3.2 L'ORIENTATION VERS L'ENSEIGNEMENT SPECIAL
Nous avons centre nos entretiens avec les directrices
d'enseignemeent special sur les questions suivantes :
Comment fait-on pour reperer les enfants «
deficients » ? Quels sont les criteres qui president a l'orientation ?
Quelles sont les remediations proposees par l'enseignement special ? Comment
les chefs d'etablisements definissent-ils les « deficiences » de
leurs eleves ? Quelle est la marge de manceuvre de l'ecole, des Centre PMS, des
parents concernant l'orientation et le parcours scolaire dans l'enseignement
special ? Quel est l'impact du milieu socio-culturel sur l'orientation vers
cette filiere ? Le passage du special vers l'ordinaire est-il aise ? Quel est
le devenir socio-professionnel des enfants inscrits dans cette filiere
?
Les propos recueillis aupres de directrices d'ecoles
primaires speciales sont revelateurs de la problematique du reperage des «
anormaux d'ecole » et de leur orientation vers le special :
Les handicaps graves son t diagnos tiques tres tot par les
medecins (parfois des la naissance). Pour les autres c'est plus di~~icile d
déceler, souvent ce sont des enfants qui on t des problemes de contact
avec les autres, des problemes de limi tes, ceux-là son t en general
signales par les professeurs. Un centre Psycho-Medico-Social (PMS) fait une
enquete familiale, sociale e t medicale e t fait passer une serie de tests a
l'enfan t. (...)
.
Lorsqu'un enfant entre dans le special, il faut qu'il ai t e
te decele par une autre ecole (ordinaire). C'es t obliga toire que l'enfant
vienne d'une au tre ecole, qu'il presen te des di~~icult~s scolaires (...)
Pour ren trer chez nous il faut passer par un centre e t subir
un testing complet, c'es t un test qui se fait a la demande expresse de l'ecole
ou des parents. Ce rapport a 4 vole ts pedagogique, psychologique, social e t
psychoaffec tif.
Chaque ecole a un centre PMS
[Psycho-Medico-Social] atti tre, en general c'es t une decision prise par
l'ecole. Une ins ti tutrice se rend comp te qu'un enfant traine, qu'il ne sai t
pas tenir un crayon en main (...) Apres testing par un psychologue, on informe
les parents e t là c'es t pas evident parce qu'il y a tout un travail de
persuasion a faire aupres des parents, parce que l'enseignemen t special est
assimile a une ecole pour handicapes, les parents ont du mal a accepter que
leurs enfants soient mis dans une ecole pour handicapes (...) Les parents ne
sont pas aptes d juger si leur en~ant d un Quotient intellectuel trés
faible, ilfaut qu'il soit passépar l'école pour fa (...) C'es t
pas evident de faire accepter aux parents que leur enfant est debile
On n'a pas d'handicapes physiques ici, le niveau intellectuel ne
se voit pas toujours sur le visage.
On voit combien les definitions des termes lies a
l'enfance anormale revetent une importance en matiere de parcours scolaires a
travers les remediations differentes preconises par les specialistes. Nous
avons releve plusieurs problematiques :
L'interpretation des o difficult(s scolaires » par
les directrices d'ecoles speciales
A l'instar de BINET, toutes les directrices ont
tendance a naturaliser l'intelligence, l'enfant debile leger va «
plafonner » parce que son intelligence se situe en-dessous de la moyenne
(elle est mesuree par le Quotient Intellectuel et est sensee etre donnee une
fois pour toutes) et n'arrivera jamais a atteindre le niveau d'abstraction qui
caracterise l'intelligence.
BINET etablissait la difference entre les «
anormaux d'hospices » destines aux asiles et les « anormau x d'ecoles
» destines aux ecoles speciales et insistait sur le fait que ces derniers
etaient « educables ».
La directrice substitue au terme « educables
» de BINET celui de « scolarisables » pour caracteriser les
« debiles legers » tout en donnant une explication biologique a leurs
difficultes:
Les enfants de type 1 son t debiles legers, ils son t
scolarisables, peuvent apprendre a lire e t a ecrire mais ils vont bloquer au
niveau du raisonnement e t de la logique. Donc, au bout d'un certain temps, ils
vont s tagner, ils ne vont plus pouvoir aller au-dela de leurs limi tes, il y a
reellement un plafond.
Ces enfants peuvent recevoir une education qui vise a
les rendre aptes a effectuer des taches concretes puisqu' « ils manquent
de raisonnement et de logique »:
Ces enfants la vont continuer a apprendre des choses mais qui
vont plus tourner autour de mecanismes e t d'automa tismes.
Generalement, lorsqu'on demande aux chefs
d'etablissements de definir les « difficultes scolaires » des eleves
orientes dans le special, le vocabulaire qu'ils emploient est revelateur d'une
interiorisation des denominations qui balisent le champ de l'enfance anormale.
En grande majorite, leurs reponses font reference a la mesure de l'intelligence
(QI) et a la categorie (anciennement arriere ou instable) du debile leger e
xprime en terme de type.
L'e xplication des difficultes scolaires en termes de
type de deficience et de Quotient Intellectuel s'etend aux milieux sociaux des
enfants.
Les directrices e xpliquent l'impact du milieu social
sur l'orientation vers le special par une deficience. Ces milieux sont
constamment definis en termes de manques, de problemes... in fine par leur
deficience et leur anormalite.
Le type 8, ce sont les enfants qui ont des troubles ins trumen
taux e t des troubles d'apprentissage : dyslexiques, dyscalculiques,
dysphasiques,... Il ne faut pas se leurrer ce son t souven t des enfants issus
de milieux sociocul turels tres faibles ou des enfants qui ont eu un trauma
tisme
Une directrice a e xprime des doutes concernant
l'utilisation des tests visant # definir le QI et le type. Elle met en cause
les politiques heteroclites des Centres PMS, qui sement la confusion. Parfois,
ce sont les competences de certains psychologues qui sont mises en questions,
il leur est reproche de ne pas prendre en consideration l'environnement
socio-culturel de l'enfant et d'appliquer les tests « a la lettre
».
Le type 3, c'es t un quotient intellec tuel dans la normalite
(100) mais il peu t etre inferieur. Le type 1, c'es t 70 e t le type de 2 c'es
t 50. Mais en fait cela ne veu t pas dire grand chose cela depend tellement du
test que vous fai tes passer. Les tranches ne sont pas les memes, les limi tes
des tranches changent selon les tests e t selon les Centre PMS.
La segmentation du champ de l'enseignement special est
telle que les chefs d'etablissements regrettent parfois d'avoir une marge de
manceuvre « si faible ». Ce regret s'exprime quand il y a litige, par
exemple lorsque les directeurs et professeurs de l'enseignement special
estiment qu'il y a une erreur de diagnostic, surtout lorsqu'il s'agit d'un
enfant turbulent ou indiscipline.
Ce qui nous embete c'es t quand il y a de mauvaises defini tions
de type.
Je fais confiance aux professionnels mais on n'y arrive pas
toujours...
La confusion des types 1 et 8
Les directrices d'ecole interrogees nous ont toutes fait
part de la confusion qui existe entre les types de deficients
legers.
Dans les ecoles frequentees par les enfants
categorises en type 1 (arrieration mentale legere) et en type 8 (troubles
instrumentau x), les directrices utilisent dans leur jargon « le type 18
ou 81 » pour caracteriser cette confusion :
Dans no tre jargon, on parle de type 18 ou 81 pour parler d'un
enfant a la limi te des deux types (...)
Comme nous l'avons evoque plus haut cette confusion
est attribuee a une erreur de diagnostic et devient litigieu x lorsqu'il s'agit
d'un enfant turbulent ou indiscipline. Notons que selon la categorisation de
BINET, le type 3 (troubles de la personnalite et caracteriel) est l'equivalent
de l'instable et le type 1 (arrieration mentale legere) ainsi que le type 8
(troubles instrumentaux, tous les dys) l'equivalent de l'arriere.
Bon, en type 1, ils sont gentils, ce qui nous agace vraiment
c'es t les types 3 (caracteriels), ca nous demande beaucoup d'energie e t nous
ne sommes pas competents pour les types 3. (...)
Lorsque les enfants sont « reevalues », ils
le sont en general « a la baisse ». Dans une hierarchie basee sur le
degre de gravite du handicap et particulierement dans le degre de remediation
propose, il est plus avantageux d'être type 1 que d'être type 3 et
plus avantageux encore d'être type 8 que d'être type 1 (voir les
structures et finalites de l'enseignement special). Ainsi, plutot que de
remettre en cause l'enseignement dispense, ce sera l'attestation qui determine
le type de deficience de l'enfant qui sera revisee. D'abord par les acteurs de
terrain (professeurs, directeurs et personnel para-medical) qui se reunissent
en conseil de classe en vue de « reevaluer » l'enfant et puis par les
psychologues des centre PMS qui officialiseront ce changement dans
l'attestation.
Lorsqu'un enfant a ete mal oriente, e t qu'il a une
attestation de type 8 on peu t le reorienter [en type 1], parce qu'un type 1
peut apprendre a lire, alors on ne remarque pas directement son handicap. C'es
t une perte de temps, plus les enfants son t detectes tot mieux c'es t pour
eux
L'enseignement special, arme d'un dispositif
medico-pedagogique parait peu enclin a sa propre remise en cause et a la
recherche de facteurs determinants l'echec scolaire autre que psychologiques
(socio-economiques et culturels). Les chefs d'etablissements se referent a
l'intelligence « naturelle » des enfants et, selon eux, la
possibilite de remediation est fonction du quotient intellectuel. A la question
« Apres detection de la deficience intellectuelle de l'enfant que propose
l'enseignement special pour remedier a ce probleme ? », il nous a ete
repondu :
Cela depend du Quotient Intellec tuel de chaque enfant parce
que dans les types 1, donc dans les debiles legers, on accueille des enfants
qui ont un quotient inferieur a 75 jusqu'a 50. Donc, si l'enfant a 70 de
quotient, il est a la limi te du type 1 e t du type 8. Donc ca devient un bon
type 1, ce t enfant la va peut-titre meme pouvoir aller au-dela d'un niveau de
deuxieme ou d'un niveau de troisieme (primaire) (...)
C'es t vrai qu'~ partir du moment oil ces enfants trouvent
leur cheminement au travers de tous les ateliers qu'on leur propose ici, il y
en a qui evolue meme au niveau du Quotient In tellec tuel, parfois c'es t assez
significa tif, c'es t rare mais ca arrive.
Aux origines de ce discours sur la confusion entre les
types, nous retrouvons la preoccupation de BINET, reperer les reels «
anormaux d'ecole » grace a la mesure de l' « intelligence naturelle
». Etonnamment « moderne », il pressentit ce genre de confusion
et/ou d'abus en matiere d'orientation et de maintien dans l'enseignement
special. Avec lucidite il met en garde contre le « charlatanisme » et
les « effets de la faiblesse humaine » qui produisent des erreurs de
diagnostic et de « faux anormaux d'ecole ».
BINET et SIMON donnent deux raisons pouvant e xpliquer
l'interet des ecoles a inscrire « de petits normaux » dans les ecoles
pour anormaux.
La premiere est liee a l'image de marque, la
reputation de l'ecole, un « faux anormal » donnera de meilleurs
resultats et permettra de faire valoir la pedagogie et le « redressement
intellectuel » effectuee par l'ecole :
« Les directeurs et professeurs d'anormaux auront
une tendance a montrer aux visiteurs de leurs etablissements des enfants qui
n'auront jamais ete arrieres de l'intelligence. On se gardera bien de raconter
dans quel etat on les aura reOus. Au besoin, on mentira. Mensonge pieux,
pratique pour une bonne cause, en l'honneur de l'ecole ! Ces enfants serviront
de reclame et ce serait aussi illegitime que si des ecoles de sourds-muets
presentait aux visiteurs des demi-sourds muets, ou des sourds ayant
autrefois entendu, en mettant sur le compte de
l'éducation l'habileté avec laquelle ces etres lisent sur les
levres ou prononcent des mots59. »
La seconde raison qu'ils evoquent pour expliquer
pourquoi les directeurs d'ecoles speciales « ouvrent largement leurs
portes a des normaux », est liee a la mise en doute de l'utilite publique
des ecoles pour anormau x si...on ne trouve guere d'anormaux :
« Dans certains établissements, il pourra
se produire pénurie d'anormaux. L'école est créée ;
elle marche ; le personnel émarge, on n'a pas beaucoup a faire, on ne
fait pas parler de soi, on est heureux. Seulement le contingent des
entrées diminue lentement. On a peur que quelque inspecteur ne signale
cette décroissance dans son rapport, et que l'école ne soit
supprimée pour cause d'inutilité publique. Il faudra donc trouver
des éleves ; et si on a besoin d'en trouver, on en
trouvera6°. »
Selon nous, BINET met le doigt sur un probleme crucial
de l'analyse institutionnelle. A partir du moment ou une institution est creee,
elle doit pouvoir legitimer son utilite, montrer sa coherence, sa
neutralite...
Des formations sont organisees en vue de former du
personnel « special » pour les ecoles, des postes sont pourvus,...Il
en est de meme pour d'autres institutions comme les Centres fermes et les
prisons.
Il ne s'agit aucunement de mettre en cause les bonnes
intentions des acteurs de l'enseignement special mais simplement de mettre en
evidence les enjeu x institutionnels inherents a ces champs.
De plus, nous avons vu que les criteres definissant
l'arriere et l'instable de BINET et SIMON, sont assez vagues et font appel a la
morale.
Il n'est, des lors, pas etonnant que malgre les bonnes
intentions des inventeurs de tests (personnalite, QI,...), tel que BINET, leur
utilisation revienne a figer l'individu, une fois pour toutes, dans une
categorie au nom d'un test scientifique « verifiable » et «
reproductible », « toutes choses egales par ailleurs
».
59 BINET et SIMON, op. cit.,
p. 118. A l'autre extreme, un discours assez similaire et actuel met en
perspective les apprehensions de BINET, celui de certaines ecoles elitistes qui
se targuent du fait que 8°% de leurs eleves reussissent a l'universite en
occultant la selection qu'ils ont opere au sein de leur population scolaire
pour parvenir a un tel resultat.
6° BINET et SIMON, op.
cit., p.119
La revision du type a Fissue du primaire
Un enfant de type 8 qui n'atteint pas le niveau requis
a la fin du cycle primaire sera generalement reevalue en type 1 (voire les
chiffres et commentaires sur le gonflement des effectifs de types 1 en
secondaire).
Cette revision du type le relegue definitivement dans
l'enseignement special. Rappelons que les enfants categorises type 8 sont
senses reintegrer l'enseignement ordinaire a l'issue des etudes primaires --
l'enseignement secondaire pour les enfants de type 8 n'etant pas organise a
dessein puisqu'on considere qu'ils sont dotes d'une intelligence normale --
alors que les enfants de type 1 seront en principe orientes vers une filiere
d'enseignement secondaire special qui vise a une integration dans un milieu
normal de vie et de travail et les enfants de type 3 vers une filiere
d'enseignement special qui vise a l'integration dans un milieu de vie et de
travail proteges :
Le "type" d'un enfant est-il evalue une fois pour toutes
ou peut-il etre reevalue ?
Ca depend, s'il est a la zone frontiere type 1I type 8, il peu
t avoir un compor tement e t un appren tissage parfois comme les types 8 qui
ont des quotients a la limi te du type 1.
Il y des enfants pour qui le Quotient In tellec tuel change un
peu, des enfants qui au depart ne s'expriment pas bien du tout, n'ont pas
beaucoup de vocabulaire, ne percoivent pas les consignes e t puis... au fil du
temps, il y a des enfants qui ont eu ce retard a cause d'un probleme
d'entrainement ~ la maison e t d'interet qui n'a pas ete suscite e t de manque
de jeu, manque de lecture, manque d'un tas de choses...
Quelles sont les implications d'une reevaluation sur
leurs futures orientations scolaires ?
Pour le type 8,
Ces enfants vont en classe accueil, ils ont un quotient
intellec tuel a par tir de 75. Il fau t se dire qu'autour des 75, les PMS ne
sont pas toujours tous d'accord, il y en a qui avec une attestation d'un QI de
65 vont encore essayer le type 8, parfois pour faire plaisir aux parents, parce
que les parents demande "es t-ce que type 1 ou type 8 c'es t la meme chose ?" E
t que le PMS leur explique que le type 8 accueille des enfants plus
intelligents alors ils disent « mon fils n'est pas bête vous saved
il peut pas aller en type 1 » donc souvent les PMS par complaisance
attribuent des attestations de type 8 et c'es t pour ca que parfois quand les
enfants tournen t autour de 70, 72, 75... Ce qui est bizarre c'es t que
certains avec 75 vont etre type 1 e t d'autres avec 70 vont etre type
8. Cela depend des PMS, a la zone des 70, c'es t assez difficile
e t variable d'un PMS a l'autre.
Pour le type 1,
C'es t deja arrive qu'un type 1 puisse aller en classe
d'accueil, dans l'ordinaire mais c'es t sur tou t quand le type 1 a un quotient
vers le hau t des types 1, c'es t sur qu'un enfant dont le quotient intellec
tuel se si tue au niveau de 55 ne va pas pouvoir aller en secondaire ordinaire,
fa d pend un petit peu oil il se trouve sur l~ichelle de l~intelligence.
L'examen pluridisciplinaire et l'attestation delivree
par le centre psycho-medico-social (PMS)
Un examen pluridisciplinaire (medical, psychologique,
social et pedagogique) decidera de l'orientation de l'enfant dans tel ou tel
type. Au cas oil ces tests ne suffisent pas, la loi prevoit la possibilite de
placer les enfants concernes dans des centres d'observation qui permettront de
preciser l'orientation.
Comme nous l'avons evoque plus haut, les methodes et
les pratiques inventees par les promoteurs de l'enseignement special en reponse
a la problematique des « anormau x d'ecole » ont ete remaniees,
approfondies sans etre fondamentalement modifiees. Afin de mieu x saisir les
intentions de BINET et SIMON, qui sont analogues a celles qui se trouveront
plus tard chez les fondateurs de la loi belge du 6 juillet 1970 relative a
l'enseignement special qui vise a reserver l'enseignement special « aux
veritables anormaux », penchons-nous un instant sur leur
oeuvre.
BINET et SIMON estiment qu'une premiere selection des
enfants anormau x est possible a partir du retard scolaire des enfants : «
Un retard scolaire de 3 ans signale un enfant comme suspect
d'arriération61. »
Notons a cet egard que ce critere est encore d'usage a
notre epoque pour proceder au reperage des inadaptations scolaires,
particulierement dans l'enseignement fondamental62.
61 BINET et SIMON, op. cit.,
p.57
62 La loi de juin 1983
relative a la prolongation de l'obligation scolaire limite a huit annees la
duree de la scolarite dans l'enseignement fondamental. Elle contribue a masquer
les problemes des « retardes pedagogiques », sans toutefois le
resoudre
Les enfants « suspects d'arrieration »
reperes a partir du retard scolaire vont subir un triple examen. BINET et SIMON
preconisent 3 methodes complementaires pour reconnaitre les etats inferieurs de
l'intelligence :
1° La methode peclagogique : elle sert a juger de
l'intelligence de l'enfant d'apres la somme des connaissances
acquises.
Cet examen vise a controler le degre d'instruction a
travers les epreuves de lecture, de calcul et d'orthographe.
2° La methode meclicale : elle a pour but de reperer
les signes anatomiques, physiologiques et pathologiques de la deficience
intellectuelle.
3° La methode psychologique : elle sert a observer
et mesurer le degre d'intelligence (naturelle) de l'enfant
Le souci de BINET et SIMON est de cerner «
l'intelligence naturelle » des enfants « Notre but est d'apprecier un
niveau d'intelligence. Il est entendu que nous separons ici l'intelligence
naturelle et l'instruction. C'est l'intelligence seule que nous cherchons a
mesurer, en faisant abstraction autant que possible du degre d'instruction dont
jouit le sujet63 » et pour ce faire, ils utilisent des methodes
scientifiques afin d'eviter que l'orientation vers l'enseignement special se
fasse simplement a partir d'un retard scolaire : « Nous offrons l'examen
psychologique comme un moyen de rehabiliter l'enfant qui presente un retard
scolaire accentue. C'est la seule utilite, jamais, dans aucun cas, cet examen
ne peut servir a declarer arriere un enfant regulier dans ses
etudes6D »
Ces trois methodes complementaires elaborees par BINET
et SIMON pour reperer les « etats inferieurs de l'intelligence »,
annonce avec cinquante ans d'avance l'examen tridisciplinaire (
psycho-medico-pedagogique) exige par la loi belge du 6 juillet 1970 sur
l'enseignement special avant d'orienter un enfant vers cet
enseignement.
L'inscription d'un enfant dans une ecole speciale est,
aujourd'hui, strictement subordonnee a la production d'une attestation
specifiant que l'enfant est inapte a suivre un enseignement dans un
etablissement ordinaire mais qu'il est apte a suivre l'enseignement d'un
etablissement special. Cette attestation
63 BOCCA M., Histoire de
l'enseignement special : de la segregation vers l'integration, Memoire Institut
du Travail, Universite Libre de Bruxelles, 1987, p.78.
64 BINET et SIMON, op. cit.
p. 103
delivree par les Centres PMS definit egalement le type et
le niveau d'enseignement vers lequel l'enfant est
oriente65:
Le Centre Psycho-Medico-Social (PMS) informe les parents, leur
donne un avis motive, une attestation, ca c'es t decide par decre t. Dans ce
tte attestation, il est mis que l'enfant n'es t plus ap te a suivre un
enseignemen t ordinaire mais bien un enseignement special de tel ou tel type
(...).
A la premiere evalua tionIorien ta tion dans le special, c'es
t le PMS avec l'avis de l'ecole qui prend la decision [l'ecole ordinaire dans
laquelle l'enfan t se trouve].
Apres lorsqu'il est chez nous, un professeur peut tirer la
sonne tte d'alarme. A ce moment la, on se reuni t en conseil de classe e t on
decide de tester l'enfant (nous-memes) e t puis alors on convoque les
parents... e t la recommence un nouveau travail de persuasion pour leur
expliquer que leur enfant est plutot type 1 que type 8.
Les ecoles n'ont au niveau legal aucune marge de
manceuvre en matiere de diagnostic et d'admission 0 L'orientation d'emblee vers
l'enseignement special dans notre pays n'est pas de rigueur, la regle est de
proc~der a des essais dans l'enseignement ordinaire avant d'integrer l'enfant
dans l'enseignement special. De surcroft, - et ceci est tres important - les
structures de l'enseignement special n'interviennent jamais dans la procedure
d'admission66. ». Neanmoins, ils peuvent faire une demande
aupres d'un Centre Psycho-Medico-Social
Specialise (PMSS) pour qu'un enfant soit
reevalue.
L'enfant garde toujours son attestation de type 1 e t 8 sauf
si au bout de deux ou trois ans de vie scolaire chez nous, on se rend comp te
que l'enfant est limi te, n'evolue pas au niveau de son raisonnemen t, plafonne
au niveau de la logique, alors on peu t demander a un autre PMS de (re)tester
l'enfant e t a ce moment lA, on (re)fait un bilan pedagogique e t on voi t si
l'enfant meri te toujours son attestation de type 8 par exemple ou s'il meri te
toujours son attestation de type 1, on ne le fait jamais l'annee meme, on
attend que l'enfan t soi t chez nous depuis au moins un an e t alors on le
reevalue e t on voi t si l'a ttes ta tion a toujours sa place e t si elle est
toujours aussi pertinente
Nous sur le terrain, on observe e t alors on se preoccupe de
prendre conseils aupres de no tre PMS e t on fait aussi appel a des diagnostics
par des professionnels alors, pedopsychia tres, neuropedia tres, psychologues,
on va vers toute la palette des professionnels.
65 BEAUCHESNE M.-N. et DE
TROYER M., 0 L'adéquation entre l'offre et la demande d'enseignement
special en province de Luxembourg », Centre de Sociologie et d'Economies
Regionales, Rapport de recherche, Avril 1996, p. 14.
66 BEAUCHESNE M.-N.et DE
TROYER M., op.cit., p.11
Lorsque l'ecole ou l'equipe d'inspection medicale
estime qu'il est necessaire de faire admettre un enfant dans l'enseignement
special, la loi reduit la liberte des parents au choix de l'organisme qui
effectuera les examens et etablira l'eventuel rapport d'inscription. Si ces
derniers confirment cette necessite, l'enfant sera obligatoirement oriente vers
une ecole speciale de type determine par l'organisme, la seule liberte laissee
aux parents est alors celui du choix de l'ecole speciale, « L'orientation
d'un enfant vers l'enseignement spécial et le travail d'orientation en
tant que tel entraînent des obligations légales qui restreignent
la liberté des parents (ce que l'on ne trouve pas au niveau de
l'enseignement ordinaire) 67>)
Une procedure similaire est prevue a l'issue de
l'enseignement special primaire pour ce qui concerne le retour a l'enseignement
ordinaire ou la revision du type.
67 BEAUCHESNE M.-N.et DE
TROYER M., op. cit., p.15
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