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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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Troisième partie

Habiter la mobilité:

L'expérience d'un quotidien insolite et tumultueux.

er

« Il est institué à compter du 1janvier 2007, une taxe annuelle d'habitation des résidences mobiles terrestres, due par les personnes dont l'habitat principal est constitué d'une résidence mobile terrestre [É] Cette taxe n'est pas exigible pour les résidences mobiles terrestres dont la superficie est inférieure à 4 mètres carrés. Le tarif de la taxe est égal à 25 euros par mètre

43

carré.»

«Le fait de s'installer en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s'est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu par l'article

2 de la loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, ou qui n'est pas inscrite à ce schéma, soit à tout autre propriétaire autre qu'une commune, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d'usage du terrain, est puni de six mois d'emprisonnement et de

44

3 750 EUR d'amende. »

«Les rassemblements exclusivement festifs à caractère musical, organisés par des personnes privées, dans des lieux qui ne sont pas au préalable aménagés à cette fin et répondant à certaines caractéristiques fixées par décret au Conseil d'Etat tenant à leur importance, à leur mode d'organisation ainsi qu'aux risques susceptibles d'être encourus par les participants sont interdits. Si un rassemblement se tient en dépit de cette interdiction, les officiers de police judiciaire et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaires saisissent le matériel utilisé en vue

45

de sa confiscation par le tribunal. »

43 Article 1595 du Code général des impôts issu de l'article 92 de la Loi des finances de 2006.

44 Article 322-4-1 du code pénal, issu de l'article 53 de la Loi du 18 mars 2003, sur la sécurité intérieure et à la protection des personnes et des biens.

45 Article 23-1 de la loi n°95-73 du 21janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité.

Chapitre I

Permanences et discontinuités sociopolitiques au regard du mode
de vie des travellers.

L'objet de ce chapitre porte sur la place des politiques publiques dans le champ du logement alternatif et de ses habitants, ici les travellers issus du mouvement des fêtes techno clandestines. Je m'intéresse d'une part, au regard politique et social de la société globale sur les activités festives des travellers, d'autre part, je rends compte des contraintes juridiques et politiques qui viennent freiner la mise en habitation ambulante de cette population.

a) Les free-parties ou l'affiliation à une marginalité temporaire singulière.

L'organisation de fête techno illégale conduit à réfléchir sur la place des activités festives dans la société globale, réalisées en dehors des réseaux institutionnels. Orchestrées en parallèle des circuits standardisés de la société du spectacle, ces expériences festives prennent ainsi note d' «une ambiance spécifique: celle du refus » (Dupouy, 2005: 10).

Si le concept free vise la liberté d'action et de comportement lors des fêtes, il évoque également la gratuité de ces rassemblements. Les sound-systems se chargent de la logistique, gratuitement, ou occasionnellement en mettant à contribution les participants au moyen d'une donation. L'autogestion et l'initiative individuelle sont les modes d'organisation prônés et vécus, chacun participant à l'événement selon ses capacités et son bon vouloir. D'autre part, la qualité des relations interindividuelles vécues par les participants lors des fêtes va à l'encontre des normes habituelles de l'interaction sociale, ressenties comme trop rigides et aliénantes. La politesse n'est pas de mise, le niveau de langage et le champ lexical utilisés sont argotiques et souvent bruts, pauvres et réduits à l'essentiel. Les modes comportementaux observés visent la liberté maximale et la possibilité d'être différent sans désapprobation du groupe.

Par ailleurs, l'absence de règles fait des free-parties un univers chaotique où le désordre est roi. L'anarchie ou les principes communisto-libertaires sont le point d'attraction de la sensibilité politique des participants et des organisateurs. Si le dispositif structurant ces fêtes a l'ambition de provoquer la perte de repères afin de faciliter l'accès à des «états de conscience modifiés» (Lapassade, 1990: 5), il n'en demeure pas moins le témoin d'un goût prononcé pour le chaos. De plus, cette immersion dans «un monde sans loi» constitue un biais par lequel l'individu se trouve en situation de responsabilité individuelle. Nul autre que lui ne viendra l'aider à mener sa vie, il est seul, en situation de mise à l'épreuve.

Cinq heures du matin, nous arrivons enfin à la fête. Le parking s'est établi tout le long du chemin en terre. Certains véhicules bloquent l'accès. Nous nous garons tant bien que mal sur des bosquets pour ne pas trop empiéter sur le passage. Je sors de la voiture, ouvre le coffre et prend un sac à dos dans lequel je mets bouteille d'eau, biscuits et un pul l. Le chemin a l'air long avant d'arriver au coeur de la fête, mieux vaut-il s'équiper. Le temps de m'organiser, les personnes avec lesquelles je suis venue sont déjà parties. Je ferme la voiture et commence à marcher. Dans la nuit, sans lumière, on ne voit pas où l'on marche. Je piétine donc tranquillement, prenant ainsi le temps d'observer les gens et leurs véhicules respectifs. Un nombre incalculable de chiens circulent sur le chemin, se battant parfois. Les basses de la musique m'indique que je me rapproche du mur de son. Au loin, j'aperçois quelques lumières colorées rappelant les effets des spots des discothèques. Sur le chemin en terre, toutes sortes de drogues me sont proposées : TAZ (ecstasy), COCK (cocaïne), KETA (Kétamine), SPEED (Amphétamine en poudre à sniffer), CHAMPI (champignons hallucinogènes) etcÉ Pendant un moment, la voix des dealers couvre la musique techno au loin. On se croirait au marché à la criée de Marseille. Je refuse simplement toute proposition et continue à marcher. Au sortir du chemin, j'arrive devant le mur de son. Là, près de vingt kilowatts d'enceintes sont édifiées, les unes sur les autres. Son architecture imposante et sombre est impressionnante. Une centaine de personnes dansent devant le mur, le corps tourné vers la musique et vers le Dj que l'on aperçoit à peine derrière les baffles. La musique aux rythmes quaternaires et aux pulsations répétitives éveille des sons vifs et aigus posés sur un fond sonore de basses. Les basses sont puissantes. J'ai comme l'impression qu'elles me transpercent de toute part, le rythme de la musique m'entraîne et je me mets alors à danser. Le mur de son est décoré : des plots de signalisation y sont posés, des tentures sont accrochées et un bar est établi sur le côté. Là, je retrouve mes compagnons de route. On échange quelques mots, puis on se sépare. Certains vont au bar, acheter quelques bières, d'autres dansent ou jonglent avec du feu. Nous sommes à nouveau séparés. Seule, je danse et regarde autour de moi. Les gens ont la tête baissée et dan sent comme les aiguilles d'une horloge. Les interactions sont brèves et non-verbales : on danse, on crie pour stimuler le Dj, des boissons et des joints circulent, quelques sourires apparaissent. Lasse de danser, je retourne sur le chemin en direction de la voiture, chercher mes torches de jonglage. Après avoir

retraversé le cortège des dealers, je retrouve la voiture et récupère mon matériel. De retour au centre festif, je me rapproche des jongleurs leur demandant s'il est possible d'utiliser leur pétrole pour enflammer mes torches. Je trempe mes quilles, les secoue et jongle dans la nuit. Les petites boules de feu formées au bout de mes torches sont comme deux points brillants attirant l'Ïil des curieux. Mes torches s'éteignent, j'arrête. Je discute alors avec les autres jongleurs, on s'apprend des figures. Torches rangées, je retourne au mur de son, danser un peu. Le jour est en train de se lever. Le soleil illumine les visages fatigués. Les cernes et les poches apparaissent sous les yeux, j'observe les tenues des uns et des autres, les piercings, je vois désormais que les tentures représentent des dessins tribaux et psychédéliques. Il est dix heurs du matin, les Dj continuent à se passer le relais sur les platines vinyles. La fête continuera jusqu'à 14 heures environ.

Journal de terrain.

Enfin, la clandestinité des free-parties, imposée autant que recherchée, fait de celles-ci des lieux échappant au contrôle de l'Etat, ou des «zones autonomes temporaires» (Bey, 1997), pour reprendre l'expression d'un penseur libertaire dont s'inspirent les travellers. Les représentants de l'ordre sont mis au ban des rassemblements, soit qu'ils n'ont pas connaissance de la tenue de la fête, soit qu'ils ne s'y aventurent pas, mais cela devient de plus en plus rare. Ainsi, en sus d'échapper à l'emprise des autorités publiques et de contrevenir à la loi visant directement ces fêtes, les travellers et les participants refusent l'exercice par l'Etat de ses fonctions régaliennes, en particulier celle d'assurer la sécurité des individus et de les protéger.

À travers le mode d'organisation, le mode d'interaction interindividuel, le goût du chaos, ou le refus de la protection de l'Etat, la fête techno clandestine constitue un pôle vécu ponctuellement de structuration de la vie quotidienne autour du refus de l'organisation de la société, de ses normes, de ses règlements. Ces derniers propos conduisent à la compréhension d'une carrière déviante chez les travellers et les participants des fêtes techno. Conjoncturellement, la dimension d'interdit renforce à court terme le pouvoir de séduction de la pratique. C'est la position de Michel Foucault: «la déviance n'existe pas en dehors des pratiques de contrôle social qui la définissent et la répriment» (1984). Pour le sociologue, ce qui conduit certains individus à être placés en situation de déviance, est la différence entre les critères de jugement de la normalité d'une conduite produits par les institutions et, ceux qu'admettent les personnes qui défient cette normalité.

À un niveau individuel, le rejet des valeurs dominantes est le socle, l'alternative se construit ensuite par rencontre avec la culture «technoïde» (Pourtau, 2005: 71) jugée plus intéressante, d'abord par sa différence, puis en soi. «La conduite du délinquant est normale, par rapport aux principes de sa subculture, précisément parce qu'elle est anormale selon les normes de la culture globale» (Cohen, 1955 : 26).

Or, si les travellers entament une carrière déviante par l'organisation de fêtes techno clandestines, ils se marginalisent également en n'habitant pas un logement standard fixé. D'une lecture verticale, avec le déviant subalterne au normé, découle une lecture horizontale, être autre. Mais là est toute la complexité de cette volonté de distinction. De nos jours, les travellers techno sont donc soumis aux législations concernant leurs pratiques festives et à un imbroglio sur leur mode inaccoutumé d'habiter.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe