INTRODUCTION
Cette partie de l'enquete est consacree a l'etude du
discours des directrices d'ecoles speciales. Elle a debutee dans une ecole
speciale primaire situee en plein cceur d'un quartier populaire de
Bruxelles.
Les meres que nous avons rencontrees nous ont souvent
parle de cette ecole pour y avoir inscrit leurs enfants. Ensuite, nous avons
decide d'etendre l'enquete aux autres ecoles speciales primaires situees sur la
meme commune, specifiquement celles qui accueillent des enfants de type 1, 3 et
8, autrement dit des enfants diagnostiques « debiles
legers47» (3 ecoles).
Face a l'anxiete des parents quant a l'avenir de leurs
enfants, l'ecole se veut rassurante. L'enseignement special va leur permettre
grace a une meilleure prise en charge de leur « handicap » de
rattraper leur retard pedagogique.
Les professionnels de l'enseignement special sont
formels, « ce n'est pas une ecole pour handicap~s ...s'ils font des
efforts, ils pourront rattraper leur retard et reintegrer le circuit de
l'enseignement general ». Or, comme nous l'avons indique plus haut, il
semble qu'il soit plutot rare sinon exceptionnel qu'a l'issue du cycle
primaire, les enfants engages dans cette filiere obtiennent le Certificat
d'Etudes de Base (C.E.B) qui permet de reintegrer l'enseignement secondaire
general.
Il semble y avoir une reelle dichotomie entre le
discours de l'ecole sur les objectifs de l'enseignement special ; et le reel
devenir des enfants qui s'y engagent. Afin de mieux cerner le discours de
l'ecole, nous avons realises des entretiens approfondis avec les directrices
des 3 etablissements scolaires en question. Mais avant d'aborder ces entretiens
il nous parait utile de rappeler les principales caracteristiques de
l'enseignement special
47 Selon les epoques, les
termes degeneres, debiles, deficients, inadaptes ont ete employes pour designer
les « anormau x d'ecole ».
3.1 LES STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT SPECIAL EN
BELGIQUE
Depuis la fin des annees quarante, ce type
d'enseignement s'est considerablement developpe en Belgique comme dans tous les
pays industrialises48. L'opinion publique est sensibilisee a la
question des enfants handicapes. La notion de justice sociale succede a celle
de charite dans les motivations qui sous-tendent la volonte d'aider les enfants
deficients.
La loi de 1970 organise l'enseignement special sous sa
forme actuelle.
Huit types d'enseignement sont organises, en fonction
des categories de handicap. Comme toute categorisation, celle adoptee par le
legislateur a sa part d'arbitraire et de contestable comme le dit Jean-Louis
CHAPELLIER49
« La critique devient necessaire et urgente si
nous regardons attentivement la population reprise dans trois categories : les
types "un" (enfants et adolescents atteints de deficience mentale legere),
"trois" (enfants et adolescents caracteriels) et "huit" (enfants et adolescents
atteints de troubles instrumentaux). En tout, 7°% des enfants de
l'enseignement special en Belgique francophone appartiennent aujourd'hui a ces
trois categories »
Depuis la Loi du 6 juillet 1970 (modifiee par la Loi
du 11.03.86, les Decrets du 28.01.91 et du 24.07.97) cadre legal de
l'enseignement special :« tout enfant ou adolescent handicaps age de 2 ans
et demi a 21 ans peut beneficier d'un enseignement adapts a ses difficult~s et
qui tient compte de ses besoins educatifs specifiques5°
»:
Cette loi organise les pratiques dans le domaine de
l'education specialisee et confere une existence officielle a l'enseignement
special, la loi de 1970 a comme consequence directe de rassembler toutes les
classes speciales, auparavant anne xees a une ecole ordinaire, dans une
même ecole.
Les enfants handicapes sont generalement classifies
en huit types repris dans le tableau ci-dessous. Nous avons mis en parallele
les definitions fournies par un service universitaire et celle utilisee par les
praticiens d'une ecole primaire d'enseignement special
48 Même si la
premiere disposition legale relative a la creation d'un enseignement special en
Belgique se trouve inscrite dans la premiere loi sur l'instruction obligatoire,
l'article 28 de la loi du 19 mai 1914 stipule que: "la oil la population le
permet, les communes seront tenues d'organiser des classes pour enfants
faiblement doues ou arrieres ou pour enfants
anormau x".
49 CHAPELLIER, J-L, «
L'éducation spécialisée. Line ecole de pauvres en Belgique
» in 0 L'ecole face aux handicaps ». Sous la direction de Michel
Chauviere et Eric Plaisance, PUF, Paris, 2000.
80 FAMEREE N. et GIOT B., « Les chiffres de
l'enseignement special: un dossier pour mieux comprendre la situation en
Communaute française de Belgique » , Notes techniques, Service de
Pedagogie experimentale de Liege, p.13.
|
Service de Péda go gie expérimentale de
l'Université de Liè ge51
|
Praticiens de l'ensei gnement spécial
· · 52
primaire
|
Type 1
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale legere.
|
concerne les enfants atteints d'arrieration mentale
legere (Q.I. 55-70), capables d'acquerir des connaissances scolaires
elementaires et une maitrise professionnelle permettant une integration en
milieu socioprofessionnel normal.
|
Type 2
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints d'arrieration mentale moderee ou
severe.
|
concerne les enfants atteints d'arrieration mentale
moderee (Q.I. 40-55) ou severes (Q.I. inf
A 40). Pour les premiers on peut envisager une
integration socio-professionnelle protegee (ateliers proteges). Pour les
seconds on envisage une socialisation par des activites educatives
adaptees.
|
Type 3
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de troubles caracteriels et troubles de la
personnalite.
|
concerne les enfants caracteriels presentant des
troubles de la personnalite qui exigent le recours a des methodes
orthopedagogiques et psycho-therapeutiques.
|
Type 4
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences physiques
|
concerne les handicapes physiques incapables de
frequenter l'enseignement ordinaire et dont l'etat e xige le recours a des
soins medicaux et paramedicau x (kinesitherapie, par e xemple) reguliers et a
l'emploi des methodes orthopedagogiques.
|
Type 5
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents malades
|
concerne les enfants malades hospitalises en clinique ou
en institution medico-sociale.
|
Type 6
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences visuelles.
|
concerne les aveugles et les amblyopes.
|
Type 7
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants et des adolescents atteints de deficiences auditives.
|
concerne les sourds et les malentendants.
|
Type 8
|
Enseignement special adapte aux besoins educatifs des
enfants atteints de troubles instrumentau x.
|
concerne les enfants souffrant de troubles instrumentau
x c'est-a-dire eprouvant des difficultes a apprendre le langage, l'ecriture, la
lecture ou le calcul (dyslexiques, dyscalculiques, dysorthographiques et autres
"dys").
|
|
51 FAMEREE N. et GIOT B.,,
op.cit. p.13
52 La classification des
praticiens est issue d'un prospectus elabore par une ecole speciale primaire en
vue de presenter ses 0 missions » et ses pratiques au public.
Sauf exceptions, on retrouve ces 8 types d'enfants
handicapes dans les trois niveau x d'enseignement traditionnel : le maternel,
le primaire et le secondaire. L'entierete de la scolarite est prise en
consideration pour certains types d'handicaps. Par contre l'enseignement
maternel n'est pas prevu pour le type 1 et 8 et l'enseignement secondaire n'est
pas organise pour le type 8.
Les enfants de type 8 a l'intelligence « normale
» sont senses « réintégrer l'enseignement ordinaire,
soit en cours de scolarité primaire, soit a l'entrée du
secondaire53. C'est pour cette raison que nous nous sommes
particulierement interresses a leurs remediations.
Au niveau du secondaire de l'enseignement special, on
distingue quatre formes. Ces formes d'enseignement s'adressent, en ce qui
concerne les « debiles legers », aux enfants classifies type 1 (e
xclusivement la forme 3 : l'enseignement special secondaire professionnel) et
type 3 (toutes les formes) Les finalites de ces formes sont detaillees dans le
tableau ci-dessous.54
53Prospectus de presentation
d'une des ecoles oil nous avons enquete 54 FAMEREE N. et GIOT B.,
op. cit., p.14
FORME 1 (F1)
|
|
Enseignement special secondaire
d'adaptation sociale
|
- peut accueillir des eleves relevant des types 2, 3, 4,
6, 7
- vise au developpement des possibilites
sensori-motrices
des eleves et de leurs possibilites de communication,
d'autonomie et de socialisation
- vise l'integration dans un milieu de vie
protege.
|
FORME 2 (F2)
|
|
Enseignement special secondaire
d'adaptation sociale et professionnelle.
|
- peut accueillir des eleves des types 2, 3, 4, 6 et
7
- vise l'integration dans un milieu de vie et de
travail
proteges
|
FORME 3 (F3)55
|
|
Enseignement special secondaire
professionnel
|
- peut accueillir des eleves des types 1, 3, 4, 6 et
7
- vise l'integration dans un milieu normal de vie et
de
travail
|
FORME 4 (F4)
|
|
Enseignement secondaire general, technique, artistique
et professionnel de transition ou de qualification.
|
- peut accueillir des eleves relevant des types 3, 4, 5,
6 et 7
- prepare a la vie active tout en permettant la
poursuite
d'etudes ulterieures (programme equivalent a celui de
l'enseignement secondaire ordinaire renove mais avec des methodes
adaptees)
- tout comme l'enseignement ordinaire la forme 4
est
organisee en 3 degres de 2 annees d'etudes
- apres le 3eme degre de l'enseignement
professionnel,
trois types de 7!me professionnelle peut être
organises (cf. Legislation de l'enseignement secondaire)
- apres le 3eme degre de l'enseignement technique
de qualification, une 7!me annee de perfectionnement peut être
effectuee
- sanction des etudes: cf. Legislation de
l'enseignement
secondaire
|
|
55 Une reforme de la forme
3, instauree a titre experimental dans les ecoles de la Communaute
française de Belgique depuis 1993-1994, tend a être adoptee par le
reseau Officiel.
Il faut retenir que certaines ecoles fonctionnent
suivant l'ancienne legislation (toujours en vigueur) et d'autres appliquent a
titre experimental de nouvelles circulaires.
Quelques donnees chiffrees en Communaute francaise
de Belgique56...
Tableau 1
Pourcentage d'eleves frequentant l'enseignement special
par rapport a l'ensemble des enfants et adolescents scolarises (ordinaire +
special)57 :
|
Niveau Maternel
|
Niveau Primaire
|
Niveau Secondaire
|
Nombre total d'eleves dans l'ordinaire
|
168.066
|
311.031
|
335.030
|
Nombre total d'eleves dans le special
|
993
|
13.111
|
12.787
|
Nombre total d'eleves dans (ordinaire +
special)
|
169.059
|
324.142
|
347.817
|
Pourcentage d'eleves dans le special
|
0,59%
|
4,04%
|
3,68%
|
Nombre total d'eleves dans le type 1
|
0 (0%)
|
3.122 (0,96%)
|
6.961 (2%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 2
|
282 (0,17%)
|
1.565 (0,48%)
|
1.982 (0,57%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 3
|
83 (0,05%)
|
1.748 (0,54%)
|
2.557 (0,74%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 4
|
188 (0,11%)
|
594 (0,18%)
|
729 (0,21%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 5
|
300 (0,18%)
|
523 (0,16%)
|
190 (0,05%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 6
|
25 (0,01%)
|
112 (0,03%)
|
144 (0,04%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 7
|
115 (0,07%)
|
236 (0,07%)
|
224 (0,06%)
|
Nombre total d'eleves dans le type 8
|
0 (0%)
|
5.211 (1,61%)
|
0 (0%)
|
|
Tableau 2
A l'interieur de l'enseignement special, pourcentages
d'eleves frequentant les differents types de classes:
|
Niveau Maternel
|
Niveau Primaire
|
Niveau Secondaire
|
Nombre total d'eleves dans le special
|
100,0%
|
100%
|
100%
|
Nombre total d'eleves dans le type 1
|
0,0%
|
23,8%
|
54,4%
|
Nombre total d'eleves dans le type 2
|
28,4%
|
11,9%
|
15,5%
|
Nombre total d'eleves dans le type 3
|
8,4%
|
13,3%
|
20,0%
|
Nombre total d'eleves dans le type 4
|
18,9%
|
4,5%
|
5,7%
|
Nombre total d'eleves dans le type 5
|
30,2%
|
4,0%
|
1,5%
|
Nombre total d'eleves dans le type 6
|
2,5%
|
0,9%
|
1,1%
|
Nombre total d'eleves dans le type 7
|
11,6%
|
1,8%
|
1,8%
|
Nombre total d'eleves dans le type 8
|
0,0%
|
39,7%
|
0,0%
|
|
56 Les tableaux reproduits
ci-dessous sont issus du rapport de recherche de Nathalie FAMEREE et Bernadette
GIOT, op. cit., p.94
57 Statistiques relatives a
l'annee 1995/1996
Tableau 3
Nombre d'eleves belges et etrangers tous reseaux
confondus (Communaute française, Officiel subventionne et Libre
subventionne) dans l'ordinaire et dans le special primaire.
|
Ordinaire
|
Special
|
TOTAL
|
Pourcentage d'eleves dans le special
|
Nombre d'eleves belges
|
264149
|
10426
|
274575
|
3,80%
|
Nombre d'eleves etrangers
|
46882
|
2685
|
49567
|
5,42%
|
Nombre total d'eleves
|
311031
|
13111
|
324142
|
4,04%
|
Pourcentage d'eleves belges
|
84,93%
|
79,52%
|
84,71%
|
|
Pourcentage d'eleves etrangers
|
15,07%
|
20,48%
|
15,29%
|
|
MINISTERE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE, Statistiques des
etablissements d'enseignement, des eleves et des diplomes. Annuaire 1995-1996,
vol II, Bruxelles, 1999.
Un premier coup d'ceil sur les effectifs 1995/1996
permet de noter que la majorite des enfants et adolescents se repartissent
entre les types 1, 3, 8, categorises "deficients legers", non determine par la
medecine (pathologie severe).
Le deuxieme tableau indique que 75 a 77% des eleves
frequentant l'enseignement special se trouvent dans des classes de type 1, 3,
8, avec un pourcentage particulierement eleve pour le type 8 au niveau primaire
et pour le type 1 au niveau secondaire. L'enseignement special draine environ
4% des eleves scolarises.
Ce sont des enfants dits en difficultes scolaire
reveles par l'institution scolaire elle-meme alors que les autres types n'ont
pas eu besoin de l'ecole comme revelateur/detecteur, ce sont les parents qui
font appel a un medecin puis orientent leur enfant vers le type d'enseignement
approprie a son handicap (enfants sourds, aveugles, handicapes moteur, ne
pouvant se deplacer,...).
Pour les autres, l'effectif augmente considerablement
en primaire, ce qui nous indique qu'ils sont "detectes" et orientes a la fin de
la premiere annee primaire (par l'ecole).
A partir de ces donnees, on peut penser que l'annee
de l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture sera decisive pour ces
enfants dans la construction de leur handicap scolaire. Leur destin scolaire
est dorenavant gouverne par les centres PMS. Suite a un "test
multidisciplinaire" ils recevront une attestation qui determine leur type d'
handicap intellectuel et qui, de ce fait, sera decisive pour leur avenir
scolaire et professionnel.
On notera que l'enseignement special maternel et
secondaire, n'est pas organise pour le type 8.
Or, pres de 40% des slaves du special emargent a ce
type.
Une question s'impose: que deviennent au niveau du
secondaire ces enfants senses avoir une « intelligence normale
»
Il ressort de nos entretiens que trois possibilites
s'offrent a eu x:
- soit ils obtiennent leur CEB et rejoignent
l'enseignement ordinaire. Ce qui semble tout a fait e xceptionnel aux dires des
directrices.
- soit ils sont orientes en classes accueils,
structure de "familiarisation avec le secondaire" pour enfants en difficultes
scolaire. Ce qui postpose un eventuel retour dans l'enseignement
ordinaire.
- Soit ils sont reevalues par un centre PMS. Ils
sont, alors, orientes vers l'enseignement special secondaire. Leur type
d'inadaptation est revu « a la baisse ». Ce qui permet de les
maintenir definitivement dans l'enseignement special.
Par ailleurs, a la lumiere de ces possibilites, on
remarque qu'en secondaire l'effectif du type 1 double, il passe de 23,8 % a
54,4% et l'effectif des types 2 et 3 subit une forte augmentation (de 3,6% et
6,7% en plus par rapport au primaire). Alors que pour les handicaps plus
severes c'est plutôt l'inverse qui se produit, leur effectif
diminue.
On peut penser qu'à l'issue de l'ecole
primaire, une grande partie des types 8 ont ete « reevalues » en type
1. De plus une etude sur l'enseignement special en province de Luxembourg nous
indique que la « revision du type » est une pratique couramment
utilisee dans cette filiere: « Les enfants atteints de troubles
instrumentaux rejoignent l'enseignement ordinaire a l'issue du primaire ou
alors leur type de handicap ou de déficience peut etre
réviséR: ».
58 BEAUCHESNE M.-N. Et DE
TROYER M., op. cit., p.12.
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