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Les états, les organisations non gouvernementales et la transparence des industries extractives: la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité

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par Paul Elvic J. BATCHOM
Université de Yaoundé II/SOA - Doctorat/Ph.D 2010
  

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D. Le cadre théorique : une lecture transnationale des intérêts construits

Le cadre théorique de cette étude est bâti autour du réalisme, du transnationalisme et du constructivisme. En effet, la rencontre des deux premières théories s'opère autour de la norme pour permettre d'expliquer comment au motif de promouvoir la transparence, des acteurs privés (en l'occurrence les ONG et les firmes) entrent en transaction avec l'Etat souverain.

Traditionnellement, l'étude des acteurs privés dans la science des relations internationales est rattachée au transnationalisme. C'est cette posture théorique qui permet d'expliquer l'action des acteurs autres que l'Etat, pour sortir ainsi de l'hégémonie de l'école réaliste. Toutefois, dans cette étude il y a lieu de noter que s'arrêter à la dimension transnationale reviendrait à rendre compte de façon partielle de la réalité. Dans le cas particulier de la promotion de la norme de la transparence par les acteurs privés avec une emphase sur les ONG et les compagnies extractives, il s'agit d'examiner le jeu dans le cadre d'une triangulaire complexe par le moyen d'une triangulaire théorique. Une triangulaire dont les éléments constitutifs sont le Réalisme, le Transnationalisme et le Constructivisme social.

1. Le Transnationalisme : une explication partielle des transactions au sein de EITI.

a) Par-delà les mouvements sociaux : diversité de l'action transnationale

Les ONG, les Etats et les compagnies extractives interagissent pour assainir la gestion des revenus tirés des ressources extractives. Cette action qui est menée dans le cadre de l'initiative de transparence des industries extractives, a deux niveaux de perception : l'un stato-national et l'autre supranational. De par les buts déclarés, pour les ONG l'humanisme transfrontalier semble être le fil conducteur de leur action. Cette tâche coïncide avec une « nouvelle scène mondiale qui est tantôt aterritoriale, tantôt soumise à la concurrence de plusieurs logiques contradictoires et de plus en plus rarement, banalement statonationales »1. La pratique des ONG et des sociétés transnationales transgressant les frontières trouve une légitimité dans un monde retourné qui laisse penser au chaos2. En effet, sortant progressivement de l'ornière réaliste qui procurait une explication très générale de la politique internationale3, la théorie a

1 Badie B. (1995) La fin des territoires, essai sur le désordre international et sur l'utilité sociale du respect, Paris: Fayard p.14

2 Badie B. & Smouts M.C. (1999) Le retournement du monde, sociologie de la scène internationale, 3ème Ed. Paris : Presses des sciences po et Dalloz

3 A ce propos, Pierre de Senarclens dit : « Plus généralement, les défauts du réalisme sont liés à la démesure de ses ambitions théoriques, comme en témoigne la quête d'une explication globale des relations internationales se résumant à la recherche d'une rationalité univoque ». De Senarclens (2006) La politique internationale : Théories et enjeux contemporains, Paris : Armand Colin 5e Ed. p. 51

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Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

permis de rendre compte de la complexité des faits politiques internationalisés. La nature même de l'Etat est protéiforme et les relations qu'il entretient tant à l'intérieur qu'à l'extérieur avec d'autres acteurs sont multiples et complexes. Ce contexte propice à l'enchevêtrement des systèmes est le substrat sur lequel s'enchâsse l'action transnationale des ONG. OXFAM, Transparency International et autres CAFOD, Open society ne se laissent pas intimider par les discours souverainistes des dirigeants du sud. Ces derniers, accrochés au concept de souveraineté, expriment leur sidération devant les ONG qui font du monde un village. Comment pourrait-il en être autrement dans une société internationale globalisée ? On ne peut pas imaginer que le jeu de la politique internationale soit animé par des pôles étatiques autarciques, sans rapport les uns des autres ou bien que l'illusion de l'Etat comme seul acteur de la politique internationale soit entretenue c'est-à-dire, faire table rase du rôle des acteurs privés. L'on est passé de la confrontation à l'enchevêtrement. Le prétexte de la souveraineté ne lève plus les foules, ni ne les fascine1. Le contexte est favorable à l'émergence de nouvelles façons de faire la politique qui ne s'encombrent plus des interdictions que suscitait la souveraineté. Au principe de la fin des territoires2 et d'un droit d'ingérence3, se trouve la conviction que la frontière n'est plus/pas une cloison étanche. A côté des problèmes qui se posent sur la frontier4 et, qui pour leur résolution en appellent à une rencontre sur le fin espace d'intersection ou scapes5, il y a ceux qui naissent dans le sanctuaire des cadres statonationaux. Leur solution interdit l'absolutisation de la distinction externe/interne. D'ailleurs, l'imbrication entre les deux sphères est si poussée que Risse-Kappen pense que l'impact des acteurs ou coalitions d'acteurs transnationaux sur la politique interne d'un Etat sur une question précise, dépend d'une part de la structure interne de l'Etat en question et d'autre part, du niveau d'institutionnalisation et de coopération sur la question au plan international6. L'hypothèse d'une gouvernance mondiale7ou globale8 devient plausible tant les problèmes et

1 D'ailleurs, Janice Thomson pense que dans ce que traditionnellement les auteurs prennent pour la souveraineté c'est-à-dire le contrôle (Rule-enforcing), l'Etat a besoin de faire preuve de bilatéralisme pour que soit efficace son action, et bien implémentées les règles dont il a l'autorité ultime pour l'élaboration (Rule-making). Thomson (1995) op. cit.

2 Badie (1995) op.cit.

3 Bettati M. (1996), Le droit d'ingérence, mutation de l'ordre international, Paris : Odile Jacob.

4 Rosenau N.J. (1997), Along the domestic-foreign frontier exploring governance in a turbulent world, Cambridge: Cambridge University Press.

5 Appadurai A. (1991) Modernity at large: Cultural dimensions of globalization, Minneapolis: University of Minnesota Press

6 Risse-Kappen Th. (Eds) (1995) Bringing Transnational Relations Back in, Cambridge: Cambridge University Press, Introduction.

7 Laroche J. (2003), Mondialisation et gouvernance globale. Paris: PUF.

8 Kelly R. E. (2007) «From international relations to global governance theory: conceptualizing NGOs after the Rio breakthrough of 1992» Journal of civil society, vol.3, n°1 pp.81-99.

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les règles du jeu se sont globalisés. Dans cet environnement mondialisé où « ...le citoyen passe de moins en moins par son Etat pour pénétrer sur la scène internationale, tandis que la société civile s'internationalise sans trop de difficultés »1, il est tout à fait congru de postuler que le transnationalisme permet d'analyser l'action des ONG et des firmes transnationales aux côtés des Etats pour la gestion transparente des ressources extractives. Mais de quel transnationalisme parle-t-on?

Charles Tilly et Sidney Tarrow disent: « Like domestic institutions that constitute national political opportunity structure, internationalization is like a coral of reef around which national governments, firms and nonstate actors graviate 2» (tout comme les institutions domestiques qui constituent une structure d'opportunité de la politique nationale, l'internationalisation est comme un récif corallien autour duquel les gouvernements nationaux, les firmes et les acteurs non-étatiques gravitent). Il faut certainement rappeler que le transnationalisme permet l'analyse de toute action et des phénomènes qui transgressent la frontière. Ces relations transnationales sont definies par Thomas Risse-Kappen comme: « Regular interactions across national boundaries when at least one actor is a non-state agent or does not operate on behalf of a national government or an intergovernmental organization »3 (des interactions régulières par dessus les frontières nationales quand au moins un des acteurs est un agent non-étatique ou n'opère pas pour le compte d'un gouvernement ou d'une organisation intergouvernementale). Ce sont d'ailleurs ces phénomènes qui transgressent les frontières et qui échappent quelques fois au contrôle des Etats, qui ont inspiré Nye et Keohane4quand ils ont théorisé pour la première fois le transnationalisme. En effet, Nye et Keohane rompant avec la mode de l'époque qui était à la célébration exagérée du modèle réaliste, vont inaugurer dès 1972 une nouvelle approche. S'inscrivant dans la lignée des travaux de Arnold Wolfers5, ils avaient pour ambition, de démontrer que la politique internationale n'est pas uniquement interétatique mais transnationale. C'est une posture mieux, une attitude dans la lecture de la scène mondiale qui s'intéresse aux phénomènes sociaux transnationalisés en sortant des schémas préétablis de l'hégémonie étatique dans la perception du rôle des acteurs. Aussi, l'activité des individus

1 Badie B. & Smouts M.C. op. cit. p. 17;

2 Tilly, Charles et Tarrow Sidney (2007) Contentious politics, Boulder, CO: Paradigm. p.117.

3 Risse-Kappen Th. (Eds.) (1995) Bringing Transnational Relations Back In. Cambridge: Cambridge University Press, Introduction.

4 Nye J.& Keohane R. (1971) Transnational relations and world politic., Cambridge, MA: Harvard University Press.

5 Lire par exemple Arnold Wolfers (Eds.) (1962) Discord and Collaboration: Essays on International Politics. Baltimore: John Hopkins Press.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 48 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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par-delà les frontières est une forme de relation transnationale. Elle donne sens au concept de `transnation' chez Appadurai. Par la transnation, ce dernier désigne l'ensemble constitué par les nationaux et la composante diasporique d'un peuple. Cette même forme de transnationalisme est au principe des mécanismes qui génèrent les « citoyennetés à trait d'union ».

De plus, les acteurs internes c'est-à-dire qui sont au sein de l'Etat, n'ont pas le monopole de l'action transnationale. L'Etat, s'il faut s'en référer à l'histoire, a inscrit son action dans le transnationalisme dès ses origines1. De par les traités, les accords, les contacts multiples, l'interférence dans les affaires intérieures d'autres Etats (généralement faibles), le rôle joué par les Etats dans la construction des institutions internationales, l'Etat est un acteur transnational2. Cette conviction de l'auteur de `la troisième vague' peut prêter du crédit à la pensée de Stephen D. Krasner3pour qui la souveraineté est une hypocrisie organisée. En effet, si depuis ses origines l'Etat s'est déployé par une activité transnationale, alors vaines sont les tentatives d'érection de la souveraineté en monument dans la science des relations internationales. La mondialisation elle-même, serait un phénomène dont les rémiges plongent dans l'océan originel des temps inorganisés du passé.

L'activité des églises et des sociétés multinationales s'inscrit également dans le cadre des relations transnationales. La solidarité transfrontalière qui se nourrit par l' « opium du peuple », met sur un piédestal la croyance à un monothéisme, nonobstant les différences multiples liées à la race, aux continents...ce, par-delà les frontières. Cela s'observe heri et hodie. Que l'on observe l'antique religion chrétienne désormais ramifiée ou les nouvelles religiosités du type baconien qui déifient l'homme par le medium de la `connaissance', le constat est que la religion ne relie plus seulement l'homme à la divinité, mais aussi les hommes les uns aux autres. Dans la religion, l'espace devient un comme s'il y eut création d'un temple unique au dessus du créé et donc, qui ne subirait pas les contraintes de la territorialité.

Les multinationales quant à elles, sont à la recherche des marchés captifs ou tout simplement de débouchés. Les compagnies telles que Shell, De Beers, Total, Talisman Energy...sont des acteurs dont l'activité ne saurait être confinée dans un cadre stato-national, puisque la mondialisation de l'économie autorise le déploiement des entreprises dans les

1 Certes, les faits illustrent cette réalité mais lorsque la théorie des relations internationales s'est penchée sur les relations transnationales, elle y a vu toutes les transactions entre les acteurs exceptée les relations transnationales au sens des relations Etats-Etats. C'est ce que semble penser Risse-Kappen (op. cit. P.7).

2 Huntington S.P. (1973) « Transnational organizations »World politics, n° 25, pp.333-368.

3 Krasner S. D. (1999) op.cit

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confins des espaces attractifs. La quasi-totalité des firmes impliquées dans EITI sont transnationales, puisque ayant des activités implantées dans plusieurs Etats. Dans ces conditions, postuler l'autarcie c'est faire preuve de dyslexie dans l'appréhension de la scène internationale. Le transnationalisme est dans l'ère du temps. Les ONG, acteurs de la politique internationale inscrivent également leur action dans l'espace transnational. Toutefois, « si les transnationalistes ont pour point de départ la même unité fondamentale d'analyse que les libéraux à savoir les individus agissant seuls ou en groupes, ils ont une conception fondamentalement différente de cet acteur de référence qu'est l'individu, des relations qu'il entretient avec l'Etat, du rôle qu'il joue sur la scène mondiale »1.C'est dire, que quand on a expliqué que l'action des ONG dans la lutte pour la gestion transparente des ressources extractives peut être lue par la grille transnationaliste, on n'a pas fini à partir des motivations qui informent cette action, de démontrer que le transnationalisme mieux qu'une théorie, est une attitude qu'impose l'imbrication des systèmes.

b) EITI au coeur de la théorie des mouvements sociaux.

L'analyse des organisations non gouvernementales dans l'initiative de transparence des industries extractives ressortit de l'examen d'un mouvement social. La théorie des mouvements sociaux révèle certaines approches qui permettent de les analyser et de les comprendre. L'on a d'une part l'approche dominante qui est le modèle des processus politiques et, face à elle, les modèles marxiste, historique, féministe, ethnographique...

Le modèle des processus politiques transcende l'explication hâtive de l'adhésion à un mouvement social par la peur que suscitent les profonds bouleversements propres à ces temps. Cette explication passionnelle, ne rend pas compte de la rationalité des adhérents, encore moins des leaders desdits mouvements. Comme le dit Cyrus Ernesto Zirakzadeh: « Stated differently, the political-process scholars wanted everyone to cease seeing movements primarily as semi-therapeutic responses by frightened individuals to large-scale social change2» (présenté différemment, les chercheurs travaillant sur les processus politiques voulaient chacun, cesser de percevoir ces mouvements premièrement comme des réponses semi-therapeutiques au service d'individus effrayés par le changement social de grande ampleur). L'observation des mouvements sociaux sous l'angle du modèle des processus politiques révèle la prégnance d'un leader qui est un véritable entrepreneur politique et qui instrumentalise la culture. Dans le processus de frame making, l'entrepreneur politique a

1 Battistella D. (2006) Théories des relations internationales, 2e Ed. Paris: Presses des sciences po. p.189.

2 Zirakzadeh C.E « Crossing frontiers: Theoretical innovations in the study of social movements » International political science review, vol. 29, n°5 (2008) p.528.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 50 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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besoin de construire un master frame (i.e a frame that rallies followers behind a movement organization or a coalition of movement organizations1) [un cadre qui rallie les sympathisants derrière une organisation ou une coalition d'organisations]. Ainsi, ce modèle privilégie l'acteur rationnel dans les mouvements sociaux. C'est une approche défendue notamment par Charles Tilly et Sidney Tarrow2 qui estiment que, contrairement aux critiques de certains auteurs3 qui reprochent au modèle des processus politiques de rendre compte des faits propres aux mouvements qui veulent changer le comportement des Etats et non ceux qui veulent changer la notion de codes culturels dominants, il n'y a pas de mal à cibler une catégorie de mouvements. Par ailleurs, Jasper et Goodwin4considèrent que l'approche des processus politiques est très large pour rendre compte des particularités, par exemple les mouvements punk qui oeuvrent à changer la notion de déviance et de normalité. Cette approche nous permettra de rendre compte du potentiel rationnel des ONG qui ne sont plus seulement l'âme d'une société en dépérissement, mais aussi des mouvements conduits par des leaders entrepreneurs politiques qui savent magistralement jouer avec les enjeux et les récits humanitaires.

A côté de cette approche l'on peut également noter l'approche historique. En effet, les mouvements sociaux peuvent être lus dans leur historicité. Charles Kurzman5 par exemple, se penchant sur la révolution iranienne, démontre que du chaos des choix, des priorités et des objectifs qui régnait en 1978 en Iran, a jailli un mouvement dont on ne peut pas dire qu'il a été planifié totalement par quelque entrepreneur politique. Il pense que les identités et les préférences ne sont pas aussi stables qu'on le suppose. Ceci démontre que les mouvements sociaux ont une genèse qui peut être spontanée quelques fois. Mais les luttes de classes ne sont pas à exclure des mouvements sociaux. Certains auteurs à filiation marxiste tels que Jeffrey Paige6, mettent l'accent sur les différences de classe au sein des mouvements sociaux. C'est en prenant en compte ces modèles que l'on peut comprendre la constitution par l'EITI, d'une « société civile internationale bourgeoise » qui est happée au sommet des sphères de gouvernement du monde. Les ONG deviennent de ce fait des agents d'une action déconnectée

1 Zirakzadeh C.E idem.

2 Tilly Ch. Et Tarrow S. (2007) op. cit.

3 Voir le chapitre commun de Jeff Goodwin et James Jasper dans: Goodwin, Jeff et Jasper James (2004) Rethinking social movement: Structure, meaning and Emotion. Lanham, MD: Rowman and Littlefield p. 92.

4 op.cit.

5 Kurzman Charles (2004) The unthinkable revolution of Iran, 1977-1979. Cambridge, MA: Harvard University Press.

6 Voir par exemple: Paige Jeffrey (1975) Agrarian revolution: Social movements and export agriculture in the underdeveloped world. New York: Free Press, Paige Jeffrey (1997) Coffee and Power: Revolution and the rise of democracy in Central America. Cambridge, MA: University Press.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 51 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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des populations qui sont au coeur des refrains humanitaires. De plus, le mouvement social pour la transparence des industries extractives est historiquement daté et a surgi dans le contexte d'une inaction. Au-delà des modèles explicatifs des mouvements sociaux, il apparaît que l'appréhension de ceux-ci exige effectivement comme le pense Zirakzadeh, une transgression des frontières théoriques. En effet, le choix exclusif de l'approche des processus politiques ne permet pas de rendre raison de la charge émotionnelle et psychologique qui se dégage de l'engagement pour la transparence des industries extractives. D'autre part, comme le laissent entrevoir les contributions à l'ouvrage collectif dirigé par Quintan Wiktorowicz1, le modèle des processus politiques doit prendre en compte les réalités ethnographiques, sociales et même psychologiques des aires géographiques pour restituer la totalité des logiques qui informent l'émergence d'un mouvement social. Cet éclectisme théorique nous semble pertinent dans l'analyse que nous faisons de la transparence des industries extractives en tant que mouvement social porté par les organisations non gouvernementales.

En effet, peut-on penser que l'EITI en tant qu'initiative qui met en scène un mouvement social porté par les ONG s'explique uniquement par l'humanisme transfrontalier que célèbrent les ONG ? Le transnationalisme comme posture d'analyse permet de rendre compte de ce que l'action des ONG, acteurs régis par les droits internes des Etats, tutoie les cloisons territoriales pour s'inscrire dans l'international. De plus, les firmes du secteur des industries extractives et les Etats sont également engagés dans des relations transnationales. Pour rendre raison de cela, la grille transnationaliste semble mieux adaptée. A première vue, l'on peut penser que ce faisant, la centralité de l'acteur étatique est remise en question. Il peut même se dégager une impression de concurrence. Toutefois, ce serait proprement occulter le réel que de ne pas rendre raison de la part de régulation, du degré de manipulation et de récupération de l'action des acteurs privés (et donc des ONG et des firmes multinationales) par les Etats dans cette politique publique particulière.

2. Du réalisme ou la revanche de l'Etat sur les acteurs privés.

a) La pertinence du réalisme dans l'étude de la transparence des industries

extractives

La transparence des industries extractives pivote autour d'une norme éthique. Quelle pertinence peut avoir la convocation du réalisme dans pareille étude ? Quel crédit peut-on accorder à une étude qui traite de la morale, et qui se veut ne serait-ce que partiellement réaliste ? L'école réaliste dans la science des relations internationales a souvent été présentée

1 Wiktorowicz Quintan (Ed.) (2004), Islamic Activism: A social movement theory approach. Bloomington: Indiana University Press.

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comme une théorie de la puissance et de l' « être » plutôt que du «devoir être ». De ce fait, l'éthique semble ne pas convenir à l'analyse de la scène internationale présentée comme le prolongement de l'état de nature hobbesien. Mais au sein même de la théorie réaliste, l'on peut d'après le classement de Klaus-Gerd Giesen1, déceler trois courants dont deux, tendent à démentir la thèse de l'absence de l'éthique dans la théorie réaliste.

Le scepticisme éthique se refuse à toute considération éthique car, la nature même de la scène internationale est incompatible avec une quelconque célébration de l'éthique. L'élaboration de normes concrètes en ce qui concerne le domaine des relations internationales est impossible à cause de la spécificité de la sphère des relations internationales. C'est une sphère imprégnée de volonté de puissance et des tensions irrationnelles entre les Etats. Cette sphère est donc inappropriée pour l'adoption des normes éthiques2. Cela fait dire à Klaus-Gerd Giesen que : « puisque les acteurs étatiques n'obtempéreraient qu'à des considérations relevant de l'intérêt national et de la Raison d'Etat, une éthique à proprement parler internationale serait selon eux tout simplement illusoire et impraticable3 ». Dans la perception des sceptiques éthiques, « la puissance des forts et la Raison d'Etat annulent toute interrogation éthique dans les relations interétatiques4». En fait, les sceptiques à l'instar de Hans Morgenthau opposent la puissance à la morale. Cependant, ils reconnaissent que la sagesse pratique (prudence ou phronesis d'après Aristote), peut imposer une attitude éthique à un Etat dans une circonstance particulière. Imaginons que dans la perspective d'une élection, en vue de récolter les voix de l'électorat conservateur, un chef d'Etat décide d'interdire l'avortement. Le caractère moral de cet acte ne trahit pas l'adhésion à l'éthique du dirigeant selon les sceptiques, mais une attitude prudente qui met plutôt en relief l'éthique individuelle selon la maxime des scholastiques « omnis virtus moralis debet esse prudens ». Celle-ci est opposable à une éthique sociale qui serait une adhésion à la morale à l'échelle de la société.

C'est le principe weberien de l'éthique de la responsabilité en tant qu'attitude propre à un dirigeant devant une situation concrète. Cette adhésion ad hoc à la morale n'est nullement la preuve d'une sympathie vis-à-vis des normes éthiques. Elle ne peut en conséquence être que le fait d'un individu. Toutefois, dans le contexte d'un Etat démocratique, les gens ordinaires réunis au sein de l'opinion nationale, peuvent envoyer des signaux éthiques à leurs dirigeants

1Giesen Karl-Gerd (1992) L'éthique des relations internationales. Les théories anglo-américaines contemporaines. Bruxelles : Bruylant chap. III

2 Dean Acheson disait à ce sujet : « le vocabulaire de la morale et de l'éthique est inadéquat pour discuter ou tester la politique des Etats ». Dean Acheson « Ethics in international relations today » cité par Giesen à la page 81.

3 Giesen (1992) op. cit. P.65

4Giesen (1992) op. cit. p.66

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qui les intègrent dans l'élaboration de leurs politiques. Telle peut être perçue la politique américaine de promotion de la démocratie dans le monde, comme une exportation de l'ethos démocratique du peuple américain. Ce courant réaliste, de par son rejet de la morale1est inadapté pour notre étude qui s'articule autour de la norme éthique de la transparence dans les industries extractives. Ainsi, le réalisme serait une théorie impropre à l'analyse que nous entreprenons si nous l'appréhendons sous l'angle du scepticisme éthique.

Au sein de la théorie réaliste, il existe un autre courant qui s'est opposé à cette conception. L'empirisme éthique considère que l'on ne saurait opposer la puissance à la morale. Edward H. Carr l'un des chantres de ce courant considère qu'en politique, il est aussi fatal d'ignorer la puissance que d'ignorer la morale. Comme le rappelle Giesen, Carr rejette fermement dans son ouvrage intitulé The twenty year's crisis 1919-1939, le divorce entre la puissance et la morale. Par cette opposition aux sceptiques, il admet que le réalisme n'est pas incompatible avec l'éthique. De plus, David Hume2 autre défenseur du courant de l'empirisme éthique récuse l'état de nature hobbesien car pense-t-il, les hommes n'ont pas pu vivre dans cet état de barbarie. Son état de nature confère le bénéfice de la civilité aux hommes, il postule un Etat premier sans gouvernement qui mettait en relief certaines normes de justice. Il convient d'après Hume, de se pencher sur les conventions, les coutumes, les moeurs et les valeurs supranationales pour chercher à déceler la présence de la morale. En battant en brèche l'idée d'une éthique individuelle caractéristique des dirigeants par opposition à une éthique sociale inadaptée, l'empirisme éthique insiste sur l'existence d'une communauté mondiale perceptible à travers le comportement des gens. Des normes éthiques supranationales s'imposeraient donc aux hommes. Par la reconnaissance de la dualité réelle de la puissance et de la morale dans la sphère des relations internationales, l'empirisme éthique donne sens à l'invocation du réalisme dans cette étude. Car effectivement, les usages réalistes de l'éthique de la transparence dans les industries extractives, non seulement ils donnent de la pertinence à ce choix, mais plus encore révèlent comme une complémentarité entre ce courant et le conséquentialisme éthique ; autre courant réaliste.

1 S'inspirant des anciens qui écrivent qu'Achille et beaucoup d'autres princes furent confiés au centaure Chiron pour qu'il participa à leur éducation, Machiavel qui a poussé le scepticisme éthique à son apothéose, conseille au prince d'acquérir les qualités que reçurent Achille et autres auprès de Chiron ; à savoir, devenir en eux une part d'animal. A ce propos, il leur conseille de prendre le lion et le renard en exemple. Il dit : « Puis donc qu'un prince est obligé de savoir bien user de la bête, il doit parmi elles prendre le renard et le lion, car le lion ne se défend pas des rets, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les rets et lion pour effrayer les loups ». Autant dire qu'il leur proscrit la morale. Machiavel N. (1980) Le prince. Paris : GF Flammarion, p. 141

2 David Hume (1740) A treatrise of human nature, vol. 3 London: john Noon p.64-65 cité par Giesen (1992) op. cit. p. 89.

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Si le scepticisme éthique récuse l'idée de normes éthiques dans la sphère des relations internationales et l'empirisme éthique convie à scruter la réalité des conventions et coutumes internationales, le conséquentialisme autre courant selon la typologie de Giesen banalise la notion d'éthique. Il pourrait se situer sur le spectre du réalisme éthique au versant opposé à l'empirisme. En effet, pendant que l'empirisme postule l'existence d'une éthique réaliste dans les relations internationales, le conséquentialisme va rechercher dans les effets des actes, c'est-à-dire à la fin du spectre, l'attribut moral d'un acte.

Le conséquentialisme est défini par Samuel Scheffler1 comme : « une doctrine morale qui dit que l'acte juste dans n'importe quelle situation donnée est celui qui va produire le meilleur résultat possible tel qu'il est jugé d'un point de vue impersonnel, et qui donne un poids égal aux intérêts de tout un chacun ». Il s'agit d'un courant du réalisme qui met l'emphase sur la finalité de l'acte plutôt que sur sa nature. Avec ce courant, l'on observe toute la relativité de l'éthique dans la tradition pascalienne2. Un acte gagne l'attribut moral dès lors que par son impact, il constitue pour un grand nombre une source de satisfaction. Un auteur comme Kenneth Thompson, caractérise la relativité de la morale conséquentialiste à deux niveaux. Pour lui, il n'y a pas de principe moral premier qui pourrait arbitrer dans une situation donnée des conflits inévitables entre les acteurs. Ainsi, il postule une éthique ex-post et une « éthique situationniste ». En effet, dans Ethics and national purpose3, il énonce dans la pure tradition conséquentialiste que l'on ne doit point rechercher une éthique abstraite qui présiderait à toutes les décisions mais plutôt, évaluer la portée éthique d'un acte à l'aune de son impact et du satisfecit qu'il procure à un grand nombre. En 1960, il poursuit en optant pour une éthique situationniste qui implique l' « équilibrage des fins morales par rapport aux circonstances pratiques4 ». Du fait de cette double relativité des principes moraux, leur application dépend d'un calcul prospectif sur les conséquences probables de l'acte. En cela, peut résider un usage rationnel dans l'optique de la prudence de l'éthique de la responsabilité. En effet, si l'adoption de la norme de la transparence peut constituer une source de satisfaction pour la majorité, l'adhésion à son principe sera en même temps un choix éthique de la responsabilité et une prudence propre aux hommes de gouvernement.

1 Scheffler Samuel (Eds) (1988) Consequentialism and its critics. Oxford: Oxford University Press p.1 cité par Giesen (1992) op. cit. p.102.

2 Pascal disait : « on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat » in Pascal B (1995) Pensées, Paris : Gallimard, p. 230

3 Thompson Kenneth (1957) Ethics and national purpose. New York: Council on religion and International Affairs

4 Thompson Kenneth « The problem of means » Worldview, vol. 3 n° 6 (1960) P. 5

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industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Ainsi, par la procuration de ces deux courants au sein du réalisme, nous pensons ne plus être dans l'aire de l'oxymore en utilisant l'expression réalisme éthique1 au sens de Klaus-Gerd Giesen. Le réalisme pouvait sembler lointain à notre étude, au regard de la cristallisation de la puissance comme principe agissant des relations internationales (intergentes). Mais, par le fait même du principe de l'éthique de la responsabilité qui serait « essentiellement une éthique de l'homme d'Etat, et par conséquent une éthique largement individuelle par opposition à l'éthique sociale2» et qui apparaît comme une réalité transversale au trois courants réalistes sus-évoqués, il nous semble que cette notion weberienne d'éthique de la responsabilité constitue l'unité normative du réalisme. Le débat autour de cette notion entre les courants empirique et sceptique a permis de l'étendre aux personnes morales ( les Etats) par exemple, et de dire qu'à l'ère de la démocratie, le prince n'est plus un dirigeant seul face aux contingences et tensions irrationnelles de la scène internationale. De ce fait, si le réalisme a souscrit à la notion d'éthique de la responsabilité3 par-delà les chapelles, nous pensons qu'il est légitime de le convoquer dans cette étude, ne serait-ce que parce qu'il permet de comprendre les usages rationnels de la transparence de industries extractives en tant que norme éthique à un moment plutôt qu'à un autre.

b) Les logiques réalistes dans l'étude de la transparence des industries

extractives

Quand on examine l'action des ONG, des Etats et des firmes dans l'initiative de transparence des industries extractives, de quoi parle-t-on ? On parle d'acteurs privés qui s'ingèrent dans un domaine de la souveraineté de l'Etat. On parle d'acteurs infra-étatiques qui déclarent leur indépendance vis-à-vis de l'Etat. Faut-il penser avec Pierre de Senarclens4que : « Les interactions de plus en plus fortes entre les Etats se traduisant par l'apparition de nombreuses institutions internationales et d'acteurs non-gouvernementaux rendent le réalisme inadapté à l'étude de ce nouvel environnement » ? Il ne faut pas se laisser distraire par les incantations des nostalgiques de la souveraineté. Fiction et hypocrisie organisée5, fiction en crise6mais fiction en mutation qui produit des effets de réalité7, la souveraineté est un concept qui a permis que beaucoup d'encre coulât. Le sociologue des relations internationales fonde son analyse sur des faits. Que disent les faits ? Et à ce niveau, il

1 Giesen (1992) op. cit. p. 33

2 Giesen (1992) op. cit. p. 46

3 Giesen (1992)op. cit. p.63

4 De Senarclens P. (2002) La mondialisation - théorie, enjeux et débats, 3ème Ed. Paris : Armand Colin p. 94

5 Krasner (1999 &2001) op. cit

6 Badie (1999) op. cit

7 Sindjoun (2001) op.cit

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faut percevoir le réalisme comme une théorie ex post c'est-à-dire une constatation a posteriori de la façon dont fonctionne la scène internationale. Aussi loin que remonte l'histoire des communautés, peut-on penser que la souveraineté au sens de Bodin1a rythmé et conditionné la vie des sociétés politiques ? Lire le monde avec les lunettes réalistes, c'est constater (et non dogmatiser) que le sacro-saint principe de la souveraineté est relatif. C'est constater que l'Etat comme forme d'organisation sociale demeure pertinent et central. C'est penser que la quête (pacifique ou violente) de l'intérêt national est au coeur de l'action des Etats. C'est penser qu'en fonction des conjonctures, l'Etat peut décharger certaines de ses fonctions les moins importantes sur d'autres acteurs, renforcer ipso facto son action internationale et son emprise nationale. C'est à ce niveau que ce modèle d'analyse trouve sa pertinence.

L'analyse de l'action des ONG aux côtés des Etats dans la lutte pour la gestion transparence des ressources extractives implique un questionnement sur les motivations et la nature de cette action. Paradoxalement, y répondre conduit entre autre à une certaine sociologie de l'Etat qui s'étend sur la sphère internationale. Cette approche trahit la reconnaissance de la centralité de l'acteur étatique dans les relations internationales et l'intérêt national comme moteur des rapports qui lient les Etats entre eux et avec les autres acteurs. Autrement dit, pour rendre compte des motivations et de la nature de l'action des ONG et des firmes transnationales, il faudrait interroger le comportement de l'Etat en préjugeant de la rationalité limitée des premières devant ce dernier.

Mieux que le concept de souveraineté qui selon certains constituait l'essence du réalisme, celui de l'intérêt national est à notre sens son point focal. Dans un contexte de globalisation, parler de souveraineté comme d'une réalité peut paraître impertinent. Même en faisant des incursions dans l'histoire, aucun moment ne se caractérise par la rigidité des Etats qui auraient un contrôle strict de leurs champs de souveraineté. En lieu et place d'une souveraineté dure, il serait bien pensé de parler d'une souveraineté molle, malléable. Le consensus réaliste2 lui attribuait des vertus qu'elle n'a jamais eues. D'aucuns parlent désormais non plus de souveraineté de l'Etat mais de sa capacité3ou de son autonomie4. L'inscription de l'action non gouvernementale dans l'espace ouvert de la globalité renforce l'impression que la

1 Bodin J. (1986) Les six livres de la République, Paris : Fayard.

2 Il s'agit de cette idée acceptée des réalistes selon laquelle la souveraineté serait au coeur de la politique internationale.

3 Badie B. «De la souveraineté à la capacité de l'Etat» in Smouts M.C. (1998) Les nouvelles relations internationales, pratique et théorie, Presses des sciences po.

4 Klassen op. cit

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souveraineté est une prestidigitation. Le monde est retourné1 et cela n'a pas échappé aux réalistes d'hier qui, conscients du changement, se sont jetés dans l'usage des préfixes pour nuancer leur propos. Rosenau2cherchant à négocier le passage dans la turbulence, a déplacé le centre d'action pour le déposer sur l'interface des espaces, opposant les acteurs nouveaux à l'Etat, sur la frontier3. Ce même effort a donné naissance aux espaces qu'Appadurai appelle scapes. L'enchevêtrement des systèmes, l'irruption des acteurs et facteurs nouveaux a-t-il eu pour corollaire l'obsolescence du réalisme ? Mettre du vin ancien dans de nouvelles outres change-t-il la qualité du vin ?

Le contexte a véritablement changé. Le fonctionnement du monde pendant la Guerre Froide favorisait le musellement des acteurs mineurs. L'irruption de ces derniers après la chute du mur de Berlin n'a pas nécessairement signifié leur prépondérance par rapport à l'Etat. Depuis ses origines, l'Etat a recherché ses intérêts dans son rapport aux autres. Cette pratique échappe aux gêoles du temps et de l'espace. L'élément transversal dans l'histoire des relations internationales, celui qui a survécu aux différentes transformations de la politique internationale est la quête de l'intérêt. Le deuxième principe de Morgenthau4le rappelle: « The main signpost that helps political realism to find its way through the landscape of international politics is the concept of interest defined in terms of power» (le principal indicateur qui aide le réalisme politique à trouver son chemin à travers le paysage de la politique internationale est le concept d'intérêt défini en terme de puissance). Il ne semble pas que l'irruption de nouveaux acteurs ait détourné l'Etat de cet objectif. L'avènement d'un monde nouveau a permis à cet acteur rationnel qu'est l'Etat d'adapter son rapport à l'autre. C'est l'Etat qui définit la ligne budgétaire, c'est lui qui décerne les contrats de prospection et d'exploitation minière et pétrolière. C'est encore l'Etat qui juge pertinentes ou non les remarques et recommandations des ONG en rapport avec l'activité extractive. Peut-on imaginer l'implémentation efficiente de l'EITI sans la présence et le rôle déterminant de l'Etat ? Si l'on s'accorde à penser que la centralité de l'acteur étatique est un donné, que l'intérêt national est servi au travers des ONG (par volonté ou par destination), alors il ne serait pas exagéré d'affirmer que de par l'angle adopté dans cette étude le réalisme des Etats demeure pertinent. Mais, il faut préciser que ce ne sont guère les ONG qui sont des acteurs

1 Lire à ce sujet Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts (1999) Le retournement du monde. Sociologie de le scène internationale, Paris : Presses de Sciences po-Dalloz.

2 Rosenau N.J (1990), Turbulence in world politics; a theory of change and continuity, Princeton: Princeton University Press

3 Rosenau (1997) op. cit

4 Morgenthau H.J (1986) Politics among nations, the struggle for power and peace, 6th Ed. New York: Alfred A.Knopf p. 85.

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pratiquant le réalisme mais, parce qu'il y a décharge, elles peuvent devenir des instruments du réalisme des Etats. Par ricochet, cette étude permet de poser un regard nouveau sur le rapport qui lie l'Etat à ces acteurs dont le surgissement avait semblé signifier le début de son déclin, pour constater que ces acteurs dont l'action est pro et infra étatique plutôt que peri-étatique, contribuent à renforcer la « statolité ».

Le réalisme classique présentait l'état de guerre permanente comme le trait caractéristique de la société internationale1. Bien que cela ait sa part de vérité, on ne peut pas dire que la poursuite des intérêts nationaux passe inévitablement par la banalisation du conflit violent. Si la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, on peut de nos jours être porté à croire que la politique est devenue une autre façon efficiente de faire la guerre. La civilisation des moeurs2 politiques fait du chemin. Certes, penser que la politique internationale est complètement pacifiée serait céder à l'illusion de la mêmété mais, précisément du fait de cette ambivalence de la scène internationale, les Etats ont des politiques étrangères contextualisées. Si les questions stratégiques et géostratégiques imposent que la force soit l'outil de la politique de puissance dans certaines parties du globe, la crainte de la contagion et de l'embrasement généralisé peut exiger qu'une attitude plus soft soit affichée dans d'autres. On s'inscrirait alors dans la logique du « pouvoir en douceur » de Joseph Nye3. Il s'agit d'allier idéalisme et réalisme4 par le truchement d'une action transnationale des ONG. Qu'on ne soit donc guère surpris de ne pas percevoir dans cet espace des notions polémogènes que l'on rattache en général au réalisme, alors qu'il est pressenti pour être la grille, la clé algébrique qui permettra de lire l'action des ONG à côte des Etats pour la bonne gestion des ressources extractives dans le cadre de l'EITI.

L'usage du Transnationalisme et du Réalisme permet d'analyser le rôle des acteurs privés dans leur rapport à l'Etat. La transparence des industries extractives comme initiative mettant

1 Notamment : Von Clausewitz C. (1956) De la guerre, Paris: Minuit. p. 67. Aron R. (1984) Paix et guerre entre les nations, 8ème Ed. Paris : Calmann-Lévy.

2 Lire Elias Norbert & Dunning Eric (1994) Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris : Fayard. Elias Norbert (1973) La civilisation des moeurs, Paris : Calmann-Lévy.

3 Voir : Nye Joseph Jr. (1992) Le leadership américain, quand les règles du jeu changent, Nancy : Presses universitaire de Nancy. Mais également Nye J. Jr. (2008) « Public diplomacy and Soft power » The Annals of the American Academy of political and social science, N°616, pp. 94- 109.

4 Au cours de la conférence Wriston 2002 présentée au Manhattan Institute de New York le 1er octobre 2002, Condolezza Rice alors conseillère du président Bush en matière de sécurité nationale disait : « Pour simplifier à l'excès, disons que les réalistes minimisent l'importance des valeurs et de la structure interne des Etats et mettent au contraire l'accent sur l'équilibre des pouvoirs. Les idéalistes accordent la primauté aux valeurs comme la liberté, la démocratie, les Droits de l'Homme... en tant que responsable politique, je peux vous assurer que ces catégories masquent la réalité. En réalité, pouvoir et valeur sont complètement indissociables ». C'est dire que la défense des valeurs morales ne proscrit pas la quête de puissance et d'intérêt. Celui qui se fait le chantre d'une norme est à percevoir en même temps comme un acteur rationnel en quête de maximisation de son intérêt.

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en scène des acteurs aussi variés que l'Etat, les ONG, les compagnies extractives... autour de la norme de la transparence, invoque une autre grille explicative. Au coeur de cette analyse, se trouve la norme de la transparence qui semble entrer en collision avec celle de la souveraineté, de même que la morale qui s'oppose souvent à la puissance. Pour transcender ces clivages et dilemmes, l'apport du constructivisme s'avère impérieux.

3. L'apport du constructivisme dans la compréhension de la transparence des industries extractives.

La promotion de la transparence des industries extractives pose un dilemme normatif en même temps qu'une opposition essentielle des valeurs. D'une part, il s'agit de mettre en oeuvre la norme de la transparence en transcendant la norme de la souveraineté qui est au coeur de la construction du système international westphalien. Et d'autre part, c'est la pertinence des valeurs et idées dans la politique mondiale qui se laisse voir dans la nécessité d'implémenter la transparence dans un espace d'activité capitaliste à savoir les industries extractives. Par-delà les grilles réaliste et transnationaliste qui permettent de rendre raison de la prévalence de la puissance et de la relativisation de la souveraineté en tant qu'expression de cette puissance, le constructivisme est d'un précieux apport dans le décodage de la logique des acteurs impliqués dans l'initiative. Les deux apports principaux dans cette étude se greffent autour de ce dilemme normatif et de l'opposition entre l'empirisme et le normativisme selon qu'ils sont l'un et l'autre motivés par la morale et l'intérêt.

Le constructivisme est de ce point de vue, appréhendé comme « a tradition of social and political thought that sees the world as not just consisting of material forces but of ideational social phenomena through which we interpret the material and construct our societies1 » (une tradition de pensée politique et sociale qui voit le monde non pas seulement comme un ensemble de forces matérielles mais aussi, un phénomène social idéel par lequel nous interprétons la matière et construisons nos sociétés). Ainsi perçu, le constructivisme permet d'interpréter les faits selon qu'ils sont construits. Ce sont deux directions de lecture qu'offre cette grille. D'abord, elle révèle que les idées permettent d'interpréter les faits et ensuite, les idées permettent la construction des sociétés. Contrairement à la tradition utilitariste et néoutilitariste qui privilégie la conduite rationnelle des acteurs dont l'identité et les intérêts seraient figés, le constructivisme social tel qu'appréhendé par John Gerard Ruggie2, permet de

1 Richard M. Price (Ed.) (2008) Moral limit and possibility in world politics, Cambridge: Cambridge University Press, p. 19.

2 John Gerard Ruggie (1998), Constructing the world polity. Essays on international institutionalization, London and New York: Routledge.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 60 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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palper les acteurs et les intérêts comme des données socialement construites. En cela, les identités et les intérêts apparaissent construits car, l'identité des acteurs est un construit du fait des normes constitutives et, les idées et valeurs forment les préférences et intérêts desdits acteurs. Cela dit, il apparaît que l'opposition entre normativisme et empirisme ne tient plus. De même, les valeurs morales ne s'opposent plus à la puissance car les sociétés se construisent à partir des perceptions du monde qui sont le fruit des valeurs dont on est investi. Les normes et valeurs donnent une signification à l'intérêt et à la puissance. Elles complètent donc le réalisme et le rationalisme sans s'y opposer1. De façon globale, le constructivisme donne deux clés à la lecture de la mise en oeuvre de la transparence des industries extractives. La première clé permet de déconstruire le récit éthique des acteurs, afin de mettre à nu les non-dits d'un engagement prétendument moral. La seconde clé permet quant à elle, de transcender la dichotomie morale versus intérêt. Mais plus en profondeur, il s'agit dans cette étude de s'inspirer des six apports du constructivisme esquissés par Richard Price2, pour démontrer comment la transparence des industries extractives met fin au dilemme normatif initial, et en corollaire, dire la fin de l'opposition morale/intérêt comme l'un des postulats de base de la recherche. Ne jamais envisager l'éthique séparément de l'empirisme, cela donne du sens à l'approche même de cette recherche qui appréhende la transparence à côté de la quête de puissance des Etats. De ce point de vue, l'hypocrisie, le troisième apport dans l'ordre de Price est centrale dans la compréhension de la conduite des acteurs engagés dans une éthique de responsabilité3. Il s'agit de penser que, les protagonistes de la transparence avancent des motifs moraux, notamment, le souci de la transparence qui serait motrice du développement des peuples, alors même que les fins visées sont d'ordre utilitaire. Dans le contexte de cette promotion, l'on peut s'interroger sur la part du non-dit qui justifie l'engouement des puissances occidentales. L'Angolagate4 et l'affaire Elf par exemple sont suffisamment opaques pour que la transparence ne puisse être une leçon dispensée par la France par

1 Lire à ce propos Martha Finnemore (1996) National Interest and International Society, Ithaca, NY: Cornell University Press.

2 Price idem, il s'agit notamment de la puissance, de la complicité et de la cooptation, du dilemme moral, de l'hypocrisie, du gap entre la norme et les faits et, la logique de l'agence comme reflet des identités des acteurs.

3 Elle correspond à l'étape des conséquences dans la typologie de Christian Reus-Smit. En effet, Reus-Smit identifie six apports qu'il met en rapport avec les six apports de Price. Il s'agit de l'idiographie, du diagnostic, des conséquences, des principes, du contexte et de la capacité. Christian Reus-Smit «Constructivism and the structure of ethical reasoning » in Richard M. Price (ed.) Moral limit and possibility in world politics, Cambridge: Cambridge University Press, 2008.

4 Il s'agit d'une affaire judiciaire en France dans laquelle sont impliquées plusieurs hautes personnalités politiques. En 1994, en pleine guerre civile angolaise, des armes de fabrication française et soviétique sont vendues au régime de Eduardo Dos Santos pour un total de 790 millions de dollars US. Dans ce marché, de nombreuses personnalités dont Charles Pasqua auraient touché des commissions. La vente a été pilotée par Arcadi Gaydamak et Pierre Falcone, l'entreprise Thompson et la banque BNP-Paribas étaient impliquées.

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exemple. La raison d'Etat resurgit et elle justifie l'insulte faite à la norme ici, et l'élan laudateur à son endroit là-bas. En d'autres termes, parce que la promotion des normes s'inscrit dans la transnationalité et sert en général l'intérêt des Etats ou celui des acteurs privés, elle se situe à la croisée du Transnationalisme et du Réalisme1.

La norme est doublement porteuse du projet de changement. En tant que « standard of appropriate behaviour for actor with a given identity2 » (standard de comportement approprié pour un acteur d'identité quelconque), elle vise à imposer à certaines catégories une conduite qui tranche avec la règle établie3. C'est ainsi que la transparence est prescrite aux dirigeants des Etats candidats à l'EITI, pour constituer une révolution dans des contextes fortement marqués par l'opacité en matière de gestion des revenus des industries extractives. C'est la matérialisation du second apport de Price qui se structure autour de l'agence c'est-à-dire de la production des identités et acteurs dans la fonctionnalité constitutive de la norme. Les acteurs adaptent des comportements stratégiques, discursifs et normatifs. Alors, les entrepreneurs moraux ne sont pas irrationnels parce qu'impliqués dans les plateformes. Comme le souligne

1 Zaki Laidi oppose deux modèles potentiels d'organisation du système international, le modèle souverainiste et celui de la gouvernance. Dans sa catégorisation, le second modèle tenterait de tempérer le réalisme des Etats en gouvernant la mondialisation par les normes et les règles. Depuis le début de cette étude, nous tentons de transcender cette dichotomie et au lieu de faire des normes l'apanage du modèle de la gouvernance, nous pensons qu'elles sont communes aux deux modèles d'organisation. C'est d'ailleurs pourquoi elles servent de point de croisée entre les deux théories explicatives des deux modèles de notre point de vue. De plus, le 15 novembre 2008, les travaux du G20 réuni à Washington ont été lancés. Il s'agit lors de ces travaux qui se tiennent dans un contexte international marqué par la crise financière, de réglementer la gouvernance. Mais, il serait très naïf de penser que les intérêts vont être délaissés, s'agissant notamment du secret bancaire, des paradis fiscaux etc. Le système financier international issu de Bretton Woods ne va pas être moralisé au point de sacrifier les sempiternels intérêts des puissances mondiales. Lire Laïdi Zaki « Peut-on prendre la puissance européenne au sérieux ? » Cahiers Européens N°4, 2005. A ce sujet, la définition des relations internationales par Reinhold Nebor est très illustrative. Il pense en effet que : « International Relations are where conscience and power meet and work out tentative uneasy compromises ». Reinhold Nebor est cité par Cathal Nolan dans « Norms and principles that govern international relations » communication présentée à l'International Forum Series en avril1998.

2 Finnemore et Sikkink (1998), « International norms dynamics and political change » International Organization P.891. Cette définition est adoptée à partir des travaux de Audie Klotz, lire notamment : Klotz Audie (1995) Norms in International Relations : The struggle against apartheid, Ithaca, NY : Cornell University Press ; Klotz Audie « Transnational activism and global transformations : The anti-apartheid and abolitionist experiences » European Journal of International Relations, vol.8 (1) : 49-76, 2002. Badie quant à lui définit la norme comme « une règle admise, plus ou moins formalisée, correspondant aux attentes d'une collectivité, impliquant des sanctions acceptables et assurant un minimum de régulation sociale ». Il épouse ainsi la définition durkheimienne de la norme. Badie B. « Sécurité et nouvelles relations internationales »in Bagayoko-Penone & Hours (2005) art. cit. p.34.

3 Il s'agit notamment de la norme dite régulatrice qui a vocation à imposer un comportement. A côté d'elle, il y a les normes constitutives qui elles, créent des nouvelles catégories d'acteurs, d'intérêts et d'actions. En réalité, EITI selon qu'elle est une initiative de transparence, révèle que cette dernière échoit à la fois aux deux types de normes. Il s'agit d'une initiative qui vise à conduire les gouvernements de l'opacité vers la transparence. En cela, elle est régulatrice. Par ailleurs, elle crée inéluctablement des intérêts nouveaux et, elle met en scène des acteurs certes pas nouveaux en eux-mêmes, mais dans la gestion des ressources extractives ils sont nouveaux car, les ONG ne jouaient sinon aucun, du moins un rôle marginal dans les industries extractives. A propos de la distinction entre les normes régulatrices et les normes constitutives, voir Finnemore et Sikkink (1998) op.cit p.891.

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 62 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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Thomas Risse Kappen1, les relents de l'action des entrepreneurs sont très souvent stratégiques et discursifs. Une fois encore, l'hypocrisie est proéminente dans la promotion des normes.

En croquant sur l'espace de l'EITI le schéma du cycle de vie de la norme selon Finnemore et Sikkink, l'on peut percevoir la mêmété des entreprises de promotion des normes2et donc, justifier ce choix complémentaire en démontrant son opérationnalité. Il faut le dire pour le surligner, en même temps qu'elles sont abstraites et ne sont perçues que par les effets qu'elles produisent3, les normes sont diverses et relatives. La norme est une fabrication idéelle mieux, une construction artéfactuelle que l'on met en branle au gré des intérêts. Mais au demeurant, leur déploiement est révérencieux d'une orthodoxie vieille de plusieurs siècles4. Même si la prise en compte des normes dans la compréhension de la société internationale a souffert la marginalisation durant les années 1970-1980, en raison de l'irruption des méthodes de l'économie dans les modèles théoriques et du béhaviourisme5, les normes n'ont jamais été absentes de la politique internationale6. Cela dit, penchons nous sur le schéma cyclique de la vie d'une norme.

Le moment fondateur d'une norme est son émergence dans la généalogie de Finnemore et Sikkink. Cette étape est inimaginable sans les entrepreneurs de normes et une plateforme organisationnelle. A l'aube de l'EITI, il y a eu les ONG qui sous la houlette de leaders tels que Georges Soros, vont porter sur la scène le joug des peuples victimes des guerres et des autoritarismes du fait des industries extractives. Ces ONG vont constituer une coalition qui correspond à la plateforme organisationnelle qui sert de base de lancement de toute l'activité de lobbying. Il s'agit dans le cas d'espèce, de la coalition Publish What You Pay lancée en 2002 et qui a été l'instance de déploiement de l'entreprenariat normatif précurseur de EITI. A ce stade de la vie d'une norme, la persuasion7 occupe une place privilégiée car, il faut que les

1 Cité par Richard M. Price à la page 20.

2 Ici il s'agit de la transparence, ailleurs il pourrait s'agir de la lutte contre l'esclavage et de l'apartheid comme s'y est intéressé Audie Klotz (1995) op.cit et Audie Klotz « Transnational activism and global transformations : The anti Apartheid and abolitionist experiences » European Journal of International Relations vol.8 (1) : 49-76, 2002. Ou même, de la lutte contre les pillages en temps de guerre Sandholtz (2008) op.cit la motivation semble répondre à l'exigence de promouvoir les intérêts et les modus operandi sont les mêmes.

3 Finnemore & Sikkink disent: « We can only have indirect evidence of norms just as we can only have indirect evidence of most other motivations for political actions » Finnemore et Sikkink, 1998 op. cit. P892.

4 Lire Audie Klotz (1995) op. cit. à propos de l'action des anti-apartheid et les abolitionnistes.

5 Finnemore et Sikkink (1998) op. cit. p 889

6 Cathal Nolan dans un titre porteur de sens, parle de « Norms and principles that govern international relations » pour fustiger l'ostracisme dont ont été frappées les normes dans les courants dominants de la pensée politique ces dernières décennies, alors même que la scène mondiale n'est pas cette anarchie hobbesienne que les réalistes ont souvent plaquée au regard des étudiants des relations internationales. Nolan (2001) op. cit.

7 L'importance de la persuasion comme entreprise ouverte ou comme « rhétorique de l'action » qui serait une
ruse dont le but final est de persuader les acteurs à intégrer la norme, est au coeur du dispositif du déploiement
normatif. Finnemore & Sikkink (1998) op. cit. p.914, Klotz (1995) op. cit. pp.22-33, et Rodger A. Payne

Sous la direction de M. Luc SINDJOUN Agrégé de Science Politique, Professeur des Universités à l'Université de 63 Yaoundé II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.

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industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

entrepreneurs de normes qui n'ont aucun pouvoir d'imposition sur les destinataires réussissent à transmettre aux acteurs étatiques l'affect de la norme en promotion. La persuasion qui est: « the process by which agent act becomes social structure, ideas become norms and the subjective becomes the intersubjective1 » (le processus par lequel l'acte d'un agent devient une structure sociale, les idées deviennent des normes et le subjectif devient intersubjectif), est donc le processus de transmission de témoin et conditionne le succès de l'étape qui introduit la cascade des normes. Une définition linéaire de la persuasion suppose qu'un acteur A veut persuader les Etats B, C, D du bien-fondé d'oeuvrer pour la promotion d'une norme sur la scène mondiale. Rodger Payne2 soulignera à ce propos le rôle de la « communication persuasive » dans le processus de contagion normative.

Lorsqu'un nombre suffisant d'Etats appelés « leaders des normes3 » adoptent la norme pour en faire la promotion, l'on passe à la cascade des normes qui est la deuxième étape de la vie d'une norme. Cette étape se particularise par le projet de faire intégrer la nouvelle conduite à des Etats par d'autres Etats. Le jeu se fait désormais entre deux types d'Etats : un leader de norme et un destinataire de l'activité normative. En cela, la période 2004-2008 constitue un espace intéressant car elle a vu l'adhésion de plusieurs Etats à l'EITI. Ensuite survient la phase d'internalisation qui doit connaître son apothéose avec la conformité parfaite d'avec la norme. L'élément de mesurabilité pour le cas de la transparence des industries extractives est un rapport de conciliation des chiffres et des volumes qui doit être le reflet fidèle de la réalité des recettes et des paiements entre les compagnies et les Etats.

Un relief particulier doit cependant être mis sur l'intérêt dans la promotion de la transparence. Au-delà de la quête de légitimité et de l'estime de soi par les dirigeants, l'intérêt est central à ce niveau. Dès lors que deux Etats sont en interaction, l'intérêt s'invite et cela renvoie au réalisme en tant que poursuite d'un intérêt. En effet, les normes sont indissociables de la rationalité. La question de la nature du lien qui les unit divise encore les auteurs.

« Persuasion, Frames and Norms construction » European Journal of International Relations, vol. 7(1) : 37-61, 2001 mettent en relief cette centralité de la persuasion. Cependant, Dionyssis Dimitrakopoulos relativise l'importance de la persuasion car pense-t-il, même en l'absence des preuves d'existence de celle-ci, une norme peut être adoptée. Voir Dimitrakopoulos D. « Norms, strategies and political change: Explaining the establishment of the convention on the future of Europe » European Journal of International Relations, vol.14 (2): 319-342, 2008.

1 Finnemore & Sikkink (1998), op. cit. P. 914. Payne (2001) op. cit., p.38.

2 Rodger A. Payne (2001), op. cit.

3 Pour ce qui concerne EITI, ces leaders de normes sont : le Canada, la France, la Grande Bretagne, les USA, l'Allemagne, la Norvège, la Belgique et à ces Etats, s'ajoutent les institutions telles que la Banque Mondiale, le FMI, le G8, etc. autant dire que l'ensemble du monde développé est résolu à faire de la transparence dans les industries extractives une réalité. Cette phase est appelée « tipping point » par Finnemore et Sikkink (1998) op. cit.

Paul Elvic Jérôme BATCHOM. Les Etats, les organisations non gouvernementales et la transparence des
industries extractives : la dialectique de la souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat en Science
Politique présentée à l'Université de Yaoundé II/Cameroun)

Toutefois, l'on note que les acteurs politiques utilisent des stratégies pour poursuivre leurs intérêts, les normes modèlent ces stratégies en influençant les termes des débats qui précèdent les décisions politiques1. De toute évidence, «norms and rationality are thus intimately connected but scholars disagree about the precise nature of their relationship2» (les normes et la rationalité sont ainsi intimement liées mais les érudits ne s'accordent pas sur la nature précise de leur relation). De l'entrepreneur des normes aux destinataires des normes, l'intérêt est le moteur d'action.

Le désir d'uniformisation de la scène politique mondiale par l'exportation des pratiques occidentales vers les horizons nouveaux participe en partie de la défense ou de la poursuite des intérêts étatiques. Qu'il s'agisse de l' « action rhétorique » ou de la rhétorique de l'action, l'intérêt qui commande à l'engagement d'un acteur dans la promotion d'une norme est la célébration des objectifs des forts et des puissants et, donc vers un monde globalisé dans lequel les frontières deviennent impertinentes, tant les entrepreneurs des normes sont devenus des « borders spanners ». Cela conduit à des oxymores du type « constitutionnalisme globalisant3 », les biens publics mondiaux... qui portent une dose de spéciosité très élevée dans un monde où le réalisme n'a point cédé la place à l'humanisme.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon