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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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2- Le temps et le malaise.

Le temps permet au narrateur de présenter les actions ou les faits du récit à peu près fidèlement dans les détails et dans une durée plus ou moins réelle de déroulement des actions. L'étude du temps narratif permet de distinguer, selon Jean-Pierre Goldenstein,

« d'une part, les temps externes à l'oeuvre, c'est- à -dire le temps de l'écrivain (l'époque à laquelle il a vécu et écrit son oeuvre ), le temps du lecteur(l'époque à laquelle il vit) et le temps historique(l'époque à laquelle se situe la fiction) et, d'autre part, les temps internes à l'oeuvre qui comprennent : le temps de la fiction ou temps raconté( la durée du déroulement de l'action) et le temps de la narration(l'intervalle de temps qu'a duré la narration) »19(*) .

A ces types de temps révélés par Goldenstein, nous pouvons ajouter, dans le cadre de notre étude, le temps événementiel et le temps environnemental qui concourent à l'expression du malaise dans les oeuvres que nous avons choisies.

a- Le temps événementiel.

Si nous pouvons définir le temps événementiel comme  « le temps, la période où se produisent les événements, c'est-à-dire les faits marquants de l'histoire (dans la fiction littéraire ou dans la réalité) et qui sont effectivement repérables par des dates ou par des renvois à des régions géographiques et à des événements historiques réels »20(*), dans La folie et la mort, le récit se situe clairement dans la période post-coloniale. Les pays d'Afrique, nouvellement indépendants, prennent en main leur destin. Comme tout début, le balbutiement engendre un malaise diffus, un malaise né de la forme de gouvernement qui s'empare de la quasi-totalité des jeunes Etats africains libres : la dictature. Les scènes qui ont été peintes dans La folie et la mort renvoient à cette période bien connue des contemporains de Ken Bugul. La crise pour le narrateur a commencé depuis les années 60, « depuis les années de crise qui commencèrent dès les premières années d'indépendance... »21(*). Ce préalable vient comme pour justifier à l'avance les atrocités qui seront racontées plus tard. Car, si la crise dure depuis si longtemps, elle a eu le temps de s'exacerber. Mais le temps auquel renvoie le récit n'est pas ouvertement indiqué. S'il est clair qu'il situe le lecteur après les indépendances, les autres précisions seront apportées par les allusions du narrateur à des événements qui se sont produits plus ou moins concomitamment dans le monde. C'est ainsi qu'après avoir entendu un hommage au Timonier, des auditeurs font cette réflexion :

« - Mais, et la Tchétchénie ?

- C'est quoi ce mot ?

- Ce n'est pas un mot, c'est un pays.

- Ah ! Oui, vers Caucase, vers Daghestan, les djan, zan, tan et consorts.

- Ce sont des pays musulmans, islamiques, fondamentalistes, islamistes, intégristes, terroristes, rétrogrades, non ?

- Pour Sam et ses complices, ces pays, et les gens de ces pays ne comptent pas.

- Et l'Albanie alors ?

- Et le Kosovo ? »22(*).

Cette conversation renvoie clairement à la guerre du Kosovo, à la crise en Albanie et à la guerre de la Russie contre les Tchétchènes. Et puisque tout cela a commencé vers la fin des années 80, on peut situer le temps du récit vers le début des années 90. Il faut remarquer que ces marques temporelles, pour être relatives à des zones de tension dans le monde, renforcent l'atmosphère de malaise qui commence à sourdre de l'ouvrage. Cependant, d'autres allusions moins funestes sont présentes dans le texte et précisent davantage le temps événementiel :

« La télévision à écran géant, les paraboles, la vidéo, les jeux électroniques, tout cela avait remplacé le voisin. Et s'il y avait un problème ? Le téléphone...Le cellulaire »23(*).

Quand on sait que le téléphone cellulaire ne s'est répandu dans les pays africains qu'à la fin des années 90, on cerne mieux le temps événementiel dans La folie et la mort.

Quant à De l'autre côté du regard, le temps événementiel y est plus précis. Il se situe dans les dernières années de la colonisation et les premières années d'indépendances. L'action commence pendant la période coloniale et s'achève après les indépendances. Lorsque le frère de Marie quitte l'école militaire, sa soeur et sa mère reçoivent la visite de deux Blancs : 

«Les Blancs portaient des culottes en kaki et des chemises à manches courtes. Ils avaient aux pieds de grosses chaussures fermées. Les chaussettes qu'ils avaient mises, montaient jusqu'aux genoux. Ils portaient des casques. Nous étions encore sous domination coloniale. Tout le quartier de Kanène où nous habitions, était en alerte. Dès que les deux Blancs entrèrent chez nous, ma mère s'était levée. Elle avait enroulé sa natte automatiquement comme pour s'enfuir. Le Blanc faisait fuir. Il représentait celui qui venait réprimer. Celui qui venait prendre les forces pour. Des forces pour des guerres expansionnistes ou défensives. Pour le travail forcé dans les colonies. Le Blanc représentait la terreur. Il était terrifiant à l'époque. Du bon Blanc arrivé au début, il est devenu la terreur et ensuite l'horreur »24(*).

Ce portrait du colon montre le malaise qui prévalait dans les rapports entre les colons et les colonisés à la fin de l'époque coloniale. Cette action, dans De l'autre côté du regard, commencée auparavant, va se poursuivre après les indépendances :

« Huit longues et terribles années entre la disparition et la mort de Maguèye Ndiare ! (...)Des Blancs avaient annoncé la mort de mon frère Maguèye à mon frère Mondaye. Ils étaient en pantalons longs, chemises blanches et cravates. Nous étions dans les premières années d'indépendance »25(*).

Les précisions que donnera le narrateur plus loin contribueront à mieux déterminer la période de l'histoire. Elle dit à la page 154 qu'elle est « née pendant la grande grève des chemins de fer »et qu'elle « devait avoir trente-six ou trente cinq ans »26(*). Puisque cette grève s'est déroulée de 1947 à 1948, l'action du récit devrait se placer tout au début des années 80. «  Mort de la mère : Mardi 30 avril 1985 à 11h 55 »27(*). Mais le narrateur donne d'autres indications qui poussent l'action jusqu'au début du troisième millénaire. En effet dans l'une de ses nombreuses escapades oniriques, le narrateur, au sujet des affres que devraient subir les morts lors de l'enterrement dit :

« Oh, jeunes et beaux marins du Koursk ! »28(*). Le Koursk est un bâtiment sous-marin russe qui a coulé dans l'océan indien en 2001. Il n'y a eu aucun survivant sur la centaine de marins qui étaient à bord. Ces intempestifs allers et retours dans le temps et les multiples allusions à des événements tristes contribueront fortement à entretenir le malaise dans l'ouvrage.

* 19 Jean-Pierre GOLDENSTEIN, op.cit, pp.103-110.

* 20 Cf. Pierre MEDEHOUEGNON, dans son cours de narratologie en 4ème année de Lettres Modernes à l'Université d'Abomey-Calavi.

* 21 La folie et la mort, p.66.

* 22 Idem, p.12.

* 23 Idem, p.18.

* 24 De l'autre côté du regard, p.151.

* 25 Idem, p.189.

* 26 Idem, p.113.

* 27 Idem, p.99.

* 28 Idem, p.140

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus