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Regards sur la traduction juridique du développement durable

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par Cyrille Emery
Université du Maine - Master 2 recherche en géographie 2010
  

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B.2. Une expérience malheureuse : le droit du développement

Au milieu des années soixante, des juristes ont tenté de créer un nouveau droit, le droit du développement. Ce droit du développement était entendu comme Ç l'ensemble des règles juridiques ayant directement pour objet de promouvoir le développement économique, social, culturel des pays sous-développés >>19. Le droit du développement est né à la suite de la décolonisation. Il s'agissait alors de doter les pays ayant acquis leur indépendance de systèmes juridiques leur assurant une stabilité suffisante, et un cadre de nature à faire émerger le développement économique tant attendu. Pour l'auteur de cet article, quel que soit le modèle de développement choisi, on retrouve des problèmes semblables : Ç En premier lieu, toute politique de développement exige à la fois l'intervention de l'État et une adhésion de la population. Le droit du développement doit intervenir dans ces deux domaines. Le développement nécessite un financement, lequel doit s'appuyer sur un certain nombre d'institutions juridiques. Enfin, on a pris de plus en plus conscience que, si le développement doit être d'abord l'Ïuvre de chaque pays, il requiert des collaborations internationales de diverses natures >>20.

17 Hamel (P.), et Bélanger (Y.), Québec 2000 : quel développement ?, Montréal, Presses universitaires du Québec 1992.

18 Torres (E.), Ç L'Économie de l'environnement appliquée à la ville. De l'orientation des systèmes locaux vers plus de durabilité et de qualité >> in Développement durable et territoires, Frédéric Héran, Paris, éditions L'Harmattan, 2001.

19 Granger (R.), ÇDéveloppement économique et social - droit>>, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1969, vol. 5, p. 510.

20 Ibid, p. 511.

Curieusement, l'auteur ne fait ici que décrire un processus de développement commun à tout pays à un moment donné de son histoire. Il n'y a rien de spécifique à évoquer la nécessité de doter un État d'institutions juridiques lui permettant de fonctionner et de se développer. Il est intéressant en revanche, de constater avec l'auteur, que l'Çun des impératifs du développement sur lequel l'unanimité se fait, c'est que sa réalisation réclame l'adhésion de la population tout entière et sa mobilisation pour le développement >>21.

Le droit du développement, contemporain de la période de décolonisation, n'a pas connu le succès que ses auteurs pouvaient en attendre22. Il est tombé aux oubliettes, mais les efforts de conceptualisation que cette construction sans lendemain ont nécessité peuvent être utiles à la construction d'un droit du développement durable en évitant les écueils du Ç droit du développement >>. Il faut peut-être poser la question autrement.

B.3. Faut-il poser la question autrement ?

Il faut peut-être poser la question autrement. Si le droit a du mal à émerger, n'est-ce pas en raison de l'absence de concept ? En d'autres termes, il faut peut-être reconsidérer la manière dont l'environnement est abordé au sein du développement durable.

B.3.1. (Re)définir la notion d'environnement

Les textes normatifs pris par la France en matière environnementale remontent au moyen-âge. En 1291, une ordonnance est édictée par Philippe IV le Bel pour encadrer le statut et l'activité des Ç Ma»tres des Eaux & Forêts >>. En 1346, Philippe VI de Valois adopte l'ordonnance de Brunoy sur l'administration des Eaux & Forêts. Quant au premier Code forestier, il date de 1827 (1860 en Haute-Savoie).

21 Ibid, p. 511.

22 Granger (R.), Ç Pour un droit du développement dans les pays sous-développés >>, in Mélanges Hamel, Paris, 1961.

Le'gende : Grande ordonnance des eaux et forêts de St Germain-en-Laye (1669).

En 1669, à la demande de Louis XIV, Colbert adopte également un texte connu sous le nom de Ç Grande ordonnance des Eaux et Forêts de Saint-Germain-en-Laye È. Mais il ne s'agit pas encore d'un droit de l'environnement au sens oü on l'entend aujourd'hui, même si l'on peut y discerner une certaine préoccupation à l'égard du développement durable. L'ordonnance de Colbert s'intéresse principalement à répartir le privilège de la chasse au profit de la noblesse. Cela étant, afin de protéger les cultures, elle dispose que Ç les ayants droit de chasse ne peuvent chasser sur terres ensemencées, champs de blé et dans les vignes depuis le 1er mai, jusque la moisson È.

Dans la période contemporaine, après la Convention internationale de Paris de 1902 sur la protection des oiseaux utiles à l'agriculture, une loi sur la protection des sites et milieux naturels est adoptée en 1906.

Une étape très importante est franchie en 1995. La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement (dite Ç loi Barnier È), s'appuyant sur le traité de Maastricht, consacre pour la première fois en France, le principe précaution. Dans sa rédaction initiale, la loi insère dans le Code rural un article L. 200-1 qui pose les quatre principes fondamentaux sur lesquels doit reposer le droit de l'environnement :


· Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coüt économiquement acceptable;

· Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coüt économiquement acceptable;

· Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur;

· Le principe de participation, selon lequel chaque citoyen doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses23.

Mais il faut attendre l'an 2000 pour que soit adopté un Code de l'environnement dont la rédaction avait été décidée en 1992.

Depuis 2005, la protection de l'environnement est désormais inscrite dans le bloc de constitutionnalité avec la Charte de l'environnement de 2004, adoptée en Congrès par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Ce texte a été rédigé sur la base des propositions formulées en avril 2003 par une commission animée par Yves Coppens.

Parallèlement, la protection de l'environnement s'est étendue aux entreprises. Avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 (loi NRE), les sociétés cotées doivent désormais ajouter à leur rapport annuel la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité. C'est ce qu'on appelle la Ç responsabilité sociétale des entreprises >> (RSE).

Pour Pierre Lascoumes, la question de l'environnement Ç n'a acquis de visibilité sociale, n'a émergé en tant que problème, n'a été construite comme objet de représentation qu'à partir du moment oü des pouvoirs publics ou des groupements privés en ont fait un objectif pour leurs actions ou leurs revendications (...). C'est pourquoi, d'ailleurs, les représentations de la notion même d'environnement et le contenu que l'on place sous les termes d'environnement et le contenu que l'on place sous les termes de «protection» et de «défense» varient considérablement selon les acteurs sociaux concernés >>24. Dans sa première édition, en 1969, l'Encyclopaedia

23 Loi nO 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement (Ç Loi Barnier >>), art. 1er.

24 Lascoumes (P.), L'Eco-pouvoir, environnements & politique, Paris, La Découverte 1994.

Universalis considérait d'ailleurs l'environnement, soit comme une notion liée aux beaux-arts, soit comme l'élément que doit prendre en considération l'architecte lorsqu'il conçoit un ouvrage25. On était loin de l'acception actuelle de la notion d'environnement. Cette même encyclopédie était en revanche plus diserte en ce qui concerne l'écologie. Au terme des développements consacrés à cette entrée, les auteurs considèrent que deux tendances s'amorcent à cette époque : Ç La première est l'extension des recherches consacrées aux écosystèmes artificiels, créés et entretenus par l'homme, autrement dit la prise en considération de l'homme comme partie intégrante des écosystèmes. Une telle démarche revient à fonder sur des bases biologiques solides une nouvelle géographie humaine analysant la place de l'homme dans les milieux oü il vit. La seconde tendance vise à une interprétation plus synthétique encore du monde vivant et s'attache aux problèmes généraux, à l'échelle de vastes régions ou à celle de la biosphère tout entière, car c'est dans ce cadre que l'exploitation des ressources, la lutte contre les pollutions, la défense des équilibres biologiques et l'aménagement des territoires pourront être menés avec le maximum d'efficacité È26.

Même si les dispositions qui encadrent le droit de l'environnement reprennent un certain de nombre de principes énoncés dans le cadre du développement durable, celuici appara»t comme un concept que le droit a du mal à appréhender. En cela, le droit n'est d'ailleurs que le reflet de sociétés aux prises avec des enjeux qui, souvent, les dépassent. Les difficultés à traduire le développement durable en un corpus juris découlent tout d'abord de ce que les règles qui tendent à encadrer le phénomène sont prises le plus souvent au niveau des États alors que les défis à relever sont planétaires, et alors que les mesures concrètes à prendre devraient l'être pour la plupart au niveau local, c'est-à-dire au niveau des territoires au sens oü on l'entend habituellement.

En d'autres termes, l'État n'est sans doute pas la bonne échelle pour la production de normes en la matière, alors qu'il est le seul niveau oü peuvent être édictées des normes réellement contraignantes. Ensuite, l'échec de la théorisation du droit du développement dans les années soixante n'incite guère à l'optimisme, mais cette expérience peut cependant fournir matière à réflexion dans la société post-moderne.

25 F. L., Ç Environnement È, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1ère édition 1969, vol. 6, p. 310.

26 M. L. et C. F. S., Ç Écologie È, l'Encyclopaedia Universalis, Paris, 1ère édition 1969, vol. 5, p. 923.

Regards sur la traduction juridique du développement durable B.3.2. Envisager la création d'une agence internationale

La première approche consiste naturellement à envisager la création d'une organisation internationale dédiée à ces questions. Comme a pu l'expliquer Jacques Attali, << chacun sent bien qu'il faudrait avoir en ce monde des institutions financières internationales solides, capables de maitriser les risques financiers engendrés par les fonds spéculatifs, de financer les grandes infrastructures sociales et physiques des mégalopoles à venir, de maitriser les grandes pandémies, de réduire la pauvreté et d'organiser la réduction des émissions des gaz à effet de serre È27.

C'est aussi ce qu'a proposé depuis longtemps Jacques Chirac : << Si l'entente internationale fait défaut, si les égo
·smes et l'irresponsabilité prennent le dessus, le monde ne parviendra pas à enrayer la machine infernale du réchauffement climatique È28.

Malheureusement, si les États semblent s'accorder sans difficulté sur le constat et sur la nécessité d'agir, ils ne parviennent pas à ce mettre d'accord sur les moyens à mettre en Ïuvre. L'échec de Copenhague sur des objectifs contraignants fait écho à la résistance qu'ont opposé jusqu'à ce jour les États à la création d'une organisation internationale qui viendrait concurrencer l'Organisation des Nations Unies.

B.3.3. Monétiser l'environnement

Ë défaut de pouvoir mettre sur pied un véritable droit international de l'environnement, doté d'une organisation internationale propre, disposant de moyens financiers et coercitifs appropriés, il pourrait être opportun de réfléchir, au moins, à la mise en valeur de ce qui constitue notre environnement à tous. L'idée n'est pas nouvelle, et elle peut assez aisément produire du droit.

Pour Nadia Bela
·di, on pourrait envisager de valoriser socialement la protection de l'environnement avec l'émergence d'un ordre public écologique. Selon elle, la prise de conscience écologique de la communauté internationale (États et société civile) est susceptible de provoquer un réel changement de logique et, ainsi, de renforcer les règles

27 Attali (Jacques), << A quoi sert le FMI ? È, Blog L' Express.fr, 11 juill. 2007.

28 Chirac (Jacques), Troisième forum mondial du développement durable, Sénat français, 1er décembre 2005.

relatives à la matière environnementale29. C'est cette direction qu'esquissaient le professeur Yves Coppens et les coauteurs du rapport pour la préparation de la Charte constitutionnelle de l'environnement : Ç L'idée que l'on ne peut pas substituer indéfiniment du capital humain ou technologique aux ressources naturelles définit un développement durable. Il est en effet loin d'être acquis que les services écologiques actuellement rendus par les écosystèmes puissent être systématiquement reproduits de façon artificielle, ou qu'il faille les reproduire. On compte parmi ces services gratuitement rendus par la nature : la purification de l'air et de l'eau, la décomposition des déchets, la régulation du climat, la régénération de la fertilité des sols, la production et la préservation de la biodiversité, laquelle procure les ressources nécessaires à l'agriculture et à certains secteurs industriels, notamment pharmaceutique. La substitution est le plus souvent impossible. C'est par exemple le cas du climat. Mais quand bien même elle serait possible, la question de son opportunité se pose sur un triple registre. Économiquement en premier lieu : le coüt de la substitution peut être élevé voire exorbitant. Esthétiquement : une nature aux paysages souillés, privée d'un grand nombre de ses espèces sauvages, oü tous lesdits services seraient anéantis ou défaillants, est-elle désirable ? Enfin, d'un point de vue éthique, un monde oü il faudrait acheter l'air respirable, serait-il encore humain ? >>30.

Concrètement, le principe évoqué par le rapport consisterait à Ç monétiser >> les services que nous rend notre environnement afin de l'intégrer dans les circuits de l'économie. C'est, à une échelle plus large, le même principe de fonctionnement que celui à l'origine de la taxe carbone.

B.3.4. Les travaux de Ronald Coase et l'apparition du principe pollueur-payeur

A l'origine de la monétisation de l'environnement se trouvent les travaux d'un économiste d'origine écossaise, qui fit carrière à l'Université de Chicago, et y créa le Journal of Law & Economics, Ronald Coase. Il a reçu le prix Nobel d'économie en 1996 pour ses travaux sur l'économie du droit.

Le plus important, et le premier des articles du professeur Coase, a été publié dans le journal précité en 1960 : Ç Le problème du coüt social >>. L'auteur expose sa théorie de

29 Voir Bela
·di (N.), La lutte contre les atteintes globales à l'environnement : vers un ordre public écologique ?, Bruxelles, éditions Bruylant, 2008.

30 Coppens (Yves) et al., Rapport pour la préparation de la Charte constitutionnelle de l'environnement, avril 2003.

la manière suivante : << On peut en donner pour exemple type l'usine dont la fumée a des effets nuisibles pour les voisins. L'analyse économique d'une situation de ce genre se fait habituellement en mettant l'accent sur la divergence entre le produit privé et le produit social de l'usine (É). Selon la conclusion que semblent en tirer la plupart des économistes, cette analyse démontre qu'il est souhaitable soit de tenir le propriétaire pour responsable du dommage causé à ceux qui souffrent de la fumée, soit d'imposer au propriétaire une taxe dont le montant variera en fonction de la quantité de fumée produite et qui sera l'équivalent en argent du dommage causé, soit enfin d'interdire la présence d'une telle usine >>31. Pour le professeur Coase, << les mesures ainsi proposées sont inappropriées car elles ont des résultats qui ne sont pas nécessairement ni même habituellement souhaitables >>.

Pour lui, cette panoplie de solutions n'est envisageable que si l'on considère qu'il n'y a pas de coüts de transaction. Or, comme le démontre Ronald Coase, l'économie réelle est affectée par des coüts de transaction qui ont un effet sur l'allocation des ressources. Cette argumentation a donné lieu à l'énoncé d'un << théorème >> qui n'a pas été formulé par Coase mais le professeur George J. Stigler sous le nom de << théorème de Coase >>. Pour lui, << dans des conditions de concurrence parfaite, les coüts de transaction privé et social sont égaux >>32. Le professeur Guido Calabresi a énoncé cette idée d'une autre manière : << Si l'on suppose un comportement rationnel de la part des acteurs et qu'il y absence de coüts de transaction ainsi qu'absence d'entrave juridique à la négociation, toutes les affectations inefficientes de ressources seront corrigées par des ententes conclues sur le marché >>33. Le juge Richard Posner a à son tour développé cette idée en l'affinant de la manière suivante : << (Si) les coüts de transaction sont nuls, l'attribution initiale d'un droit de propriété Ð par exemple au pollueur ou à la victime de la pollution Ð sera sans effet sur l'allocation efficiente des ressources >>34.

Comme on le constate, ce << théorème >> fut exposé << en creux >>. Il ne se vérifie que dans l'hypothèse oü les coüts de transaction sont nuls, et cette hypothèse co
·ncide avec un marché sur lequel règnerait une concurrence pure et parfaite. Or de telles hypothèses

31 Coase (R.), << Le problème du coüt social >>, Le coi2t du droit, Paris, éditions des PUF, mai 2000, p. 23 (trad. du professeur Yves-Marie Morissette).

32 Stigler (George J.), The Theory of Price, New York, Macmillan, 1966, p. 113.

33 Calabresi (Guido), << Transaction Costs, Resource Allocation & Liability Rules : A Comment >>, Journal of Law & Economics, 1968, 11, p. 67.

34 Posner (Richard), Overcoming Law, Cambridge, Harvard University Press, 1995, p. 406.

sont naturellement théoriques et il n'existe pas concrètement de marché sur lequel les coüts de transaction seraient égaux à zéro.

Du fait de sa formulation, on a mal compris le sens à donner au << théorème de Coase È. On a cru pendant longtemps que << l'école de Chicago È fondée par le professeur Coase se donnait pour objectif d'éliminer tous les coüts de transaction, et donc le droit, afin de créer les conditions d'un marché totalement libre sur lequel règnerait une concurrence pure et parfaite.

Cette interprétation (me) para»t inexacte et ferait de cet économiste le père de l'économie ultralibérale, ce qu'il n'a jamais prétendu. D'abord Coase n'a jamais formulé lui-même le << théorème È dont la paternité lui a été attribuée. Au contraire, la théorie dont il est l'auteur vise, concrètement, à constater que les coüts ne sont jamais nuls dans l'économie réelle. Et puisqu'ils ne sont jamais nuls, ils affectent l'allocation des ressources. C'est pourquoi le secours du droit est nécessaire pour corriger les déséquilibres qui en résultent.

Et c'est précisément pour corriger les effets liés au coüt social tiré du droit de polluer que Ronald Coase a suggéré la mise en Ïuvre de mécanismes de type pollueurpayeur, qui consistent pour les agents économiques, à acquérir sur un marché créé à cet effet, des droits à polluer à un tarif suffisamment élevé pour que l'acheteur ait intérêt à éviter de polluer. Ce sont ces travaux, ainsi que les critiques et les enrichissements dont ils ont été l'objet dans les années soixante qui sont à l'origine de l'apparition du principe pollueur-payeur au début des années soixante-dix.

La première expression de ce principe est à chercher dans une recommandation de l'OCDÉ adoptée en 1972. Pour cette institution, << en matière d'environnement, les ressources sont généralement limitées et leur utilisation dans le cadre des activités de production et de consommation peut entra»ner leur détérioration. Lorsque le coüt de cette détérioration n'est pas pris en compte de manière adéquate dans le système des prix, le marché ne reflète pas la rareté de ces ressources au niveau national et international. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics prennent des mesures pour réduire la pollution et réaliser une meilleure allocation des ressources en faisant en sorte que les prix des biens dépendant de la qualité et/ou de la quantité des ressources d'environnement reflètent plus étroitement leur rareté relative et que les agents économiques en cause agissent en conséquence. Dans bien des cas, pour assurer que

l'environnement soit dans un état acceptable, il ne sera ni raisonnable ni nécessaire de dépasser un certain niveau dans l'élimination de la pollution, en raison des coüts que cette élimination entra»nerait. Le principe à appliquer pour l'imputation des coüts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution, principe qui favorise l'emploi rationnel des ressources limitées de l'environnement tout en évitant des distorsions dans le commerce et les investissements internationaux, est le principe dit "pollueurpayeur". Ce principe signifie que le pollueur devrait se voir imputer les dépenses relatives aux susdites mesures arrêtées par les pouvoirs publics pour que l'environnement soit dans un état acceptable. En d'autres termes, le coüt de ces mesures devrait être répercuté dans le coüt des biens et services qui sont à l'origine de la pollution du fait de leur production et/ou de leur consommation >>35.

Naturellement, un tel principe ne pourrait avoir un effet réel que s'il était adopté à l'échelle internationale.

B.3.5. Dommage collectif et responsabilité individuelle

Compte tenu de la difficulté évidente à rendre concrets les principes adoptés au niveau international, le recours à la responsabilité est susceptible de rendre service à ceux des États qui veulent adopter une attitude concrète dans leur lutte pour le développement durable. Ë défaut d'une règle ex ante (le principe polleur-payeur), une règle ex post peut être envisagée au niveau de chaque État : l'engagement de la responsabilité du ou des auteurs de dommages à l'environnement.

Mais pour engager la responsabilité, individuelle ou collectivité du ou des auteurs de tels dommages, encore faut-il disposer d'un instrument de mesure. Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi posent la délicate question de cette mesure. Pour eux, il existe deux méthodes : ÇLa première repose sur des estimations des dommages et la seconde sur des estimations des coüts >>36. Selon eux, la première branche de l'alternative consiste à estimer les dommages causés à l'environnement par l'activité humaine. Cette mesure est indispensable, mais elle répond surtout à des considérations d'intérêt général permettant d'orienter les politiques publiques. Elle ne permet pas directement d'obtenir l'évaluation de tel ou tel dommage causé par tel ou tel auteur.

35 OCDE, recommandation du 26 mai 1972 - C(72)128, dans sa rédaction du 7 juillet 1989 - C(89)88/Final.

36 Stiglitz (J.), Sen (A.) et Fitoussi (J.-P.), Vers de nouveaux systèmes de mesure, Paris, éditions OdileJacob, novembre 2009, p. 323.

La seconde branche de l'alternative se subdivise, selon les auteurs, en deux méthodes. La première consisterait à mesurer les coüts d'entretien, Ç c'est-à-dire l'évaluation de ce qu'il en coüterait pour remédier à la dégradation de l'environnement>>37. Cette méthode présenterait l'intérêt d'obtenir une mesure adaptée à chaque type de dommage causé à l'environnement, et aux coüts nécessaires pour réparer les dégâts causés. Pour les auteurs, cette méthode permettrait en outre d'évaluer ce qu'aurait été le prix réel du marché si ces coüts avaient été intégrés aux échanges économiques sur le marché. On retrouve ici l'idée du coüt social exposée par Ronald Coase dans les années soixante.

La seconde méthode propose un modèle économique fondé sur une hypothèse exprimée de la manière suivante : Ç Quel niveau de PIB serait atteint si les producteurs et les consommateurs faisaient face à une série différente de prix relatifs dans l'économie en raison de l'existence de prix réels pour les fonctions environnementales ? >>38. On appelle cette méthode la modélisation économique verte.

Ces méthodes de mesure présente des inconvénients pour les juristes, et ce, à deux niveaux. Le premier niveau concerne l'élaboration de la norme, le second la mesure de la responsabilité de l'agent économique lorsqu'il est mis en cause par une ou des victimes.

Au premier niveau, ces instruments de mesure, dont l'utilité intrinsèque n'est pas contestable, ne permettent pas d'élaborer une réglementation opérationnelle. Au second niveau, elle ne permet pas d'évaluer les dommages causés et de les faire réparer par leurs auteurs à des conditions reproductibles d'un litige à l'autre avec la possibilité de prévoir soi-même le coüt du dommage qui risque d'être causé à autrui et ce qu'il en coüterait pour le réparer. Or les mécanismes d'anticipation sont tout aussi nécessaires au droit qu'ils le sont à l'économie.

Ces énonciations appellent quelques remarques. L'affirmation selon laquelle ces instruments de mesure (à les supposer établis, ce qui n'est pas le cas rappelons-le), ne permettraient pas d'élaborer une réglementation opérationnelle repose sur le fait que les agrégats macro-économiques utilisés, et la mesure qui en résulte, sont calculés ex post. Ils n'ont donc aucune valeur de prédiction, ou en tout cas une valeur plutôt faible. En ce

37 Ibid.

38 Ibid.

sens, ils ne permettent de construire une réglementation appropriée, puisque la réglementation a toujours pour finalité d'encadrer un comportement futur, c'est-à-dire un comportement qu'on peut dans une certaine mesure prévoir. Sauf exception, la loi, et a fortiori la réglementation, ne saurait régir des situations passées : c'est le principe de non-rétroactivité qui est à la base même de toute construction juridique.

Quant à la répartition d'un coüt global à l'environnement sur les agents économiques, elle n'est pas vraiment opérationnelle du point de vue de la mise en Ïuvre effective de la responsabilité de ces agents. Il y a d'ailleurs une contradiction entre responsabilité et répartition du coüt des dommages causés à l'environnement sur les agents économiques. En effet, dès lors qu'on répartit un coüt global sur l'ensemble des acteurs, on organise un système de réparation forfaitaire qui ne permet plus d'en demander réparation aux auteurs individuellement par la suite. Non bis in idem, dit le droit ; en d'autres termes, on ne juge pas deux fois les mêmes faits. On ne peut donc pas à la fois organiser un système de répartition collective du coüt des dommages causés à l'environnement, demander à chacun des auteurs de ces dommages une réparation individuelle.

Aux critiques adressées par les juristes s'ajoutent celles que formulent les géographes. Pour certains d'entre eux, ces instruments de mesure ne sont pas pertinents. Pour Paul Arnould et Laurent Simon, Ç les indicateurs sous-estiment les questions d'échelle spatiale, de territoires, mis à part quelques réflexions pertinentes se limitant à envisager l'articulation du local et du mondial È39.

La difficulté à établir de bons indicateurs n'est que le reflet de la difficulté à penser le développement durable.

En définitive, il faut sans doute se rallier à l'idée qu'il n'existera pas de système de droit appuyé sur une définition juridique du développement durable avant longtemps. On peut dès lors rejoindre Philippe Bontems et Gilles Rotillon qui évoquent la nécessité d'un dialogue : Ç Nous sommes convaincus que les réponses à apporter aux défis environnementaux actuels ne peuvent être trouvées que si les conditions d'un dialogue entre les acteurs sont réunies, de façon à assurer la cohérence sinon de leurs normes de

39 Arnould (P.), Simon (L.), Géographie de l'environnement, Paris, éditions Belin, Belin atouts, novembre 2007, p. 163.

références, du moins de leurs perceptions des risques et leurs anticipations, cruciales notamment en présence d'irréversibilités >>40.

Cela nous amène naturellement à envisager le niveau auquel ce dialogue doit être noué.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984