CHAPITRE 1- STRUCTURE ET ORGANISATION DE LA FILIERE
En Côte d'Ivoire, l'introduction de l'anacardier date de
l'indépendance. Elle s'est opérée en deux phases
essentielles: une phase de reboisement (1959- 1960) et une phase de production
fruitière (de 1960 à nos jours). La première phase
s'inscrivait dans la politique gouvernementale de lutte contre la
dégradation des sols du Nord et du Centre. Selon la SEDES, la SODEFOR et
la SATMACI avaient aménagé respectivement 1401 et 820 hectares de
forêts classées. « Pendant cette période de
reforestation, la part commercialisée de noix de cajou a
été marginalisée: elle n'était que de 300 tonnes de
1959 à 1970» (MINAGRI, 1999).
1.1- Origine- Culture
L'anacardier (Anacardium occidentale, Anacardiacées)
est un arbre originaire des régions tropicales, résistant aux
fortes chaleurs mais très sensible aux basses températures. C'est
un arbre d'une dizaine de mètres de hauteur originaire du Brésil.
L'anacardier est une espèce spontanée, utilisée pour le
reboisement et de plus en plus cultivée pour son fruit. Ce fruit est
composé d'une noix de cajou, et d'une pomme de cajou (voir figure 3).
Figure 3: Fruit de l'anacardier (noix et
pomme)
- La noix de cajou est un fruit akène (fruit
sec qui ne s'ouvre pas, mais se détache entièrement de la plante
mère) qui atteint son plein développement en un mois environ.
D'une dimension de trois à cinq centimètres, de couleur gris
brunâtre, elle est constituée d'un péricarpe dont la partie
intérieure est très dure et la partie extérieure,
spongieuse. Entre ces deux structures, on découvre une partie plus molle
en nid d'abeilles contenant un liquide visqueux brun foncé qui rendra
assez difficile l'extraction ultérieure de la noix du fait de sa
toxicité et de sa haute causticité. Cette substance est notamment
utilisée dans des applications d'ordre industriel telles que la
fabrication d'éléments de frictions de freins, d'embrayages,
comme matériaux isolant et imperméable dans l'aviation ou comme
intrant dans des peintures, des vernis, voire dans l'industrie du plastique.
« En Asie, il est utilisé pour la fabrication d'encre
indélébile. La noix de cajou est une graine oléagineuse.
Elle renferme environ 47% d'une huile qui après traitement est assez
proche de celle de l'amande douce. Cette seconde huile est, en effet,
principalement destinée à la pharmacologie et à
l'industrie des cosmétiques du fait de son prix de revient assez
élevé» (Davis, 1999).
A l'intérieur de la noix, adhérant fortement
à la coque, se trouve le vrai fruit. C'est une amande réniforme
dont la dimension varie entre deux et trois centimètres selon les
catégories, elle est blanchâtre et offre une saveur
agréable. Elle peut être utilisée nature, grillée et
salée, en cuisine ou en confiserie dans l'industrie chocolatière
par exemple.
- La pomme de cajou (ou faux fruit de l'anacardier) -
lorsque la noix a atteint sa taille définitive, le pédoncule qui
jusque là ne s'était pas développé, grossit
rapidement pour prendre la forme d'une poire de cinq à dix
centimètres de longueur et d'une couleur pouvant s'étaler du
jaune vif au rouge écarlate selon la variété. «Ce
fruit est également comestible, sa chair est acidulée et sa
saveur aigre-douce. Il possède de grandes qualités
antiscorbutiques en raison de sa teneur en vitamine C qui est environ cinq fois
plus élevée que celle d'une
orange. On peut aussi le transformer pour obtenir des
confitures, des gelées ou des compotes, le presser pour donner un jus
sucré, parfumé, dont la macération ou la distillation
permettra de tirer du vinaigre, du vin ou de l'alcool) » (Davis, 1999,
Op.cit).
Arbre à racine pivotante, sa multiplication se fait par
semis en place, en pépinière, en panier ou en sachets
polyéthylène en paquets de 2 à 3 noix préalablement
triées (ne flottant pas sur l'eau). La durée de germination est
de 2 à 3 semaines. La culture quant à elle, se fait de plusieurs
manières. Association avec culture vivrière (arachide) avec une
plantation de 8 mètres sur 8 mètres en général,
parfois 6 mètre sur 6 mètres, intégration en fin
d'assolement près de la culture vivrière (culture mixte avec
coton par exemple) puis par culture fruitière unique (elle est
réalisée avec des écartements de 6 mètres sur 6
mètres à 14 mètres sur 14 mètres).
L'anacardier commence à produire des fruits dès
l'âge de 3 ans dans de bonnes conditions de culture. En début de
plantation, les anacardiers sont recommandés dans les systèmes de
cultures intercalaires. La durée du cycle végétal de
l'anacardier est de 20 à 30 ans en moyenne. Lorsque l'arbre est vieux,
il exsude une gamme et devient improductif.
1.2- Organisation et évolution de la
filière
Jusqu'en 1970, les pommes consommées sous forme de
fruits frais par les populations étaient beaucoup plus importantes que
les noix. Elles subissaient une très faible transformation primaire avec
une productivité très faible eue égard aux
méconnaissances des technologies de transformations adaptées en
la matière. Par conséquent, le système de production et de
commercialisation de la
noix de cajou était très peu organisé,
sinon même pas organisé au moment oüdes pays comme
le Mozambique et la Tanzanie avaient déjà commencé
à pénétrer le marché international. C'est
seulement vers la fin des années 70 qu'on
a assisté à l'émergence d'une production
nationale un peu structurée et encadrée par les
sociétés SODEFOR et SATMACI. En 1997, l'Etat tente d'organiser la
filière en créant le « (Comite pour le Développement
de la Filière Anacarde) CDFA par l'arrêté
ministériel no 101 du 23 mai 1997 qui ne sera malheureusement
jamais mise en oeuvre » (INTERCAJOU, 2009). C'est seulement en 2002 que la
filière anacarde va commencer à s'organiser avec la
création de l'ARECA par le « Décret no 2002-449
du 16 septembre 2002 portant création de la société d'Etat
dénommée ?Autorité de Régulation du Coton et de
l'Anacarde? (ARECA)» (Marchés Africains, 2008), puis celle de
l'INTERCAJOU « créé le 12 décembre 2007 en
application de l'article 20 de l'ordonnance 2002-448 du 16 septembre 2002
portant cadre organisationnel des filières coton et anacarde »
(Marché Africains, 2008, op cit). Bien que la mise en place de ces
différents organes ait produit des effets positifs, la filière
continue de souffrir de plusieurs maux que nous relèverons au fur et
à mesure dans notre développement.
1.3- Développement de la production et
commercialisation
La noix de cajou est devenue une aubaine pour les producteurs,
les transformateurs, les transitaires et exportateurs. La production
gérée de manière extensive, offre aux producteurs une
source de liquidité facilement disponible. La faible pression
phytosanitaire sur l'anacarde contribue à limiter le risque
économique de l'activité pour le producteur et offre à la
noix un label international de qualité.
1.3.1- Production des noix
L'anacardier, rappelons-le a été introduit en
Côte d'Ivoire pour le reboisement et pour lutter contre l'érosion
dans la région de Korhogo.
Aujourd'hui, les plantations couvrent toutes les
régions centre et nord du pays. Par vagues successives, ces populations
adoptent la culture de l'anacardier. Au vu de cela, nous nous sommes
proposé de recueillir des données sur ce qui a motivé ces
populations à l'adoption de cette culture. Plusieurs motifs justifient
l'adoption de la culture de l'anacardier (Tableau I).
Tableau I: Répartition des producteurs
selon les motifs d'adoptions.
Motifs
|
n (fréquence)
|
% (pourcentage)
|
% cumulé
|
Plante d'avenir
|
16
|
26.2
|
26.2
|
Prix intéressant
|
2
|
3.3
|
29.5
|
Sortir de pauvreté
|
43
|
70.5
|
100.0
|
Total
|
61
|
100.0
|
|
Source: Données d'enquêtes, Juillet-Août
2009
Les populations ont adopté cette culture pérenne
pour un intérêt particulier, celui de sortir de la
pauvreté. C'est au total 43/61 personnes soit 70,5% des
enquêtés ont adopté cette culture pour sortir de la
pauvreté; 16/61 soit 26,2% l'ont adopté parce qu'ils croient en
l'avenir de cette culture ; 2/61 soit 3,3% estiment que les prix sont devenus
plus intéressants et qu'il était donc une opportunité pour
eux d'adopter cette culture.
L'adoption de cette culture est aussi liée au fait
qu'elle nécessite très peu de moyens financiers que physiques par
rapport à d'autres cultures comme celles du coton et de la mangue. Nous
avons demandé aux producteurs, laquelle des trois cultures (anacarde,
coton, mangue) était la moins fatigante. Leurs avis ont
été rapportés dans le tableau II.
Tableau II: Répartition des
enquêtés selon que la culture soit la moins fatigante.
Cultures
|
n
|
%
|
% cumulé
|
Anacarde
|
55
|
90.2
|
90.2
|
Mangue
|
6
|
9.8
|
100.0
|
Coton
|
0
|
0
|
100.0
|
Total
|
61
|
100.0
|
|
Source: Données d'enquêtes Juillet-Août
2009
Au total 55 personnes, soit 90,2% ont estimé que la
culture de l'anacardier est la moins fatigante. Seulement 6 personnes, soit
9,8% ont choisi la culture de la mangue comme la culture la moins fatigante et
0% pour la culture du coton. La culture du coton a été
jugée comme la culture la plus fatigante. Cette dernière, aussi
bien qu'elle nécessite beaucoup de moyens financiers pour l'achat des
produits phytosanitaires et d'engrais, elle nécessite aussi beaucoup
d'efforts physiques. L'une des raisons de l'adoption de la culture de
l'anacarde reste le fait qu'elle soit moins fatigante contrairement à la
culture de la mangue et du coton.
Les plantations d'anacardiers ont été
développées par les paysans (choix des variétés
à utiliser au piquetage, la technique de plantation ou de semis,
l'entretien et les pratiques de ramassage et séchage). En prenant le cas
particulier de Karakoro, seulement 61 personnes ont reçu un enseignement
(de l'ONG Chigata) sur les techniques culturales d'une plantation d'anacardier.
Ces personnes ont été choisies dans 25 villages de la
Sous-préfecture sur environ 99 villages qu'elle compte. Cet effectif
n'atteint pas l'effectif des producteurs d'un village comme Pokaha (village de
ladite Sous-préfecture), où le nombre est estimé à
plus de 65 personnes. Ces 61 personnes ont reçu l'enseignement
grâce à la coopérative Chiongagnigui des femmes de Karakoro
qui a bénéficié d'une unité de décorticage
(avec l'appui de partenaires comme RONGEAD (France) et INADES Formation
(Côte d'Ivoire)). En plus de l'encadrement qui n'est pas effectif, la
filière est soumise à d'énormes difficultés qui
freinent son développement.
1.3.2- Commercialisation des noix de cajou
Le circuit de commercialisation de la noix est très long.
Cette commercialisation est assurée par un grand nombre d'acteurs dont
l'activité est
peu régulée (producteurs, pisteurs,
commerçant des zones de productions, commerçants d'Abidjan,
exportateurs). Cependant, cette situation ne profite pas aux producteurs. Nous
avons mis un accent particulier sur le rôle des pisteurs dans la
commercialisation de l'anacarde. En effet, qu'est-ce qu'un pisteur
?
Un pisteur est un guide qui sillonne la forêt et la
campagne à la recherche de la production. C'est en quelque sorte
quelqu'un qui a une maîtrise du terrain. Il est un intermédiaire
dans le système de commercialisation. Il a un grand rôle social
qui lui est assigné, celui d'aider les paysans à vendre leur
production. Le constat sur le terrain est amer. Aujourd'hui, les pisteurs sont
devenus pour la plus part des petits commerçants. Nous avons
interrogé nos enquêtés sur l'appréciation qu'ils ont
sur le rôle des pisteurs (Tableau III).
Tableau III: Appréciations des pisteurs
par les paysans.
Appréciation
|
n
|
%
|
Cumulé
|
Aide importante
|
1
|
1.6
|
1.6
|
Escroc
|
60
|
98.4
|
100.0
|
Total
|
61
|
100.0
|
|
Source : Données d'enquêtes, Juillet-Août
2009
Le tableau ci-après montre clairement que les pisteurs
se sont détournés complètement de leurs objectifs. Du
rôle social qui leur est assigné, ils jouent aujourd'hui un
rôle d'escrocs (ils sont traités d'escrocs parce qu'ils ne
respectent pas les prix fixés par l'Etat). L'observation du tableau
montre que 60/61 personnes, soit 98,4% de la population n'apprécie pas
leur travail sur le terrain. Seulement 1/61, soit 1,6% a reconnu le rôle
important que devrait jouer ces personnes.
On a aussi assisté à la non fiabilité des
bascules des pisteurs et autres acheteurs, à la présence d'une
multitude d'acteurs dans les zones de production, le manque d'information
à la fixation du prix qui est imposé par l'acheteur,
l'utilisation de faux billets par certains intermédiaires. Ces pisteurs
ne sont pas
identifiés par une quelconque administration. Ce
marché est dominé par les acheteurs Indiens. Ils
achètent les noix brutes grâce à des
intermédiaires Ivoiriens. Ils les exportent vers l'Inde où
elles sont décortiquées et revendues
sous l'appellation mondialement connue de ?Noix de cajou
d'Inde?, même sielles proviennent de la Côte
d'Ivoire.
1.4- Transformation des noix de cajou
Utilisée seulement à des fins de reboisement,
cette plante va se démarquer de son rôle écologique pour
épouser le statut de culture de rente au plan socioéconomique.
Ainsi, il s'est avéré nécessaire la mise en place
d'instituts, de recherches comme l'institut de recherches des fruits et agrumes
(IRFA), les structures de développement de façon
générale. «La société de valorisation de
l'anacardier du Nord (SOVANORD) créée en Mars 1972 et
l'ANACARIndustrie de Côte d'Ivoire (AICI) en Novembre 1976 avait pour
tâche de transformer la noix de cajou en amande, afin de l'exporter
directement sur les marchés Européens » (SEDES, 1986).
Avec des objectifs de développement, quelques
unités industrielles se sont installées en Côte d'Ivoire
afin de procéder à la transformation de la noix entre autre
SODIRO, CAJOU-CI, AFRECO, toutes ces initiatives se sont soldées par des
échecs. Malgré la situation de crise que traverse la Côte
d'Ivoire, force est de constater que le processus de transformation
connaît tant bien que mal un progrès, mais reste toujours
négligeable face à l'évolution de la production. Pour
l'année 2008, nous avons enregistré 4 grandes
sociétés de transformation et deux coopératives
transformatrices (Tableaux IV et V).
Tableau IV: Sociétés de
transformation en 2008.
Sociétés
|
Capacité potentielle (tonne)
|
Quantité transformée (noix
brute)
|
Olam Ivoire
|
5000
|
3909
|
SITA
|
2500
|
1473,347
|
Cajou de Fassou
|
1500
|
55
|
PAMO (au stade d'essai)
|
|
|
Source: ARECA
Tableau V: Coopératives transformatrices
en 2008.
Coopératives Capacité potentielle (tonne)
Quantité transformée (noix
transformatrices brute)
COOPABO 285 90
COOGES 4000 100
Source: ARECA
Les tableaux IV et V montrent qu'aucune société
ni coopérative n'a pu transformer la capacité potentielle dont
elle est capable. Cela est dû à un certain nombre de
problèmes parmi lesquels on peut citer le manque de moyen financier pour
employer le personnel nécessaire auquel on peut ajouter le manque de
matériel à la pointe. Au titre de l'année 2009, le
processus de transformation a connu une évolution considérable
avec le nombre d'unités de décorticage qui s'est vu
accroître (tableau VI).
Tableau VI: Evolution du nombre d'usines et
d'unités de décorticage.
Nom Capacité (tonne) Localisation
Olam Ivoire 5000 Abidjan
COOGES 4000 Sépingo
PAMO 2500 Bondoukou
SITA 2000 Odienné
Cajou de Fassou 1500 Yamoussoukro
COOPRAG 300 Katiola
RAMOF Cajou 300 Bouaké
SARAYA 300 Bouaké
COOPABO 100 Bondoukou
VTRAD Essai Tieningboué
Chongagnigui `' Karakoro
COSEME `' Odienné
COFINI `' Niofoin
Klognomo `' Ferké
Wopinin woyin `' Korhogo
Anacarde Doré `' Kouassi Kouassikro
Anad `' Dabakala
Source : ARECA
Le nombre d'usines de transformation et d'unités de
décorticage s'est accru grâce à certaines
coopératives qui ont vu le jour et aussi avec l'appui de certains
organismes non gouvernementaux qui ont apporté aide et assistance
à des coopératives de producteurs ou non.
Malgré les difficultés que rencontre la
filière anacarde, elle a atteint certaines performances remarquables. Le
chapitre suivant expose ces performances.
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