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Les représentations du "devoir de mémoire" en contexte de démocratie plurielle: analyse de discours des leaders afro-descendants du Québec

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par Brice Armand Davakan
Université du Québec à Montréal - Maîtrise 2005
  

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3.2. La réification identitaire et ses défis

L'affirmation d'une identité collective afin de légitimer les revendications sociales se trouve confrontée à une sorte d'«implosion des causes», elle-même due à l'implosion des identités observée depuis les années 60. C'est que la logique de rejet de la domination, logique d'affirmation identitaire initiée par le mouvement noir des années 50 s'applique aujourd'hui à l'intérieur du mouvement lui-même (pour peu qu'on puisse encore l'appeler «mouvement»), où les subjectivités individuelles ne peuvent plus être endiguées au profit d'une cause collective.

3.2.1. Le sujet et son autonomie

Le principal défi à la mobilisation sociale en tant qu'Afro-descendants à Montréal, c'est la pluralité, la différentiation ou la polarisation interne de ce groupe. Un leader affirme par exemple que

Être noir, dans un premier temps, ça ne veut pas dire que je dois épouser toutes les causes des Noirs. Parce qu'il y a une tendance aussi non négligeable, c'est que tous les Noirs devraient se connaître, tous les Noirs devraient s'aimer. C'est ça dans la croyance populaire. Parce qu'étant donné que nous avons subi les mêmes choses, nous avons mené les mêmes luttes, mais nous avons oublié que nous avons grandi dans des pays différents ; quels que soient les sévices que nos arrière-arrière grands-parents ont subis, on ne méprise pas cette situation-là ; c'est un certain corollaire qui va nous permettre de nous entendre davantage. Mais je n'ai pas l'obligation de soutenir quelqu'un parce qu'il est Noir (HTI01).

Cette démarcation, cette dissociation vis-à-vis de certaines causes «raciales», ou cette relativisation de l'intérêt collectif, est justifiée de plusieurs manières :

- par la particularité des besoins (Noire, oui, mais surtout Femme noire ; Noirs oui, mais aussi Anglophones dans un pays francophone...),

- par une volonté d'autonomie,

- par un pragmatisme intéressé, semble-t-il, en raison des avantages financiers (subventions) accordés en préférence aux acteurs sociaux communautaires par les instances municipales, provinciales ou fédérales, plutôt qu'aux mouvements sociaux «racisés», qui sont moins soutenus par ces paliers de gouvernement.

Alors, ces auto-démarcations sont tantôt légitimées :

Quand on vient me dire que la communauté Noire est divisée, je dis aux gens: mais regardez-vous, par exemple: est-ce que le Québec est uni? Je dis il y a 50% des Québécois qui veulent l'indépendance et 50% qui ne veulent pas: est-ce que vous êtes divisés?. Je dis pourquoi en serait-il autrement de la communauté haïtienne? Ou bien dans les communautés noires? Pourquoi en serait-il autrement? Vous voulez que nous soyons unanimes tandis que vous, vous ne l'êtes pas. Et puis ce qui est difficile à accepter, c'est que nous le croyons. Ou bien la majorité d'entre nous le croient. Mais moi je ne le crois pas. J'ai droit à mes dissidences (HTI01).

Mais aussitôt, et à l'intérieur du même discours, ces dissociations sont déplorées :

Dans la communauté noire, il y a un grand travail. Ce travail là, malheureusement, il ne sera pas fait parce qu'il va toujours y avoir des gens qui sont d'opinion différente, tant et aussi longtemps que les gens n'admettront pas qu'il y a une réalité première, qui dit que nous sommes Noirs et nous sommes différents, et que nous avons le droit de discuter des choses qui nous concernent de manière différente, pas pour plaire, mais juste pour revendiquer (HTI01).

Cette apparente contradiction pourrait s'expliquer par une volonté de pragmatisme qu'illustre bien le raisonnement de cet autre leader :

Force commune, mobilisation... Pour faire quoi? Ça dépend pour faire quoi, ça dépend des objectifs. Il y a certains dossiers qui probablement vont nécessiter que les Africains et Afro-descendants se mettent ensemble, pour faire avancer, comme il y a d'autres dossiers qui sont carrément spécifiques. [...] il y a certains sujets qui ne sont pas d'un côté ou de l'autre, des préoccupations qui ne sont pas des préoccupations communes. [...]. Donc il va falloir se mettre ensemble pour faire quoi? Ça peut être important qu'on se mette ensemble sur des dossiers qui concernent tous... parce que les besoins des communautés sont très différents (HTI04).

Par endroits aussi, comme la logique de différenciation ou de pragmatisme, le rejet de la rhétorique holiste se fonde aussi sur le réalisme :

Je n'ai pas cherché à assumer un rôle spécifique concernant les communautés ; parce qu'il faut partir du raisonnement logique: quand on part de chez nous, on est déjà divisé. En Afrique, il n'y a pas d'unité là-bas. Chacun, finalement se reconnaît dans son ethnie propre. Donc il n'y a que peut-être le Français et le gouvernement qui nous regroupent, mais quand on rentre spécifiquement dans certains détails, c'est fini: chacun se retrouve dans son ethnie. Donc je ne crois pas à cette histoire de regroupement là. Moi je trouve que c'est utopique de penser qu'ici au Canada, on pourra parler de regroupement (AFR03).

D'autres raisons sont avancées, comme l'objectivité :

Je rentre dans une concertation pas parce que je suis noir, je rentre dans une concertation parce qu'il y a une problématique, il y a un problème qu'on veut résoudre... C'est arrivé que je suis Noir: c'est correct. Vous aussi vous êtes Noirs, mais vous venez du Congo, comprenez-vous? Ce que vous avez vécu au Congo, c'est pas ça que j'ai vécu en Haïti. Vous êtes né à Montréal. Ce que vous avez vécu à Montréal. Ce n'est pas ça que j'ai vécu (HTI01).

Finalement, ce rejet de l'unanimisme communautaire pose un réel défi à l'action collective, notamment celle de l'alliance tripartite Anglophones, Haïtiens et Africains qui mène des négociations politiques en faveur des Afro-descendants du Québec. Les leaders semblent avoir fait le constat de n'être unis que par la couleur de peau, l'histoire de l'esclavage et son corollaire qu'est le racisme, et enfin par la discrimination et les préjugés raciaux. Et l'on peut alors se demander si ces réalités constituent une cause assez forte pour susciter l'action collective. Pour toute réponse, on peut mentionner que la totalité des leaders interrogés souhaitaient la formation d'un lobby d'Afro-descendants pour l'action collective.

En effet, pour surmonter la polarisation interne, les mêmes leaders cités plus haut, qui sont ouvertement autonomistes, vont évoquer les vertus de l'unité et de la cohésion, que sont la conciliation et la concertation:

... moi j'aurais aimé par exemple qu'il y ait plus de concertation. Je comprends que pour faire de la concertation, il faut en prendre et il faut en laisser, parce que concerter signifie laisser votre stratégie principale et adopter la stratégie du groupe d'ensemble (HTI01).

Mais lorsque les vertus de la conciliation ne sont plus suffisantes, d'autres leaders y ajouteront l'efficacité de l'action collective et concertée :

Sans renier d'où je viens, même à travers [mon pays], il y a des tribus et tout. Je sais d'où je viens. Mais je pense, quand on est dans une société comme celle-ci, il faut vraiment viser ce qui nous réunit. [...] Y a plusieurs communautés africaines. Mais il faudrait qu'on quitte ce cercle-là... mono-ethnique: Sénégal, Guinée, Congo, Cameroun,... Ça n'empêche pas que tu aies tes appartenances nationales, ou de pays, ou tribales, mais je pense, à un niveau supérieur... comment tu vas faire un lobbying avec juste des Sénégalais? Ça fausse les données. Alors que si on fait un lobbying des Africains, il y a de tout, on accepte tout le monde... tout le monde se sent interpellé. Et même au niveau du gouvernement, c'est plus facile pour gérer et même pour les revendications. Sinon chaque pays va faire ses revendications: où est-ce qu'on va s'en sortir? (AFR04).

La cause semble être plus entendue chez les Anglophones que chez les francophones. Les leaders anglophones interrogés dans cette enquête, ont surtout affiché une tendance à minimiser l'origine nationale au profit d'une identité «noire». Alors, la quête de l'homogénéité est plus prononcée dans leur groupe :

I think that as Black people, regardless of where our country of origin is... I think what we've come to realize in our dialogue with our brothers and sisters from Africa or Haiti, is that as Black people, be it French, English, or African, we all have, for the most part, the same issues. The issues of racism and discrimination, the issues of the lack of equal access to opportunities, to resources, to jobs,... we have similar issues, and we meet to discuss those common issues (ANG02).

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