A.3. Développement durable et locavorisme
Dès lors, si les acheteurs publics souhaitent
procéder à des achats éco responsables en vertu de
l'article 5 du Code des marchés publics, il leur para»tra
préférable de recourir à des spécifications
techniques, plutôt qu'à des critères de sélection
des offres. Les cahiers des clauses techniques particulières peuvent
ainsi comporter des stipulations renvoyant à des normes, telles que des
agréments techniques ou des référentiels
élaborés par des organismes de normalisation (art. 6 du Code).
Les documents de consultation peuvent définir les performances ou
exigences fonctionnelles des prestations en y intégrant des
caractéristiques environnementales. L'administration peut ainsi se
référer à un écolabel (art. 6 VII). A priori,
rien n'interdirait d'obliger les produits à afficher un bilan
carbone incluant le transport sur le lieu de consommation. Mais ces
spécifications ne peuvent pas faire mention d'un mode ou d'un
procédé de fabrication particulier, ou encore d'une provenance,
ni faire référence à une marque ou à un brevet,
dès lors qu'une telle mention ou une telle référence
aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs
économiques, ou certains produits. Ainsi, dans l'affaire du pont
Storebaelt au Danemark, la CJCE a sanctionné le manquement de
l'administration au droit communautaire, pour avoir lancé une
procédure prévoyant Ç l'utilisation la plus large possible
de matériaux, de biens de consommation, de main d'Ïuvre et de
matériel danois È87. De plus, l'acheteur ne peut en
principe se référer aux spécifications d'un produit
précis, même sans le nommer88. Il est donc impossible
de faire appel à une entreprise, en lui imposant à son tour de
faire appel une entreprise
86 CE 14 janv. 1998, Ç Soc. Martin-Fourquin È,
n° 168 688.
87 CJCE 22 juin 1993, Ç Commission c. Royaume du Danemark
È, aff. 243/89, Rec. I-3353.
88 CE 11 sept. 2006, Ç Commune de Saran È, n°
257 545, AJDA 2006, p. 2140.
locale choisie à l'avance89. L'acheteur
public doit préserver la liberté d'accès,
l'égalité de traitement et la transparence des procédures
de passation, ces trois principes formant le Ç droit commun de la
commande publique >> qui répond au droit communautaire ainsi
qu'à des exigences de valeur constitutionnelle90. Cela
n'interdit pas à la collectivité de définir son besoin en
privilégiant le Ç bio >> par exemple, ce caractère
étant une qualité intrinsèque du produit acheté.
Mais elle ne peut pas imposer une provenance, à moins que celle-ci ne
soit la condition déterminante de l'achat du produit (appellations
d'origine contrôlée notamment). Enfin, l'acheteur peut fixer des
spécifications techniques allant au-delà des normes en vigueur,
même si cela aboutit à restreindre la concurrence, mais uniquement
lorsque les nécessités du service public l'exigent, condition
appréciée strictement par le juge91. A la
lumière de ces développements, une constatation s'impose :
l'apparition d'acheteurs publics locavores en France n'est pas pour
demainÉ
A.4. L'interdiction implicite du Ç
délocalisme È
Inversement, et bien que le cas n'ait pas été
traité explicitement par la jurisprudence, l'acheteur public qui
imposerait l'achat de produits issus du commerce équitable, en exigeant
qu'ils aient été produits dans l'hémisphère Sud
imposerait tout autant une condition de localisme, mais à l'envers. Mais
il s'agirait plutôt ici de Ç délocalisme
>>92, c'est-à-dire d'une condition de situation
géographique non liée à l'objet du marché
lui-même. En d'autres termes, il ne saurait être question de
défavoriser la production locale au seul motif qu'elle est locale. Le
principe d'égalité impose qu'hormis les hypothèses dans
lesquelles une condition géographique est obligatoire93, la
localisation du fournisseur ne puisse constituer un motif de discrimination
pour l'accès aux marchés.
89 CE 29 juillet 1998, Ç Commune de Léognan
>>, Lebon tables, p. 1017.
90 Cons. const. 26 juin 2003, déc. n° 2003-473 DC.
91 CE Sect. 3 nov. 1995, Ç District de
l'agglomération nancéienne >>, n° 152 484.
92 Les locavores les appellent les distavores.
93 Un cas bien connu est celui de l'entretien des espaces
verts. Il peut être légalement imposé au prestataire de
disposer d'une implantation locale pour exécuter les prestations qui
sont attendues de lui (taille des haies, tonte des pelouses, arrosage,
élagage, etc.). Mais cette exigence doit être une condition
d'exécution du marché public, et non pas une condition (ou un
critère) de son attribution. En d'autres termes, l'implantation locale
du candidat ne peut pas être exigée préalablement à
sa candidature, à condition toutefois que celui-ci s'engage à
exécuter le marché selon les stipulations du contrat, et qu'il
soit en mesure de démontrer comment il répondra aux exigences du
marché si son offre est retenue : en pratique, le marché
indiquera un délai d'intervention, sans imposer une implantation locale.
Et il appartiendra à l'entreprise candidate de démontrer de
quelle manière elle entend y répondre (Voir sur ce point CE 14
janv. 1998, Ç Soc. Martin-Fourquin >>, n° 168 688,
préc).
Quand on essaye d'appréhender les politiques
territoriales en matière de développement durable, on imagine
souvent les collectivités territoriales en leur qualité d'acteurs
sur le territoire, au sens oü elles peuvent réglementer localement
l'activité des entreprises et des particuliers, oü elles peuvent
agir localement par le biais de conventions ou d'aides publiques, et inciter
les entreprises et les particuliers à modifier leurs comportements. Tout
cela est vrai, et reste essentiel à la réussite de l'action
publique territoriale en matière de développement durable. Mais
les collectivités territoriales sont aussi, elles-mêmes, des
consommatrices de ressources, et elles émettent des gaz à effet
de serre. Par ailleurs, les contrats et marchés qu'elles sont
amenées à passer pour les besoins des services publics
produisent, directement ou indirectement, des effets sur les politiques de
développement durable dont elles sont parties prenantes par ailleurs.
C'est cet aspect là que la ville de Strasbourg a plus
particulièrement pris en compte, en déclinant sa politique de
développement durable dans le cadre des objectifs adoptés par la
Communauté urbaine de Strasbourg.
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