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Les représentations du "devoir de mémoire" en contexte de démocratie plurielle: analyse de discours des leaders afro-descendants du Québec

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par Brice Armand Davakan
Université du Québec à Montréal - Maîtrise 2005
  

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3.1.2. L'altéro définition ou la construction de l'identité «noire»

Dans Mémoire et identité, Candau disait que :

Dans le cadre d'un rapport au passé qui est toujours électif, un groupe peut fonder son identité sur une mémoire historique nourrie des souvenirs d'un passé prestigieux, mais il l'enracine souvent dans un lacrymatoire ou dans la mémoire de la souffrance partagée. L'identité historisée se construit pour une bonne part en s'appuyant sur la mémoire des tragédies collectives (1998, Pp.147-148).

La tragédie collective qu'a été dans le passé l'esclavage et qu'est dans le présent le racisme, a forgé un sentiment d'appartenance qui a été retrouvé sous des formes diverses dans tous les discours des leaders africains et afro-descendants interrogés. Les leaders ont donc essayé de montrer au moyen de statistiques ou d'anecdotes que la situation défavorable vécue par les Québécois «de peau noire» n'est pas assimilable à une conjoncture sociale généralisée, mais est plutôt l'effet conjugué de pratiques historiques et sociales qui leur ont été (et leur sont encore) préjudiciables. Évoquant pêle-mêle le taux de chômage élevé par rapport à la moyenne canadienne, contre un taux de scolarisation plus élevée que la moyenne canadienne ; évoquant la surreprésentation en milieu carcéral et la sous- (ou la non-) représentation politique, les leaders expliquent cette situation en ces termes :

On ne peut pas dire que c'est un problème social seulement. Parce qu'il y a une spécificité qu'on retrouve chez les communautés noires que pour le moment, elles sont les seules à subir, c'est-à-dire les conséquences conjuguées, donc de retombées directes ou indirectes de l'esclavage, du colonialisme et du racisme que tous les peuples noirs ont subi à des degrés variables, dans l'espace et dans le temps (AFR02).

Nous avions ainsi découvert qu'une autre forme identitaire apparaissait en soubassement de tous les autres paliers identitaires relatifs que sont les identités tribales ou ethniques, nationales ou géopolitiques. Cette autre forme identitaire s'articule et se développe chaque fois que le problème d'intégration sociale ou l'insertion professionnelle se pose, même dans les discours de leaders opposés à toute mobilisation sociale sur une base «raciale». Les leaders diront par exemple :

Nous sommes encore une société où les gens sont discriminés sur leur apparence physique, sur la couleur de leur peau, et les Noirs le savent très bien. Et donc, quelque part, le regard de l'autre nous renvoie à une identité africaine canadienne. Donc, quelque part, Sénégalais, Jamaïcains, Noirs anglophones, Noirs américains, Haïtiens... se retrouvent tous dans une identité qui est, je dirais, définie comme noire. Et donc, évidemment, quand ils font face à des discriminations dans le logement, ce n'est pas comme Haïtiens, c'est comme Noirs. Quand ils ont des discriminations dans l'emploi, ce n'est pas seulement comme Haïtiens, c'est comme Noirs. Donc, quelque part, se donnent aussi une identité, une autre forme d'identité, c'est-à-dire en fait nous sommes tous... mais même comme Haïtiens, nous sommes des descendants d'Africains (HTI02).

L'autre indicateur de cette identité de base est l'identification quasi systématique des leaders à Mathieu Da Costa ; identification fortement articulée aussi bien chez les leaders d'origines haïtienne, africaine, que chez les Afro-canadiens anglophones ou de vieille souche. Ils affirment travailler à la reconnaissance de sa contribution en tant qu'interprète aux côtés de Samuel de Champlain. De même, les leaders ont tous affiché leur fierté d'avoir revendiqué et obtenu la réhabilitation de Marie Angélique - esclave noire appartenant au montréalais François Poulin - qui fut amputée et pendue au printemps 17349(*). Nous reviendrons sur cet aspect dans le prochain chapitre, qui porte sur le contenu de la mémoire collective des Africains et Afro-descendants de Montréal. Mais on peut déjà établir l'existence d'une identité «noire», identité racisée et plus ou moins accentuée selon la revendication sociale formulée ou encore selon la trajectoire historique du leader ou celle de son pays d'origine. Cette identité est activée chaque fois qu'une revendication vise un certain redressement de la situation sociale due aux préjudices de l'histoire. Ainsi, tel leader haïtien, foncièrement hostile à toute référence à l'identité «noire» va pourtant affirmer : « Je crois que ce sont des choses qu'il faut dire, et qu'il faut prendre le temps de les exprimer clairement. Parce qu'être Noir de la région de Montréal demeure toujours une grande difficulté.» (HTI01) Mais ce consensus autour d'une communauté d'action ou de défi (par opposition à une communauté sociale réelle) se heurte à l'émergence actuelle du sujet et de sa vocation autonomiste. En effet, les communautés dites «noires» n'échappent pas au phénomène de l'individualisme et au besoin des individus de se démarquer et de se soustraire à l'emprise du communautarisme. Ce phénomène bien expliqué par la sociologie de l'action s'est illustré parfaitement chez les Afro-descendants du Québec.

* 9 Lire, The freedom seekers: Blacks in Early Canada de Daniel Hill (1992), p.91.

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