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La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

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par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

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C. ORDO MISSAE ET MISE A MAL DE LA PAROLE LITURGIQUE

Le rite catholique romain assigne à la messe une triple visée d'adoration, d'eucharistie et de rédemption. La mise en présence du Christ, matérialisé dans le vin et l'hostie selon le dogme de la transsubstantiation, en fait un rite d'une portée mystique. Le rituel liturgique est cependant l'objet de retournements carnavalesques - fête des fous, fête de l'âne, dans lesquels le « Ite, missa est » conclusif le cède aux « Hihan » asiniens. Comme le suggère Georges Minois, il convient cependant d'atténuer

119 Cf. les analyses d'Elyse DUPRAS dans Diables et saints : rôles des diables dans les mystères hagiographiques français, Genève, Droz, Publications Romanes et Françaises, CCXLIII, 2006, p. 47 : « L'emprunt vestimentaire de Dieu se distingue de celui du diable en ce qu'il ne tend pas à une dissimulation (d'identité ou d'intention), mais à une révélation (la Révélation Christique), alors que le diable utilise le déguisement comme art de la dissimulation, qui bien entendu, révèle sa nature mensongère ! ». Ces analyses portant sur le théâtre hagiographique du Moyen-âge peuvent rendre compte du rapport au déguisement dans la tradition renardienne.

120 Cf. à titre de comparaison l'epimythium de la fable du Charpentier (« La .xiii. fable fait mencion d'ung charpentier ») dans l'Esope de Julien Macho (Fables Françaises du Moyen-âge, Paris, GF, 1996, p. 283) : « Dieu, qui est bon et juste, remunere les bons en ce monde ou en l'autre et pugnist les maulvais ».

l'image d'un rituel ordinaire sombre et policé, de « relativiser les indécences de la fête des fous », les « dissonances profanes du rire »121 étant la marque paradoxale de l'office religieux. La mise en jeu du sacré est placée sous le signe de la dérision et du bas corporel ; l'incarnation sainte du Christ le cède à la matérialité obscène de l'animal comme de l'humain.

L'épisode dans lequel Primaut reçoit la tonsure doit à l'esprit facétieux du goupil. Si la mention du rituel n'y est qu'esquissée, le festin de Renart et Primaut place d'emblée l'épisode sous le signe de la profanation. Les symboles de la transsubstantiation, pain et vin, sont infléchis dans l'ordre profane, réduits aux plaisirs excessifs de la gula : « Et tu, Renars, si boi ! / - Si fai je, fait Renars assés » (XIII, v. 507- 508). Et le dialogue de se fonder sur une émulation réciproque des deux personnages : « Buvés un poi plus durement, / De boivre vous voi recreü ! » (XIII, v. 511-512). Une fois tonsuré, Primaut est amené par le goupil à revêtir les habits sacerdotaux - « Au plus tost que il puet venir / Se va des vestemens vestir » (XIII, v. 533-534) - et accomplir les fonctions du prêtre, en une surenchère nettement satirique : « Son penser a mis a chanter : / Durement urle et brait et crie » (XIII, v. 767-768). La notation comique n'est pas sans procéder d'un esprit de subversion, à l'instar de la question posée par Tibert au fax prestres dans la branche des Vêpres : « Mais savés vous nulle alleluye, / Ne douls chants por moi endormir ? » (VI, v. 444-445).

La transgression qui s'opère dans l'office mené par Renart et Tibert dans la branche VI 122 tient moins à l'ordo missae, globalement préservé, qu'au topos des animaux revêtus de l'étole. La métamorphose illusoire du chat et du goupil tend, de fait, un miroir satirique des pratiques humaines. Si les différents épisodes de la messe sont observés avec un extrême scrupule123, certaines notations, telles la réplique « a envers » (VI, v. 870) de Renart et l'emphase conférée à l'antienne, chantée « molt glorieusement » (VI, v. 867), sont les signes annonciateurs d'une véritable satire cléricale.

Dominique Boutet, s'appuyant sur le propos musicologique de Jacques Chailley124, propose de lire une « satire des nouvelles tendances du chant liturgique

121 Georges MINOIS, Histoire du Rire et de la Dérision, op. cit. p. 153

122 Le chat, « eslieus a abé » (v. 510), s'apprête à prendre ses fonctions à Blagny et à y prononcer la messe. Renart est alors son assistant.

123 Le Roman de Renart, Branche VI, « Les Vêpres de Tibert », v. 851sq. Le conteur rapporte par le menu les étapes du rituel (« Deus in adjutorium », v. 853 ; « Magnifica[t] », v. 865 ; « Dominus vobiscum », v. 872 ; « Benedicamus », v. 880-882) et leur déroulement (« Si ont cantee toute ligne / Tot mot a mot et tout a ligne », v. 861-862).

124 Le Roman de Renart, Branche VI, note 2, p. 1083 et Jacques Chailley, Histoire musicale du Moyenâge, PUF, p. 1950.

polyphonique », les vocalises pouvant alors se prolonger une vingtaine de minutes. Cet
élargissement interminable du temps de l'oraison (« Tot le mont en repeust d'anui », VI,

v. 888) est amplifié dans une comparaison spatiale également démesurée : « Deus liues peüst on aller / Ains que il eüst parfiné » (VI, v. 890-891). Au retournement carnavalesque des valeurs, Renart et Tibert substituent en cet épisode l'exact reflet des pratiques liturgiques du temps.

La transgression carnavalesque de la messe se lit non comme l'entier retournement d'un rite censément inspiré125, mais bien plutôt comme une réelle satire des institutions ecclésiastiques. Satire au demeurant redoublée dans la branche VI, en une mise en abyme de l'impéritie sacerdotale : de même que le prêtre a le dessous dans son dialogue avec Tibert, confondant fève (faba) et fable (fabula)126, Tibert, une fois revêtu du soupelis, commence à lire le mauvais psaume (VI, v. 824-827). Hors cadre liturgique s'exprime plus encore le scandale de paroles sacrilèges et blasphématoires.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille