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L'usufruit des droits incorporels

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par Wyao POUWAKA
Université de Lomé Togo - Diplôme d'études approfondies 2011
  

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Section ll : LE PARTICULARISME DU DROIT DE JOUISSANCE

La jouissance des droits incorporels est très particulière. En ce domaine, la jurisprudence et la doctrine s'opposent. La jouissance des droits incorporels confère à son titulaire beaucoup plus de prérogatives de sorte que l'usufruitier de tels droits se transforme quasiment en véritable propriétaire. La jouissance de l'usufruitier est donc problématique (Paragraphe1). En conséquence, l'appréhension unifiée de tels usufruits est corrélativement impossible (Paragraphe 2).

Paragraphe l - La problématique jouissance des droits incorporels

Il ressort de la jurisprudence récente et une partie de la doctrine que la jouissance des droits incorporels transforme l'usufruitier en véritable propriétaire (A), il s'en suit dès lors une altération du mécanisme classique de l'usufruit (B).

A- La transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire

Rappelons que l'usufruit confère à son titulaire le droit de jouir de la chose, objet de l'usufruit, mais à charge d'en conserver la substance. Il conviendra d'analyser la jouissance des droits incorporels pour en tirer les conséquences. Nous étudierons, d'une part, les droits personnels et, d'autre part, les droits sui generis.

Partons de l'usufruit d'une rente viagère qui est prévu par l'article 588 Code civil. En effet, l'usufruitier a droit aux arrérages sans être tenu à aucune restitution. Le rapprochement de cette disposition de celle de l'article 578 C.civ. révèle une opposition entre ces deux dispositions. L'usufruit d'une rente viagère a suscité d'énormes controverses dans la doctrine ancienne. D. Fauquet111(*) souligne que « les arrérages d'une rente représentent effectivement le capital et les intérêts de celui-ci ». Et selon Pothier112(*) leur perception épuise la substance de la chose. Or, c'est au propriétaire d'épuiser la substance de la chose autrement dit de l'abuser. Ce qui revient à dire que la situation de l'usufruitier d'un tel droit n'est pas différente de celle du véritable propriétaire, car en définitive, il est propriétaire de la plénitude de la créance113(*). C'est pour éviter ce résultat que les anciens auteurs capitalisaient les arrérages à chaque échéance ; l'usufruitier conservait les intérêts de ce capital, mais devait restituer au propriétaire à la fin de son usufruit le capital lui-même114(*). Cependant, c'est pour éviter les problèmes d'évaluation à la restitution que les rédacteurs du Code civil ont fait des arrérages, les fruits civils dont le titulaire est l'usufruitier. Le constat, c'est qu'en voulant éviter les problèmes d'évaluation, les codificateurs remirent en cause tout le mécanisme de l'usufruit.

Il faut évoquer le cas de l'usufruit des droits incorporels sui generis et surtout l'usufruit des droits sociaux. En effet, si l'on considère les dividendes, selon les termes de l'article 584 C.civ., comme les fruits, l'usufruitier a alors le droit de voter. Or, en lui accordant le droit exclusif de vote, ce dernier peut faire disparaître la substance de la chose. Depuis l'affirmation par la chambre commerciale de la Cour de cassation française qu' « aucune dérogation n'est prévue (par la loi) concernant le droit des associés, et donc du nu-propriétaire, de participer aux décisions collectives, tel qu'il est prévu à l'alinéa 1 de l'article 1884 C.civ. », la situation de l'usufruitier et du nu-propriétaire n'a jamais été réellement discutée. Qui de l'usufruitier ou du nu-propriétaire a la qualité d'associé ? A plusieurs reprises depuis l'arrêt du 4 janvier 1994115(*), la chambre commerciale de la Cour de cassation française ne cesse de répéter qu'en matière d'usufruit et de nue-propriété de parts sociales, la participation aux décisions collectives n'inclut pas nécessairement le droit de vote. Si la chambre commerciale fait du nu-propriétaire un associé116(*), elle garde un mutisme éloquent sur la situation de l'usufruitier.

Les faits de l'espèce du 04 janvier 1994 méritent d'être relevés. Deux époux avaient créé une société civile spéciale, un groupement forestier et avaient donné à leurs enfants la nue-propriété des parts en se réservant l'usufruit. L'article 7 des statuts prévoyait que le nu-propriétaire serait représenté par l'usufruitier qui serait seul convoqué aux assemblées générales et aurait seul le droit d'y assister et de prendre part aux votes quelle que soit la nature de la décision à prendre. Les nus-propriétaires demandaient la nullité de cet article, qui au mépris de leur qualité d'associé, les excluait entièrement de la vie de la société.

Plus tard, vint l'arrêt Société VH Holding117(*) du 31 mars 2004 par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation française invalida la neutralisation statutaire du droit de l'usufruitier de voter l'attribution des bénéfices en estimant que « la clause litigieuse, en ne permettant pas à l'usufruitier de voter les décisions concernant les bénéfices, subordonnait à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d'user de la chose grevée d'usufruit et d'en percevoir les fruits, alors que l'article 578 C.civ. attache à l'usufruit ces prérogatives essentielles ». Pour le professeur T. Revet118(*), cet arrêt attestait que « le signe du vent tournait » puisque par son arrêt du 9 février 1999119(*), la Cour de cassation française après avoir posé que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions », avait censuré la décision qui n'avait pas annulé la disposition statutaire privant certains associés du droit de vote dans des hypothèses non légalement prévues.

Dans son arrêt du 29 novembre 2006120(*), la troisième chambre civile de la Cour de cassation française avait cru le temps de la clarification venue. Les faits de l'espèce sont les suivants. Deux copreneuses solidaires d'un bail rural avaient mis les terres louées à la disposition d'une société civile d'exploitation agricole dont elles étaient coassociées et cogérantes, puis l'une d'elle fit cession de la nue-propriété de ses parts à son neveu et à l'épouse de celui-ci. Ultérieurement, la cédante fut présentée, dans une notification adressée aux bailleurs, comme demeurant associée. Puis, à l'occasion d'une demande postérieure d'autorisation judicaire de cession de parts, formée par l'autre colocataire, les bailleurs demandèrent reconventionnellement la résiliation des baux en se fondant sur le fait qu'à partir de la première cession, la copreneuse cédante de la nue-propriété de ses parts avait cessé d'être associée, sans que les bailleurs n'en fussent averties. La Cour d'Appel d'Amiens (3 mai 2005) fit droit à la demande, les locataires formèrent alors pourvoi. La troisième chambre civile le rejette en ces mots : « Mais attendu qu'ayant constaté que madame A... avait procédé le 30 juin 1999 à la cession au profit des époux Z... de la nue propriété de la totalité de ses parts sociales de le société civile d'exploitation agricole et énoncé, à bon droit, que le caractère solidaire des engagements des preneuses stipulé dans les baux litigieux ne permettait pas d'étendre l'effet de la solidarité aux obligations leur incombant à titre personnel, la Cour d'Appel, qui en a exactement déduit qu'il importait peu que madame Z... ait conservé la qualité d'associé de la SCEA et relevé que madame A... avait perdu la sienne, quelle que soit l'étendue du droit de vote accordé à l'usufruitier par les statuts, a souverainement retenu que l'information délivrée le 20 août 1999, qui faisait figurer madame A... au nombre des associés, était de nature à induire en erreur les consorts de B... et à justifier la résiliation des baux ». Pour la troisième chambre civile, l'usufruitier ne peut avoir la qualité d'associé.

Le professeur M. Cozian121(*), dans son commentaire de l'arrêt du 4 janvier 1994 pense que les juges ne refusent pas la qualité d'associé à l'usufruitier et même espère que la Cour de cassation française, « aura l'occasion de proclamer que même privé de vote, l'usufruitier n'en est pas moins associé a fortiori quand il concentre tout ou partie des droits de vote ».

Il semble que la chambre commerciale lui ait donné raison en son arrêt du 02 décembre 2008122(*). En effet, les faits de l'espèce méritent d'être exposés. En 1989, un père de famille consent à ses sept enfants une donation-partage avec réserve d'usufruit portant sur les parts de la société civile Plastholding. Les statuts de la société conférant à l'usufruitier le droit de voter les décisions ordinaires et extraordinaires, les nus-propriétaires doivent être convoqués aux assemblées générales dans tous les cas. Une assemblées générale extraordinaire tenue en septembre 2003 vote l'absorption de Plastholding par la société civile Holding des Boëles, qui prend immédiatement la dénomination de l'absorbée. L'un des nus-propriétaires demande l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale.

Elle décide dans son deuxième motif « qu'en statuant ainsi,( la Cour d'Appel de Caen avait estimé que les statuts réservant le droit de vote à l'usufruitier est illicite et a annulé les délibérations adoptées grâce au vote de celui-ci) alors que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès lors qu'il ne déroge pas au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives, la Cour d'Appel a violé le texte susvisé( article 1844 C.civ.) ».

Ensuite, dans son quatrième motif, la chambre commerciale de la Cour de cassation française estime « qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l'intérêt de la société, dans le destin de favoriser ses intérêts au détriment de ceux des autres associés, la Cour d'Appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Il ressort de ces deux motifs que la chambre commerciale de la Cour de cassation française sur le fondement de l'article 1844 C.civ. élève l'usufruitier au rang d'associé. Cette solution nous rend perplexe. Si la chambre commerciale estime que le droit du nu-propriétaire n'est pas violé, alors quelle atteinte plus grave pourrait subir ce dernier? Si l'usufruitier peut commettre un abus du droit de vote, c'est parce qu'il a la qualité d'associé sinon entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, lequel pourrait commettre un abus s'il n'est pas associé ? En effet, l'abus en droit des sociétés est bien défini. Il concerne les associés que ce soit l'abus de majorité ou l'abus de minorité.

Cette situation défavorable du nu-propriétaire est bien exprimée par certains auteurs, qui le considèrent comme un associé insolite123(*), qui « peut être durablement dépouillé des prérogatives les plus dynamiques de cet état, alors que celui qui tire profit des utilités concrètes et immédiates des droits sociaux, l'usufruitier, ne voit pas encore sa qualité d'associé consacrée ! » et qu' « au résultat, l'on peut dire que le droit positif `' n'avantage le nu-propriétaire que de façon symbolique, grâce au titre d'associé dont il le pare alors qu'il permet d'en geler presque tous les attributs''124(*) ».

Pour le reste, les réponses données par la chambre commerciale de la Cour de cassation française tranchent en faveur de la qualité d'associé à l'usufruitier des droits sociaux. Or, c'est l'associé qui exerce les prérogatives de propriétaire dans la société125(*), autrement dit, il est « propriétaire de la société »126(*).

En ce qui concerne l'usufruit des droits de propriété littéraire et artistique, le titulaire perçoit tous les droits d'auteur et même autorise les éditions et reproductions dans la mise en valeur de son droit. Seul le droit moral qui, est un droit extrapatrimonial, a pour titulaire le nu-propriétaire. L'usufruit du brevet ne fait pas l'objet de réglementation spécifique. La transposition du droit commun conduit à admettre que l'usufruitier est pleinement titulaire du droit d'exploiter le brevet, par lui-même ou par la concession des licences. Si la durée du brevet est inférieure à celle de l'usufruit, le titulaire est investi de la plénitude des droits conférés par le brevet, ce qui suscite les regrets d'une partie de la doctrine.

L'usufruit, autrefois limité à l'appropriation des fruits du bien, s'étend aux produits. A cette manipulation, il devient plus une propriété temporaire qu'un droit démembré. Pour J.- D. Bredin127(*), le nu-propriétaire est laissé à l'écart et devient « ce personnage deux fois sympathique rassurant parce qu'il est propriétaire, pitoyable parce qu'il est dépouillé ».

La transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire entraîne de toute évidence l'altération du mécanisme classique de l'usufruit.

* 111 D. Fauquet, op. cit., p. 414.

* 112 Pothier, Du contrat de constitution de rente, n° 242, cité par D. Fauquet, ibid.

* 113 Le C.civ. qui qualifie expressément les arrérages de rente de fruits civils (article 584), a abandonné sur ce point la solution admise dans l'Ancien droit, qui ne reconnaissait pas à l'usufruitier d'une rente le droit de percevoir et de consommer entièrement les arrérages, en raison de leur nature hybride de revenu et de capital. Il en résultait des difficultés de ventilation, auxquelles, la solution du Code a mis fin d'une manière non dénuée d'arbitraire. La qualification contestable de fruits est d'ailleurs écartée.

* 114 Planiol et Ripert et Picard, t.lll, p 290 et s.

* 115 Cass.com., 4 janvier 1994, Bull.civ.lV, n°10 ; Rev. sociétés 1994,278, note Lecène-Marénaud.

* 116 Très tôt, il a été admis que le nu-propriétaire de droits sociaux est associé. Ce principe est acquis depuis l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation française en date du 05 juin 1973 (Civ. 3ème , 05 juin 1973, Bull. civ. lll, n° 403).

* 117 Cass.com., 31 mars 2004, D. 2004, 1167, obs. A. Lienhard.

* 118 RTD civ. 2007, p. 154.

* 119 Cass.com., 9 février 1999, Bull.civ. lV, n° 44 ; JCP E, 1999, ll, 10168, note Blanc.

* 120 Civ 3e, RTD civ. 2007, p. 155.

* 121 M. Cozian, « Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associe ?» JCP éd. E 1994, p 340.

* 122 RTD civ. 2009, p. 83 et s.

* 123 L. Godon, « Un associé insolite : le nu-propriétaire de droits sociaux », Rev. sociétés 2010, p. 143 et s.

* 124 P. Le Cannu, note sous Civ. 3e , 29 novembre 2006, Defrénois 2007, p. 606.

* 125 B. Dondero, « Répartition des pouvoirs en cas de démembrement de droits sociaux... et reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier ?», Rev. sociétés 2009, p. 783, n° 19.

* 126 D. R. Martin, « Usufruit et propriété des droits sociaux », ibid.

* 127 J.-D. Bredin, RTD Civ. 1970, 593 cité par J.-F. Pillebout, « Réflexions sur le droit d'usufruit », JCP N, doctr., p. 175.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery