Dans cet entretien, notre principale interlocutrice,
la mere, nous parle de ses attentes et surtout de ses doutes. Elle ne connait
pas les filieres et leurs debouches au-dela du primaire et ne projettent pas
vraiment ses enfants dans un avenir professionnel. Elle envisage leur scolarite
dans le court terme (redoublement/reussite) et nous dit se sentir impuissante
quant au devenir de ceux-ci.
La mere :
La psychologue e t les professeurs m'on t di t qu'elle e tai
t trop lente, qu'elle n'arrivai t pas a suivre au tableau e t que ce serai t
mieux, pour elle, qu'elle change d'ecole (...)
Les professeurs m'ont explique qu'il faut qu'elle ai t tout le
temps quelqu'un derriere elle pour les devoirs (...) Elle e tai t trop tete en
l'air et reveuse (...)
La fille :
En fait, a la fin de la 6eme primaire (de l'enseignemen t
special) je n'ai pas regu mon CEB (cer tifica t d'e tudes de base), alors je
devais aller en classe accueil.
Dans la famille interrogee, il s'avere que quatre
enfants sur cinq sont passes par l'enseignement special, les raisons invoquees
sont les suivantes : lenteur, probleme de niveau (surtout en francais quand on
sait que les 2 premieres annees de l'enseignement primaire sont principalement
consacrees a la lecture et a l'ecriture), besoins de plus d'attention que les
autres et parfois selon les dires de la mere, trop reveuse, « tete en
l'air ».
Que savent la mere et la fille de l'enseignement special
?
La mere:
Ils m'ont di t de la me ttre a l'ecole X [ecole speciale du
quartier] parce qu'il y a de tres pe ti tes classes e t que comme ca elle
pourra ra ttraper son retard e t puis rejoindre les au tres (...)
Elle a passe un test e t son professeur a decide que c'e tai t
mieux qu'elle change d'ecole (...)
Au debut je croyais que c'e tai t des ecoles pour handicapes
mentaux e t apres on m'a explique que c'e tai t une ecole pour les enfants qui
avaient du mal a suivre, qui vont plus lentement que les autres, qu'il y a
moins d'enfants par classe e t qu'on fait alors plus attention a eux. E t puis
comme ca ils ra ttrapent leur retard e t peuvent aller dans une ecole de bon
niveau.
La fille:
Ben, ce n'etait pas drole parce que les autres enfants ils
croient que c'es t une ecole pour handicapes, alors que c'es t pas ca, c'es t
juste une ecole pour les enfants lents. Ils se moquen t de nous.
Les professeurs et les psychologues (PMS) definissent
l'enseignement special comme une structure scolaire composee de petites classes
permettant une meilleure prise en charge des enfants dits en difficulte
scolaire. Les enfants, qui au debut de leur parcours scolaire, n'atteignent pas
le niveau exige (la norme), sont orientes vers cette filiere. Theoriquement
cela devrait leur donner la possibilite de « se remettre a niveau »,
de « rattraper leur retard » afin de rejoindre l'enseignement general
a l'issue de l'enseignement primaire. Les parents sont sceptiques au depart
quant a l'idee de mettre leur enfant dans ce type d'enseignement (percu comme
une ecole pour « handicapes mentau x »). Ils se voient rassures par
l'e xplication des objectifs de cette filiere et surtout par l'assurance que
leur enfant, grace a une meilleure prise en charge, pourra rejoindre
l'enseignement general et avoir les memes chances que les autres d'acceder a
une formation qui mene a un metier valorisant.
Comme l'indique le cas de la fille presente lors de
l'entretien, l'enfant qui n'a pas obtenu son certificat de fin d'etudes
primaires se trouve oriente vers la classe accueil, puis vers le professionnel.
C'est apparemment la « trajectoire type » des enfants engages dans
l'enseignement special46.
En effet, dans plusieurs cas rencontres au sein des
meres frequentant le centre d'accueil, ainsi que dans des etudes sur le
parcours scolaire des enfants issus de l'immigration effectuees par des
sociologues, de nombreux enfants scolarises dans le special n'obtiennent pas
leur certificat de fin d'etudes primaires. Des lors, ils ne peuvent acceder a
l'enseignement secondaire general et sont orientes vers les classes accueils en
premiere secondaire et puis vers l'enseignement professionnel. Le «
devenir » de ces enfants est scelle des l'age de 8-9 ans a l'ecole
primaire.
46 Voir a ce propos FAMEREE
N. Et GIOT B. (2001), 0 Les chiffres de l'enseignement special: un dossier pour
mieux comprendre la situation en Communaute française de Belgique
», Notes techniques, Service de Pedagogie e xperimentale de
Liege
et BEAUCHESNE M.-N. Et DE TROYER M., 0
L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement special en
province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies Regionales,
Rapport de recherche, Avril 1996.