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Regards croisés sur une femme confrontée à  l'exercice du pouvoir : Marie Stuart dans les écrits de G. Buchanan et J. Leslie (1561-1587).

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par Mélanie Boué
Université de Provence - Master 1 recherche Histoire 2009
  

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IV. La pensée libérale de John Leslie.

Une reine incarnait une sorte de dualité. D'un côté elle était femme, elle appartenait à la sphère privée et la hiérarchie sociale voulait qu'elle soit la subalterne de son époux. Les affirmations bibliques selon lesquelles la femme avait été créée pour servir l'homme constituaient le fondement de la hiérarchie sociale du 16ème siècle.137(*) D'un autre côté dans la Genèse I, il est écrit que Dieu créa la femme et l'homme à son image, ce qui suppose que la femme est l'égal de l'homme au niveau spirituel, donc la femme peut intervenir dans la sphère publique. Cependant d'autres images tendent à souligner l'infériorité d'Eve par rapport à Adam. De nombreuses représentations montrent par exemple qu'Eve est née d'une des côtes d'Adam. Les opposants britanniques à la gynécocratie insistaient donc sur la condition de subalterne que Dieu préconisait pour les femmes. Pour eux, les femmes ne pouvaient diriger que leur foyer. Les auteurs qui s'attachaient à défendre le droit des reines britanniques à régner insistaient quant à eux sur le fait que cette subordination n'était pas innée et qu'elle n'était qu'une caractéristique de l'ordre politique et social établi par des hommes. Plus précisément, pour que la défense de ces auteurs soit efficace, ils devaient contredire l'argument selon lequel la subordination des femmes était autorisée par Dieu, donc naturelle. Implicitement cela remettait en cause l'ordre social établi.

La religion est un point essentiel dans les défenses et les accusations de Marie Stuart. Mais la religion représentait également un point de contentieux pour sa consoeur anglaise qui, selon la religion anglicane, devait être le chef suprême de l'Eglise. Cette fonction posait problème car selon saint Paul une femme ne peut présider une assemblée religieuse. Elizabeth doit donc abandonner le titre de « chef suprême de l'Eglise anglicane » pour celui de gouverneur suprême.138(*) La figure d'Elizabeth posait d'autres soucis à la religion anglicane. En effet, Elizabeth avait imposé son image de reine « vierge », ainsi son corps politique prenait le pas sur son corps sexué. Ce titre était aussi une manière de montrer qu'Elizabeth n'était soumise à aucune autorité masculine puisqu'elle n'avait pas de mari. Cependant, une reine vierge et protestante représente une anomalie. En effet, la religion réformée considérait que le mariage était spirituellement préférable au célibat. Luther avançait que le désir sexuel était une composante importante de la vie marital. Une femme devait donc procréer, ce qu'Elizabeth ne semblait pas vouloir planifier.139(*)

La religion fournissait aussi parfois un argument éloquent en faveur de la défense des femmes : si les femmes étaient spirituellement égales aux hommes, il était légitime qu'elles aient le droit d'agir consciencieusement dans le domaine public. John Leslie, représentant de la reine d'Ecosse en Angleterre, défend ce point de vue dans sa défense de la reine d'Ecosse publiée en 1569. Les penseurs opposés à un règne féminin puisaient leurs arguments principalement dans les écritures et les textes d'Aristote. Ce sont les autorités auxquelles se réfère John Knox. A l'inverse les auteurs tenant un propos plus libéral (comme c'est le cas de John Leslie) se basent sur l'expérience, c'est à dire sur des exemples historiques, afin de prouver qu'une femme peut agir avec autant d'autorité qu'un homme et donc qu'elle peut gouverner. En se basant sur des arguments historiques John Leslie met en doute la loi naturelle en montrant qu'un telle loi n'existe pas. Seules les lois promulguées par les nations ont cours. De ce fait le règne d'une femme n'est pas contradictoire par nature. Il est plutôt ironique que l'un des meilleurs écrits en faveur de la gynécocratie soit rédigés pour défendre Marie Stuart, une reine dont le pouvoir est précaire et finalement négligeable. En effet, en 1569 Marie Stuart n'est plus reine d'Ecosse et son frère est régent du pays.

John Leslie insiste pourtant sur le fait que les femmes sont également des créatures sociales et qu'elles ont le droit d'intervenir dans le domaine public :

if her reflection of the deity could be made to include all the mental qualities attributed to man, she could not be so readily excluded from political activity on doctrinal grounds140(*)

Le deuxième point que soulève Leslie est tout aussi intéressant. L'auteur s'attache à une erreur linguistique qui consiste à traduire « frères » par homme. John Leslie rappelle que dans la Bible on ne doit pas lire « frères » comme une référence à la communauté masculine, mais comme une référence à la communauté toute entière. En effet, John Leslie rappelle que les langues classiques englobent toujours le féminin dans le masculin. Ainsi lorsque les enfants d'Israël sont sommés de choisir un monarque parmi « leurs frères » leur choix n'est pas restreint à la population masculine :

Frater is the masculine gender (ye saye) and therefor women are to be removed. Then by this rule women also muste be excluded from theire salvation, because scriture sayeth : He that shall beleave and be baptized shalbe saved ... And by this rule women are excluded from the eight beatitudes... He that hatethe his brother ys in Darkenes... Shall we inferre ther uppon that we may hate our sister ? Wherefore neither this worde brother excludethe a sister, no this worde kinge in scripture excludethe a Quene.141(*)

L'incapacité à régner pour une femme n'a donc pas été instituée par les Écritures. Les hommes ont inventé une loi naturelle au fil de l'histoire qui justifie que les femmes doivent être leurs subordonnées. John Leslie clame que cette interdiction n'a pas été ordonnée par le Créateur :

I saye then that this ys a false and an unnaturall affection, to make this surmised lawe everlatinge as nature itself is. The lawe of nature or ius gentium ys and ever was after the time that there were any nations or people and ever shalbe.142(*)

John Leslie conclut par la suite que les nombreuses femmes ayant régné au cours de l'histoire sont autant d'exemples qui peuvent contredire cette prétendue loi naturelle dont s'inspirent les auteurs les plus conservateurs.

Face à l'affront que représentait le pamphlet de Buchanan, les partisans marianistes doivent façonner une image en tout point opposée qui leur permette de défendre l'honneur de la reine d'Ecosse. Mais comment faire fi des évènements dramatiques qui accablent la jeune Marie Stuart ? La prise de position de John Leslie en faveur du règne féminin est un élément de réponse. Seulement prouver qu'il est légitime pour une femme d'accéder au pouvoir n'efface pas l'immoralité de la reine. De même que les opposants à la reine d'Ecosse ont construit un personnage cristallisant toutes les peurs concernant l'appétit sexuel et le charme féminin, ses partisans construisent un modèle quasi héroïque de reine martyrisée ayant à subir les assauts des traîtres qui furent autrefois ses fidèles serviteurs.

* 137 On retrouve ces idées dans la Genèse I et II.

* 138 JORDAN C., « Women's rule in sixteenth-century British political thought » in Renaissance Quarterly, vol. 40, n° 3, automne 1987, pp. 421-451.

* 139 WIESNER M., Christianity and sexuality in the early modern world : regulating desire, reforming practice, London, 2000, pp. 78.

* 140 « si le fait qu'elle reflète un caractère divin peut constituer la preuve qu'elle {la femme} possède toutes les qualités spirituelles que l'on attribue au genre masculin, on ne peut exclure la femme de la vie politique en se basant sur la doctrine {sous prétexte qu'il est écrit dans la Bible que la femme est la subordonnée de l'homme} »

LESLIE J., A Defence of the honour of Marie Quene of Scotlande, 1569, édité par D.M Rogers, Scholar Press, 1970, folios 129 à 149.

* 141 « Frater est un nom masculin (c'est ce que vous affirmez) donc les femmes doivent être exclues de la vie politique. Donc, si l'on suit ce raisonnement, les femmes n'ont pas le droit au salut, car il est dit dans les Saintes Ecritures que : Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé (...) Et selon ce raisonnement les femmes sont exclues des huit béatitudes (...) Celui qui déteste son frère est dans les Ténèbres (...) Devons-nous en déduire qu'il est possible d'haïr nos soeurs ? De ce fait le mot frère n'exclut pas les soeurs, et le mot roi dans les Ecritures n'exclut pas le mot reine. »

* 142 « J'affirme donc que c'est une tendance fausse et contraire à la nature que de faire de cette supposition une loi éternelle. La loi naturelle ou ius gentium est et a toujours été postérieure à la création des peuples et des nations ».

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