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L'univers techno de la teuf : entre marginalité et post-modernité

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par Noémie Lequet
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - Maîtrise de sociologie 2010
  

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III- L'expérience teuf

C'est dans l'expérience même de la teuf, de ce que vivent et ressentent les teufeurs lors de leurs soirées qu'il s'agit maintenant d'essayer de détecter des éléments de réponse quant à la nature individuelle ou collective de cette expérience

1- La musique

La musique est l'élément fondateur et unificateur des teufs. Elle est le centre de l'attention et participe activement à l'état d'esprit des personnes présentes. On se demandera donc si elle a tendance à être vécue et appréhendée comme un plaisir solitaire ou à partager.

La musique apparaît dans tous les discours comme un élément essentiel des soirées. Elle est vécue comme indispensable. Elle est le ciment de cet univers, construit autour de celle-ci.

« C'est la base qui ramène tout le monde. C'est vraiment le centre, le point qui fait que tout le monde se réunit. » Lisa

« On vient pour ça, on vient pour la musique à l'origine. C'est le plus important.
C'est ce qui nous fait danser, c'est ce qui nous fait passer une bonne soirée.
»

Roman

« C'est ce qui donne l'ambiance. S'il n'y a pas de musique, il n'y a pas de teuf. »

Margot

« L'importance de la musique elle est énorme. Dès qu'elle s'arrête, en général tout

le monde hurle, tout le monde n'est pas content. » Théo

« C'est la base. C'est la base de tout. Tu vas en teuf, s'il n'y a pas de son, ce n'est pas une teuf. » Alban

Selon les espaces de la teuf où l'on se trouve, elle apparaît avoir une importance différente. Ainsi, lorsque les teufeurs sont « devant le son », elle devient parfois la seule chose d'importance. La perception des sens est modifiée, le son entoure le teufeur.

« J'adore ça et c'est vrai que quand je me mets devant, j'ai tendance à fermer les yeux et à vraiment rentrer dans la musique. » Margot

« Ça fait planer. Ça met dans un état second. [...] Et puis quand on est dans le son, on ne pense plus à rien, on pense juste à la musique. Et je trouve ça un peu magique. » Théo

« La transe, c'est déjà être devant le mur, suivre le son, avoir des pensées que tu n'as pas d'habitude. » Alban

Mais certains soulignent aussi que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le dancefloor est également un lieu d'interaction, que ce soit par des regards, des attitudes, ou même des conversations engagées au coeur de la musique.

« C'est vrai que devant la musique, il y a des gens qui vont vraiment rester dans leur son et puis tu en as, ils s'amusent avec d'autres. » Lisa

« Dans le son. Je préfère discuter en étant devant. » Margot

Cependant, l'ambiance sonore n'a pas son importance seulement dans le lieu qui lui est a priori réservé. En effet, que ce soit dans les voitures ou les camions, ou dans cet espace interstitiel dont on a déjà parlé, la musique reste indispensable.

« Ça n'a pas d'effet euphorique ou quelque chose comme ça. J'aime ça. [...]

J'aime bien tracer, papoter, c'est le fait de l'avoir en fond, ça motive. » Lisa

« Même quand je ne suis pas dans la musique, rien que le fait de l'entendre et de vivre avec... Rien que quand je vais aller tripper, discuter avec les gens, parler,

le fait qu'il y ait un fond sonore, ça met l'ambiance, ça fait du bien. » Théo

Mais jusqu'ici, on parle de la musique électronique en général. Seulement, comme pour chaque style de musique, il y a des variantes, plus ou moins appréciées par les différents adeptes. Ainsi, on choisit les teufs où l'on va en fonction des Sound Systems présents, mais on choisit également les moments de la soirée auxquels on va plutôt aller dans le son en fonction de la musique jouée.

« Je sais qui est en train de poser le son. [...] Alors je préfère aller écouter tel son que tels autres sons. » Théo

« Quand la soirée est bien entamée, c'est plus hardtek et speedcore. Enfin, plus
ça va vite et mieux c'est.
[...] Ça dépend vraiment du gars qui mixe. [...]
Quand ça me plait moins, je m'écarte en général, je vais boire une bière. »

Gaël

De manière générale, pour beaucoup de teufeurs, la musique a un effet direct sur leur état d'esprit au moment de la teuf.

« Le son, il t'amène dans un état de transe, de par sa puissance en fait. C'est des vibrations. » Dorian

« Quand elle est bonne, elle te met en transe. [...] C'est indescriptible la musique. [...] C'est mon carburant. » Amaury

On notera donc que selon les individus et selon les espaces de la teuf, le plaisir qu'apporte la musique est plus ou moins individuel. Ainsi, si elle favorise les échanges dans l'espace interstitiel, elle a des effets plus contrastés sur le dancefloor. Pour certains, elle permet d'entrer dans une bulle, pour d'autres elle est source d'échanges interpersonnels. « Elle procure des émotions à l'individu en même temps qu'elle devient un lien, un dénominateur commun, un liant avec l'ensemble des autres participants. » (Racine, 2004).

Lisa

C'est un ami étudiant qui me propose de rencontrer « Lisa et Ben, ses potes teufeurs ». Je suis donc invitée un soir à prendre l'apéro et à manger. Le Ben en question est en déplacement pour quelques temps, mais Lisa accepte avec plaisir de faire un entretien. Elle a 23 ans, est mère d'un petit garçon de 3 ans et prépare un BTS comptabilité. Elle semble à l'aise et apprécie de parler. Avant la fin de l'entretien, un problème de piles m'oblige à prendre des notes. Dans l'ensemble, nous avons parlé pendant environ une heure et demie.

2- La fusion du groupe

Au delà de la musique, une autre chose semble particulièrement essentielle à la teuf pour les enquêtés : les autres. En effet, un certain nombre d'entre eux notent qu'écouter du son à un autre moment n'a pas du tout le même effet qu'en teuf car l'ambiance n'est pas la même.

« Quand tu l'écoutes ailleurs qu'en teuf, ce n'est pas pareil. Il y a le contexte, il y a les gens... C'est le tout en fait. » Margot

Ainsi, la communication et le partage de l'expérience semblent être nécessaires à l'expérience teuf. Certains moments ont beau être réservés à l'appréciation de la musique pour soi, comme on l'a vu, il n'en reste pas moins que d'autres permettent de créer une synergie entre des individus qui sont tous là pour apprécier la même chose.

« C'est pour la bonne ambiance, parce qu'on retrouve toujours les mêmes gueules et que l'on s'est fait des potes. » Roman

« Il y a de la communication entre les gens, tu passes ta soirée à discuter, il y a des rencontres. » Amaury

« En même temps, ils [les médias] ne peuvent pas trop expliquer le lien que l'on peut créer avec plein de gens. » Margot

Certaines caractéristiques de la teuf liées à sa forme engendre un déconditionnement de la vie quotidienne favorisant le sentiment de vécu collectif. Il s'agit principalement du temps et de l'espace. En effet, une teuf se déroule la nuit, temps en rupture avec le temps socialement organisé. Mais, en plus de cela, les repéres sont brouillés : certains teufeur ne se couchent que très tard dans la matinée, ou font nuit blanche. On ne dort que lorsqu'on est fatigué, on ne mange que lorsque l'on a faim... Bref, la « rupture avec le temps socialement organisé, est lui-même propice au déconditionnement de la pensée » (Fontaine et Fontana, 1996).

« Tu te coupes du temps, tu te coupes de la technologie. Enfin moi, je ne veux jamais savoir l'heure qu'il et quand je suis en teuf. Hors de question. Tu revis vraiment limite à l'ancienne. Et à l'époque, les gens ils se parlaient, ils n'avaient pas le choix parce qu'il fallait bien vivre ensemble, il fallait bien créer une communauté. » Dorian

« Tu te dis que tu as toute la nuit, jusqu'au matin pour faire... Tu évacues, tu ne penses plus à rien. » Lisa

L'existence de cette expérience commune hors du temps et de l'espace permet la création d'un sentiment de fusion collective.

« C'est plein de convivialité, les gens sont amicaux entre eux, ils s'aiment, ils rigolent. [...] Les gens sont beaucoup plus ouverts les uns aux autres, ils vont beaucoup plus facilement les uns vers les autres alors qu'ils ne se connaissent pas, ils rigolent entre eux. » Théo

« Tu n'as même plus besoin d'une raison pour aller vers les gens. A partir du

moment où tu es en teuf, le monde réel n'existe plus. » Dorian

Ainsi, il apparaît que ce sentiment collectif de fusion est un élément essentiel d'une free-party. Elle semble même recherchée par les teufeurs.

3- Drogues et voyages solitaires

On l'a vu, de nombreux aspects de l'expérience teuf amènent à penser qu'il s'agirait d'une expérience communautaire tant elle est liée à la présence des autres et aux interactions. Cependant, un autre facteur entre ici en compte. En effet, la présence de substances psychoactives lors des teufs n'est plus à révéler. La prise de ces dernières par les teufeurs entraine ce que l'on peut appeler un état modifié de conscience. Selon Astrid Fontaine et Caroline Fontana, « les états modifiés de conscience sont des états passagers plus ou moins spectaculaires distincts d'un état de conscience dit ordinaire. » (1996). De manière assez générale, on peut penser que ces « états seconds » sont vécus de manière plutôt solitaire par les teufeurs.

Il existe différents types de drogues, qui ont chacun des effets différents. Ainsi, on peut suivre le classement effectué par Renaud Mousty (2003) en trois sous-groupes ayant des fonctionnalités diverses. Premièrement, il y a ce que l'on peut appeler les drogues sociales (cannabis, ecstasy ou alcool s'il est considéré comme une drogue). Pour des raisons diverses, ces dernières désinhibent le consommateur et lui permettent d'aller plus facilement vers les autres. C'est d'ailleurs des effets de l'ecstasy qu'est né le mythe des teufs comme lieu de débauche sexuelle. Ensuite, existent les drogues hallucinogènes (LSD ou kétamine). Comme leur nom l'indique, elles sont à l'origine d'une perception déformée de la réalité. « Elles amènent la déformation de l'espace-temps et une perception de la soirée hautement individuelle. » (Mousty, 2003). Enfin, les drogues énergisantes, comme les amphétamines, permettent de tenir toute la soirée.

La plupart des teufeurs interrogés usagers réguliers de produits psychotropes soulignent le fait qu'ils modifient leur perception de la musique, des relations qu'ils ont avec les autres ou avec l'environnement qui les entoure.

« Il y a toujours eu l'addiction aux produits et à l'alcool. [...] Ça aide pas mal à rentrer dans le truc. En teuf, j'ai toujours pris des produits. » Denis

« C'est sûr qu'avec un bédo ou un produit, tu ressens la musique différemment

que quand tu n'as rien. [...] Mais ça n'accentuait pas spécialement mon relationnel avec la musique, c'est plutôt dans la perception des choses. [...] Mais ça t'aide quand même à te mettre dans un état second. » Gaël

C'est lorsque l'on évoque l'espace du dancefloor que l'expérience de la drogue semble la plus influente chez les enquêtés. Certains produits psychotropes ont pour effet de modifier la perception des sens et de l'environnement : les teufeurs vivent dans le son une expérience solitaire faite de voyages et de questionnements.

« J'y suis toujours allé pour la musique et les produits. Pas que la musique, et pas que les produits. Alors, en début de soirée je n'étais pas au mur. Je me défonçais la gueule en fait. Et après, quand j'étais bien défoncé, j'étais au mur, je ne décrochais pas le mur de toute la soirée. Tu ne vois pas le temps passer en fait, moi je ne voyais pas le temps passer, j'étais devant le mur abruti par la musique. » Denis

« Que ça rentre à fond dans ma tête. Après, t'entends plus rien autour, t'es dans
ta bulle. D'ailleurs, tu les vois, tous ceux qui sont devant le mur, ce n'est même

pas la peine de leur parler, ils ne t'entendent pas, ils ne te voient pas. » Dorian

Cependant, la question des risques liés à cette consommation est également présente dans le discours de ceux-ci. Au-delà des risques de bad trip (mauvais voyages), très peu évoqués par les teufeurs interrogés, le risque le plus présent est celui de « rester perché », de subir une décompensation psychiatrique. « Par la transe, le chéper [perché en verlan] est monté à un niveau plus élevé de sensations mais n'a pu redescendre à son niveau normal. » (Pourtau, 2009).

« Je suis tombé dans des états très... très seconds, très psychédéliques même, très perché à un point... perdu quoi. » Denis

« Ceux qui restent perchés, pareil, y en a. Ils prennent des produits et ils restent perchés. Je pense que eux ouais. Ils ont tapé vraiment la transe, et du coup le cerveau il n'a pas suivi. Ils sont restés dedans. T'en voit des perchés des fois. J'ai eu peur de ça des fois quand même. » Dorian

Pour la plupart d'entre eux cependant, la prise de drogues n'est pas une condition nécessaire pour vivre « l'expérience teuf ». Certains n'en ont jamais pris, d'autres ont arrêté ou diminué pour des raisons diverses. Dans tous les cas, la drogue apparaît comme liée à la teuf, mais n'influant pas sur le plaisir ressenti.

« Tout le monde me dit de tester, mais je n'en ressent pas l'utilité. Je suis bien là-

bas sans rien prendre. [...] Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne me drogue pas. » Lisa

« Avec la musique, tu pars vraiment ailleurs. Sans drogues, hein. [...] Moi, je bois, mais je ne me suis jamais droguée. » Margot

« Moi, ça fait plusieurs mois que j'ai arrêté [la drogue] et je suis toujours hyper

content d'être devant le mur et de m'amuser à fond avec les copains. » Théo

« Tu n'as pas besoin de boire ou de te droguer pour aimer quelque chose. C'est comme dans la vie : si tu es en couple, tu ne vas pas te défoncer pour aimer ton compagnon, parce que sinon, on ne s'en sortirait plus ! » Amaury

Il faut cependant noter que, pour ceux qui associent teuf et drogue, cette dernière amène, selon les produits utilisés, des effets apportant souvent des expériences solitaires. Cependant, un des enquêtés fait état d'un voyage qu'ils auraient fait à plusieurs.

« Disons que c'est rare de se retrouver dans le même délire. J'ai vu des choses sous trips que généralement tu vois tout seul, et j'ai réussi à voir les mêmes choses avec mon pote. » Roman

La consommation de produits psychotropes lors d'un événement techno apparaît donc comme centrale pour la majorité des enquêtés. Selon les produits utilisés, elles amènent l'individu à faire l'expérience de deux côtés ambivalents de la teuf : celui du plaisir personnel et celui de la fusion collective.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo