « gens fortunés ». C'est dans cette justification-contestation de la condition sociale que se cristallisent la plupart des conflits vécus à Ngaba. Le décor des conflits étant déjà planté dans les dispositifs mentaux des uns et des autres, faits essentiellement des préjugés, toute situation est susceptible de les faire éclater De manière générale, ces conflits sont entretenus et alimentés par la rumeur, le colportage et les quolibets qui circulent entre les parties en crise.

* 109 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes », Art-Cit, p. 3.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe