![]() |
La jurisprudence de l'organe de règlement des différends de l'organisation mondiale du commerce et protection de l'environnement( Télécharger le fichier original )par Yda Alexis NAGALO Université de Limoges - Master 2 en Droit international de l'environnement 2009 |
SECTION II: UNE RECONNAISSANCE MITIGEE DU PRINCIPE DE PRECAUTIONDe tous les principes du Droit international de l'environnement, le principe de précaution compte parmi ceux qui soulèvent le plus de controverse du point de son approche conceptuelle (Paragraphe 1) et qui intervient fréquemment à l'occasion des différends soumis à l'ORD (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : La controverse autour du principe de précaution Au sein des auteurs de la Doctrine, le principe de précaution ne fait pas l'unanimité dans son contenu et sa valeur normative (A), ce qui a contribué à une formulation édulcorée du principe, implicitement, dans l'Accord SPS (B).
Les références dans le DIE. Face à l'incertitude scientifique et au caractère inter étatique des problèmes environnementaux, le principe de précaution contribue à une « forme renforcée de prévention ». Il s'est imposé comme un instrument utile en vue de contribuer à l'efficacité du DIE. Ainsi, dès 1987, le protocole de Montréal sur la réduction du gaz à effet de serre témoignait de l'accord des États de protéger la couche d'ozone en adoptant des mesures nécessaires au contrôle équitable des émissions totales des substances nuisibles. En 1991, cette forme renforcée de protection était contenue à l'article 4, alinéa 3 (f) de la convention de Bamako sur l'interdiction d'importer en Afrique des déchets dangereux et le contrôle de leurs mouvements transfrontières. Parmi les principes nouvellement formulés dans la déclaration de Rio, le principe 15 dispose qu' « en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». A la cause de la régulation du climat, la convention des Nations Unies sur les changements climatiques énonce que dans le but d'anticiper, de prévenir et de réduire les causes du changement climatique, « (...), l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l'action de telles mesures, étant entendu que les politiques et mesures qu'appellent les changements climatiques requièrent un bon rapport coût - efficacité, de manière à garantir des avantages globaux au coût le plus bas possible ». Enfin, se rapportant à la prévention des risques biotechnologiques, le protocole de Carthagène prévoit à l'article 1er de son protocole additionnel que la garantie d'un niveau de protection adéquat doit se faire en conformité avec le principe de précaution consacré par le principe 15 de la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement. Au travers de cette énumération chronologique des conventions et déclarations qui ont formalisé le principe de précaution, on peut conclure que le principe est bien présent en Droit International de l'Environnement. Toutefois, est-ce que cela suffit à accorder une valeur normative à ce principe ? C'est ce que nous aborderons succinctement. La portée normative du principe de précaution. La valeur du principe de précaution est controversée au sein des auteurs de la Doctrine. Une première tendance- pessimiste- dénie toute valeur coutumière au principe de précaution. De ces auteurs on peut citer Lucchini34(*) et Mme Martin-Bidou35(*) qui pensent que les conditions requises pour permettre qu'une règle se mue en règle coutumière ne sont pas satisfaites et que eu égard à l'analyse des expressions (mesures, approches...) qui introduisent la précaution, l'on peut déduire de la volonté politique conventionnelle une absence d'accorder une portée précise et certaine au principe de précaution. En ce qui concerne la juridicité du principe, Olivier GODARD36(*) écrivait en 1996 qu' « en l'état actuel des choses, la précaution est un principe moral et politique...mais ne constitue pas une règle juridique » et Jacques-Henry Stalh ajoute à propos du droit communautaire que ce principe est une simple directive et ne saurait être d'applicabilité immédiate37(*). La seconde tendance- optimiste- assimile le principe de précaution à un « standard de jugement » laissé à l'appréciation du juge qui précise le sens de manière casuistique. Quant à la commission de l'Union Européenne, elle affirme à l'occasion d'une communication38(*) que la juridicité du principe de précaution ne fait pas l'ombre d'un doute. En plus de dire que « le contrôle juridictionnel de plus en plus étroit du principe de précaution permet d'écarter tout reproche d'insécurité », elle fait remarquer que c'est réducteur du système juridique que de confondre la règle juridique avec la règle impérative, voire avec la sanction pénale. La Commission reconnaît, toutefois, que le principe de précaution à une intensité variable selon les ordres juridiques (national, communautaire, international). Elle note que le principe s'est « juridicisé » par le fait que le juge accepte de le sanctionner et ainsi établir tous les contours se rapportant à son l'application. Si le principe de précaution fait l'objet d'une reconnaissance en DIE, quelle est sa portée dans le droit de l'OMC notamment dans l'accord SPS?
L'analyse de l'accord sanitaire et phytosanitaire fait ressortir une appréciation édulcorée du principe de précaution. En effet l'accord entretient tantôt une relation de convergence tantôt une relation conflictuelle avec le principe de précaution. En ce qui concerne les situations où une convergence est évoquée, l'article 5.7 dispose que « Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d'autres Membres ». il s'agit des situations d'urgence qui doivent autoriser un État à prendre des mesures restrictives avant même d'avoir diligenté une expertise et d'avoir acquis la certitude que l'incident survenu est lié à une telle marchandise. Cette disposition admet que dès lors que la probabilité d'un risque est établie, l'on peut établir des restrictions à l'importation et ce pour protéger l'environnement ou la santé des personnes. Cependant même à ce niveau une divergence semble s'établir sur la précaution et l'accord sur le délai raisonnable. Les points de divergence. À ce niveau Mme Christine NOIVILLE39(*) fait constater que les zones de conflits se rapportent à deux aspects. En premier lieu, il s'agit du rôle joué par l'incertitude scientifique dans l'accord SPS. Dans le principe de précaution, dès lors que le risque est plausible, l'action est de mise avant même que le risque soit confirmé par une preuve scientifique. Or dans l'accord SPS, l'incertitude scientifique ne saurait autoriser des restrictions à l'importation de marchandises. Bien au contraire, en cas d'incertitude scientifique, l'on doit maintenir la libre circulation des marchandises. C'est à cet effet que l'article 2.2 dispose que « Les Membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, qu'elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu'elle ne soit pas maintenue sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe7 de l'article5 ». Aussi, lorsque l'accord dispose à l'article 5.7 in fine que « (...) les Membres s'efforceront d'obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable », elle ne s'inscrit plus dans toute la logique du principe de précaution. Dans la mesure où l'accord autorise à prendre des mesures dans des situations d'urgence et de manière provisoire, l'on peut en déduire à contrario, que l'accord SPS ne prend pas en compte le cas des incertitudes durables qui exige le maintien de mesures de précaution au delà d'un délai raisonnable. Le second aspect du conflit se réfère à la proportionnalité. L'accord prévoit que les mesures sanitaires et phytosanitaires doivent s'établir dans la mesure du nécessaire ou rechercher le « niveau approprié de protection ». NOIVILLE souligne que l'articulation entre la proportionnalité et la précaution paraît mal aisée à concilier parce que le principe « a vocation à s'appliquer dans des situations où le risque est incertain et donc difficilement quantifiable ... », une approche que ne semble pas corroborer la lettre de l'accord SPS. L'Accord SPS ne présente pas les exigences propres au principe de précaution, il convient en pareille circonstance de rechercher dans la jurisprudence du juge de l'OMC le sens qu'il entend donner à ce principe. Paragraphe 2 : Position de l'ORD sur le principe de précaution La valeur du principe de précaution devant les organes de l'OMC dépend étroitement de la conception que le juge commercial se fait du rôle de la science dans l'évaluation des risques scientifiques (A). Ensuite, nous pourrons en guise de droit comparé évoquer la conduite des autres juges internationaux lorsqu'ils doivent statuer sur une affaire faisant appel à ce principe (B).
Essentiellement deux affaires sont illustratrices de la position de l'Organe d'appel et des Groupes spéciaux sur l'interprétation du principe de précaution à l'OMC.
Les faits : Sur le fondement de la loi japonaise du 4 mai 1950 relative à la protection des plantes et amendée en 1996, l'État Nippon prohibait l'importation de fruits tels les pommes, cerises, pêches, abricots, poires, prunes, châtaignes au motif que ces produits agricoles importés pouvaient entraîner une maladie contagieuse et infectieuse. Un produit agricole de ce type ayant été importé devait être soumis à la quarantaine tant qu'elle n'avait pas été soumise à l'essai de quarantaine, et ce même si le traitement s'était avéré efficace pour d'autres variétés de produits. Les États-Unis, important exportateur de produits agricoles vers le Japon, contestèrent une telle mesure au motif qu'elle violait les articles 2, 5 et 8 de l'article XI du GATT et de l'article 4 de l'Accord sur l'agriculture. Dans son rapport du 27 octobre 1998, le groupe spécial a constaté que le Japon a agi de manière incompatible avec les articles 2.2, et 5.6 de l'Accord SPS. En effet l'article 2.2 SPS exige une évaluation scientifique suffisante afin de soutenir une mesure SPS. Aussi, s'appuyant sur la proportionnalité, le Groupe spécial constate que les mesures prises par la partie défenderesse ne sont pas proportionnelles au risque supposé de l'éventuelle atteinte à la santé Humaine. L'organe d'appel, étant intervenu sur la demande du Japon, montre que sur la base de l'Accord SPS, notamment en son article 5.7, quatre (4) conditions cumulatives d'une importance égale sont nécessaires pour prendre des mesures SPS provisoires. Ainsi, il requiert que les mesures imposées par un État dans une situation où les informations appropriées sont insuffisantes et qu'elles aient été adoptées sur la base des informations pertinentes disponibles. Ces mesures pourraient être maintenues dès lors que l'État qui les a adoptés s'efforce d'obtenir les renseignements additionnels à une évaluation plus objective du risque et que l'État travaille à tenir de pareilles mesures dans un délai raisonnable. Il suffit, en conséquence, qu'une seule de ces conditions soit insatisfaite pour rendre la mesure restrictive adoptée par un État irrégulière. L'attentisme du japon n'a pas joué en sa faveur. En effet, ces mesures de prohibition sont en vigueur depuis vingt (20) ans. L'État n'avait pas pris le soin d'entreprendre des recherches sur les risques réels ou potentiels durant toute cette période. Dans ces deux affaires, il semble que la primauté des principes commerciaux résulte moins de leur force que de la faiblesse de l'argumentation favorable à la protection de l'environnement. Les États ont donc été condamnés en raison du caractère empirique, voire l'inexistence des évaluations du risque supposé. Face au caractère édulcoré du principe de précaution dans l'Accord SPS, il appartient aux Etats de faire la preuve par une démonstration pertinente, s'ils veulent voir leurs mesures prospérer devant l'ORD. Car si l'exception confirme la règle, il n'en demeure pas moins que le juge se montre toujours assez regardant sur l'application de l'exception dès lors qu'elle peut porter de sérieuses entorses au principe. Les autres juridictions internationales n'évoluent pas dans la même logique sur la reconnaissance du principe comme une règle juridique.
Les juridictions internationales ont eu l'occasion de se prononcer sur la portée normative ou sur la nature du principe de précaution, mais les réponses données à propos de la valeur juridique de ce principe sont hardies ou timorées selon que l'on est devant la CJCE ou la CIJ.
Le principe de précaution est inscrit à l'article 174 paragraphe 2 du traité de Maastricht. En l'absence d'une définition du principe dans le traité, il appartient à la Cour de justice des Communautés Européennes de préciser le contenu et la portée du principe de précaution. Devant la Cour l'on constate un nombre important de l'application du principe de précaution dans le domaine de la santé humaine, et de l'environnement.
La Cour de Justice des Communautés Européennes a été saisie d'une question préjudicielle du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon en France au sujet de la validité d'une disposition d'un règlement communautaire qui interdisait la pêche au moyen de filets maillant dérivés d'une longueur supérieure à deux (2) kilomètres cinq cent (500) mètres. La société requérante contestait devant le tribunal du commerce la nécessité d'une telle mesure pour la raison qu'elle n'était pas justifiée par des études scientifiques et qu'il ne pesait aucune menace pour les stocks de thon blanc dans l'Atlantique Nord. Dans son arrêt du 24 novembre 1993, le juge fait remarquer que « les mesures de conservation des ressources de pêche ne doivent pas être pleinement conformes aux avis scientifiques et que l'absence ou le caractère non concluant d'un tel avis ne doit pas empêcher le Conseil d'adopter les mesures qu'il juge indispensables pour réaliser les objectifs de la politique communautaire de la pêche ».Ainsi de manière implicite sans invoquer directement le principe de précaution, la Cour met en avant les considérations précautionneuses. C'est dans cet esprit que la directive du 28 mars 1983 a servi à fonder l'interdiction d'importer des peaux de bébés phoques sur le territoire des Communautés Européennes avant même que des résultats d'études scientifiques sur les conséquences écologiques de cette chasse aient été établies. Avec la jurisprudence de la CJCE, l'on constate que le principe de précaution peut servir à l'édiction de mesures restrictives pouvant mettre en échec le principe de libre circulation des marchandises. A cet effet, le relais du principe d'intégration (article 6 du traité des Communautés Européennes) permet d'utiliser le principe de précaution dans le domaine de l'environnement, de la santé, du phytosanitaire, afin de garantir une efficacité des politiques communautaires. Conclusion Dans toutes les affaires examinées, les groupes spéciaux et l'organe d'appel se sont toujours prononcés en défaveur de la protection de l'environnement. L'interprétation que le juge commercial international fait des dispositions de l'article XX réduit comme une peau de chagrin le pouvoir unilatéral des Etats dans la définition et l'étendue de la protection de l'environnement. Le principe de précaution suscite l'intérêt de la Doctrine, des législateurs, des juges et des tribunaux internationaux. Mais à cause des définitions hétérogènes et des diversités dans l'application, le principe de précaution ne se laisse pas aisément appréhender. Au surplus, au nom des intérêts commerciaux en jeu, il parait inadmissible d'admettre des restrictions au commerce au nom des risques incertains ! Cependant les groupes spéciaux et l'Organe d'Appel n'affichent pas sur toute la ligne un rejet des politiques environnementales des Etats prescrivant des restrictions au commerce. Constatant tantôt la faiblesse de l'argumentation, tantôt le déséquilibre dans les règles nationales, les organes de l'ORD profitent des différends à incidence environnementale pour montrer leur perméabilité aux questions environnementales. CHAPITRE II : LA PERMEABILITÉ DE L'ORD AUX CONSIDERATIONS ENVIRONNEMENTALES Dans le présent chapitre, il s'agira pour nous de montrer que si l'Organe de règlement des différends de l'OMC statue sur les affaires qui lui sont soumises selon le droit de l'OMC, il travaille progressivement à une incorporation des questions et des principes environnementaux dans le droit du commerce international. La jurisprudence de l'article XX n'est pas restée statique (Section I) et la possible articulation entre les accords OMC et le principe de précaution semble envisageable devant l'ORD (Section II).
* 34 LUCCHINI, (L), « le principe de précaution en DIE: ombre plus que lumière », AFDI, 1999, p. 718 * 35 MARTIN-BIDOU, (P), « le principe de précaution en DIE », RGDIP, 1999-3, p. 660. * 36 GODARD, (O), « l'ambivalence de la précaution et la transformation des rapports entre science et décision », in le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, O. GODARD (éd.), Paris, Maison des sciences de l'homme et INRA, 1996, p. 44-67. * 37 Le rapport KOURILSKY, op.cit, p. 56. * 38 BOY, (L), CHARLIER, (C), RAINELLI, (M), « analyse de la communication de la Commission de l'Union Européenne de février 2000 au regard des débats actuels sur le principe de précaution », pp. 128-151. * 39 NOIVILLE, (C), Principe de précaution et Organisation mondiale du commerce : le cas du commerce alimentaire, pp. 270 et ss, JDI, 2000, n° 2,
* 42 WT/ DS 76 / ABR
|
|