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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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Violence, terreur, pouvoir

La violence comme manifestation du pouvoir

Comme cela a été nombre de fois souligné, Óðinn n'est pas ce que l'on pourrait appeler un dieu de la guerre : sa figure, et nous venons d'en avoir un aperçu, est bien plus complexe que cela. Cependant, dans la Heimskringla, l'aspect guerrier est le premier aspect d'Óðinn qui soit mentionné, et lorsque Snorri mentionne explicitement pourquoi Óðinn est suivi, en tant que roi puis en tant que dieu, c'est l'aspect guerrier qui intervient. « Il était si victorieux qu'il avait le dessus dans toute bataille ; en conséquence de quoi, ses hommes croyaient qu'il lui avait été donné d'être victorieux dans toute bataille. [...] Il fut également remarqué que lorsque ses hommes étaient en mauvaise posture, sur mer ou sur terre, ils pouvaient appeler son nom, et ils en obtiendraient de l'aide. Ils mettaient toute leur confiance en lui. » 4 Plus tard, ce rôle propitiatoire semble être assumé par saint Óláf 5. Bien sûr, aussi

1 Ibid, pp. 787-788 ( HHerð. ch.21).

2 Ibid, p. 218 (OT ch.85).

3 Ibid, p. 245 (OH ch.3).

4 Ibid, p. 7 (Yngl. ch.2) ; voir également p. 13 (Yngl. ch.9).

5 Ibid, pp. 619 ( HHarð. ch.55) ; pp. 787-788 ( HHerð. ch.21).

bien que saint Óláf font, avant ou après leur mort, bien d'autres choses que de gagner des batailles.
Mais la Heimskringla laisse, à mon sens, l'impression que cette capacité à la violence, et à assurer la
victoire de leurs fidèles, est essentielle dans leur aspect public, dans leur légitimité, dans leur charisme.

Disant cela, je ne remets pas pour autant en cause ce que nous avons vu plus haut, à savoir que l'aspect guerrier d'un prince n'est que l'une des possibilités dont il dispose pour se mettre en avant. Mais je propose de nous concentrer ici non plus sur les idéaux princiers et aristocratiques, mais sur l'exercice du pouvoir - quoique la distinction soit certes très difficile à faire, puisqu'il n'y a rien d'aussi net qu'une coupure entre « théorie » et « pratique », entre « idéal » et « réalité ». Il s'agirait, en fait, de nous focaliser non plus sur les discours, mais sur les règles du jeu, pour ainsi dire, qui ressortent explicitement et implicitement dans la Heimskringla. Certes, la distinction entre les discours et le récit est extrêmement problématique. Mais, de notre question précédente : « Quelles images propose-t-on du prince idéal, et comment se comporte-t-il par rapport à la guerre ? », il s'agirait de passer à la question : « Sur quoi se bâtit le pouvoir dans la Heimskringla ? »

Un exemple particulièrement intéressant expliquera peut-être mieux mon propos : la manière dont Snorri décrit la campagne de Harald à la Belle Chevelure pour devenir roi de toute la Norvège. Cette entreprise débute presque comme un roman courtois, car il est relaté que Harald l'entreprend suite aux moqueries et reproches d'une femme, Gyða, qu'il souhaitait épouser, mais qui « ne comptait pas sacrifier sa chasteté pour épouser un roi qui ne disposait de rien d'autre que de quelques fylki » 1. Harald fait alors voeu de conquérir toute la Norvège, et de ne pas peigner ses cheveux avant d'avoir atteint cet objectif. Mais la première action entreprise par Harald n'a plus rien de courtois ou de chevaleresque :

Alors, lui et ses parents rassemblèrent une grande armée et firent route jusqu'en Uppland, puis vers le nord à travers les Vals [Dali] [du Gudbrandsdal], et de là vers le nord à travers le [massif montagneux du] Dofrafjall [aujourd'hui Dovrefjell]. Et lorsqu'il arriva dans le fylki habité, il fit tuer tout le monde et brûler leurs maisons. Mais lorsque les habitants apprirent cela, ils s'enfuirent, tous ceux qui le pouvaient, certains vers l'Orkadalr, certains vers le Gaulardalr, certains dans les forêts. Certains supplièrent qu'on les épargne, et cela fut accordé à tous ceux qui vinrent devant le roi et lui jurèrent allégeance. Le roi ne rencontra aucune résistance avant d'arriver dans l'Orkadalr. Là, une armée s'était rassemblée, et un homme appelé Grýðing livra la première bataille contre le roi. Harald fut victorieux. Grýðing fut fait prisonnier et nombre de ses hommes furent tués. Il fit soumission à Harald, lui jurant allégeance. Après quoi, tous les habitants du fylki de l'Orkadalr se soumirent au roi Harald et devinrent ses suivants [littéralement : « devinrent ses hommes », gerðust hans menn]. 2

Le premier pas de Harald vers ce qui est, à suivre la Heimskringla, la fondation du trône de Norvège, l'unification du pays, est donc un acte de violence, et même de terreur ; non pas même, à suivre le récit qu'en fait Snorri, une punition face à une résistance ou une rébellion, comme nombre de rois le font par la suite dans la Heimskringla, comme nous avons vu Óláf le Gros le faire, mais en quelque sorte une violence préventive. Snorri ne mentionne pas même que Harald ait préalablement demandé aux habitants de se soumettre. Il me semble que nous pouvons vraiment parler, ici, de démonstration : démonstration de sa capacité à la violence par quelqu'un qui aspire au pouvoir. Et cette démonstration a, semble-t-il, des effets immédiats : certains lui prêtent allégeance, et Harald obtient les premières pièces de son futur royaume. Or il est non seulement décrit comme l'unificateur de la Norvège, mais comme le fondateur d'une dynastie :

Et quant au grand arbre que sa mère vit avant sa naissance, l'on interprète cela en disant que cela le représentait [lui, Harald]. La partie inférieure du tronc était rouge comme le sang, mais ensuite, plus haut, il était beau et vert, et cela annonçait la prospérité de son royaume. Et au-dessus encore l'arbre était blanc, ce qui signifiait qu'il deviendrait vieux et vénérable. Les branches et bourgeons de l'arbre annonçaient sa descendance, qui se répandrait par tout le pays ; et tous les

1 Ibid, p. 61 ( HHárf. ch.3).

2 Ibid, pp. 62-63 ( HHárf. ch.5).

rois de Norvège, depuis son temps, descendent de lui. 1

L'on pourrait donc dire que l'acte fondateur de toute la dynastie que décrit la Heimskringla est un massacre - origine que la base rouge sang du tronc vu en rêve par la mère de Harald à la Belle Chevelure semble souligner.

Il est vrai que Harald à la Belle Chevelure est décrit par Snorri comme un roi certes grand, mais particulièrement dur, tyrannique même, à qui il attribue l'exil de certains Norvégiens et le peuplement subséquent de l'Islande. Et certes, si l'on se souvient de la querelle de succession entre Hákon le Bon et Eirí k à la Hache Sanglante, les deux fils de Harald, Hákon semble avoir bien soin de procéder de manière toute différente, se faisant élire par les assemblées populaires, pour se distinguer de son frère et aussi de son père, qui laisse un souvenir mitigé. Néanmoins, l'acte de Harald à la Belle Chevelure, cette démonstration de violence afin d'obtenir la soumission des habitants d'une région, n'est certainement pas un acte isolé dans la Heimskringla. Snorri l'érige même en règle :

Le roi Ragnfröð, l'un des fils de Gunnhild, et Guðröð, un autre des fils, étaient eux seuls encore vivants, de tous les fils d'Eirík [à la Hache Sanglante] et de Gunnhild. [...] Après avoir passé un hiver dans les Orcades, Ragnfröð prépara une expédition et fit voile vers l'est, jusqu'en Norvège, où il apprit que le jarl Hákon [Sigurðarson] était à Trondheim. Alors Ragnfröð fit voile vers le nord, dépassant le cap Stað, et pilla dans le Moer du Sud, et certains habitants lui firent allégeance, comme cela arrive souvent lorque des troupes de guerriers traversent un pays, et que ceux qui sont exposés au danger recherchent de l'aide, chacun là où il pense qu'il est plus probable [de l'obtenir]. 2

De même, le roi Magnús aux Jambes Nues utilise exactement la technique de Harald à la Belle Chevelure au cours d'une expédition dans les Hébrides : « Alors [il] fit voile jusqu'aux Hébrides, et immédiatement après son arrivée là-bas, commença et piller et à incendier la campagne, tuant les habitants et les spoliant partout où passaient les troupes. Les habitants du pays fuirent et s'éparpillèrent dans toutes les directions. [...] Certains furent épargnés et lui jurèrent allégeance » 3. Les campagnes d'Óláf le Gros, puis de Magnús le Bon, pour soumette le Danemark font également appel à la même méthode 4. Et il faudrait encore ajouter à cette liste les méthodes des deux principaux rois évangélisateurs de la Norvège, Óláf Tryggvason et Óláf le Gros, qui consistent bien souvent à étouffer par la force les réticences des habitants d'une région, à faire démonstration de leur capacité de violence pour les convaincre, bon gré mal gré, de se convertir 5.

Cependant, une fois le pouvoir acquis, ou assuré, grâce à de telles actions - qui ne sont, soulignons-le, que l'un des moyens possibles, mais un moyen fort présent - il s'agit également d'empêcher un autre de faire appel à la violence ; en d'autres termes, il faut s'en assurer le monopole. Là encore, Harald à la Belle Chevelure en donne un exemple parfait : immédiatement après l'accomplissement de son voeu - bien symbolisé par le fait qu'il se fait couper et peigner les cheveux 6 - il est rapporté que Harald bannit Hrólf Marche-à-Pieds (ou « Hrólf le Marcheur », Göngu-Hrólf), le futur premier duc de Normandie, pour avoir mené des raids dans la région de Ví k alors que Harald « avait interdit très strictement toute déprédation à l'intérieur du pays [innanlands] » 7. Pourtant, comme on l'a vu, Harald lui-même ne s'était certes pas privé de piller, et de faire bien pire encore, à l'intérieur comme à l'extérieur du « pays ». Il ne semble pas non plus intervenir, par la suite, face aux déprédations de son fils Eirík à la Hache Sanglante, selon Snorri le favori de Harald.

1 Ibid, pp. 94-95 ( HHárf. ch.42 ; HHárf. ch.43 dans l'édition de Finnur Jónsson).

2 Ibid, p. 156 (OT ch.17).

3 Ibid, p. 675 (MB ch.8).

4 Ibid, pp. 434-435 (OH ch.145) ; 567-575 (MG ch.31-35).

5 Voir par exemple Ibid, pp. 206-207 (OT ch.67), où Óláf Tryggvason se propose, avec une ironie très noire, de « sacrifier des hommes », « disant qu'il les sacrifierait pour obtenir de bonnes récoltes et la paix ; et alors, il ordonna immédiatement à ses hommes de les attaquer ».

6 Ibid, p. 78 ( HHárf. ch.23).

7 Ibid, p. 79 ( HHárf. ch.24).

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote