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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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2- La folie et l'exorcisme dans La folie et la mort.

Si, de façon générale, le terme de folie s'applique à « une personne qui a perdu la raison, ou dont le comportement sort de l'ordinaire », selon le Lexis de la langue française, 84(*) sur le plan littéraire, la folie se charge de subtilité. Elle est loin d'être une pathologie clinique. Pour définir la folie, Kakpo Mahougnon, s'appuyant sur les études de Pius Ngandu Nkashama dans Ecritures et discours littéraires : Etudes sur le roman africain 85(*) et de Bernard Mouralis dans L'Europe, l'Afrique et la folie86(*), a dit que :

« Le mérite de ces études est d'avoir su caractériser la distance désormais créée, non seulement entre le personnage romanesque et son environnement social, mais surtout entre le personnage et lui-même. Il s'agit, au niveau du personnage, d'une attitude de repliement sur soi, à la manière d'un autiste, ce qui, par conséquent, l'amène à devenir, du moins à être considéré par le corps social comme un autre »87(*).

C'est de ce type de folie qu'il s'agit dans La folie et la mort.

En effet dans La folie et la mort, tous les personnages principaux ont plongé, de gré ou de force, dans cette folie. Mom Dioum, après avoir découvert la mascarade orchestrée par le Timonier et son complice, l'homme au chapeau d'astrakan, a longtemps cherché à reprendre une vie normale. Mais elle n'a pas pu. Elle se sentait mal dans sa peau, échouant successivement dans sa volonté de changer de personnalité pour pouvoir survivre. Yaw quant à lui, n'a pas pu continuer à vivre dans ce village où il avait découvert également la mascarade organisée par les vieux pour le Timonier. Et ce qui frappe dans le récit c'est que ces deux personnages, dans la quête de leurs repères après ce qu'ils avaient vu, ont reçu l'aide d'adjuvants qui leur ont montré l'urgence de ce qu'ils devaient faire un choix. Mom Dioum, grâce à la vieille femme, comme dans un conte ; Yaw, grâce au missionnaire blanc ; ils ont choisi la folie. Mais en réalité, ils n'avaient pas le choix. Seule l'option de la folie pouvait leur permettre de survivre.

Et puisqu'ils sont volontairement devenus fous, les remèdes pour les guérir ne peuvent pas être ceux qui sont utilisés de façon classique dans la folie pathologique. C'est d'ailleurs pourquoi dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique, Mom Dioum et Yaw ne se comportent pas comme les autres malades. Ils s'acoquinent à l'étonnement général et passent leur temps à discuter pendant que les autres malades suivent scrupuleusement leur thérapie. Seul l'exorcisme peut soigner et guérir ces malades mentaux d'un autre genre. Et l'exorcisme ici n'est rien d'autre que la mort. Une mort purificatrice qui est la solution définitive à ce dérèglement définitif et c'est à raison que Mahougnon Kakpo trouve une grande similitude entre la mort de Mom Dioum et celle de Samba Diallo dans L'aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane : « La mort donc ici, est un désir d'immortalité et d'éternité, une recherche de la transcendance et de la métaphysique »88(*). Cette mort n'est pas ordinaire. Elle produit une alchimie qui permet à l'être, tout en étant absent physiquement, de conserver sa valeur ontologique qui fait de lui un immortel.

Les deux autres principaux personnages, Yoro et Fatou Ngouye, ont eu un parcours différent. Yoro a tôt fait de comprendre qu'il n'avait plus le choix, après s'être embourbé dans une relation homosexuelle qui, si elle était découverte, ferait sa honte et celle de ses parents sur plusieurs générations. Au moment où il se rend compte du caractère anormal de sa situation, il ne peut plus revenir en arrière. Il assume son choix et cela, jusqu'au bout. C'est la mort qui viendra le purifier lui aussi de ce qu'il a découvert également une partie des nombreuses mascarades du Timonier. Fatou Ngouye, quant à elle, développe une folie singulière. Après avoir fait l'expérience de la face hideuse de la ville, elle comprend qu'il n'y a plus aucune issue pour elle et s'enferme dans une introversion presque totale. Depuis son premier viol jusqu'à son sacrifice suprême dans le marché, elle donne l'impression d'accepter tout ce qui lui arrive avec une résignation stoïque. Et dans son enfermement sur soi, elle laisse une brèche : la radio qui est son seul lien apparent et matériel avec le monde extérieur, puisque de sa chambre elle suit attentivement toutes les conversations qui se déroulent dans la cour de la maison. Tout semble avoir été monté dans le récit pour montrer que c'est seulement en se repliant sur elle-même que Fatou Ngouye pouvait survivre. La preuve est que le jour où, sur le conseil de sa propriétaire, elle décide d'aller faire un tour dans la ville, dans le monde extérieur, elle n'en reviendra pas.

La particularité des histoires de Yoro et de Fatou Ngouye est qu'eux n'ont pas fait le choix définitif de la mort. Ils ont choisi leur forme de folie, l'homosexualité et l'autisme, et ce sont les personnages supposés leur servir d'adjuvants qui les poussent à la mort. Yoro, par son patron Blanc dont il s'est amouraché et Fatou Ngouye, par sa propriétaire qui, avec bonne foi, voulait l'aider à sortir de son autisme. Comment pouvait-elle savoir que cette sortie ne pouvait se faire que par la mort ? C'est dans cette même ligne que nous étudierons dans le paragraphe suivant l'acharnement du sort sur certains personnages dans De l'autre côté du regard.

* 84 Dictionnaire Lexis de la langue française, p.779

* 85 Pius Ngandu NKASHAMA, Ecritures et discours littéraires : Etudes sur le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1989

* 86 Bernard MOURALIS, L'Europe, l'Afrique et la folie, Paris, Présence Africaine, 1993

* 87 Mahougnon KAKPO, op. cit. pp.24-25

* 88 Idem, pp.26-27

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams