IV- Dimension politique
Il s'agit ici de comprendre en quoi cette virulente critique est
fondatrice du mouvement tant elle en explique la création et les formes
qu'il prend.
1- Zone Autonome Temporaire
La Zone Autonome Temporaire (ou ZAT ou TAZ,
Temporary Autonomous Zone) est une notion développée par
Hakim Bey, écrivain politique se réclamant de l'« anarchisme
ontologique ». Ses écrits, bien qu'ils ne parlent pas directement
des free-parties, peuvent être considérés comme
partiellement explicatifs du phénomène. En effet, même s'il
se refuse à donner une définition claire de la zone autonome
temporaire, il la décrit comme étant une « insurrection sans
engagement direct contre l'Etat, une opération de guérilla qui
libère une zone (de terrain, de temps, d'imagination), puis se dissout,
avant que l'Etat ne l'écrase, pour se reformer ailleurs dans le
temps ou l'espace. » (Bey, 1991).
Une free-party peut être considérée
à bien des égards comme l'une de ces zones autonomes temporaires
décrites par Bey. On avait déjà noté le
caractère éphémère et répétitif de
celles-ci. Lorsque la Spiral Tribe voulait que la musique ne s'arrête
jamais, elle souhaitait
finalement que jamais il ne cesse d'exister des TAZ
techno. D'ailleurs, lorsque Bey prend pour exemple de zone autonome temporaire
les festivals de musique, il entrevoit déjà la revendication
première de ce genre d'événements : « "Se battre pour
le droit à la fête" n'est pas une parodie de la lutte radicale,
mais une nouvelle manifestation de celle-ci, en accord avec une époque
» (Bey, 1991).
2- Rupture du contrat social
On l'a vu plus haut, les teufeurs remettent en question un
certain nombre des aspects de la société telle qu'elle est. Pour
trouver une explication, il faut en revenir aux fondements de celle-ci
dictés par Thomas Hobbes. En effet, pour Lionel Pourtau, « on ne
peut comprendre le développement de ces pratiques sociales qu'en
questionnant l'incapacité grandissante du contrat social à faire
accepter a priori un ordre social homogène et cohérent
» (2005).
Pour Thomas Hobbes, le contrat social entre les hommes est
né du constat que, dans l'état de nature, l'homme subit « la
guerre de tous contre tous ». Ainsi, la nécessité de
préservation de la sécurité de chacun appelle à la
création d'un contrat entre les hommes. Par celui-ci, ils reconnaissent
à l'Etat le monopole de la violence et lui confient leurs
libertés. Les hommes ont donc choisi la sécurité en
échange d'une part de leur liberté.
Cependant, le contrat ne peut fonctionner que tant que les
hommes lui reconnaissent une certaine légitimité. En effet, si
l'Etat, par ses agissements (une violence qui sortirai du cadre de la
protection), va à l'encontre de la sécurité de chacun qui
était au fondement du contrat social, alors il en devient caduque.
Pour Pourtau, les teufeurs considéreraient justement
que l'Etat a rompu le contrat en devenant une menace plus qu'une protection.
Par là, ils retrouvent leur liberté et font secessio
plebis. Plutôt que d'affronter l'ennemi qu'est devenu l'Etat, ils
agissent à ses marges, invisibles. Ainsi, « la ZAT est une
expression de la prise de conscience de l'impossibilité d'une
révolution sociale » (Pourtau, 2005). Déjà, Hakim Bey
insistait sur le fait que l'invisibilité est l'une des principales
forces d'une Temporary Autonomous Zone. En effet, « pourquoi
se soucier d'affronter un "pouvoir" qui a perdu toute signification et
qui n'est plus que pure simulation ? » (Bey, 1991).
3- Retour au mécanique
Cette rupture du pacte hobbesien dans les zones autonomes
temporaires techno peut être un élément explicateur des
phénomènes qui s'y produisent. En effet, nous avions vu dans la
deuxième partie que le mouvement technoïste est animé d'une
recherche du sentiment de fusion communautaire.
Ainsi, l'annulation du contrat social peut amener les teufeurs
à rechercher « un mode de vie jugé plus primitif, plus
authentique » (Pourtau, 2005). Les anciennes solidarités, celles
que Durkheim décrivait comme caractéristiques d'une
société traditionnelle - en tant qu'elles sont liées au
regroupement des individus en communautés de semblables, apparaissent
alors comme le meilleur moyen de se détourner de Léviathan et de
rejoindre, en tribus, Behémoth.
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