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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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LE MALAISE PHYSIQUE

Le malaise est «  une sensation pénible et vague d'un trouble dans les fonctions psychologiques. C'est un sentiment pénible et irraisonné dont on ne peut se défendre. C'est un mécontentement social inexprimé »5(*). Cette définition du malaise selon le dictionnaire Le petit ROBERT est révélatrice de la complexité de ce concept. En effet, si dans la vie courante la densité du malaise peut parfois franchir les limites d'une pathologie, il prend un double caractère dans le cadre d'une oeuvre littéraire : un malaise qui se trouve au coeur du récit et un autre malaise qui se dégage de la lecture du récit. Le premier est ressenti par les personnages et tient du caractère complexe de l'intrigue et des situations dans lesquelles ils se retrouvent. Le second est ressenti par le lecteur et peut être généré aussi bien par la compassion qu'il éprouve vis-à-vis des personnages que par la forme particulière du récit, caractérisée par exemple, par le mélange de plusieurs histoires et ou par l'usage d'un langage excentrique. L'étude du malaise dans La folie et la mort et dans De l'autre côté du regard se situe à ces deux niveaux. Et pour le faire ressortir, nous aborderons plusieurs aspects du malaise dont le plus visible est le malaise physique, qui s'exprime à travers l'espace, le temps et la violence sous toutes ses formes.

A- L'expression du malaise dans l'espace et le temps

Le malaise dans La folie et la mort et De l'autre côté du regard se dégage déjà du cadre physique dans lequel le récit est logé avec une prédominance du cadre urbain. Le temps vient comme pour renforcer le malaise dans son double aspect du temps environnemental et du temps événementiel.

1- L'enfer urbain.

Le décor spatial est l'un des matériaux fondamentaux de la construction narrative parce que c'est lui qui sert de cadre au récit. C'est dans l'espace romanesque que se déroule l'action du roman. En dehors du fait que l'espace romanesque participe à l'inscription de la fiction narrative dans le réel, il peut aussi permettre de caractériser un personnage ou de déterminer le rythme de l'action : « La description de la réalité du monde extérieur accorde les sentiments des personnages au cadre qui les entoure ou, au contraire, crée un effet de contraste »6(*) . Au-delà de cette influence, l'espace peut avoir prise sur tout le récit. Il peut devenir « un véritable agent qui conditionne jusqu'à l'action romanesque elle-même »7(*). C'est ce à quoi nous assistons dans La folie et la mort et De l'autre côté du regard.

Le milieu urbain, dans ces deux ouvrages, représente le siège même du malaise. C'est dans ce milieu que se trament toutes les intrigues et l'angoisse y est très forte. La plupart des victimes du milieu urbain sont issues du milieu rural. Ken Bugul laisse sourdre à travers son oeuvre une opposition entre les deux milieux : le milieu rural est celui de la naïveté, de la crédulité et de la chaleur humaine mais aussi celui de la misère. Le milieu urbain, quant à lui, apparaît comme celui de la violence, de la cruauté, de la brutalité et de la férocité gratuites. C'est aussi le coeur de tous les vices et de toutes les turpitudes. Ce milieu urbain est essentiellement représenté par « La Ville » dans La folie et la mort et « La Codiware » dans De l'autre côté du regard.

a- « La Ville » dans La folie et la mort

Mom Dioum, l'héroïne du roman, après un bref séjour au village, de retour de la ville, décide d'aller se « tuer pour renaître »8(*). Intriguées, sa famille et celle de son amie Fatou Ngouye décident d'envoyer celle-ci et Yoro, le cousin de Mom Dioum, à sa recherche à la ville. Et pour planter le décor de ce qu'est la ville, le narrateur dit ceci à leur arrivée : « Les autres voyageurs non plus n'avaient pas beaucoup parlé, comme si ce voyage était redouté à cause de la vitesse folle du taxi-brousse ou de l'accueil que la ville pourrait leur réserver »9(*). Cette phrase laisse présager tout ce qui pourra leur arriver dans cette ville. D'ailleurs, leur malaise va s'accroître progressivement. Il ira des gestes les plus simples de la vie courante  (« Fatou Ngouye et Yoro le cousin de Mom Dioum avaient du mal à se frayer un passage parmi les gens qui ne les regardaient même pas »10(*)) aux situations les plus complexes que sont la folie et la mort. Des tas d'immondices à la fumée qui s'échappe des véhicules, tout semble avoir été disposé pour rendre malaisé le voyage des deux enfants du village. Du côté des humains, ils doivent d'abord affronter l'indifférence et être ensuite confrontés à la police. Leur contact avec les hommes ira de misère en misère jusqu'à leur dernier souffle. Fatou Ngouye, après un bref séjour dans un autre village reviendra mourir, brûlée vive :

« Fatou Ngouye finit ainsi sa vie à la grande ville. Elle qui était venue chercher Mom Dioum dans cette ville, elle faisait désormais partie de cette ville, pour toujours »11(*).

Cet euphémisme met en évidence le caractère cruel de la ville qui happe tout ce qu'elle contient.

Yoro, quant à lui, après avoir passé un sale temps à la police, sombre dans l'homosexualité qu'il considère comme une honte mais dont il s'accommode pourtant : « Comment pourrait-il dire au village qu'il vivait avec un homme, qu'il était amoureux de lui, (...) qu'il faisait l'amour avec lui. Il allait tuer ses parents de honte et sûrement se tuer après »12(*) se dit-il lui-même. Il est « trouvé mort sur la plage, le corps sans tête »13(*), quelque temps après, parce qu'il avait découvert que le Timonier faisait le trafic d'armes, de mercure et de crânes humains. La ville venait ainsi de faire une autre victime. Yoro, après avoir fini par trouver sa place dans cette ville, venait de se faire happer par cette même ville. Mom Dioum ne connaît pas un meilleur sort.

Elle rate sa « renaissance » et, après des aventures aussi fantastiques les unes que les autres, se retrouve dans un asile de fous. Elle s'acoquine avec un autre pensionnaire de l'asile, Yaw, à qui elle raconte enfin son histoire, sa vraie histoire sur le bateau d'où elle s'est enfuie après avoir découvert la supercherie du complice du Timonier : celui-ci la faisait apparaître comme un ange à des hommes d'affaires et à des hommes politiques qui, croyant à une apparition mystique véritable, ne se dérangeaient pas pour payer les fortes sommes d'argent qui leur étaient réclamées. Un jour, le complice du Timonier, estimant qu'elle en savait déjà trop décida de la supprimer. Elle fut informée par l'albinos qui travaillait avec l'homme et réussit à s'enfuir. Informé, le Timonier la fit rechercher en vain et prit un décret stipulant qu'il fallait tuer tous les fous qui raisonnaient et tous les fous qui ne raisonnaient pas. Mom Dioum, titulaire d'une maîtrise, devait se retrouver parmi les fous qui raisonnaient. Et c'est pour échapper au courroux du Timonier qu'elle décide d'aller « se tuer pour renaître ».

Yaw, à la fin de l'histoire de Mom Dioum, étouffe sa compagne après avoir abusé d'elle dans le bâtiment de la morgue de l'hôpital psychiatrique. Le meurtrier, retrouvé par les gardiens de l'hôpital, connaîtra le même sort quelques heures plus tard dans le même hôpital. Il faut rappeler que Yaw avait aussi été témoin d'une supercherie de la part des gros-bras du Timonier qui, sous le couvert d'une cérémonie rituelle, se déguisent en revenants après avoir coupé la tête à plusieurs enfants du village. Ces têtes devaient servir à faire un sacrifice pour la pérennité du règne du Timonier. Pour avoir vu cela, il devait mourir. Yaw dut la vie sauve à un prêtre missionnaire qui l'amena en ville mais qui ne put s'empêcher de lui faire savoir qu'il était devenu fou après ce qu'il avait vu. C'est pourquoi il ira l'enfermer dans un asile de fous. Avec la mort brutale de Mom Dioum et de Yaw, la ville venait de faire deux nouvelles victimes. En plus de tous ces aspects, le milieu urbain prend dans De l'autre côté du regard une facette anthropophage.

* 5 Dictionnaire Le petit Robert, Paris, Brodard et Taupin, 1985, p.637.

* 6 Jean-Pierre GOLDENSTEIN, cité par Adrien HUANNOU et Ascension BOGNIAHO in Auteurs Africains du programme de français, Cotonou, Imprimerie GRAPHITEC, 1995, p.20.

* 7 Idem, p.21.

* 8 KEN BUGUL, La folie et la mort, Paris/Dakar, Ed. Présence Africaine, 2000, p.28.

* 9 Idem, p.49.

* 10 Idem, p.53.

* 11 Idem, p.110.

* 12 Idem, p.99.

* 13 Idem, p.235.

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