Chapitre IV.
Juridiction traditionnelle de la
forêt
Il est important de signaler qu'il existe une juridiction
traditionnelle, qui permet de réglementer le couvres
végétal depuis les temps. C'est ce qui fera l'objet de ce
chapitre. Nous commencerons par les règles coutumières, pour
terminer par les règles de gestion traditionnelle.
Section 1 : Les règles
coutumières
1.1. Le régime foncier traditionnel
1.1.1. Le droit de la terre
Le droit de la terre est inséparable du
caractère sacré attaché à celle-ci. La terre occupe
une place spéciale parmi les divinités secondaires,
intermédiaires entre le dieu suprême et les hommes. Elle est
l'objet de vénération et, en tant que source de
fécondité, lui sont dédiés certains rituels. Par
conséquent l'occupation d'une terre, sa mise en exploitation, n'est pas
un simple phénomène juridique ou économique, c'est un acte
empreint de sacralité qui a pour base un pacte passé entre les
premiers occupants et les esprits du sol. De la même façon, la
propriété individuelle de type romain n'est pas concevable; le
pacte a été passé au nom de la collectivité et
c'est celle-ci qui exerce sur la terre des droits essentiels. Toutefois, cette
conception communautaire ne signifie pas que la terre ne puise pas être
soumise à l'exploitation d'un individu, qu'il n'existe pas de droits
individuels.
1.2. Les droits collectifs
La terre, d'une manière générale, n'est,
pas l'objet d'appropriation privée. Elle voit s'exercer sur elle des
droits !appartenant aux villages, aux familles ou à l'unité
politique toute entière.
Le mot lui-même de « droit de
propriété est inadapté. Comme pour le Moyen Âge
européen, on ne peut dire plus justement que s'exercent sur la terre des
droits de maitrise, d'usage, d'exploitation; attribués à
certaines communautés, et des droits dont la nature juridique n'est
qu'imparfaitement traduite par les catégories juridiques « à
la romaine » : la terre est un bien communautaire.
De même, aucune institution n'existe qui permette de
l'aliéner; les communautés se sont
« appropriées » le sol par occupation pacifique ou
non. Elles peuvent « l'abandonner », mais il ne saurait
être question de l'aliéner, c'est-a-dire d'y renoncer. Les
migrations fréquentes font que la notion de terres vacantes et sans
maître n'est pas reçue par la coutume, les communautés
ayant un droit imprescriptible à s'installer sur des terres vierges ou
à se réinstaller sur des terres abandonnées. Bref, la
terre est un bien inaliénable.
1.2.1. La terre, bien communautaire
Sur le territoire d'une société politique
africaine s'exercent plusieurs droits; les droits de la société
toute entière, représentée par son chef politique ou par
un maître de la terre, ensuite les droits de communautés plus
réduites telles que les villages, enfin les droits des
différentes familles.
Selon que la société politique est de
conquête ou de fondation, certains droits fonciers sont exercés
par le chef politique ou par le maître de la terre.
Celui-ci est toujours le descendant du premier occupant qui,
au nom du groupe, a conclu le pacte d'alliance. Partout il administre la terre,
juge les litiges ayant pour objet des droits fonciers, préside aux
rituels. Administrateur, il distribue la terre aux différents chefs de
famille, récupère les terres délaissées, attribue
des parcelles aux étrangers qui veulent s'installer. Lui seul a le
pouvoir de décision pour tout ce qui concerne la terre et il
connaît seul les litiges relatifs à la délimitation des
domaines respectifs. Prêtre enfin, il joue le rôle
d'intermédiaire entre les hommes qui exploitent la terre et les esprits
qui 1`habitent; à l'occasion des cultes dus à la terre, il
intervient pour l'ensemencement des champs, pour les moissons et, après
les récoltes, pour les offrandes. La sacralité ne concerne pas
seulement le droit de la terre, mais aussi l'ensemble de l'économie;
celle-ci demeure subordonnée aux croyances et aux pratiques
religieuses.
Chaque chef de, famille, gère son étendue des
terres laissées par ses ancêtres et celles récemment
acquises par défrichement. Sur ces terres s'opère le travail en
commun, les travaux les plus durs étant à la charge des hommes,
les autres (mise en graines ou boutures) étant laissés aux
femmes. Mais au sein de la famille étendue, elles mettent à leur
disposition des parcelles du patrimoine familial dont l'exploitation leur
fourni les moyens de subsistance. En effet, l'exploitation des parcelles
communes ne répond qu'aux besoins essentiels tandis que les parcelles
attribuées à chaque famille permettent de dégager des
surplus, consommés par ces familles.
Enfin, et bien que les auteurs soient, en désaccord, il
semble que certaines terres soient, presqu'inexploitées, laissées
à l'usage libre des habitants d'un même village. Ce sont
généralement des forêts permettant le ramassage de bois, la
cueillette ou la chasse, ou encore les rivières autorisant la
pêche, bref de véritables « communaux », objets de
pratiques communautaires excluant toute monopolisation d'usage par un groupe
quelconque.
1.2.2. La terre, un bien
inaliénable
Aucun des groupes précédents n'ont le pouvoir
d'aliéner la terre. Pouvoirs d'administration, de justice, de culte,
d'usage et d'exploitation, n'emportent pas sur le droit de céder la
terre. Que certains chefs politiques aient prétendu être
propriétaires absolus des terres soumises a leur autorité, que
certains aient vu dans les redevances qu'ils percevaient une espèce de
loyer ou une taxe recognitive de souveraineté et non une compensation
aux servitudes de leurs charges, ni ces prétentions ni ces
interprétations n'ont en rien modifié l'esprit du droit
coutumier. De même, les chefs de famille ou les autorités
villageoises ne peuvent pas davantage céder une parcelle de terres
à titre total et définitif, mais seulement à titre
temporaire: attribution a une famille, usage précaire, mise en gage.
Bien des raisons expliquent cette règle ; le
caractère sacré de la terre qui n'est pas un bien
économique (c'est le travail qu'on y effectue qui donne des droits), les
migrations des sociétés qui ne favorisent pas la
perpétuation des droits, l'idée aussi qui veut que la famille et
la terre soient liées par leur caractère commun de
perpétuité. Or, nous l'avons vu, la famille ne comprend pas
seulement les vivants, elle comprend aussi les morts et les enfants à
naître. Les vivants ne sauraient disposer de la terre car les
ancêtres jouent un rôle primordial; si l'on voulait user de termes
juridiques approximatifs, nous dirions qu'est réalisée une
situation qui rappelle, au niveau des autorités politiques,
l'inaliénabilité du domaine, au niveau des familles, la pratique,
des substitutions; les ancêtres ont cédé les terres
à leurs descendants. Mais à bien y regarder, il n'en est rien;
les terres, nouvellement acquises, sont elles aussi inaliénables ?
Les patrimoines familiaux peuvent varier et ne sont pas intégralement
transmis.
La terre voit donc peser sur elle un faisceau de droits,
détenus par des collectivités, et qui sont des droits de
propriété diminuée. Mais existent aussi sur elle des
droits individuels.
1.3. Les droits individuels
Les terres de culture appartiennent aux, familles
étendues, les terres de pâture à la communauté
villageoise, mais ce caractère collectif ne s'oppose pas à ce que
des droits individuels puissent s'exercer sur les terres. D'abord parce que
l'individu n'est pas exclusivement soumis à la primauté de la
communauté; il devra soumettre à celle-ci certains de ses actes
qui peuvent avoir des répercussions sur l'équilibre ou le
patrimoine de la communauté familiale mais il reste libre de son
activité, s'exposant seulement à des sanctions ou il perdre
l'appui de la famille. Ensuite, chaque chef de groupe a un patrimoine bien
défini, qu'il peut exploiter et chaque individu est, en
général, reconnu comme propriétaire de sa maison, du
jardin qui l'entoure, des animaux et des instruments de récolte, comme
de tous ses biens mobiliers.
Il a donc une capacité juridique et peut exercer des
droits individuels; mais sur la terre, ceux-ci ne lui seront reconnus que parce
qu'il est membre d'une communauté: parenté avec l'ancêtre
fondateur ou captif. S'il est étranger, les droits qui lui seront
reconnus sont tout différents, concédés à titre
d'hospitalité, précaires et révocables; ainsi certaines
coutumes (Ashanti par exemple) précisent que l'étranger ne peut
planter des arbres, ne peut faire de cultures autres que saisonnières,
afin qu'à tout moment les terres, après les récoltes,
puissent être reprises.
Tout autres sont les droits individuels reconnus aux membres
de la communauté: le droit de culture emporte des prérogatives
particulières et quelques charges.
1.3.1. Le droit de culture
L'individu dispose d'une parcelle du domaine collectif qu'il
met en valeur pour son compte personnel. Il ne pourra pas en disposer,
interdiction contrôlée et sanctionnée par la
communauté elle-même. Mais l'attribution de cette parcelle, et le
travail qu'il y accomplit, fait naître à son
bénéfice des droits privatifs. La concession elle-même lui
en garantit la libre jouissance et le droit d'en partager l'usage avec qui il
veut. Il pourra aussi la clore ou établir des bornes la
délimitant.
Son travail ensuite est a l'origine d'un droit de
propriété sur les cultures qu'il a faites, c'est lui qui justifie
cette propriété. L'auteur des cultures, des plantations, a sur
elle un véritable droit de propriété, il peut en disposer
soit pour les vendre, soit pour les donner et, a sa mort, elles ne font pas
retour a la famille mais sont transmises a ses héritiers. Privé,
de son vivant, de sa parcelle, il conserve sur les plantations les mêmes
droits alors qu'il perd les droits sur les plantes naturelles.
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