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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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c) Le véhicule aménagé : reflet d'un mode d'habiter distinct et analogue.

Cet ensemble de compétences à habiter un logement mobile montre bien que les modèles sociaux et culturels ne sont pas immuables. On peut supposer que de nouveaux modèles sociaux sont ainsi en voie de constitution. Reste à savoir si les transformations observables relèvent ou non de nouveaux modèles. Pour Nicole Haumont, les communautés par exemple «existent de fait, mais ne sont pas actuellement une alternative au modèle culturel de la famille et de la sociabilité [É]» (1982 : 200).

En fait, on peut penser que les changements fondamentaux ne surviennent que lorsqu'un groupe social se constitue, affirme sa « vocation historique» et se dote de «modèles nécessaires à son existence» (Haumont, 1982: 200). En ce sens, on ne peut pas présentement, considérer les transformations opérées par le mode d'habiter des travellers.

Néanmoins, comme nous avons pu le voir, les travellers des années 1960 à nos jours affirment leur goût pour la résidence mobile mais ne semblent pas pour l'instant, se munir de modèles différents de ceux de la société globale. Toutefois, les compétences à habiter un logement mobile demeurent non ordinaires et rendent ainsi original cet habitat.

Pierre Bourdieu dans l'Esquisse d'une théorie de la pratique (1970) reprend une formule propre à Noam Chomsky et définit le processus d'engendrement des pratiques. La formule explique la capacité linguistique de l'homme par l'existence du couple compétence performance et fait comprendre la production de sentences nouvelles à partir d'une compétence toujours identique, d'un modèle en quelque sorte. Transposer cela à l'habiter signifie que celui-ci apparaît comme une compétence acquise culturellement: «l'habitant crée des arrangements dans son habitat à partir de modèles que l'on peut nommer des modèles culturels» (Raymond, 1998: 392).

On peut également intégré à cette définition, des éléments de la notion de compétence, donnés par Bernard Lepetit, soit: «la capacité à reconnaître la pluralité des champs normatifs et à identifier leurs contenus respectifs; l'aptitude à repérer les caractéristiques d'une situation et les qualités de ses protagonistes; la faculté, enfin, de se glisser dans les espaces interstitiels que les univers de règles ménagent entre eux, à mobiliser à leur profit le système des normes et des taxinomies le plus adéquat, à construire, à partir de règles et de valeurs disparates, les interprétations qui organiseront différemment le monde» (Lepetit, 1995 : 20).

Ce n'est donc pas l'espace qui structure les pratiques de l'habitant, mais la société. L'habitant possède ainsi des compétences à organiser l'espace qui est un habitus, au sens où l'entend Pierre Bourdieu, c'est-à-dire: «un système de dispositions durables, structures structurées, prédisposées à fonctionner [...] en tant que principe de génération et de structuration de pratiques et de représentations [...]» (Bourdieu, 1972 : 175). Ces compétences sont donc engendrées par les modèles de la société tels qu'ils se sont constitués historiquement. Par modèles culturels, nous entendons des «modèles qui s'imposent à l'ensemble de la société

» (Haumont, 1968: 180-190): on peut citer la monogamie, les interdits liés à l'inceste, le partage sexué des tâches. Les modèles sociaux, quant à eux, sont liés à «la situation des différents groupes dans les rapports de production et aux stratégies de ces groupes par rapport aux modèles dominants de la société » (Haumont, 1982: 198).

En France comme en Grande-Bretagne, les modèles culturels et sociaux qui engendrent des compétences chez l'habitant sont principalement les modèles structurés de la famille et de la sociabilité. Nous pouvons noter que le modèle social de la famille s'est d'ailleurs constitué historiquement en modèle culturel. Déplacer la théorie des modèles culturels et sociaux au mode d'habiter des travellers permet d'expliquer deux réalités: d'une part, au regard de mes observations et de mes entretiens, nous pouvons constater que les habitants des véhicules aménagés semblent reproduire certains modèles culturels tels que la division sexuée des affaires domestiques.

Cependant, même si les femmes demeurent les responsables de la gestion intérieure du logis, la participation des hommes est de plus en plus fréquente et tend ainsi à harmoniser la distribution des corvées.

Il est 13 heures, c'est l'heure du thé et du sandwich snack pour les travellers anglais. Pour les repas, pas de mise en commun de la nourriture, chaque personne cuisine pour soi, dans son camion. Les hommes s'assoient dehors, discutent, fument tandis que les enfants jouent au centre du campement. Les femmes, quant à elles, préparent le repas. L'odeur des mets attire la curiosité des enfants qui se précipitent alors vers leurs mamans. Avec leurs chérubins, les femmes concoctent le thé et les sandwichs. Le sifflement des bouilloires se fait entendre. Sorties décrocher le linge sec, les femmes accourent vers leur camion pour éteindre le gaz et servir le thé. Les sandwichs coupés en deux dans du pain de mie sont prêts à être mangé. Le repas est servi. Les hommes éteignent leur cigarette, installent les enfants et se

mettent à table. Pendant le repas, le sel et des sauces viennent à manquer. Les femmes se lèvent et s'en vont les chercher dans la cuisine. Il n'y a plus de sauces à sandwich: les femmes demandent à leurs amies ou vont directement se servir dans la cuisine des autres camions. Les hommes et les enfants ne quitteront la table qu'une fois le repas et le thé terminés. Le déjeuner est fini. Les hommes rassemblent les déchets, les assiettes et les tasses. Les femmes, déjà debout, ramassent l'ensemble de la vaisselle et s'en vont la nettoyer. Les enfants retournent vaquer à leurs occupations ludiques tandis que les hommes passent la main sur les tables pour ôter les quelques miettes restantes. Assis, prêts à la digestion, ils sortent de quoi se rouler un joint et fument en discutant.

Le matin et le soir, la scène se répète. Cependant, c'est lors des soirées festives et des barbecues collectifs que les rôles s'inversent. Les hommes s'occupent des grillades tandis que les femmes préparent les accompagnements.

Journal de terrain, 29 août 2007.

Par rapport aux modèles sociaux, il apparaît clairement que le mode d'habiter des travellers est en soi une stratégie d'évitement des modèles dominants de la société. Si l'on considère la socialisation de l'espace inculquée dès la prime enfance, on remarque que les travellers ont des habitudes analogues au mode d'habiter traditionnel. Néanmoins, le rapport à l'habitat est transformé lorsqu'il est appliqué au logis mobile. En effet, on ne socialise pas de la même manière lorsqu'on habite un pavillon et lorsqu'on vit dans un camion aménagé en logis. Or, éviter les modèles sociétaux dominants ne signifie pas les fuir. Les travellers gardent des traces incorporées des modèles et de certaines compétences, toutefois, ils tentent de détourner les normes sociétales par le simple fait qu'ils ne vivent pas comme la majeure partie de la population.

C'est avec la dernière partie que je m'attache à décrire le quotidien des travellers, non plus au regard du véhicule aménagé en logis, mais bien au regard des considérations publiques et politiques.D'une part, je m'attache à comprendre le quotidien des travellers et leur rapport à la société globale. Je rends compte des permanences et des discontinuités des politiques publiques face à ce mode d'habiter. Enfin, le dernier chapitre se consacre à la compréhension des injonctions à la mobilité et à la sédentarité domiciliaire. D'autre part, j'analyse les conditions du choix de la mise en habitat mobile. Je questionne le degré d'autonomie ou de dépendance des individus.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo