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Platon, l'Egypte et la question de l'à¢me

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par Frédéric Mathieu
Université Montpellier III - Paul Valéry - Master I de philosophie 2013
  

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C) Témoignages du voyage de Platon

Y a-t-il encore un sens, compte tenu de la qualité et de la multiplicité des sources dont Platon pouvait disposer, aussi bien chez les auteurs grecs que par l'intermédiaire des voyageurs, à soutenir la thèse d'un séjour en Égypte ? La somme de connaissances accumulées par ses contemporains et ses prédécesseurs ne pourrait-elle suffire à rendre compte des références qui jalonnent ses Dialogues ? C'est à répondre à ces questions que nous consacrerons les deux prochaines sections de ce chapitre. La première pour corroborer la présence effective de Platon en Égypte ; cela en examinant la fiabilité des témoignages d'auteurs se référant à ce séjour. L'analyse de ces témoignages nous fournira incidemment une occasion de retracer l'itinéraire qu'aurait pu emprunter l'auteur au cours de ses grandes pérégrinations. La seconde pour extraire du corps même des Dialogues des indices inédits, des allusions à des réalités égyptiennes qui ne se retrouveraient pas chez ses prédécesseurs. Des allusions qui, donc, seraient comptables de sources indisponibles en Grèce. Deux voies pour établir, d'après l'auteur et d'après ses témoins, la valeur historique du voyage de Platon.

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Platon avait-il voyagé en Égypte ? Si l'on s'en tient aux diverses opinions qui se sont exprimées au fil des siècles, l'on ne peut qu'être frappé par le renversement qui s'est progressivement produit. De part et d'autre de ce basculement, on distinguera d'une part une antiquité et une époque classique en grande majorité acquises à la réalité de ce voyage ; de l'autre une modernité beaucoup plus réservée, sinon hypercritique. Pour ce qui concerne la première période, nombre d'auteurs, depuis surtout le Ier s. av. J.-C., ne manquent pas d'alléguer leur propre témoignage. Citons, pour les plus éminents, celui de Cicéron162, de Diodore de Sicile163, de Strabon164, de Valère Maxime165, de Pline l'Ancien166, de Lucain167, de Quintilien168, de Plutarque169, d'Apulée170, de Pausanias171, de Clément d'Alexandrie172,

162 Cicéron, De Republica. De la République, L. I, 10 (54-51 avant J.-C.) ; De fznibus bonorum et malorum. Sur la fin des bonnes et mauvaises choses L. V, 29 (45 avant J.-C.) ; Tusculanæ Disputationes. Débats tenus à Tusculum, L. IV, 19 (45 avant J.-C.). Notons que la forme rhétorique retenue par Cicéron conserve pour l'essentiel les traits du dialogue platonicien.

163 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, L. I, 96 (IeL siècle avant J.-C.). Avec le premier livre de sa monumentale Bibliothèque (40 ouvrages dont 15 seulement nous seront parvenus), Diodore de Sicile a la particularité d'être, après Hérodote, la source hellénistique la plus complète que nous ayons au sujet de l'histoire et des coutumes de l'Égypte antique.

164 Strabon, Géographie, L. XVII, 29 = C807 (18-19 après J.-C.).

165 Valère Maxime, Factotum dictorumque memorabilium. Faits et dits mémorables (IIIe siècle après J.-C.), VIII, 7,3.

166 Pline l'Ancien, Naturalis Historia. Histoire naturelle (77-79 après J.-C.), L. XXX, I.

167 Lucain, Bellum ciuile ou Pharsale, X, 181-193 (IeL siècle avant J.-C.).

168 Quintilien, De institutione oratoria. De l'institution oratoire, L. II (95 après J.-C.).

169 Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres, t. I : Vie de Solon, 2 (100-110 après J.-C.) ; idem, De Iside et Osiride, Traité d'Isis et d'Osiris L. X (IeL siècle avant J.-C.).

179 Apulée, De dogmate Platonis. De la doctrine de Platon, L. III (IIe siècle après J.-C.).

171 Pausanias, Périégèse ou Description de la Grèce, L. IV, 32, 4 (IIe siècle après J.-C). Le témoignage de ce dernier bénéficie entre autres de la précieuse caution de l'historien P. Veyne, selon qui « Pausanias est l'égal d'un philologue ou d'un archéologue allemand de la grande époque ; pour décrire les monuments et raconter l'histoire des différentes contrées de la Grèce, il a fouillé les bibliothèques, a beaucoup voyagé, a tout vu de ses yeux [...] La précision des indications et l'ampleur de l'information surprennent, ainsi que la sûreté du coup d'oeil » (P. Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes , Paris, Seuil, Points Essais, 1983.

172 Clément d'Alexandrie, Stromates L. I, XV, 69, 1. Notons que le chapitre XV a pour intitulé fort significatif « La philosophie grecque est puisée en grande partie dans la philosophie barbare ». Certains passages sont des plus éloquents pour ce qui touche à la question des influences égyptiennes sur la pensée de Platon : « Platon ne nie pas qu'il ait reçu des barbares ce que sa philosophie renferme de plus beau ; et il avoue qu'il est allé en Égypte ; c'est pourquoi il écrit dans le Phédon que le philosophe peut recueillir en tous lieux quelque avantage » : " La Grèce est grande, Ô Cébès, dit-il, et elle renferme des hommes doués de mille qualités : les peuples barbares sont nombreux aussi " » ; « Platon, dans le Banquet, louant les barbares pour avoir excellé dans la philosophie, leur rend justice aussi bien qu'aux Grecs; il montre les honneurs qu'ils ont reçus de leurs dignes successeurs » ; « Platon ne fait pas mystère de l'estime qu'il porte aux barbares. Il se souvenait que lui et Pythagore tenaient des barbares une suite de vérités les plus belles et les plus élevées de la philosophie. C'est pour cela qu'il nomme ces peuples, nations de philosophes barbares. Il fait voir dans son Phèdre qu'il connait le roi égyptien, et il nous le montre plus sage que Toth, qu'il sait être une sorte de Mercure » ; « On rapporte que Pythagore eut pour maitre Sonchis, le premier des sages égyptiens ; Platon, Sechnuphis d'Héliopolis ; et Eudoxe de Cnide, Chonuphis, également égyptien » : passim (Clément d'Alexandrie, ibid., trad. M. Caster, 2006).

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de Philostrate13, de saint Augustin14, de Diogène Laërce15, d'Olympiodore16 et de diverses Vies et fragments anonymes. Les philologues modernes ne se laissent pas convaincre à si bon compte. Un argument souvent repris par les commentateurs qui s'inscrivent en faux contre la réalité d'un voyage Platon en Égypte est que les premiers témoignages relatifs à semblable voyage sont postérieurs de plusieurs siècles à la mort de Platon. Leur fiabilité serait d'autant plus faible que se mêlaient chez leurs auteurs des motifs idéologiques, des enjeux rhétoriques ou des présupposés philosophiques, tels que la conjecture d'une philosophia perennis, d'une sagesse éternelle transmise par les Hébreux aux Égyptiens, et par les Égyptiens aux Grecs, puis des Grecs aux Romains, etc., suivant une sorte de concaténation s'accomplissant avec le christianisme"'. Dont acte. Que ces postures et impostures aient été bel et bien réelles, nous ne contestons pas. Qu'il ne se trouve aucune mention d'un voyage de Platon antérieur au Ier s. av. J.-C. ; c'est-à-dire antérieure à ceux désavoués par nos sceptiques commentateurs est bien plus litigieux. D'où la nécessité d'entreprendre à notre tour un examen critique des diverses sources disponibles.

Témoins de première main

H ne saurait être question de rappeler l'exhaustivité des prises de position qui ont été celles des commentateurs sur le sujet, ni de reprendre par le menu les arguments sans éprouver ou infirmer la véridicité du voyage de Platon. D'une part, parce que cette entreprise aura déjà été menée à bien à trois reprises par l'égyptologue François Daumas18 ; ensuite parce que certains documents ne nous paraissent pas avoir été assez mis en valeur. H s'agit moins de discuter ces arguments que de les

13 Philostrate d'Athènes, Vita Apollonii. Vie d'Apollonios de Tyane, L. I, 2 (217 245 après J.-C. Dates indiquées par P. Grimai dans sa présentation de la Vie d'Apollonius de Tyane, dans Les Romans grecs et latins, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, p. 1029).

14 Saint Augustin, De Civitate Dei contra paganos. La Cité de Dieu, L. V, chap. 4 (413-426 après J.-C.).

15 Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, L. III, 6 (IIIe siècle après J.-C.).

16 Olympiodore le Jeune, Vita Platonis. Vie de Platon, L. I, 7 (VIe siècle après J.-C.).

177 Témoin Marsile Ficin, célèbre pour ses traductions de Platon, de Plotin, et du Corpus Hermeticum, qui théorise à l'occasion du premier livre de ce dernier la transmission de cette sagesse première : « Hermès Trismégiste fut appelé le premier théologien ; il fut suivi par Orphée, qui initia Aglaophème aux saintes vérités, et Pythagore succéda en théologie à Orphée, qui fut suivi par Philolaos, maître de notre Platon. C'est pourquoi il n'y eut qu'une seule, secte de la prisca theologia [théologie antique], toujours cohérente par rapport à elle-même, formée par six théologiens selon un ordre admirable, qui commence par Mercure [Hermès] et se termine par Platon » (M. Ficin, Argumentum à sa traduction du Mercurii Trismegistii Pimanderou Poimandrès, et d'autres traités du Corpus Hermeticum (1471), dans Opera omnia (1576), Paris, p. 1836). Cf. S. Toussaint (éd.), Marsile Ficin ou les mystères platoniciens, Actes de colloque, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

178 Fr. Daumas, préface à R. Godel, Platon à Héliopolis d'Égypte, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 75-78 ; idem, « L'origine égyptienne du jugement de l'âme dans le Gorgias de Platon », dans Mélanges R. Godel, Paris, 1963, p. 187-191 ; idem, « L'origine égyptienne de la tripartition de l'âme chez Platon », dans Mélanges A. Gutbub, publications de la recherche, Montpellier, OrMonsp II, 1984, p. p 41-44.

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éclairer à la lumière des témoignages qui nous sont parvenus de l'Antiquité. Pour l'heure, s'il est un fait que Platon n'évoque jamais explicitement dans ses dialogues son séjour en Égypte, nous ne disposons pas moins de quatre sources contemporaines dont deux -- celle d'Hermodore et celle de Cicéron -- nous paraissent particulièrement dignes de foi.

a. Hermodore de Syracuse

Parmi les nombreux textes attestant la présence de Platon en Égypte, l'un en particulier nous paraît décisif et trop souvent négligé. Aussi, dans l'inventaire qu'il voulait exhaustif des témoignages du voyage de Platon19, même Theodor Hopfer fait l'impasse sur ce qui reste pourtant le plus ancien et sans nul doute le plus crédible document qui nous soit parvenu. Ce premier témoignage est celui d'Hermodore de Syracuse. Qui était Hermodore, et en quoi sa contribution serait plus fiable qu'une autre ? Membre actif de l'Académie, notre homme y avait vécu au moins durant les dix dernières années du maître pour y enseigner comme professeur spécialisé. Des Dialogues de Platon, dont il était au reste le disciple et le contemporain, il avait publié des éditions qu'il exportait vers la Sicile. Son oeuvre personnelle était principalement mathématique (il avait calculé dans son Peri Mathèmaton que cinq mille ans avaient dû s'écouler depuis le temps des mages jusqu'à la chute de Troie) ; rien n'en subsiste que de maigres fragments et références faites par d'autres auteurs. Nous savons également que de Platon qu'il avait bien connu, il avait le premier composé une biographie qui allait servir de source principale au livre III des Vies de Diogène Laërce180, consacré à Platon. Précisément, Diogène se sert d'une notice d'Hermodore relative au voyage de Platon dans la vallée du Nil qu'il retranscrit dans le chapitre 6. En voici la substance :

À l'âge de 28 ans, selon Hermodore, il [Platon] s 'en alla à Mégare, chez Euclide, accompagné de quelques autres élèves de Socrate (mort depuis). Puis il alla à Cyrène, auprès de Théodore le mathématicien, et de chez lui en Italie, chez Philolaos et Eurytos, tous deux pythagoriciens, puis en Égypte, chez les prophètes, où, dit-on, Euripide l'aurait accompagné ; ce dernier y étant tombé malade fut guéri par les prêtres au moyen d'une cure d'eau de mer ; ce qui lui aurait fait dire : « la mer lave tous les mots des hommes » [...] Platon avait eu l'intention aussi d'aller trouver les Mages, mais les guerres déchirant l'Asie lui firent renoncer à dessin. Revenu à Athènes, il vécut à l'Académie.181

179 T. Hopfer, Über Isis ans Osiris, t. II, Darmstadt, Wissenschaftliche, Buchgesellschaft, 1967, p. 86-87.

180 Diogène Laërce, op. cit., L. III.

181 Ibid., L. III, chap. 6 ( trad. et notes J.-Fr. Balaudé, L. Brisson, J. Brunschwig, T. Dorandi, R. Goulet, M. Narcy 1999). Nous soulignons.

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Les propos attribuables, dans ce fragment, à Hermodore lui-même, s'étendent depuis « ensuite » (epeita) jusqu'à « chez les prophètes (= prêtres) » (para tous prophètas). Dans son Histoire de la littérature grecque d'Homère à Aristote, Luciano Canfora affirme qu'il n'y aurait aucun lieu de soupçonner de fraude le témoignage direct d'Hermodore : « il n'y a pas de raison de douter de l'information de ce singulier disciple syracusain de Platon, capable de divulguer de sa propre initiative des écrits du maître »182. Il eût été peu avisé, en effet, de falsifier, de réécrire, de contrefaire des événements aussi récents, et que ses contemporains pouvaient alors aisément vérifier. Pour ce qui concerne l'existence réelle de cet ouvrage dont nous n'avons pour toute trace que des indications et citations, celle-ci est attestée par l'index d'Herculanum (colonne VI, 34) qui nous apprend aussi qu'il s'agissait de la toute première d'une vaste liste de biographie de Platon. Quant à la fiabilité de la restitution de ce fragment par Diogène Laërce, nous laissons à François Daumas le soin d'en décider : « cet érudit était peut-être médiocre, mais il était foncièrement honnête »183

Nous avons signalé que les propos susceptibles d'avoir été extraits directement de la biographie rédigée par Hermodore cessaient avec la mention des «prophètes ». C'est qu'il faut distinguer, avec la mention d'Euripide, une seconde source dans le passage précédemment cité, celle-là issue d'une tradition incontrôlée. Diogène, à ce propos, précise quant à la présence éventuelle d'Euripide au côté de Platon qu'il s'agit d'un « on dit » (phasi), d'un apport explétif, et que celle-ci n'est évoquée nulle part dans la biographie d'Hermodore. Une précaution heureuse, celle-ci s'avérant fausse à quelque 17 ans d'écart. Mort en 406 avant notre ère, le dramaturge ne pouvait en effet accompagner Platon in corporaliter, qui entreprit ses grandes pérégrinations sept ans après, vers 399. L'anachronisme apparaît donc flagrant : Platon avait 20 ans lorsqu'Euripide mourut et commençait à peine à fréquenter Socrate. Certains commentateurs, parmi lesquels W.M. Calder184, en raison d'une abréviation -- « Eu. » -- employée dans le texte par Diogène Laërce, ont proposé de lire « Eudoxe » à la place d'« Euripide ». Un amendement conjectural et fmalement peu nécessaire, Eudoxe n'ayant probablement pas plus accompagné Platon en Égypte qu'Euripide185. Cette juxtaposition ne retire rien toutefois à la valeur du témoignage d'Hermodore ; non plus qu'à sa reprise par Diogène. Elle atteste au contraire le souci d'objectivité et de sincérité du compilateur qui ne peut qu'accréditer sa bonne foi : Diogène critique ses sources, et fait la part entre le certain et le probable.

182 L. Canfora, Histoire de la littérature grecque d'Homère à Aristote, Paris, Desjonquières, 1994, p. 552-553.

183 Fr. Daumas, « L'origine égyptienne de la tripartition de l'âme chez Platon », dans Mélanges A. Gutbub, publications de la recherche, Montpellier, OrMonsp II, 1984, p. 41-54.

184 W.M. Calder, « Threptos and related terms in the inscriptions of Asia Minor », dans American journal of Philology, n°104/3, 1983, p. 287.

185 B. Mathieu, « Le voyage de Platon en Égypte », dans Annales du Service des Antiquités de l'Égypte (ASAE) 71, t. LXXI, Le Caire, 1987, p. 153-167.

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Toujours est-il, et c'est là l'essentiel, que les renseignements émanant d'Hermodore ne sont en rien « postérieurs de plusieurs siècles » à la mort de Platon, mais bien contemporains, et un homme comme Diogène est tout à fait fondé à les considérer comme du meilleur aloi. Ceux-ci restent les mieux fondés de toute l'antiquité à attester le voyage de Platon. H n'est qu'à déplorer qu'une source aussi précieuse n'ait pas été jusqu'à présent considérée à sa juste valeur.

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