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Regards sur la traduction juridique du développement durable

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par Cyrille Emery
Université du Maine - Master 2 recherche en géographie 2010
  

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II. La traduction juridique du développement durable à l'échelle territoriale

Ç En théorie, la fin de la géographie signifie que la localisation n'a désormais plus d'importance »64 (R. O'Brien).

Le philosophe Jean-Philippe Pierron pose une question qui est au cÏur de la problématique : << Comment articuler l'universelle conscience des enjeux engagés Ð préserver la terre et l'humanité Ð, et l'historicité particulière des situations Ð l'hic et le nunc, l'ici et maintenant des acteurs et de leurs cultures ? Cette dialectique de l'universel et de l'historique s'explicite dans le << penser global, agir local >>. Elle porte une tension interne, délicate pour qui veut exercer une responsabilité. Quel est le bon niveau de décision à engager pour promouvoir un développement durable : instance mondiale, nationale, régionale, territoriale, individuelle ? >>65.

De son côté, à l'issue d'une démarche pragmatique, et pour résoudre l'équation << global v. local >>, Ludovic Schneider66 propose le recours à 7 instruments, parmi ceux, très nombreux, qui existent en la matière :

· L'Agenda 21 local << qui est un cadre de travail global pour la mise en Ïuvre d'une politique de développement durable à l'échelle d'un territoire >> ;

· Le Plan climat territorial << qui est un plan stratégique centré sur une réflexion énergie/climat >> ;

· La méthode Bilan carbone® de l'Ademe << qui est un outil de diagnostic des émissions de gaz à effet de serre d'une collectivité et/ou d'un territoire >> ;

64 O'Brien (R.), O'Brien, Richard, Global Financial Integration - The End of Geography, London, Pinter, 1992.

65 Pierron (J.-Ph.), Penser le développement durable, Paris, éditions Ellipses, novembre 2009, p. 185.

66 Schneider (L.), Le développement durable territorial, Paris, éditions Afnor, décembre 2009, p. 71

· Le guide SD 21000 de l'Afnor Ç qui vise à présenter des recommandations d'ordre stratégique et opérationnel pour la prise en compte des enjeux de développement durable >> ;

· La grille RST 02 Ç qui est un outil permettant de questionner un projet vis-à-vis des enjeux de développement durable >> ;

· Le modèle Afaq 1000NR Territoires de l'Afnor, Ç qui est une évaluation tierce partie de la maturité des pratiques de développement durable d'une collectivité >> ;

· Collectivités 21 Ç qui est un outil d'évaluation basé sur une grille de questionnement >>.

Ces deux approches sont révélatrices du fossé qui sépare, d'un côté l'affirmation de grands principes à caractère universel - auxquels on ne peut que se rallier -, et, de l'autre, la mise en Ïuvre pratique de ces grands principes, spécialement à l'échelle territoriale.

Par ailleurs, ces grands principes sont eux-mêmes sujets à discussion et leur traduction n'est pas toujours aussi évidente qu'on pourrait le croire. Prenons l'exemple du commerce équitable. Cette modalité d'échange économique aboutit à faire acheter, par les pays développés de l'hémisphère Nord, des produits de l'agriculture cultivés dans l'hémisphère Sud. Le commerce équitable s'avère ainsi contraire à l'objectif de développement durable qui vise à diminuer l'émission des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Un kilo de pommes de terre qui a parcouru 10 000 km a émis plus de CO2 que des pommes de terre achetées à proximité de leur lieu de consommation. C'est de ce constat qu'est né, il y a quelques années déjà, le locavorisme. Un comportement qui s'oppose, conceptuellement, au commerce équitable, tout en visant pourtant à atteindre également des objectifs de développement durable.

A. L'exemple du locavorisme

Ç Locavore >>67, le néologisme est plutôt étrange. On le doit, semble-t-il, à une étudiante californienne et il a été consacré comme Ç mot de l'année >> dans la dernière édition de l'Oxford American Dictionary en 200868, et il est entré dans le Larousse en 2010. Le locavore est un être humain omnivore qui consomme de la nourriture

67 Voir le site www.locavores.com.

68 http://blog.oup.com/2007/11/locavore/, 12 novembre 2007, page consultée en octobre 2009 [en ligne].

produite, récoltée et distribuée localement ; d'oü son nom. Pour les Ç locavores È, l'alimentation doit provenir d'un rayon inférieur à 100 miles (160 km). Exit, les bananes, ananas et autres fruits exotiques. Exit aussi les fruits et légumes hors saison. De rares exceptions sont admises : pour les épices notamment, ainsi que pour le poisson et les crustacées.

Le rayon de 100 miles a été choisi à partir de San Francisco (CA), oü le mouvement est né en 2005. La carte ci-dessous montre l'impact de ce rayon à partir de la ville.

Le'gende : 100 miles autour de San Francisco (Carte Google Map - 2010).

Ë l'occasion de la journée mondiale de l'environnement ouverte à San Francisco en juin 2005 réunissant plus de 100 maires, trois femmes et un homme ont lancé le

locavorisme : Lia McKinney, Jessica Prentice, Dede Sampson et Sage Van Wing. Iis'agissait au début de relever un défi : consommer exclusivement une nourriture produite localement pendant un mois entier, le mois d'aoüt.

Pour les locavores, l'achat de produits locaux répond à la fois à une logique de vie personnelle et à un raisonnement économique69. Ainsi, l'un des adeptes notait, dans le New York Times, en avril 2007 : << We have a situation in California where we export as many strawberries as we import. It's gotten ridiculous [Nous sommes dans une situation en Californie, qui fait que nous exportons autant de fraises que nous en importons. C'est devenu ridicule] >>70. Pour les locavores, la consommation d'une nourriture produite localement est un objectif de développement durable : << For the Locavores and others who believe in eating locally, doing so affects the planet's top three problems: the fact that we're on the downhill side of the supply of oil and other fossil fuels, environmental deterioration and economic issues, all of which will be addressed by World Environmental Day meetings this week >> [Pour les locavores et les autres qui croient aux vertus d'une alimentation produite et consommée localement, ce comportement aura un effet sur trois des problèmes majeurs de la planète : le fait que nous sommes sur la pente descente en ce qui concerne la production de pétrole et des autres énergies fossiles, la détérioration de l'environnement et les problèmes économiques ; trois problèmes qui seront traités à l'occasion de la journée mondiale de l'environnement cette semaine]71.

La simplicité du << locavorisme >> est à première vue séduisante. Mais cette nouvelle mode, << très tendance >>, s'oppose à la fois aux principes qui fondent le droit communautaire, le droit de la commande publique et, à certains égards, il s'oppose également aux principes qui fondent le développement durable.

A.1. La preference locale : une mode promise à un bel avenir

S'inscrivant dans une stratégie de développement durable, le commerce équitable organise des échanges économiques entre les pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement. Il vise à assurer une juste rémunération du travail de ces producteurs et à établir avec eux des échanges plus

69 Le mouvement touche même les entreprises. Ainsi, le restaurant du siège de Google aux États-Unis a été baptisé café 150 car tout ce qui y est servi est produit dans un rayon de 150 miles. C'est plus que ce que s'imposent les locavores, mais la logique est la même.

70 << Preserving Fossil Fuels and Nearby Farmland by Eating Locally >>, 25 avril 2007, http://www.nytimes.com/2007/04/25/dining/25loca.html?pagewanted=2&_r=2, page consultée le 25 juillet 2010 [en ligne].

71 << Diet for a sustainable planet. The challenge : Eat locally for a month (You can start practicing now) >>,
San Francisco Chronicle, 1er juin 2005, http://www.sfgate.com/cgi-

bin/article.cgi?f=/c/a/2005/06/01/FDGF7CV4KP1.DTL&hw=locavores&sn=001&sc=1000, page
consultée le 26 juillet 2010 [en ligne].

équilibrés. L'émergence des locavores n'est pas sans conséquence pour le commerce équitable. Les Ç antilocavores È considèrent en effet que si l'on cesse d'acheter des haricots verts du Kenya, on va appauvrir les paysans africains. En fait, le commerce équitable et le locavorisme traduisent deux tendances opposées du développement durable : celle qui veut à tout prix faire des économies d'énergie (et donc de transport), et celle qui veut distribuer plus équitablement les ressources de la planète, quitte à transporter les produits de l'agriculture sur de longues distances.

A.1.1. Le commerce équitable, commerce énergivore ?

Les locavores partent d'un constat : aux États-Unis, avant de parvenir jusqu'à l'assiette de l'Américain affamé, les aliments parcourent en moyenne 1 500 miles, soit environ 2 400 kilomètres. Pour les fondateurs du mouvement, Ç cette mondialisation de l'approvisionnement alimentaire a des conséquences sérieuses pour l'environnement, notre santé, nos collectivités et nos papilles. Une grande partie des produits alimentaires stockés dans des greniers alentours doit être expédiée à l'autre bout du pays pour être redistribuée et prendre le chemin du retour en direction de nos supermarchés. Ces transports à longue distance ont un coüt non évalué (pollution de l'air et réchauffement de la planète, coüts écologiques de la monoculture à grande échelle) qui n'est pas directement payé à la caisse È. A ce stade, une précision s'impose : les Ç locavores È ne constituent pas une secte. Ils n'ont même pas une vie à part comme les 200 000 Amish américains, par exemple. Ce sont des gens ordinaires qui ont fait un constat et ont décidé d'en tirer les conséquences.

A.1.2. Le locavorisme : un retour à la tradition ?

Acheter les légumes du jardin, en respectant les saisons, les cycles lunaires et en restant près de chez soi ; voilà une règle de vie qui se défend facilement, surtout en période de crise. Pour L'Express72, le fait de décider de réduire la distance d'approvisionnement de 2 400 à 160 km Ç a des conséquences en cha»ne. Ecologiques, en premier lieu : on diminue drastiquement son empreinte carbone en n'achetant plus ni crevettes tha
·es, ni mangues péruviennes importées par avion, ni tomates ayant traversé un continent d'un bout à l'autre en camion. A la place, on soutient des producteurs locaux, et on mange de saison, salades du matin et fruits cueillis à point È.

72 Briet (Marie-Odile), Ç Connaissez-vous les locavores ? È, L'Express, Paris, édition du 11 septembre 2008, http://www.lexpress.fr/styles/psycho/connaissez-vous-les-locavores_563018.html, page consultée le 2 juillet 2010 [en ligne].

En France, note l'hebdomadaire, le mouvement a pris racine il y a une dizaine d'années. Depuis, l'Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap) a pris de l'ampleur. Au départ, quelques consommateurs passaient contrat avec un mara»cher, s'engageant à lui acheter sa récolte moyennant un abonnement hebdomadaire. Ç Aujourd'hui, dans certaines régions, le succès est tel que se met en place, progressivement, un vrai système d'alimentation local ! Dans l'agglomération de Pau, par exemple, 12 Amap nourrissent désormais 800 familles, et le contenu des paniers est à 90 % local. È L'idée ne séduit pas seulement les familles. Elle se pratique déjà dans les partenariats public-privé (PPP). Ainsi, dans un entretien au Moniteur des travaux publics et du b%otiment du 8 février 2008, le président de l'Agence des PPP du Québec, Pierre Lefebvre, expliquait : Ç On voit que la majeure partie des matériaux provient d'un rayon de 150 km. La raison pour laquelle on fait cela, c'est pour éviter l'émission de gaz à effet de serre des camions qui viennent de pays très lointains. a fait en sorte que l'industrie locale travaille. C'est important. È (Le Moniteur, n° 5 437, p. 72). C'est du locavorisme appliqué au BTP.

A.1.3. La position du rapport Pitte-Coffe du 4 mars 2010

Le professeur de géographie Jean-Robert Pitte et le journaliste Jean-Pierre Coffe ont remis, le 4 mars 2010, à la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, un rapport visant à améliorer la restauration universitaire73.

Pour les deux auteurs, Ç en tant qu'établissements publics, les Crous doivent passer des marchés globaux pour l'ensemble de leur rayon d'action. Dans certaines grandes académies, le nombre de sites d'enseignement supérieur est très élevé et la dispersion oblige à des transports de denrées sur de grandes distances. Les règles de passation des marchés publics peuvent être aménagées en répartissant les marchés par secteurs géographiques (allotissements). Ces pratiques qui ne semblent pas générales doivent être précisées et diffusées par le Cnous. Certaines denrées telles que l'huile, les conserves ou les boissons pourraient faire l'objet d'un marché national géré par le Cnous, ce qui permettrait sans doute d'obtenir des tarifs plus bas et, peut-être, de minimiser les variations brutales de tarifs (à Bordeaux en 2008 : + 72 % sur l'huile, + 44 % sur les pommes rouges, + 16 % sur le porc, + 20 % sur les steacks hachés). En

73 Pitte (Jean-Robert), Coffe (Jean-Pierre), Rapport visant à améliorer la restauration universitaire, ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, 4 mars 2010 : http://www.enseignementsuprecherche.gouv.fr/cid50758/ameliorer-la-restauration-universitaire.html, page consultée le 20 juillet 2010 [en ligne].

revanche, les produits frais pourraient avantageusement faire l'objet de marchés segmentés, beaucoup plus liés aux fournisseurs locaux. C'est tout à fait possible et cela existe déjà pour le pain, par exemple, dans certains Crous. Naturellement, cela existe déjà pour le pain, par exemple, dans certains Crous. Naturellement, cela impliquerait que les agriculteurs, mareyeurs, bouchers et PME agro-alimentaires diverses se structurent de manière à garantir une sécurité des approvisionnements. Les Chambres d'agriculture et de commerce pourraient réfléchir avec les responsables des Crous aux aménagements possibles de l'offre de denrées alimentaires. Les Amap (Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne) pourraient prendre en charge l'approvisionnement des boutiques ou marchés étudiants dont il sera question plus loin, voire des fruits et légumes. Si l'approvisionnement local se développe, la restauration universitaire reflétera beaucoup mieux les spécificités régionales et les saisons. Le lien Crous-acteurs régionaux s'en trouvera renforcé. Le bilan carbone s'en trouvera sensiblement amélioré. Enfin, le coüt des matières premières devrait pouvoir être abaissé. Il n'est pas raisonnable que des pommes bio servies à Paris proviennent du Sud Tyrol, au Nord de l'Italie. On imagine le coüt de transport de ces pommes qui doivent transiter en camion par le col du Brenner ou par les voies ferrées transalpines. En arrière-plan, se pose bien entendu la question de l'insuffisance quantitative et du coüt de la production bio en France. >>

Les deux auteurs prennent l'exemple d'Orléans : Ç Les pommes locales un peu tachées sont en vente chez les producteurs à 0,10 euro le kilo ; elles permettent de confectionner d'excellentes compotes, tartes, pommes cuites au four. Parfaites, à manger au couteau, elles valent 0,30 euro le kilo. Or, les pommes servies dans les restaurants universitaires d'Orléans sont achetées par le Crous, dans le cadre d'un marché général de fruits et légumes, entre 0,80 euro et 1 euro. De plus, elles proviennent souvent de l'hémisphère sud et ont souvent passé des mois en chambre froide, perdant une grande partie de leur valeur vitaminique et gustative. >>

Ce constat récent met en évidence le conflit latent qui oppose le commerce équitable au locavorisme. Dans l'exemple précité, on ignore si les dites pommes ont été achetées dans le cadre du commerce équitable ; mais le problème serait le même de toute manière. Achetées dans l'hémisphère Sud, elles auront parcouru une grande partie de la surface du globe avant d'atterrir dans l'assiette du consommateur. Une situation

d'autant plus choquante, pour le professeur Pitte et M. Coffe, qu'il existe à proximité des lieux de consommation, une production de pommes tout à fait satisfaisante.

Il se trouve toutefois qu'en l'état actuel du droit, il est impossible de donner directement une préférence aux productions locales dans l'attribution des marchés publics.

A.2. La preference locale : une mode interdite par le droit

Actuellement, le droit ne permet en aucun cas à l'acheteur public de devenir locavore, même s'il en a la ferme volonté. La préférence locale, qu'elles qu'en soient les modalités, demeure strictement interdite. Cette interdiction résulte aussi bien des principes du droit communautaire que de ceux issus du droit interne. Et il n'y a pas d'exception.

A.2.1. L'interdiction en droit communautaire 1° La libre circulation des marchandises

L'interdiction de la préférence locale est l'un des principes fondateurs de la construction européenne. En effet, la construction de la Communauté économique européenne a été fondée sur l'affirmation de quatre libertés : la liberté de circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services.

L'Union européenne, structure politique instituée à l'échelle d'un continent entier74, vise à créer un grand marché intérieur sans barrières douanières. Doivent être également interdites, à ce titre, toutes les mesures ayant un effet équivalent aux dites barrières douanières. On les appelle les << mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives (Meerq) >>75. Plus précisément, les Meerq ont << pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation de manière à assurer un avantage particulier à une production nationale ou au marché intérieur de l'Etat intéressé au détriment de la production ou du commerce des autres Etats membres >>76. Dans ces conditions, un acheteur public << locavore >> serait accusé de favoriser systématiquement les entreprises locales au détriment des autres entreprises européennes.

74 Dont les frontières restent toutefois l'objet de débats qui n'ont pas leur place ici.

75 CJCE 11 juill. 1974, << Proc. du Roi c. Beno»t et Gustave Dassonville >>, aff. 8-74, Rec. p. 837.

76 CJCE 8 nov. 1979, << Groenveld >>, aff. 15/79, Rec. p. I-3409 - 1er avril 1982, << Holdijk >>, aff. 141 à 143/81, Rec. p. 1299.

L'affaire du << cassis de Dijon È est emblématique et est bien connue de tous les juristes spécialisés en droit communautaire. Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a jugé que la réglementation allemande, qui n'autorisait pas la commercialisation d'alcools de fruits ayant une teneur inférieure à 32° d'alcool, était contraire aux principes du traité, car, de fait, elle écartait le cassis de Dijon, qui titre moins de 32°77. Plus tard, elle a jugé que la distinction faite aux Pays-Bas entre les bières brassées traditionnellement et les autres bières était une Meerq, car la protection du consommateur n'interdisait pas à ce dernier de consommer des bières brassées différemment78. Les restrictions à la libre circulation des marchandises sont donc interdites en Europe et ne peuvent être admises qu'à titre exceptionnel, notamment pour des raisons de santé publique (on pense naturellement à la << vache folle È). Mais de toute manière, dans une telle hypothèse, la restriction à l'importation ou à l'exportation doit être limitée dans le temps.

2° L'interdiction du protectionnisme local

Dans le cadre d'une politique harmonisée au niveau européen, comme l'est le droit des marchés publics, le juge condamne, de manière plus directe, tout protectionnisme local au nom du principe de non-discrimination issu du traité79. Il sanctionne même les mesures incitatives. La Cour a ainsi dit pour droit qu'une campagne publicitaire de promotion des produits irlandais, financée par le gouvernement, n'était pas conforme aux règles du traité, car une telle campagne incite les consommateurs à acheter des produits irlandais80. De même, elle a jugé que des mesures d'incitation à l'achat de produits nationaux par le biais d'aides financières81 étaient contraires au traité, ou que l'obligation faite aux entreprises grecques d'acheter exclusivement des caisses enregistreuses comprenant dans leur fabrication une valeur ajoutée en Grèce au moins égale à 35 %82 devait être regardée comme illégale au regard du droit communautaire. Il va de soi que le raisonnement communautaire est entièrement applicable aux achats

77 CJCE 20 févr. 1979, << Rewe-Zentral AG, Bundesmonopolverwaltung fur Branntwein È, aff. 120/78, Rec. p. 649.

78 CJCE 17 mars 1983, << Kikvorsch È, Rec. p. 947. Ë noter que lorsqu'une politique a été harmonisée au niveau communautaire, ce qui est le cas des marchés publics, la notion de Meerq ne trouve plus à s'appliquer ; il suffit de s'appuyer directement sur un manquement au droit communautaire. Pour les marchés publics, on peut se demander si des Meerq ne pourraient pas subsister en decà des seuils européens qui commandent l'application des directives sur les marchés publics.

79 CJCE 20 mars 1990, << Du Pont de Nemours Italiana SpA c. Unità sanitaria locale di Carrara È, aff. 21/88, Rec. I, p. 899 -- 11 juillet 1991, << Laboratori Bruneau È, aff. C-351/88, Rec. I-3641.

80 CJCE 24 nov. 1982, << Commission c. Irlande È, aff. C- 249/81, Rec. p. 4005.

81 CJCE 5 juin 1986, << Commission c. Italie È, aff. C-103/84, Rec. p. 1 759.

82 CJCE 24 juin 1992, << Commission c. Grèce È, aff. C- 137/91, Rec. p. 4023.

publics. Mais le droit interne, lui aussi, prohibe les discriminations à caractère géographique. Il le fait au nom du principe constitutionnel d'égalité.

A.2.2. L'interdiction en droit interne 1° L'interdiction nette du localisme

En France, le juge considère invariablement la préférence locale comme une illégalité, quel qu'en soit le motif et quelles qu'en soient les modalités. Pour ce faire, le juge ne s'appuie pas seulement sur le droit communautaire, dont il est le juge de droit commun sur le territoire national, mais sur le droit interne lui-même. L'arrêt de principe en la matière date du 29 juillet 1994. Dans cette décision, le Conseil d'Etat constate que Ç la commission d'appel d'offres [...] a décidé [...] d'attribuer le marché de préférence à une entreprise locale lorsque celle-ci présenterait des propositions n'excédant pas 4 % du devis d'éventuels soumissionnaires, cela dans le souci de favoriser le maintien des emplois locaux et l'acquittement, au bénéfice de la commune, des taxes professionnelles ; il ne ressort pas des pièces du dossier que l'implantation locale de l'entreprise chargée d'exécuter les travaux ait été une des conditions de bonne exécution du marché >>. Le juge rappelle que Ç les motifs tirés de la nécessité de favoriser l'emploi local et d'équilibrer les finances locales par l'acquittement de la taxe professionnelle sont sans rapport avec la réglementation des marchés >>83.

Le tribunal administratif de Rennes lui a embo»té le pas. A la suite d'un appel d'offres ouvert, un marché avait été attribué à un groupement formé à l'initiative des entreprises déjà titulaires du marché antérieur, et ce, en raison de Ç leur compétence, de leur bonne connaissance des lieux, de la qualité de la prestation assurée et des difficultés qui résulteraient du changement d'entreprises >>. Le marché a été annulé : Ç Il est constant, dit le juge, d'une part, que la compétence de la société (...) n'est pas discutée, d'autre part, que les critères locaux ainsi avancés n'avaient pas été expressément spécifiés dans l'appel d'offres ; qu'ils reviennent, en outre, à favoriser les entreprises déjà titulaires du marché et géographiquement proches de son lieu d'exécution ; qu'une telle pratique, qui contrevient gravement au principe de la libre concurrence sur lequel

83 CE 29 juill. 1994, Ç Commune de Ventenac-en-Minervois >>, n° 131 562, Lebon tables, p. 1035. Début novembre, on pouvait lire dans un journal local héraultais la publicité suivante : Ç En ce début de récession, mairies, agglos, conseils général et régional... Dans vos investissements, donnez la priorité aux commerçants et artisans locaux qui, par leurs impôts et taxes alimentent vos budgets. Et choisissez le «journal Y», premier média local, pour les informer de vos avis d'appel public à la concurrence. >> (Source : blog Ç Lex Libris >> du Monde.fr, 6 nov. 2008).

repose la réglementation des marchés publics, entache d'irrégularité la procédure poursuivie È84. Pour des raisons identiques, l'acheteur public ne peut pas non plus inciter uniquement les entreprises locales à soumissionner à ses propres marchés. Dans l'affaire oü était en cause la passation d'un marché de programmation pour la réalisation d'une antenne du musée du Louvre à Lens, le juge a censuré une procédure adaptée pour un marché de 35 000 euros, estimant la publicité insuffisante. Quand on regarde le fond du dossier, on découvre que l'avis avait été publié par un journal local, ainsi que sur le site Internet de la région, alors que la plupart des programmistes susceptibles d'être intéressés étaient situés justement en dehors de ladite région. C'est d'ailleurs la publication à titre informel par Le Moniteur des travaux publics et du b%otiment qui a permis à ces cabinets d'être finalement avertis85. Et, de même qu'une campagne incitant les consommateurs à acheter des produits nationaux est irrégulière au regard du droit communautaire (CJCE 24 nov. 1982 et 5 juin 1986, préc.), une campagne de promotion locale du site Internet régional de l'acheteur public aura pour effet de favoriser plus particulièrement les entreprises locales.

De manière plus générale, l'acheteur public ne peut utiliser des moyens locaux pour assurer la publicité de ses intentions d'achat, même en dessous des seuils, sauf si la concurrence locale est suffisante. Mais cela reste difficile à vérifier avant le lancement de la procédure, puisqu'on ne peut savoir s'il y aura suffisamment de candidats qu'au terme de celle-ci. Et il suffirait qu'une entreprise située en dehors de la zone ciblée par le support local démontre qu'elle aurait pu être intéressée pour que la procédure se retrouve irrégulière (CE 7 oct. 2005, préc.). La seule parade est de retenir au moins un support dont l'efficacité ne peut être contestée en raison de son audience auprès des entreprises du secteur économique concerné. En pratique, la tendance à protéger le tissu économique local demeure très forte et, d'une certaine manière, elle se comprend. Mais ce raisonnement n'est jamais admis par le juge. Tout au plus peut-il se voir atténué lorsque la proximité de l'entreprise est une condition nécessaire à la bonne exécution du marché.

2° L'atténuation du principe

84 TA Rennes 5 avril 1995, Ç Préfet du Morbihan c. Syn. intercommunal de Rochefort-en-Terre È, nO 942 005.

85 CE 7 oct. 2005, Ç Région Nord - Pas-de-Calais È, nO 278 732, concl. D. Casas, Le Moniteur, 28 oct. 2005, p. 98, Y.-R. Guillou ; Contrats publics nO 49, nov. 2005, p. 77, A. Hourcabie et A. Tabouis.

Le principe peut être atténué lorsque l'exécution du marché (mais pas sa passation) comporte une exigence de proximité de l'entreprise, notamment lorsque son intervention doit pouvoir être très rapide en cas de panne. Encore faut-il que cette condition soit correctement appliquée, car cela n'implique nullement que l'entreprise ait son siège localement. Il peut suffire qu'elle justifie de moyens de déplacement suffisamment rapides (Revues Marches publics, n° 237, oct.-nov. 1988, p. 4, pour un marché de maintenance de travaux), ou d'une installation assez proche qu'elle pourra établir après l'attribution du marché86. Mais l'acheteur ne peut exiger que cette installation soit antérieure à l'attribution du marché. Sinon, le choix pourrait être sanctionné, là encore, pour protectionnisme local.

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