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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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IV. Un rôle d'ajustement

L'investissement des gardiens dans la gestion des déchets est donc variable et dépend des ressources qu'ils sont susceptibles de convoquer pour valoriser une tâche qui comporte a priori tous les attributs d'un sale boulot. Mais, dans tous les cas, ces derniers assurent au moins une régulation minimale sur les immeubles dont ils ont la charge par l'accomplissement des tâches de maintenance prescrites par leur employeur. Cette régulation peut s'accentuer par la réalisation d'actes destinés à réparer les défaillances matérielles ou humaines constatées dans l'organisation de la chaîne du tri. Par exemple, ces actions peuvent prendre la forme d'un contrôle de la qualité du tri et, si nécessaire, d'une correction des erreurs de tri, comme nous l'avons abordé à travers le cas du gardien de l'immeuble n°1. Il peut aussi s'agir d'arrangements avec les locataires sur le mode d'évacuation des encombrants. En principe, les locataires sont censés amener leurs encombrants et autres déchets spécifiques jusqu'en déchetterie et les organismes logeurs ne devraient pas prendre en charge les monticules d'objets qui sont abandonnés au pied des immeubles. Dans la réalité, peu de locataires respectent cette injonction ce qui oblige les gardiens et les bailleurs sociaux à trouver des compromis pour que ces types de déchets ne soient plus déposés sauvagement et, de ce fait, n'encombrent plus l'espace public. Par exemple, les locataires de l'immeuble n°1 peuvent prendre contact avec leur gardien lorsqu'ils souhaitent se débarrasser d'un meuble. Ce dernier leur indique alors à quel moment ils pourront venir le déposer dans le local destiné au stockage des encombrants. Quand le local est plein, le gardien fait appel à une entreprise pour qu'elle évacue tous ces matériaux en déchetterie. Une dernière action qui illustre les actes de réparation auxquels se livrent les gardiens est l'aménagement des locaux poubelles de façon à éviter le dépôt de déchets résiduels dans les bacs jaunes ou à améliorer l'effort de tri. Toujours sur l'immeuble n°1, l'exiguïté des trappes jaunes dans lesquels les usagers glissent leurs déchets recyclables étant un frein au tri des gros cartons, le gardien a décidé de laisser ouvertes les grilles de l'abri poubelles pour que ceux-ci puissent procéder à un dépôt direct.

Ces différents actes de réparation sont destinés à assurer l'efficience du mode de gestion des déchets ménagers par « l'assouplissement de règles formelles qui se révèlent inadaptées aux grands ensembles. »135. Ils sont généralement inconnus ou peu pris en considérations par les acteurs institutionnels, notamment la CAGB, qui attendent davantage des gardiens l'établissement d'une communication de proximité qu'une action corrective au

135 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 84.

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niveau du mode de gestion des déchets. Cependant, les témoignages des gardiens rencontrés et nos observations prouvent que cette communication de proximité n'est pas toujours aisée à mettre en place pour plusieurs raisons. D'abord, il n'est pas évident pour eux d'identifier clairement quelles sont les pratiques des différents locataires, de savoir qui trie et qui ne trie pas. Or, toute communication de proximité suppose une adaptation du discours à l'interlocuteur. Ainsi, pour pouvoir interpeller un locataire, le gardien doit nécessairement avoir observé sa pratique, de façon fortuite ou non. Ensuite, comme en témoigne la stratégie relationnelle du gardien de l'immeuble n°1, rappeler à l'ordre un locataire ne se fait pas n'importe comment, n'importe quand et n'importe où. Les gardiens opèrent un réglage de la distance à l'usager qui les empêche de s'immiscer trop intimement dans la vie privée de leurs locataires136. Il s'agit pour eux de conserver une certaine neutralité et une confidentialité pour ne pas se compromettre, pour rester en dehors des jeux de commérages entre voisins et ainsi garder une emprise sur tous les locataires. Observer et contrôler de façon trop insistante des pratiques qui relèvent de la sphère privée et révèlent une part de l'intimité des locataires risquerait de briser la stratégie relationnelle qu'adoptent la plupart des gardiens. Il en va de même en ce qui concerne l'émission de recommandations trop abruptes (« Il faut trier ! », etc.) qui sont interprétées par les usagers comme une disqualification de leur qualité de « locataires respectueux ». Dès lors, ceux-ci se sentent rangés dans la « case » des locataires déviants et n'ont plus aucun scrupule à enfreindre, cette fois-ci volontairement, les règles du vivre-ensemble137.

Les modes d'action privilégiés par les gardiens sont donc ceux qui ne comportent peu ou pas de risques de voir leur stratégie relationnelle désavouée. Tout d'abord, la communication prend une allure formelle imposée par les agents administratifs de l'organisme logeur via la distribution d'un guide de tri à l'entrée du locataire dans le logement. Généralement, l'information transmise à cette occasion se retrouve noyée et

136 Cette posture se construit en opposition à la figure populaire de la concierge commère qui colore sa vie professionnelle en colportant des ragots sur ses locataires. C'est ce qu'Hervé Marchal nomme une « stratégie de désidentification » : « La posture idéale, aux antipodes des pratiques auxquelles les concierges se prêtaient, réside dans une stricte application de la « politique du singe », c'est-à-dire, comme le diront certains enquêtés, « tout entendre, tout voir et ne rien dire ». ». MARCHAL Hervé, op. cit., p. 48.

137 « C'est au cours de telles situations qu'un cercle vicieux relationnel peut apparaître. En effet, aux yeux des gardiens-concierges, certains locataires s'apparentent à des non-alignés, dans le sens où ils ne s'alignent pas sur les codes en vigueur et sur les règles élémentaires du savoir-vivre. C'est à ce titre qu'ils feront l'objet d'une mise à distance plus ou moins explicite. Mais ne comprenant pas pourquoi leur gardien les évite, les locataires offensés peuvent à leur tour être enclins à porter des jugements défavorables à son sujet. Pourquoi feraient-ils des efforts alors que leur interlocuteur fait manifestement preuve d'ostracisme à leur égard ? Ainsi, par un effet de miroir, des locataires s'engagent dans une carrière de non-aligné, vis-à-vis de leur gardien en le jugeant de plus en plus négativement. Plus les relations se tendent, plus les identités se durcissent jusqu'à ce que la rupture soit parfois définitivement consommée. Les profanations rituelles initiales, réalisées de façon totalement involontaire ou naïve par les locataires, deviennent désormais les causes manifestes du hiatus. ». Ibid., p. 104.

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reléguée par « une procédure d'entrée dans le logement déjà longue et fastidieuse »138. Aussi, les gardiens sont amenés à développer, selon leur bon vouloir, une autre forme de communication écrite qui se matérialise par l'affichage des consignes de tri dans les locaux poubelles. Il peut s'agir de supports de communication autoproduits ou d'outils réalisés par la CAGB et transmis par les conseillers en habitat collectif. Parfois, face à l'expérience qu'ils font d'erreurs de tri récurrentes, certains gardiens ajoutent même des consignes négatives (« Il ne faut pas mettre telle matière dans le bac jaune ») pour compléter les consignes institutionnelles qui revêtent seulement une forme positive (« Il faut mettre tel emballage dans le bac jaune »). Surtout, ils mettent en oeuvre une communication orale à condition qu'elle prenne place dans des espaces bien délimités et dans des situations précises. Cette communication orale prend la forme de rappels à l'ordre qui s'effectuent directement en situation, c'est-à-dire lorsque les locataires apportent leurs ordures au local poubelles et que le gardien observe une non-conformité dans le dépôt. En effet, le local poubelle constitue le territoire quasi-exclusif du gardien : les locataires ne revendiquent pas de droits spécifiques sur cet espace connoté négativement, ils se hâtent d'y déposer leurs rebuts et en repartent promptement. Cette absence d'appropriation de l'espace « poubelles » qui est, par conséquent, directement assimilé au gardien, confère un surcroît de légitimité à ce dernier pour interpeller les usagers et veiller au respect des consignes. En revanche, les espaces intermédiaires situés entre la sphère privée et l'espace public sont partagés dans les usages entre les locataires et le gardien, ce qui atténue l'autorité de ce dernier et le bien-fondé de ses remontrances. Enfin, en ce qui concerne l'espace privé de l'appartement, il serait déplacé de la part du gardien de procéder à des rappels à l'ordre sur le territoire des locataires sous peine de provoquer leur indignation et de s'attirer leur hostilité. Il ne dispose donc pas d'une légitimité lui permettant d'interpeller les usagers au sein de cet espace et, pis, il risquerait de se trouver encore plus en porte-à-faux s'il tentait de leur imposer un modèle de gestion domestique de leurs déchets. Finalement, le gardien n'a réellement de prise que sur le dépôt139 : il ne veille donc pas à ce que les locataires trient au sein de leur foyer, il s'assure simplement qu'ils déposent leurs sacs proprement dans les poubelles appropriées.

Son rôle de communication de proximité se limite donc à certains espaces et à certaines situations qui ne menacent pas son réglage de la distance à l'usager. Bien qu'il soit clairement identifié comme un relais d'information par les usagers trieurs qui expriment des

138 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, DETRITUS / DEchets, TRI eT Usages Sociaux. Gestion des déchets et tri sélectif en habitat collectif HLM, Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, Avril 2012, p. 68.

139 Avant le dépôt, le cheminement du déchet est susceptible de passer par trois phases : la séparation (tri), le stockage, l'évacuation.

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doutes sur une consigne de tri, il ne se trouve pas en position d'enrôler des usagers non trieurs dans la pratique du tri. Ainsi, la communication de proximité des gardiens est substantiellement différente et complémentaire à celle des conseillers en habitat collectif. Le discours des conseillers vise à délivrer un argumentaire pour convaincre les usagers non trieurs d'adhérer au tri et fournit des informations aux usagers trieurs pour leur permettre de perfectionner leur geste et de conforter le bien-fondé de leur démarche.

Pour finir, nous pouvons souligner que le rôle essentiel joué par les gardiens dans la régulation de la collecte sélective en habitat collectif est partiellement remis en cause par les politiques des bailleurs sociaux qui tendent de façon croissante à déléguer les tâches les moins valorisantes à des sociétés de nettoyage. Les agents d'entretien de Néolia Palente ont perdu la compétence « gestion des poubelles » depuis le passage au tri, ce qui a bloqué toute possibilité d'investissement à ce niveau de leur part. Toutefois, le renforcement de la collaboration entre cet organisme logeur et la CAGB depuis l'instauration du programme d'accompagnement à la mise en place de la redevance incitative en habitat collectif a permis aux agents de terrain de Néolia de prendre conscience de leur importance dans la chaîne du tri et d'endosser un rôle dans la régulation de la collecte sélective sur leurs immeubles.

Enquêteur : « Et vous allez faire de la surveillance, vous m'avez dit. Dans quel sens de la surveillance ? »

Gardienne de l'immeuble n°3 : « Ben si on voit quelqu'un qui trie mal ou voilà, on le dit, on l'aide. »

Enquêteur : « Parce qu'avant vous ne faisiez pas trop attention à ce qu'ils allaient jeter à la poubelle. »

Gardienne de l'immeuble n°3 : « Non, non. Mais maintenant... Voilà, ben comme la mamie de l'autre jour : j'étais en train de mettre un courrier, je l'ai vu avec ses médicaments, je lui ai dit "Ah non, il faut pas faire ça !" ».

Enquêteur : « Mais ça aurait été deux ans auparavant vous ne l'auriez pas interpelé parce que vous n'auriez pas su... »

Gardienne de l'immeuble n°3 : Non, je l'aurais pas fait parce que d'une part je l'aurais pas su et puis j'aurais dit "Bon ben elle met... [au bon endroit]". Pour nous, dès l'instant où vous mettez dans les bacs c'est déjà bien, vous mettez pas par terre. Voilà. » (Gardienne de l'immeuble n°3, Néolia, Palente)

Alors que les défaillances des opérations de collecte sélective en habitat collectif sont généralement imputées à des « mauvais » comportements individuels des usagers qu'il s'agit de corriger par une communication pédagogique de masse, elles révèlent surtout des

déficiences dans l'agencement organisationnel des différents maillons de la chaîne du tri (usagers, gardiens, ripeurs) 140.

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140 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 85.

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