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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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B. LA PRIERE, « OFFRANDE SPIRITUELLE » (TERTULLIEN)

« ... Une bite y est dans le caleçon au lieu de Kyrie Eleison ou encore Bonne biroute à Toto pour Cum Spiritu Tuo, il en avait comme ça pour presque tous les répons chaque fois à peu près de cette force En trou si beau adultère est béni au lieu de Introïbo ad altare Dei... » 113

La prière apparaît, en un monde médiéval imprégné du modèle ecclésiastique, comme la scansion rituelle de la journée du fidèle. « Offrande spirituelle » remplaçant l'ancien holocauste, la prière est le moment « où les vrais adorateurs [adorent] le Père en esprit et vérité » (Jean, IV, 23). A la diversité des prières (eucharistique, liturgique, Notre Père...) fait écho l'extrême virtuosité des écritures transgressives. Comme l'écrit Georges Minois, « litanies, hymnes, prières, offices canoniaux, détournés de leur sens sacré, sont une mine de gags offerts à la verve des plaisantins »114. Dans la mouvance des Goliards, qui infléchissent la lettre des écritures saintes en une parole satirique et profane, la tradition des « contes à rire » pose la suprématie des « forces obscures de la matière corporelle, celles qui s'affirment dans le pet et le rot », pour reprendre les termes d'Umberto Eco115.

La Branche III du Roman de Renart comporte, en ce qu'Armand Strubel considère comme « un temps mort de l'action, une sorte d'intermède »116, l'expression ordurière d'une violente dégradation du sacré : « Puis [Renart] mist la queue sor l'arçon / Si fist set pes en un randon » (III, v. 225-226)117. Le chiffre sept, saturé de sens symboliques118, manifeste l'infléchissement de « offrande spirituelle » à l'offrande sardonique et frondeuse du bas corporel, en une prière de malédiction : « Li septimes [pet] por Ysengrin, / Cui Dieus doinst demain mal matin / Et male estrive a son lever »,

113 Claude SIMON, Histoire, Paris, Minuit, 1967, p. 43. Réminiscences du rituel liturgique auquel participaient le narrateur et son ami Lambert, qui « gueulait à tue-tête » des insanités en lieu et place de la parole sacrée, en une pure jouissance infantile du franchissement de l'interdit.

114 Georges MINOIS, Histoire du rire et de la dérision, Paris, Arthème Fayard, 2000, ch. V, p. 152

115 Umberto ECO, Le Nom de la Rose, Livre de Poche, Paris, 2002, p. 482

116 Le Roman de Renart, Branche III, « La Confession de Renart », Notice, p. 990

117 L'Ysengrimus de Nivard de Gand présente également, au moment où le loup s'apprête à être déchiqueté par des porcs, une interaction de la prière et du pet. Ysengrin prophétise, pour venger sa propre mort, une damnation éminemment carnavalesque, celle du pet perpétuel : « Turpibus ut ventis numquam impetus absit eundi / Laxentur patule nocte dieque fores » [Ysengrimus, VII, v. 317 et Roman d'Ysengrin, p. 240 : « Et pour que les vents honteux ne manquent jamais de l'élan nécessaire à leur sortie, que les portes restent largement ouvertes jour et nuit »]. Le texte de Nivard va sans doute encore plus loin dans le détail du pet : « Nec tenui strepitu sibilet aura nocens » [ibid., VII, v. 322 et Roman d'Ysengrin, p. 240 : « le bruit de la vilaine brise ne sera pas un léger sifflement »].

118 Le chiffre sept apparaît en effet près de cinq cent fois dans la Bible ; parmi les occurrences les plus notables figurent les sept dons du Saint-Esprit (Première Epître aux Corinthiens, 12, 8-13 ; Ephésiens, 4, 11-12 ; Romains, 12, 6-8), le nombre de sacrements (baptême, eucharistie, confirmation, pénitence, extrême-onction, sacrement de l'ordre), le nombre d'Eglises, de têtes de la Bête et de trompettes du Jugements dans l'Apocalypse...

v. 237-239. Les « trois patrenostres » qui accompagnent l'expression carnavalesque des flatulences se lisent comme un miroir inversé du Pater Noster : à l'appel de la vertu, « délivrez-nous du mal », répond l'apologie des larrons, traîteurs, felons et pecheurs (III, v. 251, 252, 253 et 254), au désir de tempérance, « ne nous laissez pas succomber à la tentation » se substitue l'intempérance du désir : « (...) encrimies pecheurs / Qui mieus aiment les bons morsiaus / Qu'ils ne font cotes ne mantiaus », III, v. 254-256.

La prière de Renart, en ouverture de la Branche Ic (v. 2238-2247), transgresse également la dimension sacrée de l'« offrande spirituelle ». Renart, menacé de mort par un arrêt du roi Noble, est en quête d'une nouvelle mystification, pour échapper à la reconnaissance des autres animaux. La prière qu'il adresse au Dieu Trinitaire est d'autant plus scandaleuse qu'elle appelle le Seigneur à métamorphoser son apparence : « Et si m'atorne en tele guise / En tel manière me devise / Ja ne soit beste qui me voit / Qui sache a dire qui je soie » (III, v. 2244-2247). De même que la parole bestornée du goupil porte atteinte à l'idéal biblique de transparence, la dissimulation est la marque du Diable119. Le scandale éclate de la tension entre l'artifice luciférien et l'adresse à « Dieu qui mains en Trinité » (Ic, 2238). Le Dieu Trinitaire, en un redoublement sacrilège, est figuré en complice bienveillant du goupil : « Qui de tans peris m'as jeté / Et m'a souffert tant mals a faire » (Ic, v. 2239-2240)120. La parole sacrée de la prière s'infléchit ainsi en une parole sacrilège, profanée, chargée de moqueries, d'implorations indécentes.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera