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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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L'intégration culturelle des pratiques violentes

Le terme lui-même de « culture guerrière », l'historiographie récente, et ce que nous avons déjà dit
laissent tout ensemble fortement douter que les Scandinaves altimédiévaux aient eu, au sens essentiel

1 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 763 (Ingi ch.28).

2 Ibid, p. 611 ( HHarð. ch.44).

3 Ibid, pp. 375-376 (OH ch.115).

4 Ibid, pp. 460-461 (OH ch.171).

5 Ibid, pp. 526-527 (OH ch.241).

du terme, une « culture guerrière ». Mais avaient-ils des cultures guerrières, je veux dire par là ce que les anglophones appellent des « sous-cultures », qui caractériseraient ceux qui pratiquent la guerre et les distingueraient, d'une manière ou d'une autre, du reste de la société ? La question est importante si nous voulons déterminer la place de la guerre dans une société, et la signification qu'elle y a. Je ne répéterai pas ici ce que nous avons déjà vu sur des idées telles que « mourir comme un homme », ou « être habile aux armes », et la place juste, mais point exagérée, qu'il fallait leur accorder ; je propose de nous intéresser ici à des pratiques qui semblent être véritablement le partage de certains groupes. Si cette question vient tardivement, c'est qu'elle est difficile. Les catégories sociales ne sont, pas plus que les nationalités, des cadres très présents chez Snorri. À travers son texte centré sur les personnalités puissantes, sur les grands, c'est surtout un point de vue aristocratique qu'il donne, encore que cette idée soit à nuancer, vu le rôle important joué par les boendr 1.

Cela ne signifie pas, pour autant, qu'il n'y ait rien à dire. En-dehors des boendr, il est une catégorie qui apparaît constamment, quoique secondairement, dans la Heimskringla, et qui est très intéressante pour nous : les vikings, c'est-à-dire ceux qui pratiquent des expéditions de pillage et des actes de piraterie, des actions violentes donc, et des actions violentes dont l'intégration sociale pose a priori bien des problèmes. Or, c'est la seule catégorie sociale au sujet de laquelle Snorri évoque des pratiques particulières. Notamment, il explique au tout début de la saga de saint Óláf, alors que ce dernier est adolescent encore et bien loin de la couronne de Norvège, que les vikings ont une définition quelque peu particulière d'un roi :

Lorsqu'Óláf prit le commandement du navire et de l'équipage, les hommes lui donnèrent le titre de « roi », car il était de coutume que les rois-guerriers [herkonungar] participant à une expédition viking soient appelés rois, s'ils étaient de naissance royale, même s'ils n'avaient aucun territoire sur lequel gouverner. Hrani [le père adoptif d'Óláf] tenait le gouvernail, c'est pourquoi certains disent qu'Óláf était [seulement] un rameur. Néanmoins il était roi de l'équipage. 2

Exemple, comme souvent, plein de subtilité : d'une part l'on notera que la définition viking d'un « roi » n'est pas sans lien avec la définition plus partagée de la royauté, puisqu'elle concerne les personnes de naissance royale. D'autre part, être « roi de l'équipage », sans avoir de territoire sur lequel régner, est bien une notion qui semble tout à fait particulière aux vikings, et paraît dire qu'ils n'ont pas le même roi que les autres. Un autre exemple amène au même distinguo :

Ce même été le roi Hjorvarð, qui était appelé un Ylfing [famille royale scandinave], vint avec sa flotte en Suède et jeta l'ancre dans le fjord appelé Myrkvafjörðr. Lorsque le roi Granmar apprit cela, il lui envoya des messagers, l'invitant lui et tous ses hommes à un banquet. Il accepta cela, car il n'avait pas pillé dans le royaume du roi Granmar. [...] C'était la coutume parmi ces rois qui résidaient sur leurs propres terres ou prenaient place à des banquets qu'ils avaient organisés que le soir, lorsque les coupes [à boire] étaient distribuées, il faille boire deux par deux, par couples, un homme et une femme, autant que possible, et ceux qui restaient devaient boire de leur côté. Autrement, la loi viking [víkingalög] voulait qu'aux banquets tous boivent ensemble.

Le trône du roi Hjorvarð fut préparé face à celui du roi Granmar, et tous ses hommes étaient assis sur le banc. Alors le roi Granmar dit à Hildigunn, sa fille, de se tenir prête à servir l'alcool [öl] aux vikings. C'était une femme particulièrement belle. Elle prit une coupe d'argent, la remplit, et, s'avançant devant le roi Hjorvarð, elle dit : « Une santé à vous, les Ylfings, à la mémoire de Hrólf Kraki [un roi viking semi-légendaire] », et elle but la moitié de la coupe avant de la tendre au roi Hjorvarð. Alors il saisit la coupe et sa main également, et dit qu'elle devrait s'asseoir auprès de lui. Elle répondit que ce n'était pas la coutume des vikings que de boire deux par deux avec les femmes. Hjorvarð répondit que pour une fois, il ferait une exception et ne suivrait pas les lois des vikings, mais boirait deux par deux avec elle. Alors Hildigunn s'assit à son côté, et tous deux burent ensemble et eurent beaucoup à se dire l'un à l'autre au cours de la soirée. 3

1 Cf. SVERRE H. BAGGE, Society and Politics in Snorri Sturluson's Heimskringla, cit., pp. 13 7-140.

2 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., p. 246 (OH ch.4).

3 Ibid, p. 40 (Yngl. ch.37).

Mis ensemble, ces deux passages résument à peu près tout ce qu'il y a d'important à voir. Nous sommes bien en présence de coutumes, et même d'une « loi », qui permet aux vikings de se différencier, y compris lorsqu'ils sont en compagnie d'autres personnes. Sans aller trop loin dans les conjectures déterministes, ces coutumes semblent assez logiques : n'est-il pas assez normal que des vikings partant en expédition éventuellement lointaine veuillent avoir un « roi » avec eux alors qu'ils quittent leur lieu de résidence ? De même, le monde viking étant un monde masculin, il n'est que logique que leurs coutumes n'intègrent pas de femmes. Mais d'un autre côté, ces vikings ne sont pas des apatrides habités par une « contre-culture ». Leurs références culturelles suivent, en les adaptant à leur situation, celles de la société dont ils sont issus et dans laquelle ils vivent encore. Car, faut-il le souligner, être viking, ce n'est pas faire partie d'une caste, d'un ordre, ce n'est pas porter un titre ; c'est pratiquer une occupation 1 - l'expédition de commerce et de rapine, avec, chez Snorri en tout cas, un fort accent mis sur la rapine - et, si certains semblent y consacrer une partie suffisante de leur vie pour être qualifiés de « grands vikings » 2, pour d'autres cette activité semble tout à fait occasionnelle...

Bien sûr, une activité telle que la piraterie, pratiquée aussi bien à l'intérieur de la Scandinavie qu'en- dehors, comme nous l'avons déjà vu, n'est pas sans susciter des réactions hostiles - nous venons d'en citer une assez parlante. Mais simultanément, les vikings, ou plutôt « ceux qui se font, pour un temps, vikings », peuvent tout à fait s'intégrer et être intégrés, comme leur réception par le roi Granmar le montre bien, comme le montre aussi le fait que l'on peut tout à fait utiliser des pratiques vikings pour le bénéfice d'un roi en titre 3, et même en étant roi soi-même, comme nous l'avons vu. La condition de cette intégration nous est bien donnée par l'extrait cité ci-dessus : ne pas avoir pillé sur les terres de celui que l'on rencontre !

Comme tant d'autres groupes sociaux ou « catégories professionnelles », si l'on me pardonne l'anachronisme, les vikings ont donc leurs pratiques identitaires. Mais le même extrait montre bien les limites de celles-ci en tant que véritables frontières. En l'occurrence, Hjorvarð, désireux, semble-t-il, d'épouser la fille du roi Granmar - ce qu'il fait immédiatement après - décide de « faire une exception » aux « lois des vikings », et cela ne semble causer de scandale ni parmi ses vikings, ni parmi les gens du roi Granmar. En d'autres termes, Hjorvarð met de côté son identité de viking pour mieux s'intégrer à ses hôtes avant de se lier à eux par le mariage ; et aussi, peut-être, pour mieux mettre en avant sa qualité de roi au même titre que son futur beau-père. Les vikings semblent donc pouvoir jouer avec leur identité et leurs pratiques culturelles comme nous avons vu tant d'autres personnages jouer avec leur image et leurs discours, ce qui est fort comparable. Et les limites de ce jeu ne semblent guère différentes de ce qu'elles peuvent être ailleurs : ne pas se heurter aux intérêts du destinataire du spectacle, ne pas s'être attiré une rancoeur bien compréhensible en l'ayant excessivement exploité et terrorisé, ce dont il pourrait bien tirer vengeance si l'occasion s'en présente...

Nous pourrions continuer dans cette direction, en étudiant certains détails de l'intégration de la violence et de la guerre. Mais je ne vois rien qui ne doive amener de rectification ou d'ajout significatif par rapport à ce que nous venons de voir au sujet des vikings, qui s'ajoute d'ailleurs à ce que nous avons pu dire des rois, des grands, et, à l'occasion, de ces boendr à l'importance indéniable chez Snorri, mais qui laissent l'impression d'une masse parfois fort indéfinie... De tous ces groupes, il n'en est pas un que nous n'ayons vu faire référence à la violence comme recours légitime ; il n'est donc que logique que la pratique de la guerre n'exclue personne socialement et culturellement - pas même les brigands,

1 À tel point que Snorri utilise le terme de víkingar pour désigner les pirates rencontrés par Sigurð le Croisé au large de l'Espagne et en Méditerranée ; Ibid, p. 690 et 692 (Msyn. ch.4 et 6).

2 Un bel exemple est celui d'Ásbjorn Jalda, tué par un bóndi qui « avait souvent eu peur de lui » ; Ibid, p. 780.

3 Cf. l'interception d'un partenaire commercial d'Óláf le Gros par l'un des hommes du roi de Suède ; le butin est divisé équitablement entre les membres d'équipage, comme à l'habitude des vikings, mais la meilleure part est réservée au roi, ce qui fait penser aux pratiques des corsaires. Ibid, pp. 297-298 ; ou encore l'expédition de commerce et de pillage menée par Karli, dont Óláf le Gros doit recevoir « la moitié des bénéfices », p. 406 (OH ch.133).

comme nous l'avions vu dès notre introduction - mais qu'elle soit l'objet d'une concurrence, de tensions, et d'un constant échange de justifications et d'accusations. Et puis, quoi de mieux, pour parvenir au terme de notre étude, que ces vikings au seul prisme desquels les européens non- scandinaves ont vu et voient encore la Scandinavie altimédiévale, ces vikings sur qui tout le poids des mythes de la furor normannorum et des guerriers en casques à cornes - et tout le poids de la réaction historiographique, justifiée comme excessive, à ces mythes - a pesé ?

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