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Les représentations du "devoir de mémoire" en contexte de démocratie plurielle: analyse de discours des leaders afro-descendants du Québec

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par Brice Armand Davakan
Université du Québec à Montréal - Maîtrise 2005
  

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CHAPITRE I

CONTEXTE, PROBLÉMATIQUE ET RECENSION DES ÉCRITS

Ce premier chapitre évoque d'abord le contexte historique et les conditions sociales qui ont inspiré notre recherche. Il montre comment et pourquoi la notion de «devoir de mémoire» a fait irruption dans les champs de recherches en sociologie. Il sera ensuite question de présenter la problématique du «devoir de mémoire», les liens qui relient les différentes questions suscitées par l'usage politique de la mémoire collective. Enfin, ce chapitre propose une recension des écrits publiés comme appels de mémoire, d'une part pour les différents crimes collectifs commis à travers le monde, et d'autre part pour la trajectoire historique propre aux Africains déportés ou émigrés dans les Amériques. Il n'aborde pas les écrits théoriques sur la mémoire collective ; cette catégorie sera abordée dans le cadre d'analyse, au second chapitre.

1.1. Contexte historique et social.

Un vaste débat s'est amorcé à l'échelle internationale depuis la «Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée», conférence tenue à Durban, en Afrique du Sud, du 31 août au 8 septembre 2001. La singularité de cet événement est que, pour la première fois, et en l'espace d'une semaine, les opinions publiques à l'échelle mondiale ont eu la sensation d'une soudaine résurgence en chasse-croisée, de plusieurs mémoires collectives sur la scène politique internationale. La Conférence de Durban apparut comme un «concert» mondial et médiatisé des «revendications de mémoire» qui, au fond, avaient cours depuis la fin de la seconde Guerre. En particulier, la dernière décennie du XXe siècle fut féconde en écrits, sur la mémoire collective, sur son processus de reproduction, et surtout sur sa sollicitation dans les constructions identitaires, les revendications sociales et politiques qui en découlent.

En effet, la fin du siècle et du millénaire passé avait suscité un foisonnement d'interrogations et d'analyses rétrospectives dans toutes les disciplines, une mobilisation intellectuelle probablement due au besoin partout ressenti de «faire le point». Or, si le siècle et le millénaire sont passés, les «passés», eux, n'ont fait que ressurgir. C'est que, le bilan du XXe siècle montre qu'il fut particulièrement marqué par des horreurs : deux guerres mondiales, Hiroshima, la Shoah, Staline, le Vietnam, les génocides arménien, cambodgien, et rwandais, pour ne citer que les mieux connues. Le besoin de penser un nouvel ordre dans l'après guerre froide et la «fin des idéologies», et cependant celui de bâtir une éthique durable dans les relations internationales ou inter-identitaires, celui de faire une histoire nouvelle sur les leçons des horreurs passées... vont donner lieu à des débats où s'affrontent des principes philosophiques et éthiques apparemment inconciliables. D'aucuns parlent de «Globalisation de la mémoire», et les demandes de mémoires vont même déborder le cadre du XXe siècle, pour toucher désormais des crimes plus anciens comme l'esclavage des populations africaines, l'extermination des Amérindiens et bien d'autres. Huglo et Méchoulan (2000) ont fait de ce phénomène la critique suivante :

On protège la mémoire comme une espèce en voie de disparition, alors même que, aujourd'hui, ce que l'on se plaît à nommer « devoir de mémoire » sonne parfois comme une publicité pour brocanteurs. L'État trouve son compte à investir dans les commémorations et le patrimoine au moment où les plans quinquennaux et les projets de société font faillite. Avec le passage d'un siècle à l'autre, l'appétit pour le passé rassure plus qu'il n'inquiète. On a de temps en temps l'impression que l'on veut se souvenir du passé pour mieux oublier l'avenir. Pourtant, le devoir de mémoire signale aussi l'enjeu profondément éthique de notre relation au temps, par delà les événements de notre siècle que nul ne saurait oublier. En un sens, cet enjeu éthique métamorphose le temps en mémoire - c'est à dire en mémoire collective (p. 8).

Ainsi, la notion de «devoir de mémoire», originellement évoquée pour désigner la prescription morale de se souvenir des préjudices subis par certains groupes dans le passé, va entraîner des significations politiques et sociales qui sont encore objets de débats dans plusieurs disciplines dont notamment la sociologie, les sciences historiques, et les sciences politiques. Par exemple, en sociologie, de nombreux chercheurs s'interrogent maintenant sur la mémoire collective, son processus de reproduction, et surtout sa sollicitation dans les constructions identitaires ainsi que dans les revendications sociales et politiques qui en découlent.

Parlant de «mémoire collective», celle de la société canadienne, comme celle des États-Unis, est directement issue de la conquête des Amériques par les colons français et anglais, conquête menée avec ses effets de violences, de déportation, d'esclavage et d'extermination. Or l'histoire du Canada se démarque de celle de son voisin du sud à maints égards : la loyauté à la couronne britannique, la moindre envergure de son système esclavagiste, le refuge accordé aux esclaves fugitifs, mais aussi la domination politique de sa minorité francophone...

Aujourd'hui au Canada, et comme l'a constaté Foster (1996), on croit communément qu'«on ne claque pas la porte au nez de personne pour sa couleur de peau», car le Canada est potentiellement la plus grande terre de prospérité pour tous les peuples à l'intérieur de ses frontières. On précise que le Canada n'a jamais pratiqué un racisme battant et ouvert comme aux États-Unis, en Europe et même dans certaines parties de l'Afrique ou des Caraïbes. Le Canada est perçu comme une douce et tendre terre d'accueil pour les minorités, un pays où les droits humains ont eu le dessus par la persuasion plutôt que la confrontation. Mais en réalité ...

« Unfortunately, the prevailing view provides no real answers to the questions associated with what it is really like to be black in Canada, to be a young boy or girl walking in the streets of major Canadian city, who live by the credo that despite their place of birth, they are really transplanted Africans first and Canadians second. Sometimes even Blacks unwittingly buy into this perception and can be shocked by the truth. We tend to forget how Canadian we have become, but that, alas, we might never be considered as fully Canadian » (Foster, 1996, p. 32).

Ce constat s'est avéré exact selon le rapport de l'enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne (2003) qui établit qu'il existe encore dans plusieurs institutions ontariennes, y compris le système judiciaire, la pratique de profilage racial, qui est «une forme de stéréotypage sous l'angle de la race» (p. 11), avec son effet débilitant et traumatisant pour les victimes, appartenant souvent à la communauté des minorités dites «visibles». En conséquence,

L'enquête de la Commission sur le profilage racial révèle que les membres de ces communautés ne se sentent pas citoyens à part entière de notre société. Et ce sentiment existe non seulement chez des immigrants de fraîche date, mais encore chez des personnes dont la famille est établie ici depuis de nombreuses générations. Une foule de participants ont déclaré se sentir inférieurs ou dévalorisés sur le plan de l'appartenance à la société depuis qu'ils ont été victimes de profilage. C'est un sentiment humiliant, déshumanisant (p. 36).

Cette conclusion de la Commission crée le contexte social de notre recherche. Celle-ci est initiée dans un contexte historique où, la vague de revendications de mémoires déclenchée depuis la Shoah, et qui a connu son paroxysme à Durban en 2001, va soulever chez les Africains et Afro-descendants du monde entier, tantôt le problème du racisme qui persiste, tantôt le problème de la pauvreté et de l'endettement de l'Afrique, avec autant de représentations du « devoir de mémoire».

Les lignes qui suivent présentent le débat sur le « devoir de mémoire », à travers les réflexions et les études qui y sont menées. Nous y proposons d'abord un tour d'horizon des principaux appels de mémoire menés à travers des écrits scientifiques dans le monde. Ensuite, nous déboucherons sur le cadre précis du Québec où est menée cette recherche.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery