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Les représentations du "devoir de mémoire" en contexte de démocratie plurielle: analyse de discours des leaders afro-descendants du Québec

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par Brice Armand Davakan
Université du Québec à Montréal - Maîtrise 2005
  

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1.2.2. En Afrique et chez les Afro-descendants des Amériques.

La question du «devoir de mémoire» se pose différemment chez les Africains, les Afro-descendants de la Caraïbe et les Afro-américains des États-Unis. Selon la trajectoire historique particulière de ces ensembles anthropologiques et géographiques, l'accent est mis plutôt sur la colonisation, sur l'esclavage, ou encore sur l'apartheid, le racisme et les discriminations.

En Afrique, les tentatives d'obtention de réparations pour l'esclavage et la colonisation sont relativement récentes. Marc Ferro signale qu'

à la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité - devoir de mémoire - s'ajoute la demande d'excuses et de réparations - dette morale et financière ; c'est ce qui ressort des proclamations de la Conférence mondiale sur les réparations à l'Afrique et aux Africains de la diaspora, organisée en décembre 1990 à Lagos (Nigeria), et de la Conférence panafricaine de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) qui s'est tenue à Abuja (Nigeria) en 1993 (Ferro, 2003, p. 763).

Cependant, comme dira Théophile Kouamouo, si les pays occidentaux et les États-Unis font front commun contre les réparations,

Le front des pays africains quant à lui n'est pas uni. Les anglophones, comme le Ghana et le Nigeria, défendent une position maximaliste (le versement intégral d'indemnités sous la forme de transfert de capitaux et/ou d'annulation de la dette) tandis que les francophones se contenteraient d'une reconnaissance morale et de regrets. (cité par Ferro, 2003, p. 765-766)

En effet, le cas de crime collectif qui a gagné l'unanimité sur le «continent noir» est celui de l'Apartheid en Afrique du Sud, où on a d'ailleurs trouvé pour surmonter la haine raciale, une idée originale de «Vérité et réconciliation»; une formule qui peut être comprise comme une politique officielle de l'oubli. C'est pourquoi ce processus de pardon, à l'instar de l'admiration qu'il suscite, a été l'objet de plusieurs écrits à travers le monde. Lyn S. Greybill (2002) a essayé de déterminer ce qui fait l'originalité de ce processus ainsi que les conditions de son succès ; Deborah Posel et Graeme Simpson (2003) traitent à l'aide de cas précis vécus par la Commission Vérité et réconciliation, la philosophie et les défis de cette politique de l'oubli. Tina Rosemberg et Martin Meredith (1999) ont analysé cette expérience sud-africaine dans l'angle d'une stratégie de sortie d'une histoire traumatique. Les recherches scientifiques sur ses aspects juridique, politique, anthropologique et même théologique, etc. sont innombrables.

Mais il existe en Afrique un mouvement plus vaste, regroupant des intellectuels ou des hommes politiques francophones et anglophones qui demandent la reconnaissance et la réparation, pour la colonisation de l'Afrique et sa paupérisation engendrée par la «saignée» du continent vidé de ses forces productives par l'esclavage. C'est la revendication du Africa Reparation Movement1(*) basé en Angleterre. En marge des Mouvements, il faut mentionner aussi que des auteurs et penseurs indépendants militent en faveur de la réparation pour la colonisation.

Sur l'esclavage des «Noirs» dans les Amériques, c'est aux États-Unis qu'on observe les controverses les plus virulentes où s'affrontent, sans distinction de «couleur de peau», partisans et opposants de la réparation pour les dommages causés par l'esclavage.

Beaucoup d'intellectuels afro-américains interprètent l'«Affirmative action» comme une forme de compensation pour l'esclavage et les discriminations subies par les populations «noires» des États-Unis. Cette politique connaît de nombreux opposants comme Terry Eastland (1997). L'une des meilleures recherches sur le sujet vient de John David Skrentny (1996) qui a rendu compte de l'Affirmative action dans toute sa complexité, notamment en expliquant pourquoi cette politique ne peut que perdurer malgré l'opposition d'une majorité d'Américains. Il est précédé dans cette logique par Gertrude Ezorsky (1991), Cornel West (1996) et autres, qui croient que cette politique est susceptible d'améliorer à plus ou moins long terme, le sort des Afro-américains.

Mais la question du «devoir de mémoire» aux États-Unis se pose surtout en des termes symboliques ou juridiques : certains parlent de « reconnaissance » et d'autres de «compensation». Orlando Patterson (1997), se penchant sur les ressentiments qui motivent actuellement les demandes de réparation, reconnaît l'actualité de l'inégalité et des préjudices subis par les « Noirs » aux États-Unis, notamment sous forme de discriminations rencontrées dans l'emploi et le logement, situation qui justifierait le taux élevé de criminalité dans la communauté. Cependant, dit-il, on ne peut nier les progrès accomplis par l'ensemble des Américains sur la question raciale depuis plusieurs décennies et qui rendent indéniable la contribution afro-américaine à la culture et à la pensée des États-Unis (pp.17-18). Il suggère que l'«Affirmative action» est un pis-aller et qu'il faudra à terme, le dépasser au nom de la dignité des «Noirs». D'autres intellectuels afro-américains soutiennent plutôt fermement qu'une réparation est nécessaire pour rendre justice à l'histoire et améliorer la situation des Afro-américains. Robert Westley2(*) de Dayton University Law School considère que la réparation est la pré condition même de l'égalité sociale aux États-Unis, que des arguments juridiques militent pour ce but et qu'un régime d'indemnisation doit être conçu. Vincence Verdun, Lee A. Harris, ainsi que la députée de Géorgie Cynthia McKinney... pour ne citer que les plus connus, sont de cet avis. De même, dans un colloque tenu au Queen's University de Kingston (Ontario, Canada) sur le thème «Reparations : An Interdisciplinary Examination of Some Philosophical Issues» du 6 au 8 février 2004, Andrew Valls d'Oregon State University défendra fermement la réparation pour l'esclavage des «Noirs». Il a démontré comment de précieux acquis ont été réalisés ces cinq dernières années, notamment par la stratégie des revendications locales (auprès des compagnies ayant un passé esclavagiste, auprès des États et municipalités ayant profité de l'exploitation des «Noirs» etc.). Ces succès sont selon lui le début prometteur d'un processus de réparation dont la nécessité et la congruence se justifient plus que jamais :

« These developments in the state, local, and civil society arenas should, I think, be viewed positively by advocates of black reparations. They hold out the possibility of specific victories in attempting to achieve justice for particular crimes. They also may play an important role in raising the consciousness of Americans about the brutality of racial past, and may therefore be steps in the direction of more comprehensive, national approach to black reparations» (p.23)3(*).

Mais, selon lui, c'est du gouvernement fédéral que devra venir l'ultime et la plus complète réparation pour l'esclavage des «Noirs».

Par ailleurs, ajoute Valls, il ne faut pas entendre par réparation, ni mesure symbolique, ni compensation financière à des individus de « race noire ». Il suggère explicitement que «la notion de compensation, ou de réparation, soit ramenée à des mesures concrètes visant à améliorer le bien-être matériel» (p.15) de chacun des Afro-américains. Car au fond, les polémiques autour de cette question des réparations sont essentiellement dues à la forte tendance de certains acteurs, à évacuer, par une amnésie volontaire, la perspective historique de tout le débat et préconiser de simples politiques sociales «racialement neutres» (colour blinded). Or, au fond, la dimension historique de toute politique sociale serait irrécusable. Michael Brown (2003) de l'Université de Californie aux États Unis, ira plus loin en démontrant, la nature vaine de l'idée de neutralité raciale - Color-Blindness. Pour lui, il s'agit ni plus ni moins d'un mythe qui, a contrario, offre les conditions de perpétuation du racisme dans les institutions américaines. En effet, démontre t-il avec à la clé des statistiques récentes, on constate encore aujourd'hui aux États Unis que, même dans les domaines majoritairement occupés par les « Noirs » le leadership reste dans les mains des «Blancs».

Au Canada, on peut citer dans ce débat Paul E. Lovejoy (2000), connu pour ses analyses du lien entre identité «noire» et histoire de l'esclavage. Il faut noter aussi les études de Atsuko Matsouka et John Sorenson (2001), de James Walker (1979, 1985) qui se sont déjà intéressés à la construction de l'identité chez les «Noirs» du Canada.

En résumé, au Canada comme aux États-Unis, les revendications sociales des Africains et Afro-descendants sont très souvent rattachées à leur histoire. Mensah (2002) dira par exemple au sujet de la politique canadienne de l'équité en emploi:

« Employment equity was necessitated by the historical exclusion of Blacks and other minorities from the Canadian labour market, not by any perceived or real inability of minorities to compete on a level playing field. To the extent that these critics have chosen to ignore this fact by casting their attacks in an ahistorical fashion, their position is suspicious if not seriously flawed » (P. 255).

Comme nous le voyons, la complexité du «devoir de mémoire» a généré une littérature abondante à travers le monde, et la question se complexifie lorsqu'elle glisse vers le débat racial. Mais dans l'espace sociopolitique du Québec, la situation est encore plus singulière par rapport au contexte états-unien et canadien, parce qu'au débat ethnique ou linguistique va s'ajouter celui national, chacun des problèmes étant rattaché à une lecture particulière de la mémoire historique.

* 1 Site internet de cette association disponible au : http://www.arm.arc.co.uk/

* 2 Sa pensée est largement exposée sur le site de l'université au : http://academic.udayton.edu/race/02rights/repara02.htm

* 3 la pagination est celle de l'article en format pdf, disponible sur le site : http://www.queensu.ca/conferences/reparations/papers/Valls%20paper.pdf (Février 2004)

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault