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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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4. TRANSGRESSION DES PAROLES CONSACREES

La notion de texte et de contre-texte permet de concevoir avec plus d'acuité le rapport du texte transgressif à son modèle sacré dans les récits d'animaux comme dans les fabliaux. La définition de Pierre Bec, dans Burlesque et obscénité chez les troubadours,

105 Attitude qui correspond à la définition même du blasphème, qui, « semble de plus en plus envisagé, à partir du XIIème siècle, comme une transgression de la norme du vrai (...) L'impiété s'analyse moins comme un mensonge que comme un manquement formel à la manifestation de la vérité ». Corinne LEVELEUX-TEIXEIRA, « La répression du blasphème et les métamorphoses de la vérité (Moyen Age et début de l'époque moderne) », in Au cloître et dans le monde. Femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle), Mélanges en l'honneur de Paulette L'Hermite-Leclercq, sous la direction de Patrick HENRIET et Anne-Marie LEGRAS, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, Cultures et Civilisations médiévales, XXIII, 2000, pp. 323-338

rend ainsi compte du rapport de coexistence entre texte sacré et profane, dans le temps de la lecture :

« [Le contre-texte] n'est pas ambigu. Il s'installe en effet dans le code littéraire, utilise ses procédés jusqu'à l'exaspération, mais le dévie fondamentalement de son contenu référentiel. Il n'y a donc pas d'ambiguïté à proprement parler, mais juxtaposition à des fins ludiques et burlesques d'un code littéraire donné et d'un contenu marginal, voire subversif. Le code textuel endémique reste donc bien l'indispensable référence, fonctionne toujours dans la plénitude de ses moyens, mais à contre-courant. [...]. Le contre-texte est donc, par définition, un texte minoritaire et marginalisé, une sorte d'infra-littérature (underground). Sa référence paradigmatique reste le texte, dont il se démarque, et son récepteur, inévitablement le même que celui du texte. Car sa réception et son impact sont étroitement liés aux modalités du code textuel majoritaire »106.

A. LA CONFESSION, SACREMENT DE PENITENCE ET DE RECONCILIATION

Comme le rappelle Roger Bellon, « le XIIe siècle voit l'Eglise catholique développer la pratique du sacrement de la pénitence, évolution confirmée par le IVe concile de Latran (1215), qui rend obligatoire la confession annuelle » 107. Ce cadre théologique impose la confession dès l'âge de discrétion108, dans le cadre d'une double réforme des mondes laïc et clérical. Prenant acte de l'essor d'hérésies nouvelles, Innocent III ouvre le quatrième concile de Latran dans l'intention d'amplifier en la foule des fidèles le sentiment de la faute (culpa). Aux anciens pénitentiels se substitue une hiérarchie nouvelle des fautes, réparties en péchés véniels et mortels. Dans une société où le diable « fait partie intégrante du dynamisme » européen109, l'absolution des péchés, fussent-ils véniels, contribue au déclin de son empire sur le monde. Le recours à la confession, en plusieurs branches du Roman de Renart, met en oeuvre une tension transgressive entre le caractère sacré de l'acte de pénitence et la disposition railleuse du goupil.

La confession, imposant le mode de la véridicité intégrale et sans omission, devient un jeu de renversement des valeurs, bien et mal s'inversant pour dénoncer la

106 Pierre BEC, Burlesque et obscénité chez les troubadours. Le contre-texte au Moyen Âge, Paris, Stock, 1984, p. 11-13, cité par Patrice UHL, « Du Rebonds parodique, Les pièces CLXXIV et CLXXV du Recueil général des Jeux-Partis français », Carnets de Recherches Médiévales et Humanistes, 15, 2008, p. 129-130.

107 Roger BELLON, « Confession », in Répertoire, Le Roman de Renart, éd. Strubel et alii, p. 1468.

108 L'âge de discrétion, ou âge de raison désigne, dans le Droit Canon (Can. VI, ch. 97, 2), l'âge à partir duquel un enfant devient moralement responsable de ses actes, à compter de sa septième année.

109 Robert MUCHEMBLED, Une Histoire du Diable, XIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2000, p. 10. Robert Muchembled insiste sur la portée d'un imaginaire du Mal dont Lucifer constitue la figure de proue : « La montée en puissance de Lucifer (...) traduit un mouvement d'ensemble de la civilisation occidentale, une germination de puissants symboles constitutifs ».

valeur même de cette déclaration. La branche XVIII du Roman de Renart, consacrée à la relation des trois morts du goupil, intègre ainsi au déroulement du rituel funèbre l'examen de conscience, préalable au repentir de Renart : « Faites moi parler a Bernart / L'arceprestre, si me ferai / Confez et mes pechiez dirai » (XVIII, v. 360-363). Si le désir de confession révère en semblance les paroles rituelles de la pénitence, le discours amphibologique du goupil relève d'une double transgression : la teneur des péchés inverse l'axiologie chrétienne et leur confession ne s'accompagne d'aucune pénitence ni contrition. En cela, le langage renardien demeure celui de la vantardise et du mundus inversus.

Après avoir déclaré que, de toutes les actions qu'il a commises durant son existence, la guérison du roi Noble est la seule dont il se repente110, Renart inverse le système des valeurs du catholicisme, le tort sexuel devenant bien moral : « Se je croissi Dame Hersent / Ma comere, ne mespris rien / Encoiz li fis lieesce et bien », XVIII, v. 388- 390. A la sincérité constitutive de l'aveu pénitentiel, Renart substitue la mobilité perfide d'une parole purement liée aux circonstances de sa profération : « (...) S'il avint / Que je aie respassement, / Je fausserai le sairement », XVIII, v. 409-411111. Ainsi que l'explique Micheline de Combarieu du Grès, « à l'exigence ascétique s'oppose une aspiration sensuelle qui dénonce comme hypocrite tout engagement à renoncer aux satisfactions futures »112. La duplicité est sensible dans le consentement du goupil à l'injonction de l'âne : « Por çou que ne voel passer / Vos conmandement ne deffaire, / Vol je bien le sairement faire ! », XVIII, v. 408-409. Artifice hypocrite d'une parole résolument transgressive, qui n'entend pas un instant renoncer aux « mauvestiez » et aux « vissiez » d'un goupil « de pute orine » (XVIII, v. 376, 377 et 404).

110 Ibid., v. 396-401 : « Que diroie ? De voir, saciez, / Je ne fis onques nulz pechiez / Fors quant je donai garison / Mon signor Noble le lion / Mais bien sai que doncques pechai / Quant jou garison lui donai ».

111 Aveu d'infidélité à la parole donnée réitéré aux v. 415-416 : « Mais por çou n'en ferai ge rien / Se jou dou mal puis respasser ».

112 Micheline de COMBARIEU DU GRES, « Le thème du monde à l'envers dans la branche XVII du Roman de Renart », Mélanges Jean Larmat, Belles Lettres, Paris, 1982, p. 110

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