Section 2. Les règles de gestion
traditionnelle
2.1. Les interdis liés à la
forêt
On peut classer les interdits par patrimoine. La notion de
patrimoine est importante parce qu'elle permet de situer l'homme dans des
relations étroites avec la forêt: le patrimoine c'est ce qui est
transmis de génération en génération et qui a de la
valeur. Une institution humaine est toujours rationnelle si l'on cherche
à connaître le postulat d'ou elle tire son origine,
c'est-à-dire la conception que se font les membres d'une
société donnée du problème qu'elle cherche à
résoudre. Les interdits de la forêt, comme les autres interdits
qui organisent la société, obéissent à ce principe.
C'est pourquoi, les interdits existent dans différents contextes: la
femme enceinte, les adeptes d'un culte, les membres d'un clan ou d'un lignage;
ils peuvent être temporaires ou définitifs. Une personne peut
aussi, dans sa singularité, et en rapport avec un
événement douloureux, s'interdire de consommer telle plante ou
tel animal.
Ces interdits s'accompagnent fréquemment de mythes
d'origine expliquant à la fois, la source de l'interdit et ses
fonctions. Pour l'interdit lignager, on se réfèrera par exemple
l'interdit alimentaire : le fait d'avoir été secouru par l'animal
dont on s'interdira par la suite toute consommation tel que chez les Benga il
est interdit de manger l'antilope car celui-ci leur a aidé lors de la
traversée de la rivière , d'après le mythe. On ne peut
envisager la gestion de l'environnement sans aborder le statut de l'homme et la
place qu'il s'est attribué dans son environnement, forêt ou
savane. Il n'est pas lieu ici de s'arrêter sur l'observation stricte ou
non des interdits, sur leur efficacité sociale, encore moins de juger
des fondements de leur respect. Mais pour ceux qui concernent la forêt,
ils permettent de mieux appréhender les modes de gestion des
écosystèmes traditionnels, car on peut retrouver dans
l'énoncé, les sanctions et les obtentions sociales
avouées, les domaines auxquels ils sont lies: humains, botanique,
anima], ha1ieutique, cynégétique.
Au total, s'il y a un tel système d'interdits, c'est
que la forêt est essentiellement conçue comme vivante, et non
comme morte. Chaque interdit rappelle la fonctionnalité de la
forêt. Chaque interdit rappelle les différentes fonctions
inscrites dans la forêt. Chaque interdit rappelle les fonctions multiples
de la forêt. Plus il y a d'interdits, plus la forêt est riche.
L'exploitation industrielle de la forêt vit sur une
notion de forêt quantifiée en termes économiques, alors que
l'usage traditionnel en faisait une forêt totale, visible et invisible,
qualifiée en termes écologiques, dans le sens d'un habitat humain
exploité économiquement, socialement et spirituellement. Face
à la conception traditionnelle de la forêt, il nous faut à
présent prendre en compte l'arrivée de nouveaux acteurs dans la
forêt gabonaise et expliciter leur conception spécifique de la
forêt.
De plus, la littérature orale apprend à
connaitre l'environnement et définit les rapports de l'homme avec son
milieu naturel, elle apparait aussi comme un outil de gestion de
l'environnement. Nombreux sont les récits qui parlent des forets
interdites aux hommes et gardées par un ogre, un génie ou un
être aux pouvoirs surnaturels. C'est le cas du mythe fang de l'evus
(maux, sorcellerie) ou du conte mahongwè de l'enfant enlevé par
l'ogre (élolongo). Ces forêts sont le plus souvent
présentées à travers le regard du personnage qui s'y
aventure comme des lieux d'abondance. On serait tenté de comprendre ici
que cette abondance est une conséquence du respect de l'interdit qui
vise la préservation de la forêt de toutes actions
socioculturelles de l'homme. Dans le conte mahongwè cité plus
haut, la femme qui pêche seule dans la forêt interdite attrape
beaucoup de poissons mais elle se fait enlever son enfant par l'ogre.
L'accomplissement de se méfait conduit à la sanction sociale de
la mère : elle n'a plus d'enfant ; elle est
délaissée par son époux ; son entourage la
méprise, la traite de mère indigne et de femme gourmande.
2.2. La jachère forestière
La grande majorité des cultivateurs d'Afrique et du
Gabon en particulier, pratiquent la jachère des terres qui ont
été cultivées pendant une ou plusieurs années. Ce
procédé semble être le plus économique. En apparence
simple, ce procédé soulève plutôt des avantages tant
sur le plan agronomique que sur le plan foncier et donc humain. La
jachère est liée à la pratique de la culture
itinérante dont elle n'est qu'une étape. Cette technique permet
le maintien d'une fertilité certaine de la terre en favorisant sa
reconstitution.
En plus de cela, il faut tenir compte des plantes
cultivées, des rotations des cultures, de l'outillage, de techniques de
débroussage, etc. Ceci pour dire que la reconstitution de la terre n'est
jamais totale ce qui amène les populations à procéder
à des ajustements. Sur -le plan foncier par exemple, tous les droits sur
les jachères ont fondement leur caractère religieux, variable
selon la position sociale du détenteur, l'impérieuse
nécessité de confirmer perpétuellement ce droit par les
travaux qui y sont accomplis: entretien, nouvelle plantation, etc. Mais en
générale, il faut noter que ce droit est limite dans le temps.
Ce droit est ébranlé par l'incursion et
l'intrusion opérées par la colonisation. Ainsi des faits tels que
l'extension des surfaces mises en valeur, l'introduction des cultures
pérennes: café, cacao, hévéa pour ne citer que
celles-là modifient en profondeur l'organisation sociale. Peu à
peu l'idée de propriété foncière au sens occidental
voie le jour.
Mais en parlant de la forêt classée de la Mondah,
l'intérêt ici est fonction de ce qu'elle nourrit les hommes et
constitue une réserve d'exploitation future des politiques
gouvernementales du pays. Ce qui fait dire que l'Etat étant le
contrôleur des terres (Art 13 du code forestier gabonais), il
contrôle également les hommes. Ce qui implique que le
contrôle de la terre ou foncier constituent en même temps un,
ressort important politiquement. La conséquence ici est que la
forêt classée de la Mondah, étant mise en jachère et
que l'occupation des terres se manifeste à travers des techniques
d'occupations des terres des membres du gouvernement, ils sont les premiers
à violer leur loi et s'y installer en la déclassant de partie en
partie. La problématique ici, n'est pas par rapport à
l'agriculture et à l'exploitation des essences de bois seulement, ou
à l'occupation des terres. Mais, aux populations de disposer de leurs
terres telles que le faisaient leurs ancêtres.
2.3. Les codes sociaux de la forêt
La littérature orale des sociétés
gabonaises est très riche et variée en genre selon les attributs,
il ya les contes, les récits épiques, les mythes, les
récits historico-légendaires, les joutes oratoires liées
à la palabre, les proverbes, les généalogies, les devises,
les devinettes, les comptines, les prières, les formules rituelles, les
champs associés à des activités telles que la pêche,
la chasse, l'agriculture, ou qui accompagnent des cérémonies
telles que le mariage, la circoncision, la naissance de jumeaux, les
funérailles etc.
Ces nombreux genres assurent de multiples fonctions qui
concourent au maintient de l'équilibre social. Ils perpétuent les
valeurs culturelles du groupe et transmettent des enseignements portant non
seulement sur la langue, la morale sociale en vigueur, les pratiques sociales,
les coutumes, les croyances mais aussi sur le milieu naturel dans lequel
évoluent les individus.
En effet, c'est le plus souvent au moyen des devinettes que
les jeunes apprennent à connaître les caractéristiques des
plantes et des animaux. La méthode consiste à présenter la
plante ou l'animal à découvrir à partir de traits
facilement observables, comme par exemple :
- « Une personne qui vagabonde avec sa
maison ? »-La tortue
- « Veux-tu me désigner l'arbre dont le tronc
est tout perforé ? »-L'épervier.
- « Connais-tu un enfant qui est né
barbu ? »-le maïs
- « Un tronc d'arbre lisse comme un
assiette ? »-Le silure
Chez les Myènè, tanga-tanga (compter, compter)
est un jeu verbal pratiqué par les enfants qui consiste à citer
en comptant rapidement les noms d'animaux vivant sur terre, dans les airs ou
dans l'eau. A travers cet exercice l'enfant apprend non seulement à
compter mais aussi à connaitre et à distinguer les animaux selon
leurs écosystèmes. Le jeu s'ouvre par la question, go
ntyé ? Go mbene ? gigono ? (sur terre ? sous
l'eau ? dans les airs ?), et il peut se poursuivre par la
réponse : gigono (dans les airs). Ainsi l'enfant va
énumérer les espèces qu'il connait tout en comptant. Comme
par exemple :
- Ogulungu,mori (touraco,un)
- Ibembe,mbani (pigeon,deux) etc .
Ainsi, l'enfant va continuer à citer et à
compter jusqu'au nombre qu'il connait. Le même jeu se poursuit, mais
cette fois-ci l'enfant ne compte plus à la fin, mais va se rassurer
qu'il ne se répète pas les noms des animaux
déjà citer. Alors à la réponse go ntyé (sur
terre), on aura par exemple :
-Nkambi gnama tanga (l'antilope est un animal,
compté)
-Embongo gnama tanga (le lion est un animal, compté)
etc.
Aussi, par le canal des cotes qui donnent l'origine d'une
espèce végétale et expliquent le comportement ou la les
particularités morphologiques des animaux s'exerce également une
pédagogie sur le milieu naturel. Ainsi le conte fang sur la
création du palmier présente les variétés de
palmiers et met en évidence les bienfaits que cette arbre apporte
à l'homme : pour faire le feu (l'enveloppe de noix de palme
séchée) ; pour se nourrir (le choux palmiste) ; pour
les soins corporelles quotidiens et pour l'usage rituel (l'huile
d'amande) ; pour la toiture des cases (la paille), etc. Devinette
recueillies par Zame Avezo'o Léa au village Etsiela(Mékambo) en
1990.
Troisième partie
Juridiction étatique de la
forêt
Chapitre V.
L'Etat et le bouleversement territorial
Avec l'avènement de l'Etat, les pays colonisés
ont connu des multiples changements dans des secteurs différents. Ainsi,
Nous verrons dans ce chapitre : la naissance de l'Etat en premier, puis
son rapport avec la forêt
|