D. Le cadre théorique : une lecture transnationale
des intérêts construits
Le cadre théorique de cette étude est bâti
autour du réalisme, du transnationalisme et du constructivisme. En
effet, la rencontre des deux premières théories s'opère
autour de la norme pour permettre d'expliquer comment au motif de promouvoir la
transparence, des acteurs privés (en l'occurrence les ONG et les firmes)
entrent en transaction avec l'Etat souverain.
Traditionnellement, l'étude des acteurs privés
dans la science des relations internationales est rattachée au
transnationalisme. C'est cette posture théorique qui permet d'expliquer
l'action des acteurs autres que l'Etat, pour sortir ainsi de
l'hégémonie de l'école réaliste. Toutefois, dans
cette étude il y a lieu de noter que s'arrêter à la
dimension transnationale reviendrait à rendre compte de façon
partielle de la réalité. Dans le cas particulier de la promotion
de la norme de la transparence par les acteurs privés avec une emphase
sur les ONG et les compagnies extractives, il s'agit d'examiner le jeu dans le
cadre d'une triangulaire complexe par le moyen d'une triangulaire
théorique. Une triangulaire dont les éléments constitutifs
sont le Réalisme, le Transnationalisme et le Constructivisme social.
1. Le Transnationalisme : une explication partielle des
transactions au sein de EITI.
a) Par-delà les mouvements sociaux :
diversité de l'action transnationale
Les ONG, les Etats et les compagnies extractives interagissent
pour assainir la gestion des revenus tirés des ressources extractives.
Cette action qui est menée dans le cadre de l'initiative de transparence
des industries extractives, a deux niveaux de perception : l'un stato-national
et l'autre supranational. De par les buts déclarés, pour les ONG
l'humanisme transfrontalier semble être le fil conducteur de leur action.
Cette tâche coïncide avec une « nouvelle scène mondiale
qui est tantôt aterritoriale, tantôt soumise à la
concurrence de plusieurs logiques contradictoires et de plus en plus rarement,
banalement statonationales »1. La pratique des ONG et des
sociétés transnationales transgressant les frontières
trouve une légitimité dans un monde retourné qui laisse
penser au chaos2. En effet, sortant progressivement de
l'ornière réaliste qui procurait une explication très
générale de la politique internationale3, la
théorie a
1 Badie B. (1995) La fin des territoires, essai
sur le désordre international et sur l'utilité sociale du
respect, Paris: Fayard p.14
2 Badie B. & Smouts M.C. (1999) Le
retournement du monde, sociologie de la scène internationale,
3ème Ed. Paris : Presses des sciences po et Dalloz
3 A ce propos, Pierre de Senarclens dit : «
Plus généralement, les défauts du réalisme sont
liés à la démesure de ses ambitions théoriques,
comme en témoigne la quête d'une explication globale des relations
internationales se résumant à la recherche d'une
rationalité univoque ». De Senarclens (2006) La politique
internationale : Théories et enjeux contemporains, Paris : Armand
Colin 5e Ed. p. 51
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
Yaoundé II/Cameroun)
permis de rendre compte de la complexité des faits
politiques internationalisés. La nature même de l'Etat est
protéiforme et les relations qu'il entretient tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur avec d'autres acteurs sont
multiples et complexes. Ce contexte propice à l'enchevêtrement des
systèmes est le substrat sur lequel s'enchâsse l'action
transnationale des ONG. OXFAM, Transparency International et autres
CAFOD, Open society ne se laissent pas intimider par les discours
souverainistes des dirigeants du sud. Ces derniers, accrochés au concept
de souveraineté, expriment leur sidération devant les ONG qui
font du monde un village. Comment pourrait-il en être autrement dans une
société internationale globalisée ? On ne peut pas
imaginer que le jeu de la politique internationale soit animé par des
pôles étatiques autarciques, sans rapport les uns des autres ou
bien que l'illusion de l'Etat comme seul acteur de la politique internationale
soit entretenue c'est-à-dire, faire table rase du rôle des acteurs
privés. L'on est passé de la confrontation à
l'enchevêtrement. Le prétexte de la souveraineté ne
lève plus les foules, ni ne les fascine1. Le contexte est
favorable à l'émergence de nouvelles façons de faire la
politique qui ne s'encombrent plus des interdictions que suscitait la
souveraineté. Au principe de la fin des territoires2 et d'un
droit d'ingérence3, se trouve la conviction que la
frontière n'est plus/pas une cloison étanche. A côté
des problèmes qui se posent sur la frontier4 et, qui
pour leur résolution en appellent à une rencontre sur le fin
espace d'intersection ou scapes5, il y a ceux qui naissent
dans le sanctuaire des cadres statonationaux. Leur solution interdit
l'absolutisation de la distinction externe/interne. D'ailleurs, l'imbrication
entre les deux sphères est si poussée que Risse-Kappen pense que
l'impact des acteurs ou coalitions d'acteurs transnationaux sur la politique
interne d'un Etat sur une question précise, dépend d'une part de
la structure interne de l'Etat en question et d'autre part, du niveau
d'institutionnalisation et de coopération sur la question au plan
international6. L'hypothèse d'une gouvernance
mondiale7ou globale8 devient plausible tant les
problèmes et
1 D'ailleurs, Janice Thomson pense que dans ce que
traditionnellement les auteurs prennent pour la souveraineté
c'est-à-dire le contrôle (Rule-enforcing), l'Etat a besoin de
faire preuve de bilatéralisme pour que soit efficace son action, et bien
implémentées les règles dont il a l'autorité ultime
pour l'élaboration (Rule-making). Thomson (1995) op. cit.
2 Badie (1995) op.cit.
3 Bettati M. (1996), Le droit d'ingérence,
mutation de l'ordre international, Paris : Odile Jacob.
4 Rosenau N.J. (1997), Along the domestic-foreign
frontier exploring governance in a turbulent world, Cambridge: Cambridge
University Press.
5 Appadurai A. (1991) Modernity at large: Cultural
dimensions of globalization, Minneapolis: University of Minnesota Press
6 Risse-Kappen Th. (Eds) (1995) Bringing
Transnational Relations Back in, Cambridge: Cambridge University Press,
Introduction.
7 Laroche J. (2003), Mondialisation et gouvernance
globale. Paris: PUF.
8 Kelly R. E. (2007) «From international
relations to global governance theory: conceptualizing NGOs after the Rio
breakthrough of 1992» Journal of civil society, vol.3, n°1
pp.81-99.
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Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
Yaoundé II/Cameroun)
les règles du jeu se sont globalisés. Dans cet
environnement mondialisé où « ...le citoyen passe de moins
en moins par son Etat pour pénétrer sur la scène
internationale, tandis que la société civile s'internationalise
sans trop de difficultés »1, il est tout à fait
congru de postuler que le transnationalisme permet d'analyser l'action des ONG
et des firmes transnationales aux côtés des Etats pour la gestion
transparente des ressources extractives. Mais de quel transnationalisme
parle-t-on?
Charles Tilly et Sidney Tarrow disent: « Like
domestic institutions that constitute national political opportunity structure,
internationalization is like a coral of reef around which national governments,
firms and nonstate actors graviate 2» (tout comme les
institutions domestiques qui constituent une structure d'opportunité de
la politique nationale, l'internationalisation est comme un récif
corallien autour duquel les gouvernements nationaux, les firmes et les acteurs
non-étatiques gravitent). Il faut certainement rappeler que le
transnationalisme permet l'analyse de toute action et des
phénomènes qui transgressent la frontière. Ces relations
transnationales sont definies par Thomas Risse-Kappen comme: « Regular
interactions across national boundaries when at least one actor is a non-state
agent or does not operate on behalf of a national government or an
intergovernmental organization »3 (des interactions
régulières par dessus les frontières nationales quand au
moins un des acteurs est un agent non-étatique ou n'opère pas
pour le compte d'un gouvernement ou d'une organisation intergouvernementale).
Ce sont d'ailleurs ces phénomènes qui transgressent les
frontières et qui échappent quelques fois au contrôle des
Etats, qui ont inspiré Nye et Keohane4quand ils ont
théorisé pour la première fois le transnationalisme. En
effet, Nye et Keohane rompant avec la mode de l'époque qui était
à la célébration exagérée du modèle
réaliste, vont inaugurer dès 1972 une nouvelle approche.
S'inscrivant dans la lignée des travaux de Arnold Wolfers5,
ils avaient pour ambition, de démontrer que la politique internationale
n'est pas uniquement interétatique mais transnationale. C'est une
posture mieux, une attitude dans la lecture de la scène mondiale qui
s'intéresse aux phénomènes sociaux
transnationalisés en sortant des schémas préétablis
de l'hégémonie étatique dans la perception du rôle
des acteurs. Aussi, l'activité des individus
1 Badie B. & Smouts M.C. op. cit. p.
17;
2 Tilly, Charles et Tarrow Sidney (2007)
Contentious politics, Boulder, CO: Paradigm. p.117.
3 Risse-Kappen Th. (Eds.) (1995) Bringing
Transnational Relations Back In. Cambridge: Cambridge University Press,
Introduction.
4 Nye J.& Keohane R. (1971) Transnational
relations and world politic., Cambridge, MA: Harvard University Press.
5 Lire par exemple Arnold Wolfers (Eds.) (1962)
Discord and Collaboration: Essays on International Politics.
Baltimore: John Hopkins Press.
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 48 Yaoundé
II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
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par-delà les frontières est une forme de
relation transnationale. Elle donne sens au concept de `transnation'
chez Appadurai. Par la transnation, ce dernier désigne
l'ensemble constitué par les nationaux et la composante diasporique d'un
peuple. Cette même forme de transnationalisme est au principe des
mécanismes qui génèrent les « citoyennetés
à trait d'union ».
De plus, les acteurs internes c'est-à-dire qui sont au
sein de l'Etat, n'ont pas le monopole de l'action transnationale. L'Etat, s'il
faut s'en référer à l'histoire, a inscrit son action dans
le transnationalisme dès ses origines1. De par les
traités, les accords, les contacts multiples, l'interférence dans
les affaires intérieures d'autres Etats (généralement
faibles), le rôle joué par les Etats dans la construction des
institutions internationales, l'Etat est un acteur transnational2.
Cette conviction de l'auteur de `la troisième vague' peut prêter
du crédit à la pensée de Stephen D.
Krasner3pour qui la souveraineté est une hypocrisie
organisée. En effet, si depuis ses origines l'Etat s'est
déployé par une activité transnationale, alors vaines sont
les tentatives d'érection de la souveraineté en monument dans la
science des relations internationales. La mondialisation elle-même,
serait un phénomène dont les rémiges plongent dans
l'océan originel des temps inorganisés du passé.
L'activité des églises et des
sociétés multinationales s'inscrit également dans le cadre
des relations transnationales. La solidarité transfrontalière qui
se nourrit par l' « opium du peuple », met sur un piédestal la
croyance à un monothéisme, nonobstant les différences
multiples liées à la race, aux continents...ce, par-delà
les frontières. Cela s'observe heri et hodie. Que l'on
observe l'antique religion chrétienne désormais ramifiée
ou les nouvelles religiosités du type baconien qui déifient
l'homme par le medium de la `connaissance', le constat est que la religion ne
relie plus seulement l'homme à la divinité, mais aussi les hommes
les uns aux autres. Dans la religion, l'espace devient un comme s'il y
eut création d'un temple unique au dessus du créé et donc,
qui ne subirait pas les contraintes de la territorialité.
Les multinationales quant à elles, sont à la
recherche des marchés captifs ou tout simplement de
débouchés. Les compagnies telles que Shell, De Beers, Total,
Talisman Energy...sont des acteurs dont l'activité ne saurait être
confinée dans un cadre stato-national, puisque la mondialisation de
l'économie autorise le déploiement des entreprises dans les
1 Certes, les faits illustrent cette
réalité mais lorsque la théorie des relations
internationales s'est penchée sur les relations transnationales, elle y
a vu toutes les transactions entre les acteurs exceptée les relations
transnationales au sens des relations Etats-Etats. C'est ce que semble penser
Risse-Kappen (op. cit. P.7).
2 Huntington S.P. (1973) « Transnational
organizations »World politics, n° 25, pp.333-368.
3 Krasner S. D. (1999) op.cit
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Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
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en Science Politique présentée à l'Université de
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confins des espaces attractifs. La quasi-totalité des
firmes impliquées dans EITI sont transnationales, puisque ayant des
activités implantées dans plusieurs Etats. Dans ces conditions,
postuler l'autarcie c'est faire preuve de dyslexie dans l'appréhension
de la scène internationale. Le transnationalisme est dans l'ère
du temps. Les ONG, acteurs de la politique internationale inscrivent
également leur action dans l'espace transnational. Toutefois, « si
les transnationalistes ont pour point de départ la même
unité fondamentale d'analyse que les libéraux à savoir les
individus agissant seuls ou en groupes, ils ont une conception fondamentalement
différente de cet acteur de référence qu'est l'individu,
des relations qu'il entretient avec l'Etat, du rôle qu'il joue sur la
scène mondiale »1.C'est dire, que quand on a
expliqué que l'action des ONG dans la lutte pour la gestion transparente
des ressources extractives peut être lue par la grille transnationaliste,
on n'a pas fini à partir des motivations qui informent cette action, de
démontrer que le transnationalisme mieux qu'une théorie, est une
attitude qu'impose l'imbrication des systèmes.
b) EITI au coeur de la théorie des mouvements
sociaux.
L'analyse des organisations non gouvernementales dans
l'initiative de transparence des industries extractives ressortit de l'examen
d'un mouvement social. La théorie des mouvements sociaux
révèle certaines approches qui permettent de les analyser et de
les comprendre. L'on a d'une part l'approche dominante qui est le modèle
des processus politiques et, face à elle, les modèles marxiste,
historique, féministe, ethnographique...
Le modèle des processus politiques transcende
l'explication hâtive de l'adhésion à un mouvement social
par la peur que suscitent les profonds bouleversements propres à ces
temps. Cette explication passionnelle, ne rend pas compte de la
rationalité des adhérents, encore moins des leaders desdits
mouvements. Comme le dit Cyrus Ernesto Zirakzadeh: « Stated
differently, the political-process scholars wanted everyone to cease seeing
movements primarily as semi-therapeutic responses by frightened individuals to
large-scale social change2» (présenté
différemment, les chercheurs travaillant sur les processus politiques
voulaient chacun, cesser de percevoir ces mouvements premièrement comme
des réponses semi-therapeutiques au service d'individus effrayés
par le changement social de grande ampleur). L'observation des mouvements
sociaux sous l'angle du modèle des processus politiques
révèle la prégnance d'un leader qui est un
véritable entrepreneur politique et qui instrumentalise la culture. Dans
le processus de frame making, l'entrepreneur politique a
1 Battistella D. (2006) Théories des
relations internationales, 2e Ed. Paris: Presses des sciences po.
p.189.
2 Zirakzadeh C.E « Crossing frontiers:
Theoretical innovations in the study of social movements »
International political science review, vol. 29, n°5 (2008) p.528.
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 50 Yaoundé
II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
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transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
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besoin de construire un master frame (i.e a frame
that rallies followers behind a movement organization or a coalition of
movement organizations1) [un cadre qui rallie les sympathisants
derrière une organisation ou une coalition d'organisations]. Ainsi, ce
modèle privilégie l'acteur rationnel dans les mouvements sociaux.
C'est une approche défendue notamment par Charles Tilly et Sidney
Tarrow2 qui estiment que, contrairement aux critiques de certains
auteurs3 qui reprochent au modèle des processus politiques de
rendre compte des faits propres aux mouvements qui veulent changer le
comportement des Etats et non ceux qui veulent changer la notion de codes
culturels dominants, il n'y a pas de mal à cibler une catégorie
de mouvements. Par ailleurs, Jasper et Goodwin4considèrent
que l'approche des processus politiques est très large pour rendre
compte des particularités, par exemple les mouvements punk qui
oeuvrent à changer la notion de déviance et de normalité.
Cette approche nous permettra de rendre compte du potentiel rationnel des ONG
qui ne sont plus seulement l'âme d'une société en
dépérissement, mais aussi des mouvements conduits par des leaders
entrepreneurs politiques qui savent magistralement jouer avec les enjeux et les
récits humanitaires.
A côté de cette approche l'on peut
également noter l'approche historique. En effet, les mouvements sociaux
peuvent être lus dans leur historicité. Charles
Kurzman5 par exemple, se penchant sur la révolution
iranienne, démontre que du chaos des choix, des priorités et des
objectifs qui régnait en 1978 en Iran, a jailli un mouvement dont on ne
peut pas dire qu'il a été planifié totalement par quelque
entrepreneur politique. Il pense que les identités et les
préférences ne sont pas aussi stables qu'on le suppose. Ceci
démontre que les mouvements sociaux ont une genèse qui peut
être spontanée quelques fois. Mais les luttes de classes ne sont
pas à exclure des mouvements sociaux. Certains auteurs à
filiation marxiste tels que Jeffrey Paige6, mettent l'accent sur les
différences de classe au sein des mouvements sociaux. C'est en prenant
en compte ces modèles que l'on peut comprendre la constitution par
l'EITI, d'une « société civile internationale bourgeoise
» qui est happée au sommet des sphères de gouvernement du
monde. Les ONG deviennent de ce fait des agents d'une action
déconnectée
1 Zirakzadeh C.E idem.
2 Tilly Ch. Et Tarrow S. (2007) op. cit.
3 Voir le chapitre commun de Jeff Goodwin et James
Jasper dans: Goodwin, Jeff et Jasper James (2004) Rethinking social
movement: Structure, meaning and Emotion. Lanham, MD: Rowman and
Littlefield p. 92.
4 op.cit.
5 Kurzman Charles (2004) The unthinkable
revolution of Iran, 1977-1979. Cambridge, MA: Harvard University Press.
6 Voir par exemple: Paige Jeffrey (1975)
Agrarian revolution: Social movements and export agriculture in the
underdeveloped world. New York: Free Press, Paige Jeffrey (1997)
Coffee and Power: Revolution and the rise of democracy in Central America.
Cambridge, MA: University Press.
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 51 Yaoundé
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transparence des industries extractives : la dialectique de la
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en Science Politique présentée à l'Université de
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des populations qui sont au coeur des refrains humanitaires.
De plus, le mouvement social pour la transparence des industries extractives
est historiquement daté et a surgi dans le contexte d'une inaction.
Au-delà des modèles explicatifs des mouvements sociaux, il
apparaît que l'appréhension de ceux-ci exige effectivement comme
le pense Zirakzadeh, une transgression des frontières théoriques.
En effet, le choix exclusif de l'approche des processus politiques ne permet
pas de rendre raison de la charge émotionnelle et psychologique qui se
dégage de l'engagement pour la transparence des industries extractives.
D'autre part, comme le laissent entrevoir les contributions à l'ouvrage
collectif dirigé par Quintan Wiktorowicz1, le modèle
des processus politiques doit prendre en compte les réalités
ethnographiques, sociales et même psychologiques des aires
géographiques pour restituer la totalité des logiques qui
informent l'émergence d'un mouvement social. Cet éclectisme
théorique nous semble pertinent dans l'analyse que nous faisons de la
transparence des industries extractives en tant que mouvement social
porté par les organisations non gouvernementales.
En effet, peut-on penser que l'EITI en tant qu'initiative qui
met en scène un mouvement social porté par les ONG s'explique
uniquement par l'humanisme transfrontalier que célèbrent les ONG
? Le transnationalisme comme posture d'analyse permet de rendre compte de ce
que l'action des ONG, acteurs régis par les droits internes des Etats,
tutoie les cloisons territoriales pour s'inscrire dans l'international. De
plus, les firmes du secteur des industries extractives et les Etats sont
également engagés dans des relations transnationales. Pour rendre
raison de cela, la grille transnationaliste semble mieux adaptée. A
première vue, l'on peut penser que ce faisant, la centralité de
l'acteur étatique est remise en question. Il peut même se
dégager une impression de concurrence. Toutefois, ce serait proprement
occulter le réel que de ne pas rendre raison de la part de
régulation, du degré de manipulation et de
récupération de l'action des acteurs privés (et donc des
ONG et des firmes multinationales) par les Etats dans cette politique publique
particulière.
2. Du réalisme ou la revanche de l'Etat sur les
acteurs privés.
a) La pertinence du réalisme dans l'étude
de la transparence des industries
extractives
La transparence des industries extractives pivote autour d'une
norme éthique. Quelle pertinence peut avoir la convocation du
réalisme dans pareille étude ? Quel crédit peut-on
accorder à une étude qui traite de la morale, et qui se veut ne
serait-ce que partiellement réaliste ? L'école réaliste
dans la science des relations internationales a souvent été
présentée
1 Wiktorowicz Quintan (Ed.) (2004), Islamic
Activism: A social movement theory approach. Bloomington: Indiana
University Press.
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Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
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comme une théorie de la puissance et de l' «
être » plutôt que du «devoir être ». De ce
fait, l'éthique semble ne pas convenir à l'analyse de la
scène internationale présentée comme le prolongement de
l'état de nature hobbesien. Mais au sein même de la théorie
réaliste, l'on peut d'après le classement de Klaus-Gerd
Giesen1, déceler trois courants dont deux, tendent à
démentir la thèse de l'absence de l'éthique dans la
théorie réaliste.
Le scepticisme éthique se refuse à toute
considération éthique car, la nature même de la
scène internationale est incompatible avec une quelconque
célébration de l'éthique. L'élaboration de normes
concrètes en ce qui concerne le domaine des relations internationales
est impossible à cause de la spécificité de la
sphère des relations internationales. C'est une sphère
imprégnée de volonté de puissance et des tensions
irrationnelles entre les Etats. Cette sphère est donc
inappropriée pour l'adoption des normes éthiques2.
Cela fait dire à Klaus-Gerd Giesen que : « puisque les acteurs
étatiques n'obtempéreraient qu'à des considérations
relevant de l'intérêt national et de la Raison d'Etat, une
éthique à proprement parler internationale serait selon eux tout
simplement illusoire et impraticable3 ». Dans la perception des
sceptiques éthiques, « la puissance des forts et la Raison d'Etat
annulent toute interrogation éthique dans les relations
interétatiques4». En fait, les sceptiques à
l'instar de Hans Morgenthau opposent la puissance à la morale.
Cependant, ils reconnaissent que la sagesse pratique (prudence ou phronesis
d'après Aristote), peut imposer une attitude éthique
à un Etat dans une circonstance particulière. Imaginons que dans
la perspective d'une élection, en vue de récolter les voix de
l'électorat conservateur, un chef d'Etat décide d'interdire
l'avortement. Le caractère moral de cet acte ne trahit pas
l'adhésion à l'éthique du dirigeant selon les sceptiques,
mais une attitude prudente qui met plutôt en relief l'éthique
individuelle selon la maxime des scholastiques « omnis virtus moralis
debet esse prudens ». Celle-ci est opposable à une
éthique sociale qui serait une adhésion à la morale
à l'échelle de la société.
C'est le principe weberien de l'éthique de la
responsabilité en tant qu'attitude propre à un dirigeant devant
une situation concrète. Cette adhésion ad hoc à
la morale n'est nullement la preuve d'une sympathie vis-à-vis des normes
éthiques. Elle ne peut en conséquence être que le fait d'un
individu. Toutefois, dans le contexte d'un Etat démocratique, les gens
ordinaires réunis au sein de l'opinion nationale, peuvent envoyer des
signaux éthiques à leurs dirigeants
1Giesen Karl-Gerd (1992) L'éthique des
relations internationales. Les théories anglo-américaines
contemporaines. Bruxelles : Bruylant chap. III
2 Dean Acheson disait à ce sujet : « le
vocabulaire de la morale et de l'éthique est inadéquat pour
discuter ou tester la politique des Etats ». Dean Acheson « Ethics in
international relations today » cité par Giesen à la page
81.
3 Giesen (1992) op. cit. P.65
4Giesen (1992) op. cit. p.66
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qui les intègrent dans l'élaboration de leurs
politiques. Telle peut être perçue la politique américaine
de promotion de la démocratie dans le monde, comme une exportation de
l'ethos démocratique du peuple américain. Ce courant
réaliste, de par son rejet de la morale1est inadapté
pour notre étude qui s'articule autour de la norme éthique de la
transparence dans les industries extractives. Ainsi, le réalisme serait
une théorie impropre à l'analyse que nous entreprenons si nous
l'appréhendons sous l'angle du scepticisme éthique.
Au sein de la théorie réaliste, il existe un
autre courant qui s'est opposé à cette conception. L'empirisme
éthique considère que l'on ne saurait opposer la puissance
à la morale. Edward H. Carr l'un des chantres de ce courant
considère qu'en politique, il est aussi fatal d'ignorer la puissance que
d'ignorer la morale. Comme le rappelle Giesen, Carr rejette fermement dans son
ouvrage intitulé The twenty year's crisis 1919-1939, le divorce
entre la puissance et la morale. Par cette opposition aux sceptiques, il admet
que le réalisme n'est pas incompatible avec l'éthique. De plus,
David Hume2 autre défenseur du courant de l'empirisme
éthique récuse l'état de nature hobbesien car pense-t-il,
les hommes n'ont pas pu vivre dans cet état de barbarie. Son état
de nature confère le bénéfice de la civilité aux
hommes, il postule un Etat premier sans gouvernement qui mettait en relief
certaines normes de justice. Il convient d'après Hume, de se pencher sur
les conventions, les coutumes, les moeurs et les valeurs supranationales pour
chercher à déceler la présence de la morale. En battant en
brèche l'idée d'une éthique individuelle
caractéristique des dirigeants par opposition à une
éthique sociale inadaptée, l'empirisme éthique insiste sur
l'existence d'une communauté mondiale perceptible à travers le
comportement des gens. Des normes éthiques supranationales
s'imposeraient donc aux hommes. Par la reconnaissance de la dualité
réelle de la puissance et de la morale dans la sphère des
relations internationales, l'empirisme éthique donne sens à
l'invocation du réalisme dans cette étude. Car effectivement, les
usages réalistes de l'éthique de la transparence dans les
industries extractives, non seulement ils donnent de la pertinence à ce
choix, mais plus encore révèlent comme une
complémentarité entre ce courant et le conséquentialisme
éthique ; autre courant réaliste.
1 S'inspirant des anciens qui écrivent
qu'Achille et beaucoup d'autres princes furent confiés au centaure
Chiron pour qu'il participa à leur éducation, Machiavel qui a
poussé le scepticisme éthique à son apothéose,
conseille au prince d'acquérir les qualités que reçurent
Achille et autres auprès de Chiron ; à savoir, devenir en eux une
part d'animal. A ce propos, il leur conseille de prendre le lion et le renard
en exemple. Il dit : « Puis donc qu'un prince est obligé de savoir
bien user de la bête, il doit parmi elles prendre le renard et le lion,
car le lion ne se défend pas des rets, le renard ne se défend pas
des loups. Il faut donc être renard pour connaître les rets et lion
pour effrayer les loups ». Autant dire qu'il leur proscrit la morale.
Machiavel N. (1980) Le prince. Paris : GF Flammarion, p. 141
2 David Hume (1740) A treatrise of human
nature, vol. 3 London: john Noon p.64-65 cité par Giesen (1992)
op. cit. p. 89.
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Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
Yaoundé II/Cameroun)
Si le scepticisme éthique récuse l'idée
de normes éthiques dans la sphère des relations internationales
et l'empirisme éthique convie à scruter la réalité
des conventions et coutumes internationales, le conséquentialisme autre
courant selon la typologie de Giesen banalise la notion d'éthique. Il
pourrait se situer sur le spectre du réalisme éthique au versant
opposé à l'empirisme. En effet, pendant que l'empirisme postule
l'existence d'une éthique réaliste dans les relations
internationales, le conséquentialisme va rechercher dans les effets des
actes, c'est-à-dire à la fin du spectre, l'attribut moral d'un
acte.
Le conséquentialisme est défini par Samuel
Scheffler1 comme : « une doctrine morale qui dit que l'acte
juste dans n'importe quelle situation donnée est celui qui va produire
le meilleur résultat possible tel qu'il est jugé d'un point de
vue impersonnel, et qui donne un poids égal aux intérêts de
tout un chacun ». Il s'agit d'un courant du réalisme qui met
l'emphase sur la finalité de l'acte plutôt que sur sa nature. Avec
ce courant, l'on observe toute la relativité de l'éthique dans la
tradition pascalienne2. Un acte gagne l'attribut moral dès
lors que par son impact, il constitue pour un grand nombre une source de
satisfaction. Un auteur comme Kenneth Thompson, caractérise la
relativité de la morale conséquentialiste à deux niveaux.
Pour lui, il n'y a pas de principe moral premier qui pourrait arbitrer dans une
situation donnée des conflits inévitables entre les acteurs.
Ainsi, il postule une éthique ex-post et une «
éthique situationniste ». En effet, dans Ethics and
national purpose3, il énonce dans la pure tradition
conséquentialiste que l'on ne doit point rechercher une éthique
abstraite qui présiderait à toutes les décisions mais
plutôt, évaluer la portée éthique d'un acte à
l'aune de son impact et du satisfecit qu'il procure à un grand nombre.
En 1960, il poursuit en optant pour une éthique situationniste qui
implique l' « équilibrage des fins morales par rapport aux
circonstances pratiques4 ». Du fait de cette double
relativité des principes moraux, leur application dépend d'un
calcul prospectif sur les conséquences probables de l'acte. En cela,
peut résider un usage rationnel dans l'optique de la prudence de
l'éthique de la responsabilité. En effet, si l'adoption de la
norme de la transparence peut constituer une source de satisfaction pour la
majorité, l'adhésion à son principe sera en même
temps un choix éthique de la responsabilité et une prudence
propre aux hommes de gouvernement.
1 Scheffler Samuel (Eds) (1988) Consequentialism
and its critics. Oxford: Oxford University Press p.1 cité par
Giesen (1992) op. cit. p.102.
2 Pascal disait : « on ne voit rien de juste
ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat »
in Pascal B (1995) Pensées, Paris : Gallimard, p. 230
3 Thompson Kenneth (1957) Ethics and national
purpose. New York: Council on religion and International Affairs
4 Thompson Kenneth « The problem of means »
Worldview, vol. 3 n° 6 (1960) P. 5
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souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
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Ainsi, par la procuration de ces deux courants au sein du
réalisme, nous pensons ne plus être dans l'aire de l'oxymore en
utilisant l'expression réalisme éthique1 au
sens de Klaus-Gerd Giesen. Le réalisme pouvait sembler lointain à
notre étude, au regard de la cristallisation de la puissance comme
principe agissant des relations internationales (intergentes). Mais,
par le fait même du principe de l'éthique de la
responsabilité qui serait « essentiellement une éthique de
l'homme d'Etat, et par conséquent une éthique largement
individuelle par opposition à l'éthique sociale2»
et qui apparaît comme une réalité transversale au trois
courants réalistes sus-évoqués, il nous semble que cette
notion weberienne d'éthique de la responsabilité constitue
l'unité normative du réalisme. Le débat autour de cette
notion entre les courants empirique et sceptique a permis de l'étendre
aux personnes morales ( les Etats) par exemple, et de dire qu'à
l'ère de la démocratie, le prince n'est plus un dirigeant seul
face aux contingences et tensions irrationnelles de la scène
internationale. De ce fait, si le réalisme a souscrit à la notion
d'éthique de la responsabilité3 par-delà les
chapelles, nous pensons qu'il est légitime de le convoquer dans cette
étude, ne serait-ce que parce qu'il permet de comprendre les usages
rationnels de la transparence de industries extractives en tant que norme
éthique à un moment plutôt qu'à un autre.
b) Les logiques réalistes dans l'étude de
la transparence des industries
extractives
Quand on examine l'action des ONG, des Etats et des firmes
dans l'initiative de transparence des industries extractives, de quoi
parle-t-on ? On parle d'acteurs privés qui s'ingèrent dans un
domaine de la souveraineté de l'Etat. On parle d'acteurs
infra-étatiques qui déclarent leur indépendance
vis-à-vis de l'Etat. Faut-il penser avec Pierre de
Senarclens4que : « Les interactions de plus en plus fortes
entre les Etats se traduisant par l'apparition de nombreuses institutions
internationales et d'acteurs non-gouvernementaux rendent le réalisme
inadapté à l'étude de ce nouvel environnement » ? Il
ne faut pas se laisser distraire par les incantations des nostalgiques de la
souveraineté. Fiction et hypocrisie organisée5,
fiction en crise6mais fiction en mutation qui produit des effets de
réalité7, la souveraineté est un concept qui a
permis que beaucoup d'encre coulât. Le sociologue des relations
internationales fonde son analyse sur des faits. Que disent les faits ? Et
à ce niveau, il
1 Giesen (1992) op. cit. p. 33
2 Giesen (1992) op. cit. p. 46
3 Giesen (1992)op. cit. p.63
4 De Senarclens P. (2002) La mondialisation -
théorie, enjeux et débats, 3ème Ed. Paris : Armand
Colin p. 94
5 Krasner (1999 &2001) op. cit
6 Badie (1999) op. cit
7 Sindjoun (2001) op.cit
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faut percevoir le réalisme comme une théorie
ex post c'est-à-dire une constatation a posteriori de
la façon dont fonctionne la scène internationale. Aussi loin que
remonte l'histoire des communautés, peut-on penser que la
souveraineté au sens de Bodin1a rythmé et
conditionné la vie des sociétés politiques ? Lire le monde
avec les lunettes réalistes, c'est constater (et non dogmatiser) que le
sacro-saint principe de la souveraineté est relatif. C'est constater que
l'Etat comme forme d'organisation sociale demeure pertinent et central. C'est
penser que la quête (pacifique ou violente) de l'intérêt
national est au coeur de l'action des Etats. C'est penser qu'en fonction des
conjonctures, l'Etat peut décharger certaines de ses fonctions les moins
importantes sur d'autres acteurs, renforcer ipso facto son action
internationale et son emprise nationale. C'est à ce niveau que ce
modèle d'analyse trouve sa pertinence.
L'analyse de l'action des ONG aux côtés des Etats
dans la lutte pour la gestion transparence des ressources extractives implique
un questionnement sur les motivations et la nature de cette action.
Paradoxalement, y répondre conduit entre autre à une certaine
sociologie de l'Etat qui s'étend sur la sphère internationale.
Cette approche trahit la reconnaissance de la centralité de l'acteur
étatique dans les relations internationales et l'intérêt
national comme moteur des rapports qui lient les Etats entre eux et avec les
autres acteurs. Autrement dit, pour rendre compte des motivations et de la
nature de l'action des ONG et des firmes transnationales, il faudrait
interroger le comportement de l'Etat en préjugeant de la
rationalité limitée des premières devant ce dernier.
Mieux que le concept de souveraineté qui selon certains
constituait l'essence du réalisme, celui de l'intérêt
national est à notre sens son point focal. Dans un contexte de
globalisation, parler de souveraineté comme d'une réalité
peut paraître impertinent. Même en faisant des incursions dans
l'histoire, aucun moment ne se caractérise par la rigidité des
Etats qui auraient un contrôle strict de leurs champs de
souveraineté. En lieu et place d'une souveraineté dure, il serait
bien pensé de parler d'une souveraineté molle, malléable.
Le consensus réaliste2 lui attribuait des vertus qu'elle n'a
jamais eues. D'aucuns parlent désormais non plus de souveraineté
de l'Etat mais de sa capacité3ou de son
autonomie4. L'inscription de l'action non gouvernementale dans
l'espace ouvert de la globalité renforce l'impression que la
1 Bodin J. (1986) Les six livres de la
République, Paris : Fayard.
2 Il s'agit de cette idée acceptée des
réalistes selon laquelle la souveraineté serait au coeur de la
politique internationale.
3 Badie B. «De la souveraineté à la
capacité de l'Etat» in Smouts M.C. (1998) Les nouvelles
relations internationales, pratique et théorie, Presses des
sciences po.
4 Klassen op. cit
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souveraineté est une prestidigitation. Le monde est
retourné1 et cela n'a pas échappé aux
réalistes d'hier qui, conscients du changement, se sont jetés
dans l'usage des préfixes pour nuancer leur propos.
Rosenau2cherchant à négocier le passage dans la
turbulence, a déplacé le centre d'action pour le
déposer sur l'interface des espaces, opposant les acteurs nouveaux
à l'Etat, sur la frontier3. Ce même effort a
donné naissance aux espaces qu'Appadurai appelle scapes.
L'enchevêtrement des systèmes, l'irruption des acteurs et facteurs
nouveaux a-t-il eu pour corollaire l'obsolescence du réalisme ? Mettre
du vin ancien dans de nouvelles outres change-t-il la qualité du vin
?
Le contexte a véritablement changé. Le
fonctionnement du monde pendant la Guerre Froide favorisait le musellement des
acteurs mineurs. L'irruption de ces derniers après la chute du mur de
Berlin n'a pas nécessairement signifié leur
prépondérance par rapport à l'Etat. Depuis ses origines,
l'Etat a recherché ses intérêts dans son rapport aux
autres. Cette pratique échappe aux gêoles du temps et de l'espace.
L'élément transversal dans l'histoire des relations
internationales, celui qui a survécu aux différentes
transformations de la politique internationale est la quête de
l'intérêt. Le deuxième principe de Morgenthau4le
rappelle: « The main signpost that helps political realism to find its
way through the landscape of international politics is the concept of interest
defined in terms of power» (le principal indicateur qui aide le
réalisme politique à trouver son chemin à travers le
paysage de la politique internationale est le concept d'intérêt
défini en terme de puissance). Il ne semble pas que l'irruption de
nouveaux acteurs ait détourné l'Etat de cet objectif.
L'avènement d'un monde nouveau a permis à cet acteur rationnel
qu'est l'Etat d'adapter son rapport à l'autre. C'est l'Etat qui
définit la ligne budgétaire, c'est lui qui décerne les
contrats de prospection et d'exploitation minière et
pétrolière. C'est encore l'Etat qui juge pertinentes ou non les
remarques et recommandations des ONG en rapport avec l'activité
extractive. Peut-on imaginer l'implémentation efficiente de l'EITI sans
la présence et le rôle déterminant de l'Etat ? Si l'on
s'accorde à penser que la centralité de l'acteur étatique
est un donné, que l'intérêt national est servi au travers
des ONG (par volonté ou par destination), alors il ne serait pas
exagéré d'affirmer que de par l'angle adopté dans cette
étude le réalisme des Etats demeure pertinent. Mais, il faut
préciser que ce ne sont guère les ONG qui sont des acteurs
1 Lire à ce sujet Bertrand Badie et
Marie-Claude Smouts (1999) Le retournement du monde. Sociologie de le
scène internationale, Paris : Presses de Sciences po-Dalloz.
2 Rosenau N.J (1990), Turbulence in world
politics; a theory of change and continuity, Princeton: Princeton
University Press
3 Rosenau (1997) op. cit
4 Morgenthau H.J (1986) Politics among nations,
the struggle for power and peace, 6th Ed. New York: Alfred A.Knopf p.
85.
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pratiquant le réalisme mais, parce qu'il y a
décharge, elles peuvent devenir des instruments du réalisme des
Etats. Par ricochet, cette étude permet de poser un regard nouveau sur
le rapport qui lie l'Etat à ces acteurs dont le surgissement avait
semblé signifier le début de son déclin, pour constater
que ces acteurs dont l'action est pro et infra
étatique plutôt que peri-étatique, contribuent
à renforcer la « statolité ».
Le réalisme classique présentait l'état
de guerre permanente comme le trait caractéristique de la
société internationale1. Bien que cela ait sa part de
vérité, on ne peut pas dire que la poursuite des
intérêts nationaux passe inévitablement par la banalisation
du conflit violent. Si la guerre est la continuation de la politique par
d'autres moyens, on peut de nos jours être porté à croire
que la politique est devenue une autre façon efficiente de faire la
guerre. La civilisation des moeurs2 politiques fait du chemin.
Certes, penser que la politique internationale est complètement
pacifiée serait céder à l'illusion de la
mêmété mais, précisément du fait de cette
ambivalence de la scène internationale, les Etats ont des politiques
étrangères contextualisées. Si les questions
stratégiques et géostratégiques imposent que la force soit
l'outil de la politique de puissance dans certaines parties du globe, la
crainte de la contagion et de l'embrasement généralisé
peut exiger qu'une attitude plus soft soit affichée dans
d'autres. On s'inscrirait alors dans la logique du « pouvoir en douceur
» de Joseph Nye3. Il s'agit d'allier idéalisme et
réalisme4 par le truchement d'une action transnationale des
ONG. Qu'on ne soit donc guère surpris de ne pas percevoir dans cet
espace des notions polémogènes que l'on rattache en
général au réalisme, alors qu'il est pressenti pour
être la grille, la clé algébrique qui permettra de lire
l'action des ONG à côte des Etats pour la bonne gestion des
ressources extractives dans le cadre de l'EITI.
L'usage du Transnationalisme et du Réalisme permet
d'analyser le rôle des acteurs privés dans leur rapport à
l'Etat. La transparence des industries extractives comme initiative mettant
1 Notamment : Von Clausewitz C. (1956) De la
guerre, Paris: Minuit. p. 67. Aron R. (1984) Paix et guerre entre les
nations, 8ème Ed. Paris : Calmann-Lévy.
2 Lire Elias Norbert & Dunning Eric (1994)
Sport et civilisation. La violence maîtrisée,
Paris : Fayard. Elias Norbert (1973) La civilisation des moeurs, Paris
: Calmann-Lévy.
3 Voir : Nye Joseph Jr. (1992) Le leadership
américain, quand les règles du jeu changent, Nancy : Presses
universitaire de Nancy. Mais également Nye J. Jr. (2008) « Public
diplomacy and Soft power » The Annals of the American Academy of
political and social science, N°616, pp. 94- 109.
4 Au cours de la conférence Wriston 2002
présentée au Manhattan Institute de New York le 1er
octobre 2002, Condolezza Rice alors conseillère du président Bush
en matière de sécurité nationale disait : « Pour
simplifier à l'excès, disons que les réalistes minimisent
l'importance des valeurs et de la structure interne des Etats et mettent au
contraire l'accent sur l'équilibre des pouvoirs. Les idéalistes
accordent la primauté aux valeurs comme la liberté, la
démocratie, les Droits de l'Homme... en tant que responsable politique,
je peux vous assurer que ces catégories masquent la
réalité. En réalité, pouvoir et valeur sont
complètement indissociables ». C'est dire que la défense des
valeurs morales ne proscrit pas la quête de puissance et
d'intérêt. Celui qui se fait le chantre d'une norme est à
percevoir en même temps comme un acteur rationnel en quête de
maximisation de son intérêt.
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transparence des industries extractives : la dialectique de la
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en scène des acteurs aussi variés que l'Etat,
les ONG, les compagnies extractives... autour de la norme de la transparence,
invoque une autre grille explicative. Au coeur de cette analyse, se trouve la
norme de la transparence qui semble entrer en collision avec celle de la
souveraineté, de même que la morale qui s'oppose souvent à
la puissance. Pour transcender ces clivages et dilemmes, l'apport du
constructivisme s'avère impérieux.
3. L'apport du constructivisme dans la
compréhension de la transparence des industries extractives.
La promotion de la transparence des industries extractives
pose un dilemme normatif en même temps qu'une opposition essentielle des
valeurs. D'une part, il s'agit de mettre en oeuvre la norme de la transparence
en transcendant la norme de la souveraineté qui est au coeur de la
construction du système international westphalien. Et d'autre part,
c'est la pertinence des valeurs et idées dans la politique mondiale qui
se laisse voir dans la nécessité d'implémenter la
transparence dans un espace d'activité capitaliste à savoir les
industries extractives. Par-delà les grilles réaliste et
transnationaliste qui permettent de rendre raison de la prévalence de la
puissance et de la relativisation de la souveraineté en tant
qu'expression de cette puissance, le constructivisme est d'un précieux
apport dans le décodage de la logique des acteurs impliqués dans
l'initiative. Les deux apports principaux dans cette étude se greffent
autour de ce dilemme normatif et de l'opposition entre l'empirisme et le
normativisme selon qu'ils sont l'un et l'autre motivés par la morale et
l'intérêt.
Le constructivisme est de ce point de vue,
appréhendé comme « a tradition of social and political
thought that sees the world as not just consisting of material forces but of
ideational social phenomena through which we interpret the material and
construct our societies1 » (une tradition de pensée
politique et sociale qui voit le monde non pas seulement comme un ensemble de
forces matérielles mais aussi, un phénomène social
idéel par lequel nous interprétons la matière et
construisons nos sociétés). Ainsi perçu, le
constructivisme permet d'interpréter les faits selon qu'ils sont
construits. Ce sont deux directions de lecture qu'offre cette grille. D'abord,
elle révèle que les idées permettent d'interpréter
les faits et ensuite, les idées permettent la construction des
sociétés. Contrairement à la tradition utilitariste et
néoutilitariste qui privilégie la conduite rationnelle des
acteurs dont l'identité et les intérêts seraient
figés, le constructivisme social tel qu'appréhendé par
John Gerard Ruggie2, permet de
1 Richard M. Price (Ed.) (2008) Moral limit and
possibility in world politics, Cambridge: Cambridge University Press, p.
19.
2 John Gerard Ruggie (1998), Constructing the
world polity. Essays on international institutionalization, London and New
York: Routledge.
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 60 Yaoundé
II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
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palper les acteurs et les intérêts comme des
données socialement construites. En cela, les identités et les
intérêts apparaissent construits car, l'identité des
acteurs est un construit du fait des normes constitutives et, les idées
et valeurs forment les préférences et intérêts
desdits acteurs. Cela dit, il apparaît que l'opposition entre
normativisme et empirisme ne tient plus. De même, les valeurs morales ne
s'opposent plus à la puissance car les sociétés se
construisent à partir des perceptions du monde qui sont le fruit des
valeurs dont on est investi. Les normes et valeurs donnent une signification
à l'intérêt et à la puissance. Elles
complètent donc le réalisme et le rationalisme sans s'y
opposer1. De façon globale, le constructivisme donne deux
clés à la lecture de la mise en oeuvre de la transparence des
industries extractives. La première clé permet de
déconstruire le récit éthique des acteurs, afin de mettre
à nu les non-dits d'un engagement prétendument moral. La seconde
clé permet quant à elle, de transcender la dichotomie morale
versus intérêt. Mais plus en profondeur, il s'agit dans
cette étude de s'inspirer des six apports du constructivisme
esquissés par Richard Price2, pour démontrer comment
la transparence des industries extractives met fin au dilemme normatif initial,
et en corollaire, dire la fin de l'opposition morale/intérêt comme
l'un des postulats de base de la recherche. Ne jamais envisager
l'éthique séparément de l'empirisme, cela donne du sens
à l'approche même de cette recherche qui appréhende la
transparence à côté de la quête de puissance des
Etats. De ce point de vue, l'hypocrisie, le troisième apport dans
l'ordre de Price est centrale dans la compréhension de la conduite des
acteurs engagés dans une éthique de
responsabilité3. Il s'agit de penser que, les protagonistes
de la transparence avancent des motifs moraux, notamment, le souci de la
transparence qui serait motrice du développement des peuples, alors
même que les fins visées sont d'ordre utilitaire. Dans le contexte
de cette promotion, l'on peut s'interroger sur la part du non-dit qui justifie
l'engouement des puissances occidentales. L'Angolagate4 et
l'affaire Elf par exemple sont suffisamment opaques pour que la transparence ne
puisse être une leçon dispensée par la France par
1 Lire à ce propos Martha Finnemore (1996)
National Interest and International Society, Ithaca, NY: Cornell
University Press.
2 Price idem, il s'agit notamment de la
puissance, de la complicité et de la cooptation, du dilemme moral, de
l'hypocrisie, du gap entre la norme et les faits et, la logique de l'agence
comme reflet des identités des acteurs.
3 Elle correspond à l'étape des
conséquences dans la typologie de Christian Reus-Smit. En effet,
Reus-Smit identifie six apports qu'il met en rapport avec les six apports de
Price. Il s'agit de l'idiographie, du diagnostic, des conséquences, des
principes, du contexte et de la capacité. Christian Reus-Smit
«Constructivism and the structure of ethical reasoning » in Richard
M. Price (ed.) Moral limit and possibility in world politics,
Cambridge: Cambridge University Press, 2008.
4 Il s'agit d'une affaire judiciaire en France dans
laquelle sont impliquées plusieurs hautes personnalités
politiques. En 1994, en pleine guerre civile angolaise, des armes de
fabrication française et soviétique sont vendues au régime
de Eduardo Dos Santos pour un total de 790 millions de dollars US. Dans ce
marché, de nombreuses personnalités dont Charles Pasqua auraient
touché des commissions. La vente a été pilotée par
Arcadi Gaydamak et Pierre Falcone, l'entreprise Thompson et la banque
BNP-Paribas étaient impliquées.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
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exemple. La raison d'Etat resurgit et elle justifie l'insulte
faite à la norme ici, et l'élan laudateur à son endroit
là-bas. En d'autres termes, parce que la promotion des normes s'inscrit
dans la transnationalité et sert en général
l'intérêt des Etats ou celui des acteurs privés, elle se
situe à la croisée du Transnationalisme et du
Réalisme1.
La norme est doublement porteuse du projet de changement. En
tant que « standard of appropriate behaviour for actor with a given
identity2 » (standard de comportement approprié
pour un acteur d'identité quelconque), elle vise à imposer
à certaines catégories une conduite qui tranche avec la
règle établie3. C'est ainsi que la transparence est
prescrite aux dirigeants des Etats candidats à l'EITI, pour constituer
une révolution dans des contextes fortement marqués par
l'opacité en matière de gestion des revenus des industries
extractives. C'est la matérialisation du second apport de Price qui se
structure autour de l'agence c'est-à-dire de la production des
identités et acteurs dans la fonctionnalité constitutive de la
norme. Les acteurs adaptent des comportements stratégiques, discursifs
et normatifs. Alors, les entrepreneurs moraux ne sont pas irrationnels parce
qu'impliqués dans les plateformes. Comme le souligne
1 Zaki Laidi oppose deux modèles potentiels
d'organisation du système international, le modèle souverainiste
et celui de la gouvernance. Dans sa catégorisation, le second
modèle tenterait de tempérer le réalisme des Etats en
gouvernant la mondialisation par les normes et les règles. Depuis le
début de cette étude, nous tentons de transcender cette
dichotomie et au lieu de faire des normes l'apanage du modèle de la
gouvernance, nous pensons qu'elles sont communes aux deux modèles
d'organisation. C'est d'ailleurs pourquoi elles servent de point de
croisée entre les deux théories explicatives des deux
modèles de notre point de vue. De plus, le 15 novembre 2008, les travaux
du G20 réuni à Washington ont été lancés. Il
s'agit lors de ces travaux qui se tiennent dans un contexte international
marqué par la crise financière, de réglementer la
gouvernance. Mais, il serait très naïf de penser que les
intérêts vont être délaissés, s'agissant
notamment du secret bancaire, des paradis fiscaux etc. Le système
financier international issu de Bretton Woods ne va pas être
moralisé au point de sacrifier les sempiternels intérêts
des puissances mondiales. Lire Laïdi Zaki « Peut-on prendre la
puissance européenne au sérieux ? » Cahiers Européens
N°4, 2005. A ce sujet, la définition des relations internationales
par Reinhold Nebor est très illustrative. Il pense en effet que : «
International Relations are where conscience and power meet and work out
tentative uneasy compromises ». Reinhold Nebor est cité par
Cathal Nolan dans « Norms and principles that govern international
relations » communication présentée à
l'International Forum Series en avril1998.
2 Finnemore et Sikkink (1998), « International
norms dynamics and political change » International Organization
P.891. Cette définition est adoptée à partir des travaux
de Audie Klotz, lire notamment : Klotz Audie (1995) Norms in International
Relations : The struggle against apartheid, Ithaca, NY : Cornell
University Press ; Klotz Audie « Transnational activism and global
transformations : The anti-apartheid and abolitionist experiences »
European Journal of International Relations, vol.8 (1) : 49-76, 2002.
Badie quant à lui définit la norme comme « une règle
admise, plus ou moins formalisée, correspondant aux attentes d'une
collectivité, impliquant des sanctions acceptables et assurant un
minimum de régulation sociale ». Il épouse ainsi la
définition durkheimienne de la norme. Badie B. «
Sécurité et nouvelles relations internationales »in
Bagayoko-Penone & Hours (2005) art. cit. p.34.
3 Il s'agit notamment de la norme dite
régulatrice qui a vocation à imposer un comportement. A
côté d'elle, il y a les normes constitutives qui elles,
créent des nouvelles catégories d'acteurs,
d'intérêts et d'actions. En réalité, EITI selon
qu'elle est une initiative de transparence, révèle que cette
dernière échoit à la fois aux deux types de normes. Il
s'agit d'une initiative qui vise à conduire les gouvernements de
l'opacité vers la transparence. En cela, elle est régulatrice.
Par ailleurs, elle crée inéluctablement des intérêts
nouveaux et, elle met en scène des acteurs certes pas nouveaux en
eux-mêmes, mais dans la gestion des ressources extractives ils sont
nouveaux car, les ONG ne jouaient sinon aucun, du moins un rôle marginal
dans les industries extractives. A propos de la distinction entre les normes
régulatrices et les normes constitutives, voir Finnemore et Sikkink
(1998) op.cit p.891.
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 62 Yaoundé
II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
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Yaoundé II/Cameroun)
Thomas Risse Kappen1, les relents de l'action des
entrepreneurs sont très souvent stratégiques et discursifs. Une
fois encore, l'hypocrisie est proéminente dans la promotion des
normes.
En croquant sur l'espace de l'EITI le schéma du cycle
de vie de la norme selon Finnemore et Sikkink, l'on peut percevoir la
mêmété des entreprises de promotion des
normes2et donc, justifier ce choix complémentaire en
démontrant son opérationnalité. Il faut le dire pour le
surligner, en même temps qu'elles sont abstraites et ne sont
perçues que par les effets qu'elles produisent3, les normes
sont diverses et relatives. La norme est une fabrication idéelle mieux,
une construction artéfactuelle que l'on met en branle au gré des
intérêts. Mais au demeurant, leur déploiement est
révérencieux d'une orthodoxie vieille de plusieurs
siècles4. Même si la prise en compte des normes dans la
compréhension de la société internationale a souffert la
marginalisation durant les années 1970-1980, en raison de l'irruption
des méthodes de l'économie dans les modèles
théoriques et du béhaviourisme5, les normes n'ont
jamais été absentes de la politique internationale6.
Cela dit, penchons nous sur le schéma cyclique de la vie d'une norme.
Le moment fondateur d'une norme est son émergence dans
la généalogie de Finnemore et Sikkink. Cette étape est
inimaginable sans les entrepreneurs de normes et une plateforme
organisationnelle. A l'aube de l'EITI, il y a eu les ONG qui sous la houlette
de leaders tels que Georges Soros, vont porter sur la scène le joug des
peuples victimes des guerres et des autoritarismes du fait des industries
extractives. Ces ONG vont constituer une coalition qui correspond à la
plateforme organisationnelle qui sert de base de lancement de toute
l'activité de lobbying. Il s'agit dans le cas d'espèce,
de la coalition Publish What You Pay lancée en 2002 et qui a
été l'instance de déploiement de l'entreprenariat normatif
précurseur de EITI. A ce stade de la vie d'une norme, la
persuasion7 occupe une place privilégiée car, il faut
que les
1 Cité par Richard M. Price à la page
20.
2 Ici il s'agit de la transparence, ailleurs il
pourrait s'agir de la lutte contre l'esclavage et de l'apartheid comme s'y est
intéressé Audie Klotz (1995) op.cit et Audie Klotz
« Transnational activism and global transformations : The anti Apartheid
and abolitionist experiences » European Journal of International
Relations vol.8 (1) : 49-76, 2002. Ou même, de la lutte contre les
pillages en temps de guerre Sandholtz (2008) op.cit la motivation
semble répondre à l'exigence de promouvoir les
intérêts et les modus operandi sont les mêmes.
3 Finnemore & Sikkink disent: « We can
only have indirect evidence of norms just as we can only have indirect evidence
of most other motivations for political actions » Finnemore et
Sikkink, 1998 op. cit. P892.
4 Lire Audie Klotz (1995) op. cit. à
propos de l'action des anti-apartheid et les abolitionnistes.
5 Finnemore et Sikkink (1998) op. cit. p
889
6 Cathal Nolan dans un titre porteur de sens, parle
de « Norms and principles that govern international relations
» pour fustiger l'ostracisme dont ont été
frappées les normes dans les courants dominants de la pensée
politique ces dernières décennies, alors même que la
scène mondiale n'est pas cette anarchie hobbesienne que les
réalistes ont souvent plaquée au regard des étudiants des
relations internationales. Nolan (2001) op. cit.
7 L'importance de la persuasion comme entreprise
ouverte ou comme « rhétorique de l'action » qui serait
une ruse dont le but final est de persuader les acteurs à
intégrer la norme, est au coeur du dispositif du
déploiement normatif. Finnemore & Sikkink (1998) op.
cit. p.914, Klotz (1995) op. cit. pp.22-33, et Rodger A. Payne
Sous la direction de M. Luc SINDJOUN
Agrégé de Science Politique, Professeur des
Universités à l'Université de 63 Yaoundé
II, Membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
Yaoundé II/Cameroun)
entrepreneurs de normes qui n'ont aucun pouvoir d'imposition
sur les destinataires réussissent à transmettre aux acteurs
étatiques l'affect de la norme en promotion. La persuasion qui est:
« the process by which agent act becomes social structure, ideas
become norms and the subjective becomes the intersubjective1 »
(le processus par lequel l'acte d'un agent devient une structure sociale,
les idées deviennent des normes et le subjectif devient
intersubjectif), est donc le processus de transmission de
témoin et conditionne le succès de l'étape qui introduit
la cascade des normes. Une définition linéaire de la persuasion
suppose qu'un acteur A veut persuader les Etats B, C, D du bien-fondé
d'oeuvrer pour la promotion d'une norme sur la scène mondiale. Rodger
Payne2 soulignera à ce propos le rôle de la «
communication persuasive » dans le processus de contagion normative.
Lorsqu'un nombre suffisant d'Etats appelés «
leaders des normes3 » adoptent la norme pour en faire la
promotion, l'on passe à la cascade des normes qui est la
deuxième étape de la vie d'une norme. Cette étape se
particularise par le projet de faire intégrer la nouvelle conduite
à des Etats par d'autres Etats. Le jeu se fait désormais entre
deux types d'Etats : un leader de norme et un destinataire de l'activité
normative. En cela, la période 2004-2008 constitue un espace
intéressant car elle a vu l'adhésion de plusieurs Etats à
l'EITI. Ensuite survient la phase d'internalisation qui doit connaître
son apothéose avec la conformité parfaite d'avec la norme.
L'élément de mesurabilité pour le cas de la transparence
des industries extractives est un rapport de conciliation des chiffres et des
volumes qui doit être le reflet fidèle de la réalité
des recettes et des paiements entre les compagnies et les Etats.
Un relief particulier doit cependant être mis sur
l'intérêt dans la promotion de la transparence. Au-delà de
la quête de légitimité et de l'estime de soi par les
dirigeants, l'intérêt est central à ce niveau. Dès
lors que deux Etats sont en interaction, l'intérêt s'invite et
cela renvoie au réalisme en tant que poursuite d'un
intérêt. En effet, les normes sont indissociables de la
rationalité. La question de la nature du lien qui les unit divise encore
les auteurs.
« Persuasion, Frames and Norms construction »
European Journal of International Relations, vol. 7(1) : 37-61, 2001
mettent en relief cette centralité de la persuasion. Cependant,
Dionyssis Dimitrakopoulos relativise l'importance de la persuasion car
pense-t-il, même en l'absence des preuves d'existence de celle-ci, une
norme peut être adoptée. Voir Dimitrakopoulos D. « Norms,
strategies and political change: Explaining the establishment of the convention
on the future of Europe » European Journal of International
Relations, vol.14 (2): 319-342, 2008.
1 Finnemore & Sikkink (1998), op. cit. P.
914. Payne (2001) op. cit., p.38.
2 Rodger A. Payne (2001), op. cit.
3 Pour ce qui concerne EITI, ces leaders de normes
sont : le Canada, la France, la Grande Bretagne, les USA, l'Allemagne, la
Norvège, la Belgique et à ces Etats, s'ajoutent les institutions
telles que la Banque Mondiale, le FMI, le G8, etc. autant dire que l'ensemble
du monde développé est résolu à faire de la
transparence dans les industries extractives une réalité. Cette
phase est appelée « tipping point » par Finnemore et Sikkink
(1998) op. cit.
Paul Elvic Jérôme BATCHOM.
Les Etats, les organisations non gouvernementales et la
transparence des industries extractives : la dialectique de la
souveraineté et de la responsabilité. (Thèse de Doctorat
en Science Politique présentée à l'Université de
Yaoundé II/Cameroun)
Toutefois, l'on note que les acteurs politiques utilisent des
stratégies pour poursuivre leurs intérêts, les normes
modèlent ces stratégies en influençant les termes des
débats qui précèdent les décisions
politiques1. De toute évidence, «norms and
rationality are thus intimately connected but scholars disagree about the
precise nature of their relationship2» (les normes et la
rationalité sont ainsi intimement liées mais les érudits
ne s'accordent pas sur la nature précise de leur relation). De
l'entrepreneur des normes aux destinataires des normes, l'intérêt
est le moteur d'action.
Le désir d'uniformisation de la scène politique
mondiale par l'exportation des pratiques occidentales vers les horizons
nouveaux participe en partie de la défense ou de la poursuite des
intérêts étatiques. Qu'il s'agisse de l' « action
rhétorique » ou de la rhétorique de l'action,
l'intérêt qui commande à l'engagement d'un acteur dans la
promotion d'une norme est la célébration des objectifs des forts
et des puissants et, donc vers un monde globalisé dans lequel les
frontières deviennent impertinentes, tant les entrepreneurs des normes
sont devenus des « borders spanners ». Cela conduit à
des oxymores du type « constitutionnalisme globalisant3 »,
les biens publics mondiaux... qui portent une dose de spéciosité
très élevée dans un monde où le réalisme n'a
point cédé la place à l'humanisme.
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