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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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2. Forum externum et liberté de manifester sa religion ou sa conviction

Tandis que la première partie du paragraphe 1 de l'article 9 traite de la sphère interne de l'individu, libre de croire ce qu'il veut, et que cette liberté ne peut être restreinte sous aucun prétexte, la seconde partie du même premier paragraphe énonce le droit d'exercer ce qui est la conséquence extérieure de cette liberté, à savoir le droit de manifester sa religion ou sa croyance, et qui lui, peut être soumis à des restrictions (§2).

56 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. Récemment la Cour a repris ce dictum dans l'affaire Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007, HUDOC, §78

57 Voir aussi EDGE, Peter W, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues, 1995, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique (...) la liberté de man ifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques ou l'accomplissement des rites. »

La Cour mentionne donc en particulier quatre formes de manifestation d'une religion ou conviction, à savoir « le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Lorsque cette formule a été adoptée dans le texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'intention était d'y capturer l'ensemble des manifestations possibles d'une religion ou conviction.58 Si tel était touj ours le cas dans le cadre de la Convention européenne, la Cour serait amenée à avoir une interprétation large des manifestations protégées par l'article 9§1, et aurait tendance à examiner essentiellement les cas qui lui seraient présentés sous l'angle de la légitimité des ingérences à cette liberté de manifester sa croyance, autrement dit sous l'angle du paragraphe 2. Dans les faits, la Cour et la Commission ont adopté une attitude plus restrictive dans leur interprétation de l'article 9§1, estimant que cette liste était exclusive,59 et en donnant notamment un champ restreint au terme « pratiques », qui aurait le potentiel d'embrasser le plus vaste ensemble de manifestations.60

La liberté de propager ses croyances ne figure pas au rang des manifestations explicitement mentionnées et protégées dans cet article. Parmi les instruments internationaux des droits de l'homme, il n'y a guère que la Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1969 où celle-ci est mentionnée textuellement. L'article 12 du traité énonce en effet: « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de garder sa religion ou ses croyances, ou de changer de religion ou de croyances, ainsi que la liberté de professer et de répandre sa foi ou ses croyances, individuellement ou collectivement, en public ou en privé. »61 La Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou la conviction de 1981 et qui est le seul instrument universel traitant exclusivement de cette liberté, prévoit « la liberté d'écrire, d'imprimer et de diffuser des publications sur ces sujets ».62

58 Krishnaswami: Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et des Pratiques Religieuses, op. cit., p. 17

59 EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 105-107

60 Principalement depuis l'affaire Arrowsmith c. Royaume-Uni, de 1977-78 que nous allons aborder dans quelques lignes

61 Italiques rajoutées par l'auteur. En anglais: « the freedom to (...) disseminate one's religion or beliefs ».

62 Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration sur l'Elimination de toutes les Formes d'Intolérance et de

Discrimination Fondées sur la Religion ou la Conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981, article 6 d). Le

Comité des droits de l'homme reprendra à son compte cette phrase dans son Observation générale 22.

La Rapporteuse spéciale s'est également prononcée très clairement sur la question dans son rapport à l'Assemblée générale en 2005. « Nombre d'instruments de droits de l'homme stipulent que le droit de manifester sa religion permet notamment d'entreprendre de persuader d'autres de croire en cette religion, ce que soutient également le Comité des droits de l'homme ». « L'activité missionnaire est reconnue comme une expression légitime de la religion ou de la conviction et jouit par conséquent de la protection de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et d'autres instruments internationaux pertinents. Elle ne saurait constituer une violation de la liberté de religion et de conviction d'autrui si toutes les parties intéressées sont des adultes capables de raisonner et s'il n'y a aucun rapport de dépendance ou de hiérarchie entre les missionnaires et les destinataires de leurs activités ».63

Pour examiner dans quelles circonstances précises la Cour et la Commission ont estimé que la propagation de ces croyances était une forme de manifestation légitimement protégée par l'article 9, et évaluer dans quelle mesure la Cour et la Commission ont su être convaincantes dans leur raisonnement, nous nous proposerons d'analyser la jurisprudence des deux organes sur le sujet.

2.1 La propagation des croyances par l'expression verbale

Dans l'affaire Kokkinakis, la Cour a exprimé l'idée que le « témoignage en paroles et en actes, se trouve lié à l'existence de convictions religieuses ».64 Dans ce sous-chapitre nous nous intéresserons d'abord à savoir dans quelle mesure le « témoignage en paroles » a été considéré comme rentrant dans le cadre des manifestations protégées par l'article 9§1. Nous verrons que dans deux cas, la Commission a analysé les circonstances qui entouraient les affaires à travers le prisme

63 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir, Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de Conviction, A/60/399, 2005, §59, §67

Notons également que très récemment encore, la Rapporteuse spéciale réaffirmait cette position en déclarant que la propagation d'une religion ou d'une conviction et notamment « les activités missionnaires » était une forme légitime d'expression d'une religion ou d'une conviction, pourvu qu'elle soit en conformité avec l'article 18 §2 du Pacte qui prohibe toute forme de contrainte (« coercion » en anglais) en matière de conversion religieuse. JAHANGIR Asma, Speech held on the 25th Anniversary Commemoration of the Adoption of the 1981 Declaration on the Elimination of Intolerance and Discrimination Based on Religion or Belief, Prague, 25 November 2006 (disponible sur demande auprès de l'auteur)

64 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. On peut s'étonner du choix du terme « témoignage », qui est un terme religieux associé à certaines religions plus qu'à d'autres. La Cour aurait pu opter pour un terme plus neutre tel « propagation ». Le choix terminologique de la Cour et de la Commission, comme nous le verrons par la suite, illustre une lecture parfois christianisée de la liberté de religion.

d'une définition restrictive du terme pratique, tandis que dans deux autres affaires, examinées cette fois-ci par la Cour, la propagation des croyances a plutôt été rapprochée d'une forme d'enseignement. Dans les cas les plus récents, la Cour a préféré ne pas aborder la question sous l'angle de l'article 9, mais a privilégié l'article 10, protégeant la liberté d'expression et d'opinion.

2.1.1 L'affaire Arrowsmith et la propagation des croyances en tant que pratique

Arrowsmith c. Royaume Uni

La première affaire se rapprochant d'un cas de propagation de croyances a été traitée par la Commission en 1977-78. La requérante, Pat Arrowsmith, pacifiste convaincue, s'est vue condamnée au Royaume-Uni à 18 mois de prison, sur la base de la loi de 1934 relative à l'incitation à la désertion65. Elle avait en effet distribué des tracts aux troupes stationnées dans un camp militaire, les incitant à déserter ou à refuser d'obéir aux ordres si elles étaient envoyée en Irlande du Nord. Ces tracts donnaient des indications précises sur les moyens mis à disposition des soldats souhaitant déserter ou se démobiliser. Il y avait par exemple des indications sur comment et où obtenir l'asile politique, tout en prévenant aussi les soldats des peines encourues. Le but du tract figurait clairement en dernière ligne: « Nous qui distribuons le présent imprimé espérons que, d'une façon ou d'une autre, vous évitiez de prendre part aux massacres en Irlande du Nord. »66

Sous l'angle de l'article 9, la Commission commence par affirmer que le pacifisme est une conviction protégée par l'article 9§1 .67 Reste donc à savoir si le fait de distribuer des tracts pacifistes est également protégé par ledit article, en entrant dans le champ des manifestations de la conviction sous la forme d'une pratique. La Commission donne alors une définition restrictive du terme « pratiques », dont le champ, nous l'avons dit précédemment, est potentiellement le plus large parmi les quatre formes de manifestation énumérées à l'article 9, dans une formulation qui sera ensuite

65 En appel la peine fut réduite au temps qu'elle avait alors déjà passé en prison au moment de l'arrêt, à savoir près de neuf mois. Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §2

66 Ibidem, §12

67 « La Commission estime qu'en tant que philosophie et, en particulier, tel qu'il est défini ci-dessus [s'engager, en théorie comme en pratique dans une attitude consistant à réaliser ses objectifs, politiques ou autres, sans recourir à la menace ni à l'usage de la force contre tout être humain, quelles que soient les circonstances et même pour répondre à la menace ou à l'usage de la force], le pacifisme rentre dans le domaine d'application du droit à la liberté de pensée et de conscience. L'attitude du pacifiste peut donc être considérée comme une conviction (belief) protégée par l'article 9, paragraphe 1. » Ibidem, §69

citée à de multiples reprises:

« La Commission estime que le terme « pratiques », au sens de l'article 9, paragraphe 1, ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction. Certes, des déclarations publiques, proclamant d'une manière générale l'idée du pacifisme et exhortant à s'engager pour la non-violence peuvent être considérées comme une manifestation normale et reconnue d'une conviction pacifiste. Par contre, on ne saurait considérer comme protégés par l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de particuliers qui n'expriment pas réellement la conviction dont il s'agit, même s'ils sont motivés ou inspirés par celle-ci. »68

La Commission poursuit ensuite en démontrant que les tracts ne sont pas porteurs d'un message présentant des idées pacifistes en tant que tel. Il s'agit plutôt de conviction, découlant du pacifisme.69 Elle en conclut que les tracts n'expriment pas des idées pacifistes et que par conséquent il n'y a pas eu d'atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion.70

La Commission poursuit ensuite l'examen de l'affaire sous l'angle de l'article 10, estimant que l'ingérence du gouvernement à la liberté d'expression de la requérante était justifiée du fait qu'elle visait à protéger la sécurité nationale et la défense de l'ordre, et pouvait être considérée comme nécessaire dans une société démocratique. La Commission conclut donc à l'absence de violation des droits de la pacifiste.

Par son raisonnement, la Commission introduit l'idée qu'une pratique, pour être protégée par l'article 9, doit être intimement liée à la conviction. Par la suite, bien qu'elle n'ait pas utilisé expressément ce terme, cette jurisprudence interprétera cette condition comme signifiant que la pratique doit être une manifestation nécessaire pour le croyant, et non simplement une manifestation qui découle de ses convictions.71 Autrement dit, les requérants devront désormais prouver devant la Commission que la pratique était requise par leur religion ou conviction.72

68 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §71

69 Ibidem, §72-74

70 Ibidem, §76

71 Pour une analyse plus détaillée de la jurisprudence appliquant cette condition, voir EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 115-123, qui appelle ce critère « the Arrowsmith test ».

72 Ibidem, p.115. Dans son opinion séparée en partie dissidente, M. Opsahl critique l'introduction de ce critère de nécessité: « J'estime qu'on ne saurait généralement exclure du champ d'application de l'article 9 tous les actes déclarés contraires au droit interne lorsqu'ils ne sont pas nécessairement la manifestation d'une conviction, encore qu'ils en soient nettement inspirés », Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, opinion séparée en partie dissidente de M. Opsahl, §2

Le raisonnement appliqué dans cette jurisprudence est critiquable à bien des égards. Nous nous contenterons ici de quelques remarques qui s'intègrent dans le champ de notre problématique.

i. La Commission laisse entendre que la propagation d'une conviction au sens de l'article 9, est une pratique protégée par la liberté de pensée, de conscience et de religion, mais l'expression des idées découlant de cette conviction, les points de vue dans une situation concrète, l'actualisation de cette conviction, ne sont pas des formes de propagation reconnue. Ceci pose problème pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la délimitation entre les deux est difficile à exercer, spécialement par des juges, dont la fonction n'est sans doute pas de distinguer ce qui fait ou non partie des idées directement liées à la croyance en tant que telle. Rien qu'en considérant le cas d'espèce d'une manière un peu plus globale, la position adoptée par la Commission est fragilisée. En effet, comme le fait noter le juge Klecker, la Commission n'a pas suffisamment tenu compte de l'ensemble des faits dans lesquels s'inscrit l'action de la requérante. Car ce n'est pas seulement auprès des troupes britanniques que la pacifiste a été propager son opposition à la guerre, mais aussi au sein des rangs de l'IRA (Irish Republican Army), ce que la Commission omet de préciser dans son rapport. Or « rien ne saurait illustrer plus clairement une action pacifiste que ces appels lancés aux deux protagonistes pour qu'ils arrêtent le combat. »73

ii. Le second problème majeur que nous percevons dans cette approche est le jugement subjectif que la Commission est amenée à rendre pour déterminer dans quelle mesure il existe un lien suffisant entre la pratique et la conviction ou la religion en question. Dans la présente affaire, la Commission va à l'encontre de la position de la requérante, qui estimait que la diffusion du tract était pour elle un « impératif catégorique résultant de son long engagement en faveur de la cause pacifiste».74 Il nous semble dangereux pour la Commission de s'aventurer sur ce terrain. Ses prises de position risquent fort de paraître arbitraires, en l'absence de critères plus objectifs. Il nous semblerait largement plus souhaitable d'adopter une certaine souplesse dans la reconnaissance de pratiques protégées par l'article 9, et d'examiner ensuite l'ingérence étatique dans l'exercice de ce droit sur le plan du paragraphe 2, qui donne des outils permettant un raisonnement plus objectif, à partir du moment où le croyant considère, de bonne foi, que son attitude est une manifestation de sa croyance.75

73 Ibidem, Opinion dissidente de M. Klecker, §5

74 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, décision du 16 mai 1977, D. R. 8, p. 132

75 La Cour n'a pas hésité à remettre en question la perception par les croyants d'une situation qu'ils jugeaient contraire à

iii. Finalement, le raisonnement de la Commission tel qu'il a été adopté dans les affaires qui ont suivi Arrowsmith est générateur d'une protection inégale entre les religions, et au sein des religions. D'une part, en prenant le cas du thème qui nous préoccupe dans ces pages, lorsque la propagation des croyances est intimement liée aux prescriptions d'une religion ou conviction, tandis que pour une autre elle est juste un acte qui découle de la croyance, sans être un impératif dogmatique, les tenants de la première seraient protégés par l'article 9 dans leurs activités de propagation, tandis que les seconds ne le seraient pas. D'autre part, ce test favorise les religions bien établies, et dont les pratiques sont connues (et reconnues), et moins susceptibles de ne pas être considérées comme légitimes.76 Enfin, les courants minoritaires au sein d'une religion ou d'une conviction, dont les conceptions varient de celles de la majorité, et qui considèrent une pratique comme essentielle à l'exercice de leur croyance, alors que le courant majoritaire le voit autrement, ont peu de chance de se voir accorder la protection voulue par l'article 9.77

W. H. v. Sweden

Quelques années plus tard, la Commission aura une approche très différente dans la décision sur la recevabilité de l'affaire W. H. v. Sweden,78 affaire au demeurant fort peu connue. La requête du plaignant faisait suite à sa condamnation à une amende de 300 couronnes suédoises pour conduite contraire aux bonnes moeurs. En effet ce chrétien avait pris l'habitude de se placer devant une salle de cinéma pour y dénoncer le péché de fornication ou encore de s'opposer à la consommation d'alcool, cette fois-ci devant un magasin de vins et spiritueux. Ce n'est pas tant le contenu de son message que le fait qu'il l'exprimât de façon aussi bruyante, en criant de toutes ses forces - « comme une trompette », pour reprendre le verset du livre d'Esaïe (58.1) qui inspirait son action -, et qui troublait l'ordre public.

Connaissant la jurisprudence issue de l'affaire Arrowsmith, dont les faits ont une certaine similarité - le requérant est condamné après avoir tenté, sur la base de ses convictions, de

leurs convictions dans les affaires Efstratiou c. Grèce, n° 24095/94, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §31 et Valsamis c. Grèce, n° 21787/93, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §32. Voir en particulier les opinions dissidentes des juges Thór Vilhjálmsson et Jambrek qui estiment que la Cour doit accepter les assertions des requérants en matière de conviction religieuse lorsqu'elles sont faites de bonne foi.

76 EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 122

77 EDGE Peter, « The European Court of Human Rights and Religious Rights », International and Comparative Law Quarterly, vol. 47, 1998, p. 685

78 W. H. v. Sweden, n° 9820/82, decision, 5 October 1982 (non publiée)

convaincre ses interlocuteurs d'adopter un certain comportement conforme à ses valeurs -, l'on aurait pu s'imaginer que la Commission s'attachât dans un premier temps à examiner si l'attitude du requérant était une pratique entrant dans le champ de l'article 9§1.79 Pourtant elle ne s'est pas embarrassée d'une telle question. Ne faisant aucune référence à la jurisprudence, elle se contente, dans un argumentaire sommaire, de constater que le requérant a subi une ingérence à sa liberté de manifester sa religion. Elle ne se prononce pas sur la question de savoir de quelle forme de manifestation il s'agissait en l'occurrence, à savoir plutôt une pratique, ou bien un enseignement. Elle conclut finalement à l'irrecevabilité de la requête, jugeant que l'ingérence était légitime dans le but de protéger l'ordre public et les droits d'autrui.

Si sur le fond, l'examen de l'affaire sous l'angle de l'existence ou non d'une manifestation au sens de l'article 9§1 est une bonne nouvelle, la facilité avec laquelle la Commission renverse sa jurisprudence antérieure sans aucune explication est pour le moins déconcertante et regrettable. Le fait que la religion à laquelle adhère le requérant soit le christianisme, n'est peut-être pas étranger au fait que la Commission ait si facilement reconnu le comportement en question comme relevant des manifestations protégées par le droit à la liberté religieuse.

Van Den Dungen c. Pays-Bas

Pour l'affaire Van Den Dungen c. Pays-Bas, pourtant bien plus récente,80 la Commission revient à une approche similaire à celle qu'elle a adoptée dans l'affaire Arrowsmith. En effet, elle a déclaré irrecevable la requête d'un individu condamné à une injonction pour avoir abordé les visiteurs et les employés d'une clinique plusieurs fois par mois, en leur tenant des propos contre l'avortement, en leur distribuant des tracts qualifiant cette opération d'« infanticide » et leurs auteurs de « meurtriers », et illustrés par des photos de foetus avortés et des images du Christ. Nonobstant la similarité des faits avec ceux de l'affaire H. W v. Sweden, la Commission ne daigne pas mentionner une seule fois cette affaire. D'ailleurs elle se départit du raisonnement qu'elle y avait suivi en adoptant à nouveau une approche restrictive de l'article 9§1, rappelant qu'elle « a constamment déclaré que le terme « pratiques », au sens de l'article 9 par. 1, ne désigne pas n'importe quel acte

79 On se souvient que la Commission estimait dans l'affaire Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §71: « on ne saurait considérer comme protégés par l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de particuliers qui n'expriment par réellement la conviction dont il s'agit, même s'ils sont motivés ou inspirés par celle-ci. »

80 Cette affaire date de 1995, c'est à dire deux ans après l'affaire Kokkinakis, où la Cour a pourtant eu une approche très différente. La Commission ne fait aucun lien avec cette affaire, comme si les faits entre les deux affaires n'avaient absolument aucun rapport, ce qui nous paraît difficilement tenable.

motivé ou inspiré par une religion ou une conviction »81 et affirme sans autre explication, que dissuader des femmes d'avorter ne constitue pas l'expression d'une conviction au sens de l'article 9 de la Convention. Elle établira dans la suite de son raisonnement que le requérant a subi une ingérence à sa liberté d'expression (article 10), justifiée par la protection des droits d'autrui et nécessaire dans une société démocratique. Cette décision illustre bien les critiques soulevées précédemment. La logique de la Commission est difficile à saisir, et les raisons pour lesquelles les pratiques litigieuses ne sont pas une forme de propagation légitime ne sont pas présentées. Là encore, il nous aurait paru plus approprié de traiter de la question sous l'angle de l'article 9§2, en menant une analyse plus objective sur la nécessité de l'ingérence à la liberté religieuse.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard