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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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III. Valoriser ou subir le sale boulot

Cette définition du métier s'accompagne d'une production de sens attaché aux différentes missions, ce qui implique que certaines soient valorisées et pleinement investies, et d'autres dépréciées et délaissées. Cette acception est très palpable au niveau de la gestion des déchets ménagers, d'autant plus que ce domaine d'action ne fait l'objet d'aucune prescription de la part du bailleur126 et constitue, en quelques sortes, l'archétype de ce que Everett Hughes nomme sale boulot127. Le sale boulot désigne un travail sans prestige qui ne nécessite pas de compétences techniques particulières et qui, par là même, est délégué, relégué « au plus bas

124 De même, le gardien de l'immeuble n°2, qui a participé aux expérimentations du dispositif des emplois jeunes dans le cadre du contrat local de sécurité de Planoise avant de devenir gardien chez Habitat 25, définit sa mission actuelle à travers les principes de la médiation et l'impératif de sécurité. Quant à la gardienne de l'immeuble n°3 elle avait occupé différents postes d'ouvrier spécialisé avant d'être embauchée chez Néolia. Ainsi, elle définit son métier de gardienne par rapport à ses expériences professionnelles antérieures : d'une part, elle apprécie le milieu dans lequel elle travaille puisque celui-ci reste marqué par une sociabilité populaire à laquelle elle est très attachée ; d'autre part, elle valorise son métier en insistant sur l'autonomie qui lui est conférée par opposition au travail à la chaîne.

125 « Les 408 » est la dénomination la plus connue de la Cité Brulard. « 408 » parce que le projet immobilier initial prévoyait la construction de 408 logements sociaux bien que les trois immeubles en comportent 500 depuis l'opération de réhabilitation au milieu des années 1990.

126 Si les tâches logistiques relatives au nettoyage, aux rotations et à la sortie des bacs ou à la maintenance des locaux poubelles sont clairement consignées dans les missions du gardien, d'autres sont laissées à son bon vouloir (tri correctif, rappels à l'ordre et sensibilisation des locataires).

127 HUGHES Everett, « Good people and dirty work », in Social Problems, 1962 : vol. X, p. 3-11.

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dans la hiérarchie des tâches d'une catégorie »128. Aussi, son caractère de « perpétuel recommencement » (mythe de Sisyphe) le rend invisible aux yeux de l'organisation. D'une façon générale, l'ensemble des missions des gardiens s'apparente à un sale boulot : puisqu'ils se situent tout en bas de la hiérarchie du bailleur social129, ils écopent de nombreuses petites tâches déléguées tant par les locataires (nettoyage des parties communes, nettoyage et sortie des poubelles, travaux et réparations) que par les agents administratifs de l'organisme logeur (gestion des conflits entre locataires, états des lieux). Pour faire face à cette besogne déshonorante, les travailleurs disposent d'une solution qui consiste à retourner le stigmate associé à l'acceptation et à la réalisation du sale boulot. Il s'agit alors pour eux de revendiquer un type de compétence particulier que ne possède pas le reste de la hiérarchie, soulignant par là même que leur rôle est fondamental pour le fonctionnement de l'organisation bien qu'il soit peu mis en lumière. La principale ressource sur laquelle les gardiens s'appuient pour valoriser leur fonction est, comme dans le cas des aides-soignantes étudié par Anne-Marie Arborio, la dimension relationnelle130 de leur travail.

Plus particulièrement, ce sale boulot trouve son paroxysme dans les tâches inhérentes à la maintenance des locaux poubelles et, dans ce cas, d'autres types de ressources sont également convoqués, ou non, pour valoriser leur investissement à ce niveau. Celles-ci prennent appui soit sur une éthique professionnelle, soit sur une sensibilité aux thématiques liées à la préservation de l'environnement, soit sur la dimension technique des opérations réalisées. Par exemple, le gardien de l'immeuble n°1 s'investit pleinement dans son rôle de maillon de la chaîne du tri et reconnait une part de responsabilité dans les résultats de la collecte sélective des immeubles dont il s'occupe.

« Le gardien lui, maintenant il a une responsabilité sur la réussite du tri dans chaque bâtiment, ce qui veut dire une bonne gestion, une sensibilisation des usagers. C'est sur ça qu'on peut dire qu'il est le maillon fort, par rapport à la discussion avec les usagers, les sensibiliser. C'est lui le

128 ARBORIO Anne-Marie, « Quand le "sale boulot" fait le métier : les aides-soignantes dans le monde professionnalisé de l'hôpital, in Sciences sociales et santé, 1995 : vol. 13, n°3, p. 108.

129 La situation est relativement différente lorsqu'il y a délégation de certaines tâches à des entreprises privées. Néanmoins, cette délégation s'opérant en externe elle ne change pas fondamentalement l'équilibre interne à l'oeuvre dans la hiérarchisation des tâches.

130 « Les agents de terrain profitent de la moindre marque de reconnaissance pour donner une valeur à leur immersion au sein de leur monde quotidien. Ils revendiquent ainsi des compétences relationnelles qu'eux seuls possèderaient grâce à leur proximité avec les locataires. Si le contact direct avec les « clients » est l'apanage des agents de terrain situés en bas de la hiérarchie sociale, il permet à ces derniers de faire valoir un type particulier de compétence. Les gardiens-concierges font ainsi de leur exclusion des « bureaux » un moyen de donner une certaine estime à leur travail. Le sale travail, entendu ici comme une obligation de s'acquitter d'une fonction de service qui suppose une confrontation directe avec des locataires appartenant aux catégories populaires, est susceptible d'être utilisé comme une ressource. En effet, il permet d'acquérir un savoir social que les gardiens-concierges revendiquent fièrement au point de se considérer, pour un certain nombre, comme des quasi-psychologues, éducateurs ou assistants de services sociaux. ». MARCHAL Hervé, op. cit., p. 79.

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premier. Il sera, on peut dire, le maillon le plus fort pour pouvoir toucher les gens dans son immeuble. [...] Trier, présenter le maximum de poubelles jaunes, si j'y arrive je valorise mon travail et je valorise aussi tous les usagers qui participent au tri. [...] Alors c'est pour ceux là qu'on travaille aussi dur, c'est pour ça qu'on joue le jeu. » (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

D'une part, il fonde son éthique professionnelle sur une logique d'ordre acquise à l'armée où chaque élément doit se trouver à sa place et se montre ainsi très rigoureux dans la gestion des poubelles sur ses immeubles. De la même manière, le principe de respect étant essentiel pour lui, il tient à encourager les locataires qui se donnent la peine de respecter le tri. Dans cette optique, en contrôlant le contenu des bacs jaunes et en opérant un tri correctif avant de les sortir sur le trottoir pour qu'ils soient collectés, il évite que des erreurs de tri soient constatées par les ripeurs et que les déchets recyclables soient enlevés avec les déchets résiduels, ce qui risquerait de décourager les locataires trieurs. Ainsi, le gardien de l'immeuble n°1 consent à exécuter des tâches non prescrites par son employeur et valorise par ce biais une besogne qui s'apparente à un sale boulot. D'autre part, son action au niveau de la collecte sélective dépend directement de son degré de sensibilisation aux thématiques environnementales : un gardien peu réceptif à de tels arguments et qui, de surcroît, n'opère pas le tri au sein de son propre foyer risque de ne pas s'investir dans la régulation des comportements des usagers sur ses immeubles, et vice versa131. En outre, la dimension technique introduite par la redevance incitative peut également participer à la valorisation du travail des gardiens. Face au risque d'identification cohésive, c'est-à-dire de stigmatisation du travailleur à travers son assimilation à l'objet qu'il traite (en l'occurrence le déchet), la médiation d'un vocabulaire et d'un mode de gestion technicisés permettent de neutraliser la charge négative associé au déchet. Le gardien n'est plus une sorte de domestique moderne qui s'occupe de la souillure des autres mais le gestionnaire d'un gisement d'ordures ménagères potentiellement valorisable. Cette dimension technique s'exacerbe au niveau de sa tâche de rotation et sortie des bacs qui a une incidence directe sur la variable de facturation « levée ». Chaque bac loué par le bailleur disposant d'une levée mensuelle gratuite, le gardien doit s'assurer que tous les bacs disponibles sur l'immeuble soient utilisés et présentés à la collecte au moins une fois chaque mois pour ne pas perdre cette levée gratuite et, de cette façon, maîtriser au maximum le montant de la redevance et faire valoir ses qualités de « bon gestionnaire ».

131 BOUSSARD Valérie, MERCIER Delphine, TRIPIER Pierre, « La dégradation du tri sélectif des déchets... ou les frontières du cercle du tri », in L'aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus, Paris : Editions CNRS Sociologie, 2004, p. 22.

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« C'est technique, c'est pour ça, je te dis, c'est très intéressant, c'est pas n'importe qui [qui peut le faire]... [...] Ce qui est valorisant c'est que les statistiques vont sortir. Ils vont dire "Oh purée, sur le bâtiment de Monsieur Untel on voit qu'il y a une bonne gestion, un bon suivi, une bonne rotation.". [...] C'est valorisé le travail. Nous, agents de nettoiement, on dit souvent : "On n'est pas valorisés !". On nous met les outils à la main pour nous valoriser. Même si ça reste dans notre travail quoi, c'est les poubelles. Mais on nous donne les outils pour nous valoriser, gérer nos poubelles. ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

Enfin, ces tâches de maintenance s'accompagnent d'une mission de sensibilisation des locataires qui donne au gardien une nouvelle occasion de faire valoir ses compétences relationnelles. Celles-ci se concrétisent par des mécanismes de réciprocité avec les usagers pour les inciter à adopter certaines pratiques et par l'ajustement de la distance à leur égard, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que le gardien soit trop proche du locataire pour ne pas devenir son obligé, ni trop loin pour ne pas perdre l'emprise sur lui. Une nouvelle fois, le gardien de l'immeuble n°1 illustre de façon très parlante la finesse nécessaire pour faire adhérer les usagers à ses prescriptions.

« Alors tu vas lui dire quoi ? "Monsieur, ton sac poubelle !". Il va te dire quoi ? Il va t'insulter. Qu'est-ce que toi tu vas faire ? Tu vas te défendre. Fini, plus de dialogue. [...] C'est très difficile de discuter avec les gens. Mais, l'art et la manière : jamais couper le dialogue. [...] Moi je me dis une chose : "Il est méchant aujourd'hui mais demain il est gentil.". Il est méchant aujourd'hui parce que tu lui dis "Ta poubelle c'est pas sa place !". Il est gentil demain parce qu'il a pas de courant à la maison. Et là, tu fonds dessus là ! Tu comprends le truc là ? C'est ça. Il faut pas rater l'occasion. Moi c'est comme ça que je travaille : "Aujourd'hui c'est pas grave, il a gagné, j'arrête là. Mais demain...". [...]Il va me dire [sur un ton aimable] : "Gardien, le papier, la boite aux lettres, la vitre, le chauffage, y a pas d'eau...". Je leur souhaite pas ! Mais je sais qu'un jour ou l'autre ils vont faire appel à moi. [...] Ça sert à rien d'être méchant, ça sert à rien de me dire ''J'en ai rien à faire !". Tout ce que je te demande c'est de m'aider à réaliser ce que j'ai envie de faire, comme moi je peux t'aider à résoudre tes problèmes. C'est donnant-donnant. Joues le jeu avec moi, c'est tout. Tu veux pas jouer le jeu avec moi ? C'est pas grave ! Mais moi je vais jouer le jeu avec toi. Tu vas m'appeler ! Et là moi je te glisse dessus. Te montrer que je suis là pour toi, que ce que tu me demandes je t'écoute, ce que tu me dis je t'écoute, je fais pour toi, j'essaye au mieux de t'arranger la chose. Comme ça quand je te dis "Par contre cousin s'il-te-plaît, la poubelle, machin là... C'est là !", tu vas pas le prendre mal là. ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

Cette valorisation du sale boulot par la revendication d'un « savoir social » acquis à travers les interactions quotidiennes de terrain passe par une attitude compréhensive vis-à-vis des locataires. Même ceux qui affichent un mode de gestion déviant de leurs déchets sont

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supposés connaître des situations difficiles et disposent ainsi de circonstances atténuantes quant au fait qu'ils enfreignent régulièrement les règles collectives liées au vivre-ensemble. Les erreurs que les usagers commettent (erreurs de tri, poubelle au mauvais endroit) ne sont pas imputées à leur négligence ou à leur mauvaise foi132 mais traduisent plutôt une volonté de « bien faire » maladroite qu'il s'agit d'aiguiller.

A l'inverse, certains gardiens, à l'instar de celui de l'immeuble n°2 qui accorde la prépondérance à sa mission de médiation et à l'objectif de sécurité, tendent à négliger la question de la gestion des déchets et rejettent toute la responsabilité des mauvais résultats de la collecte sélective sur leurs usagers. Ils adoptent un rôle minimal, en se conformant seulement aux prescriptions de leur employeur. Cette posture passive s'illustre par « une rhétorique professionnelle construite sur le refus d'être "l'esclave des locataires" ou "leur larbin" »133 et par des discours disqualifiant une grande majorité de locataires : « personne ne trie », « personne ne respecte », « tout le monde salit ». Cette posture discursive exacerbe le caractère ingrat des tâches de maintenance qu'effectuent les gardiens et souligne l'impossibilité de trouver des rétributions symboliques134 dans une telle besogne. Dès lors, il n'est pas envisageable pour eux de consentir à s'investir au-delà des prescriptions de leur employeur. Le fait d'opérer, à titre gracieux, un tri correctif avant de présenter les conteneurs à la collecte est jugé dégradant, humiliant. L'introduction de la redevance incitative, avec ses aspects techniques, ne change rien à leur vision des tâches de maintenance. La poubelle reste poubelle, la souillure reste souillure et aucun investissement supplémentaire de leur part n'est possible du moment que les locataires ne se montreront pas plus respectueux de leur travail. L'usager est donc forcément négligent et, une bonne part des erreurs qu'il commet dans la gestion de ses déchets n'est pas imputable à son manque d'information mais plutôt à sa mauvaise foi et à la facilité dans laquelle il se complait. Ainsi, un dépôt sauvage ou une grossière erreur de tri sont interprétés par les gardiens comme un manque de respect manifeste, voire une agression, à leur égard.

132 TAPIE-GRIME Muriel, « Coopération et régulation dans les collectes sélectives des ordures ménagères », in Sociologie du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 80.

133 MARCHAL Hervé, op. cit., p. 44.

134 GAXIE Daniel, « Économie des partis et rétributions du militantisme », in Revue française de sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon