PARTIE 3 - PARCOURS TECHNOÏSTES
« Beaucoup de gens, peu d'idées, et comment
faire pour nous différencier les uns des autres ? »
Milan Kundera
Cette partie a pour but de comprendre quelle place prend
l'univers de la teuf à l'échelle d'une vie. On regardera ici de
plus près aux trajectoires individuelles des enquêtés afin
de mettre en évidence des similitudes et de comprendre quels processus
en sont à l'origine.
On utilisera dans cette partie deux termes proposés par
Lionel Pourtau, celui de technoïste et celui de technoïde, afin de
faciliter la compréhension. Si technoïste est un « terme
générique pour désigner les personnes faisant partie de la
subculture liée aux fêtes techno » (Pourtau, 2009), la notion
de technoïde relève d'un degré d'investissement assez
prononcé dans cet univers et concerne « ceux pour qui
l'identité se décline essentiellement autour de ce mode
communautaire [des Sound Systems] » (Pourtau, 2009).
Dans un premier temps, une attention particulière sera
portée aux modes d'entrée dans le milieu de la free party, puis
aux degrés d'investissement dans celui-ci. Une partie sera
consacrée à l'étude des phénomènes de
distinction internes. Enfin, on essaiera de comprendre quelles sont les
évolutions possibles pour les teufeurs.
I- Processus d'entrée dans le milieu
Il existe plusieurs portes pour entrer dans le milieu de la
free-party. On montrera donc que les teufeurs ont emprunté des chemins
différents pour arriver à leurs premières
expériences teuf. Ces options ne sont pas sans conséquences sur
leurs choix à l'intérieur de ce milieu et la suite de leur
parcours. Mais d'abord, on notera premièrement un point commun entre les
enquêtés dans leur histoire précédent
l'entrée en free-party.
1- Un passé commun : l'école
Même si cette période de la vie des
enquêtés ne fait pas à proprement parlé partie de
leur expérience de technoïstes, il faut noter, tant cela revient
dans les entretiens que la plupart font état de difficultés dans
le système scolaire.
« Je n'ai jamais été un grand
passionné des cours. [...] Je n'étais pas la science
infuse. » Roman
« Alors, l'école... ça a été
compliqué. [...] Aujourd'hui, je suis peintre en
bâtiment. » Margot
« J'ai toujours été contre
l'école. Et je m'en suis toujours bien sorti, je m'en sors toujours bien
parce que je suis autodidacte. Je n'étais pas un cancre, mais
j'étais au fond de la classe. » Alban
« L'école j'étais très nul, je
n'aimais pas ça. » Gaël
« Ça ne se passait pas super mal, mais ça
ne se passait pas super bien non plus. Je m'en sortais comme je pouvais.
» Théo
Dans le même ordre d'idée, un des
enquêtés parle d'une préadolescence particulièrement
difficile l'ayant peut-être poussé à rencontrer ce
milieu.
« J'ai eu une enfance pas très cool, parce que
j'ai pas mal de problèmes de santé. » Dorian
Sans vouloir faire de généralités
à partir des quelques entretiens menés, il est donc
intéressant de noter que pour une grande majorité des
enquêtés, la période de l'enfance et de l'adolescence ont
été accompagnées de difficultés scolaires ou
personnelles.
2- Première voie d'entrée dans la teuf : la
musique
Le premier élément de biographie qui peut amener
un individu à intégrer l'univers techno est le goût pour la
musique électronique en général, puis pour ses versants
les moins commerciaux joués en free-parties. Ce premier chemin
emprunté par les teufeurs, comme les autres, ne sont pas exclusifs les
uns des autres.
En effet, pour un nombre important d'enquêtés,
l'attirance vers la musique électronique est le principal facteur
déterminant leur première sortie en teuf.
« Depuis tout petit, j'aime bien la musique
électronique, ça a toujours été le style musical
que j'appréciais. » Roman
« Le style musical de la teuf, j'y ai été
mise hyper jeune. » Lisa
« J'ai baigné dans le son depuis que je suis
gamin. J'ai commencé à mixer avec de vieux vinyles avant d'aller
en teuf. » Alban
« J'ai commencé à écouter depuis
ma tendre enfance tout ce qui était à base de musique
électronique. [...] J'étais encore jeune et je ne
connaissais pas
spécialement le milieu de la teuf. J'avais entre douze
et treize ans. » Amaury
« Ça faisait depuis l'âge de 12 ans que
j'écoutais de la techno commerciale à la radio. [...]
J'ai rencontré une personne qui m'a fait écouter du son. Trop
bien ! C'est la musique que j'ai envie d'écouter depuis que je suis tout
petit ! Première teuf ensuite... » Dorian
Ainsi, une part importante des personnes interviewées
dénote d'une sensibilité particulière pour cette musique
dès le plus jeune âge.
3- Deuxième voie d'entrée dans la teuf : les
amis
Pour une part importante des enquêtés, un des
éléments déterminants de leur entrée dans l'univers
des teufs est apporté par des connaissances, plus ou moins proches. En
effet, c'est souvent l'un d'entre eux qui les amène pour la
première fois en teuf. Ici, la sensibilité pour le milieu arrive
après la première sortie.
Ainsi, pour ceux qui ne sont pas entré dans leur
parcours technoïste par la voie de la musique électronique, le
facteur déterminant est dans la grande majorité des cas la
rencontre de teufeurs les emmenant en teuf.
« Par ma soeur, son copain de l'époque
était un teufeur. Et puis après, j'y suis allée avec
mes potes aussi. Et puis j'ai continué parce que ça m'a plu.
»
Margot
« Et puis, de fil en aiguilles, j'ai rencontré
des gens qui mixaient, et je suis parti en teuf. » Alban
« C'est lui qui va être, entre guillemets, mon
mentor, qui va me montrer comment fonctionne le mix. Ça a
été mes premières teufs. J'avais 17 ans. »
Amaury
Pour d'autres, ce n'est pas une rencontre mais la
découverte du milieu par des amis ou des proches qui les propulse dans
leur première teuf.
« C'est par mes amis. C'est eux qui m'on fait
découvrir ce milieu là. [...] Et en fait, de suite j'ai
accroché. » Roman
« Grace à mon homme. De lui-même un jour
il a voulu essayer. On en avait entendu parler, on connaissait par les
médias. Et puis un jour, il y est parti tout seul un soir. Il en a fait
pendant bien 6 mois où je ne l'ai pas suivi. Et de fil en aiguille,
dès que l'on peut faire garder le petit, moi je suis. Et j'adore !
» Lisa
« On m'a emmené là-bas. Des copains.
Ça m'a bien plu. J'y suis retourné. »
Théo
On remarque donc que ce n'est pas simplement la musique
jouée qui attire les futurs teufeurs, le lien qu'ils entretiennent avec
leur « mentor » est un élément décisif dans leur
parcours.
3- Troisième voie d'entrée dans le milieu :
l'attrait pour la marginalité
Quelques uns d'entre eux avouent aussi avoir
été attirés par l'aspect marginal de cet univers. Ils ont
respectivement été à leur première teuf à
16, 19 et 18 ans, à une période charnière de la vie, la
fin de l'adolescence.
« Je n'avais pas envie de rentrer dans le
système. Je trouvais ça assez honorifique que cette musique reste
hors du système. » Théo
« Je n'arrivais pas à me mettre dans le moule,
ce n'était pas mon truc. [...] Et être teufeur c'est
aussi être en marge de la société. » Lisa
« C'est juste une volonté à un moment
donné d'avoir un autre mode de vie et des goûts
complètement différents de ceux de la plupart des gens.
» Gaël
Ainsi, pour eux, entrer dans l'univers de la free-party et
devenir teufeur était également un moyen de se
différencier de la majorité, d'avoir l'air et de se sentir
différent.
4- Un parcours original : la drogue
On l'a vu, il y a plusieurs voies d'entrée dans le
monde de la free-party qui peuvent se combiner. Ainsi, plusieurs d'entre elles
peuvent avoir été déterminantes pour un seul et même
teufeur. Une dernière voie existe, celle de l'attrait pour la drogue que
l'on peut y trouver.
Un seul des enquêtés, Denis, semble
considérer cet aspect comme particulièrement important. C'est la
drogue et la recherche de la défonce qui le poussent à aller dans
ses premiers événements techno.
« J'ai recommencé à faire ma
première teuf tout seul assez tard, vers 18 ou 19 ans. Et là j'ai
accroché mais parce que là d'entrée... enfin, dans ma vie
réelle, j'étais déjà plus arraché.
J'étais en décalé. [...] C'était la
musique et faut pas se cacher non plus la drogue aussi. La facilité de
prendre des produits quand tu veux. » Denis
Denis
Il a 25 ans lors de l'entretien. Son parcours dans les teufs
est terminé depuis 3 ans (il avait commencé à 19 ans). Je
l'ai rencontré par l'intermédiaire de son travail de soudeur.
L'entretien s'est déroulé un dimanche matin en terrasse, sur les
quais. Denis avait l'air assez à l'aise, même en présence
du dictaphone. L'entretien a duré environ une heure et quart. Denis ne
s'est jamais considéré comme teufeur, il n'avait pas
l'état d'esprit. Il voit cette expérience comme une mauvaise
passe dans sa vie. Il est content d'en être sorti. Son truc,
c'était les teufs hardcore. A la fin de
l'entretien, il s'étonne lui-même d'avoir tant parlé.
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