WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

( Télécharger le fichier original )
par DEGDEG Sana
 -  2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. L'illustration

1) Un acte illicite est nécessairement abusif

a) Les conséquences du revirement : intervention du juge pénal concernant la gestion immorale

L'épopée prétorienne de la chambre criminelle nous amène à constater le rôle ambigu de la
notion d'intérêt social dont la Cour a tant peiné à trouver l'orientation : tantôt morale, tantôt
économique. L'issue de ces rebondissements montre le caractère irrémédiablement moral de

1 BOULOC (B.), RJ Com, 1995.301. M. Bouloc reproche également à cet arrêt de confondre « intérêt social » et « objet social »

2 Crim. 11 janvier 1996, Bull. Crim. n° 21, ANNEXE n° 2 : « S'il n'est pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par un dirigeant social l'ont nécessairement été dans un intérêt personnel » ; Ceci signifie que, certes, le juge pénal impose une présomption de dol spécial mais celle-ci n'est pas irréfragable.

3 BOULOC (B.), Rev. Soc. 1996, p. 586 ; ROBERT (J.-H.), Dr. Pén. 1996, p. 108

4 Crim. 6 février 1997, Bull. Crim. n° 48

5 Crim. 27 octobre 1997 « Carignon », ANNEXE n° 3

6 Supra : « «Quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'intérêt social, en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ».

l'intérêt social tel que compris par le juge pénal. La tentation du réalisme fiscal fut de courte durée en raison des rôles totalement différents des juges pénaux et fiscaux : si le premier a pour mission de faire respecter l'ordre au sein de l'État, le second ne doit se soucier que de la protection de ses intérêts financiers. Le juge pénal a pour mission de réprimer tous les actes socialement dangereux, prévus par le législateur. Admettre, même de manière accessoire, qu'un acte illicite est partiellement bénéfique pour la société contrevient à son rôle.

En effet, le rôle du juge pénal, résolument plus contraignant que celui du juge fiscal, se retrouve davantage limité par la décision « Carignon » qui refuse finalement de protéger l'intérêt économique de la société peut-être parce qu'elle risque d'être en contradiction avec l'ordre public dont la juridiction répressive est la gardienne.

Si la position est la même qu'en 1992, elle offre plus d'explications : l'acte illicite ne peut être conforme à l'intérêt social « en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ». On constate que la Cour se garde bien de définir l'intérêt social et par un habile raisonnement revient à la « jurisprudence des risques excessifs » pour déclarer l'acte illicite contraire à l'intérêt social1.

b) Un abus de bien social n'est pas nécessairement anormal

L'arrêt « Carignon » évoque à l'appui de son raisonnement, les risques de « sanctions pénales ou fiscales » découlant d'un acte illicite. Comme le fait justement remarquer M. Bouloc, les conséquences fiscales sont inexistantes pour la société2 au regard de la jurisprudence du Conseil d'État datant de 19833. L'argument de la Cour est donc inapproprié et il aurait été plus compréhensible d'affirmer que tout acte illicite est nécessairement contraire à l'intérêt social en raison du caractère d'ordre public de la matière pénale.

Dès lors, il s'agit ici d'une des situations dans laquelle un même acte est constitutif d'un abus de
bien social sans relever d'une gestion anormale pour le juge fiscal4. Un dirigeant s'étant rendu
coupable de corruption active sera poursuivie sur le plan de l'abus de bien social (dont

1 Si un acte illicite est nécessairement contraire à l'intérêt social c'est non pas en raison du caractère immoral du comportement qui contrevient à l'ordre public, mais c'est en raison des risques excessifs que de tels agissements font peser sur l'entreprise.

2 BOULOC (B.), Confirmation sur le recel d'abus de bien sociaux ; retour à 1997 sur l'acte contraire à l'intérêt social, Rev. Soc. 1997, p. 869 : « Quoi qu'il en soit, les arguments invoqués ne sont pas imparables. En effet, la sanction fiscale qui serait sans doute celle de l'acte anormal de gestion ne parait pas vraisemblable compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'État sur ce point ».

3 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 11 juillet 1983, cf. supra

4 COZIAN (M.), Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837

l'établissement sera d'autant plus facilité que pèsera une présomption d'intérêt personnel) mais pourra déduire les dépenses engagées au titre des articles 38 et 39 CGI. Cette asymétrie cache en filigrane la dissemblance manifeste entre les missions du juge pénal et celles du juge fiscal. A l'appui de l'indépendance du juge fiscal, le principe d'autonomie du droit fiscal vient théoriser ces différences.

Afin de saisir cette dissension, citons un arrêt du Conseil d'État en date du 5 décembre 19831 qui admet à titre de principe la déduction de telles dépenses : « Considérant que l'Administration ne conteste ni qu'il était de l'intérêt de la société X, notamment afin de mieux assurer la sécurité de ses approvisionnements, de consentir à une personne désignée par son fournisseur une soulte en sus du prix d'achat apparemment fixé, ni que le prix pratiqué, majoré du montant de la soulte, ait été anormalement élevé ».

2) Un acte illicite n'est pas nécessairement anormal

a) L'autonomie du droit fiscal et le principe d'indépendance des législations

La question de l'illicéité des actes déductibles fait resurgir une question plus large, celle de savoir si le juge fiscal est véritablement lié par les qualifications du droit pénal. Il s'agit de savoir dans quelle mesure le délit d'abus de bien social peut influencer la décision de l'administration fiscale qui se prononcera sur la déductibilité des dépenses engendrées pour commettre le délit. S'il est évident que l'administration fiscale se doit de tenir compte des décisions judiciaires et du droit commun, les arrêts du juge fiscal s'écartent parfois du chemin tracé par les juges civils ou administratifs.

La spécificité du droit fiscal est parfois critiquée par certains auteurs, notamment Maurice Cozian2 qui reprochait aux principes d'autonomie et de réalisme du droit fiscal d'être des concepts vides, n'ayant jamais été sérieusement démontrés et ne servant que de conclusions à des auteurs peu inspirés3. Ces principes laissent en effet penser -à tort- que le droit fiscal possède une sorte de pouvoir exorbitant lui permettant de requalifier des délits, des décisions judiciaires ou des statuts juridiques. Or, l'autonomie du droit fiscal ne correspond pas à ce schéma caricatural et repose en

1 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 5 décembre 1983, req. n° 35697 : Dr. Fisc. 1984, n° 14, comm. 695 ; RJF 2/84, p. 62

2 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 3, Document 1 « Propos désobligeants sur une « tarte à la crème » : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal.

3 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, cf. Supra, note n° 2, « Lorsque, tant bien que mal, les spécialistes décortiquent les mécanismes de cette législation touffue et que, voulant faire les savants, ils avancent une explication théorique, c'est trop souvent pour invoquer l'autonomie et le réalisme du droit fiscal. Une « tarte à la crème » que le Petit Robert définit comme « une formule vide et prétentieuse par laquelle on prétend avoir réponse à tout » ».

réalité sur une interprétation autonome, indépendante et réaliste de faits ou actes juridiques, à la lumière de l'intérêt économique de l'État. La législation fiscale tient uniquement compte de la réalité juridique telle qu'elle est et non telle qu'elle aurait du être.

L'autonomie du droit fiscal est donc un concept qui consacre une autre vision des situations juridiques qui se trouve davantage accentuée par le principe d'autonomie des législations.

b) Illustrations jurisprudentielles

L'autonomie du droit fiscal est donc pleinement visible à l'étude comparative de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien social. Plusieurs jurisprudences illustrent l'autonomie du droit fiscal par rapport au droit pénal concernant ce qu'il faut entendre par « atteinte à l'intérêt social ».

Dans l'arrêt « Philippe » de 20001, un chef d'entreprise entendait déduire de son bénéfice le montant des condamnations pour recel et escroquerie. L'administration fiscale contesta ces déductions et redressa le contribuable arguant de l'anormalité de ces dépenses. Cette position fut confirmée par la Cour administrative d'appel de Nantes qui considéra que ces condamnations étaient la conséquence des risques manifestement excessifs que le dirigeant avait fait supporter à son entreprise. Le Conseil d'État censura la décision des juges nantais pour erreur de droit aux motifs que « ne relèvent pas nécessairement d'une gestion anormale tous les actes ou opérations que l'exploitant décide de faire en n'ignorant pas qu'il expose ainsi l'entreprise au risque de devoir supporter certaines charges et dépenses ».

Cette décision qui s'inscrit pourtant dans la droite ligne de celle de 1983 (à la seule différence qu'elle s'applique aux frais résultant d'une condamnation) rencontre encore de violentes critiques de la part de commentateurs qui reproche au Conseil d'État sa position juridiquement immorale. Ainsi, Mme Florence Deboissy reproche au Conseil d'État2 de n'avoir pas pris en considération l'argument des « risques manifestement excessifs pour l'exploitation » avancé par les juges d'appel. L'auteur va plus loin, puisqu'elle prône l'application à l'acte anormal de gestion de la jurisprudence de la chambre criminelle sur l'abus de biens social3 : « Ceci démontre à l'évidence que l'intérêt de l'entreprise ne saurait procéder d'une approche purement mercantile et que

1 CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RJF 2000, n°162, p. 114. Notons qu'une décision a été rendue par le Conseil d'État, le même jour (CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Jean-François) concernant une amende prononcée par le Conseil de la concurrence. Elle a opté pour un refus de déductibilité car non conforme à l'intérêt social. Mme Deboissy approuve : « la licéité est une composante nécessaire à l'intérêt de l'entreprise », il en va de la cohérence de la « politique juridique étatique » (DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p. 757)

2 DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RTDCom.2000, p. 760

3 Cf. Supra, note n° 2

poursuivre dans cette voie mène au non-sens juridique. De toutes les façons, même si l'on réduit l'intérêt de l'entreprise à une dimension exclusivement financière, ce qui est encore une fois inadmissible juridiquement, il est évident que la commission d'infractions telles que le recel et l'escroquerie obèrent lourdement la continuité de l'exploitation »1. La mésentente entre acte anormal de gestion et abus de bien social se rencontre également dans un autre domaine : celui de l'intérêt de groupe.

II. Sociétés de groupe et intérêt social : la conception objective du

droit fiscal

L'aide financière entre deux sociétés constitue le second point de discorde significatif entre la théorie de l'acte anormal de gestion et l'abus de bien social. Pour le droit pénal, une telle opération est tout à fait admissible et n'est nullement constitutive d'un abus de bien social. En revanche, pour les services fiscaux, l'aide apportée à une autre société est présumée être anormale. Les raisons de cette incompréhension résultent d'une approche différente du solidarisme inter-entreprise qui met encore une fois en exergue l'absence de définition de l'intérêt social (A.). Ces clivages apparaissent davantage flagrants lorsqu'elles sont illustrées d'exemples jurisprudentiels (B.).

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand