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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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Chapitre 5 - Représentations et pratiques des usagers en milieu
HLM relégué

A travers les discours recueillis auprès des acteurs institutionnels (gardiens, techniciens de la CAGB, conseillers du tri, animateurs et travailleurs sociaux, responsables associatifs) ressort un constat de base au niveau de l'investissement des usagers dans la gestion des leurs déchets en habitat social collectif relégué : le tri n'est pas une question fondamentale pour des populations qui rencontrent des problèmes bien plus aigus au quotidien. Ce propos récurrent traduit à la fois le réalisme et le pessimisme des acteurs institutionnels qui travaillent dans les cités HLM. En énonçant un tel lieu commun on a à la fois tout et rien dit, on s'interdit de saisir la diversité et la profondeur des représentations et pratiques des usagers. Certes, les défaillances des opérations de collecte sélective rendent compte de problématiques plus profondes qui traversent ces quartiers et qui se rapportent tant aux difficultés économiques des ménages qu'à l'absence de normes partagées pour réguler les modes d'habiter. D'ailleurs, lorsqu'on recueille les discours des habitants on s'aperçoit que « la perception de la politique en matière de gestion des déchets s'inscrit dans une perception plus large de gestion et d'entretien du quartier. »141. Le déchet étant un très bon révélateur social, les débats autour de la propreté du quartier cristallisent les tensions entre les différentes populations qui y résident.

I. L'absence de normes partagées pour réguler les modes d'habiter

Les faibles performances de la collecte sélective en milieu urbain relégué révèlent l'hétérogénéité socioculturelle des modes de vie qui caractérisent ces quartiers142. Du trieur assidu au « salisseur » qui jette couches et restes de repas par sa fenêtre, la diversité des comportements observés interdit d'appréhender la population sous un angle unique et d'opérer des généralisations hâtives. A cette hétérogénéité socioculturelle s'ajoutent deux facteurs connexes qui renforcent l'absence de régulation collective des modes d'habiter : la trajectoire résidentielle subie par la plupart des habitants et l'échelle de cohabitation. D'une part, la majorité des habitants de cités HLM se sont retrouvés rassemblés au sein d'un même espace résidentiel sans l'avoir choisi, faute de mieux. Par conséquent, l'obligation de vivre

141 ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 25.

142 PINÇON Michel, Cohabiter : groupes sociaux et modes de vie dans une cité HLM,, Paris : Plan construction, 1982, 246 p

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ensemble est ressentie comme une contrainte plus que comme une opportunité de nouer un réseau relationnel étroit et chaleureux. D'autre part, plus l'échelle de cohabitation, c'est-à-dire la taille de l'unité d'habitation, est grande et plus émergent des tensions, des confrontations inhérentes aux différentes définitions des modes d'habiter. Bien qu'il existe des règlements formels établis par les bailleurs sociaux, ceux-ci concernent essentiellement « l'usage des installations et équipements et assez peu, hormis quelques interdictions et obligations positives, les relations proprement dites entre les cohabitants. »143. Or, dans la lignée des travaux de l'Ecole de Chicago sur les spécificités de la sociabilité urbaine, nous pouvons affirmer que la régulation sociale d'un espace « est d'abord l'affaire de tout un réseau, complexe au point d'être presque inconscient, de contrôles et de règles élaborés et mis en oeuvres par les habitants eux-mêmes. »144. Nous pouvons élargir ce propos à la gestion des déchets ménagers en habitat collectif : les performances de la collecte sélective sur un immeuble reflètent les capacités d'autorégulation des comportements du groupe résidentiel.

Ainsi, la situation de l'immeuble n°3 contraste fortement avec celle des immeubles n°1 et 2. Il s'agit d'une unité d'habitation plus restreinte (seulement 40 logements) que les locataires se sont appropriés sur le mode de la résidence privée. La trajectoire résidentielle de la plupart des locataires de l'immeuble n°3 semble moins subie que choisie. En effet, l'immeuble disposant d'un certain standing (un des rares logements HLM de Palente à disposer d'un ascenseur) et ayant fait l'objet d'une labellisation « génération » (aménagements spécifiques pour accueillir des personnes ne disposant pas d'une autonomie de vie totale, notamment des personnes âgées), Néolia n'installe pas n'importe quel type de locataires dans ces logements. Pour pouvoir intégrer un tel immeuble il faut correspondre à un profil particulier, ce qui exclue de fait les familles nombreuses ou les locataires « à problèmes ». Malgré l'absence d'actes de régulation du gardien au niveau de la gestion des déchets (du fait de la délégation de ces tâches à une société privée), les habitants, pour la plupart des personnes âgées qui occupent leur logement depuis plus d'une dizaine d'années, mettent en oeuvre des mécanismes de contrôle social. Ceux-ci opèrent sur des échelles de cohabitation réduites et peuvent prendre différentes formes. Par exemple, au niveau de chaque étage145, les locataires effectuent eux même le ménage à tour de rôle dans le couloir. Un tel

143 MOREL Alain, « La civilité à l'épreuve de l'altérité », in HAUMONT Bernard, MOREL Alain [dir.], La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Ethnologie de la France, Cahier 21, 2005, p. 10.

144 JACOBS Jane, Déclin et survie des grandes villes américaines, Liège : Mardaga, 1991. Cité in JOUENNE Noël, Dans l'ombre du Corbusier. Ethnologie d'un habitat collectif ordinaire, Paris : L'Harmattan, Questions Contemporaines, 2007, p. 36.

145 Il y a une petite dizaine d'appartements par étage et cinq étages sur l'immeuble.

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mode de fonctionnement, pour pouvoir perdurer dans le temps sans créer de conflits de voisinage, oblige les locataires à coopérer dans l'exercice de cette tâche, à s'entendre sur une définition commune du « propre » et des modes d'habiter. Aussi, certains locataires assument un rôle moteur au niveau du tri sur leur étage en diffusant de l'information par voie orale (conseils, sensibilisation) ou écrite (prospectus sur le gestion des déchets) à leurs voisins et, parfois, en corrigeant certaines erreurs de tri manifestes dans le bac jaune lorsqu'ils emmènent leurs déchets recyclables jusqu'au local poubelles. De plus, tous les locataires se connaissant plus ou moins personnellement au niveau de l'immeuble et les plus intégrés d'entre eux opèrent une régulation des comportements via la logique du ragot. Des usages moyens146 se dégagent des pratiques des habitants et sont investis d'une valeur normative : le locataire qui s'en écarte subit la foudre de ses voisins, acquiert une mauvaise réputation et est très vite marginalisé au sein du collectif d'habitation147. Cette stigmatisation des locataires déviants se double d'une survalorisation de l'identité collective des locataires alignés qui se matérialise par le zèle affiché dans l'entretien des parties communes et le contrôle des allers-venus dans l'immeuble, puisque les espaces de cohabitation sont censés refléter les qualités morales des habitants148. Cette forme de régulation interne au groupe résidentiel est puissante puisqu'elle autorise une normalisation des comportements dans les espaces intermédiaires qui peut même s'immiscer dans la sphère privée. Tel est le cas en ce qui concerne la gestion des déchets : non seulement le locataire est enjoint à respecter la propreté des parties communes en ne laissant pas trainer ses sacs poubelles dans les couloirs et en les déposants dans le bac approprié mais, en plus, il est fortement incité à trier ses déchets au sein de son espace domestique sous peine de compromettre sa réputation dans l'immeuble. Ainsi, le déploiement d'une forme de contrôle social minimal suppose l'existence d'un groupe dominant capable d'instaurer un usage moyen reconnu et stabilisé. « L'existence d'un tel groupe, qui n'est pas nécessairement

146 « Jean-Claude Kaufmann (1983), qui a utilisé cette notion pour caractériser les relations dans une cité HLM en Bretagne, remarquait que l'« usage moyen » n'est pas généralisable - il naît d'un rapport de force - et que plus l'ensemble résidentiel est grand, plus il peine à s'établir. Il se construit plus facilement au sein d'un groupe restreint comme celui que forme la cage d'escalier. ». MOREL Alain, op. cit., p. 12.

147 « Sans chercher l'affrontement direct avec ceux qui dérangent, les habitants disposent néanmoins de moyens pour manifester leur réprobation et faire savoir quelles règles ils voudraient voir respecter : dénonciation et médisances, évitements plus ou moins manifestes et attitudes distantes, regard réprobateur, refus de saluer et refus de fréquentation des enfants, et, plus directement, admonestations, actions démonstratives comme coups au plafond [...] pour promouvoir des usages auxquels ils sont attachés [...].Cette production normative individuelle trouve un prolongement collectif, entre voisins, sous la forme de scènes de justification sur le bien-fondé de la réprobation, de discussions sur la définition de la situation afin que celle-ci fasse sens (ce qui est tolérable à un moment de la journée peut ne plus l'être à un autre), d'un travail de construction des figures de déviants (les jeunes, les immigrés, les chômeurs, les assistés, les gens sales, etc.) ou à l'inverse d'habilitation des gens comme il faut. ». MOREL Alain, op. cit., p. 11.

148 HONNORAT Annie, « Cohabiter malgré tout », in HAUMONT Bernard, MOREL Alain [dir.], La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Ethnologie de la France, Cahier 21, 2005, p. 298.

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majoritaire, tient, entre autres, à la stabilité des occupants et à leur commune habitude de considérer leurs propres pratiques, qui se sont accordées avec le temps, comme référence collective. »149.

En revanche, l'hétérogénéité socioculturelle et le fort taux de rotation locatif qui caractérisent les immeubles n°1 et 2 freinent la constitution d'un groupe d'habitant dominant, légitime et stabilisé en mesure d'asseoir une norme collective régulant les modes d'habiter. De surcroît, l'introduction du tri a élevé le « niveau de la norme du "bon" comportement »150 et a augmenté la difficulté à définir et faire respecter un usage moyen. On observe donc une pléthore de pratiques disparates sans qu'aucune d'entre elles ne triomphe et ne s'impose aux autres. A cela s'ajoute une diversité des cadres interprétatifs qui permettent aux habitants de donner un sens à ces multiples pratiques151. Par exemple, une partie de la population qui s'exécute à trier ses déchets considère ce geste comme « allant de soi » et juge négativement ceux qui n'adoptent pas cette pratique, ce qui les rapproche de la définition normative de l'immeuble n°3. D'autres, qui ne trient pas leurs déchets, confèrent à cette pratique une valeur négative en la rapprochant d'un sale boulot non rémunéré. Bref, non seulement les pratiques diffèrent mais, en plus, elles n'acquièrent pas une signification sociale partagée. Les situations relativement similaires de l'immeuble n°1 et de l'immeuble n°2 laissent transparaître une confrontation insoluble entre de nombreux principes d'action ainsi qu'entre les différents jugements moraux qui leur sont corrélés. Ces décalages entre locataires peuvent être porteurs de conflits, ce qui pousse la plupart d'entre eux à adopter une position de retrait plutôt que de tenter d'intervenir et d'imposer sa définition de la norme. Rappeler à l'ordre son voisin comporte un risque de compromission, c'est-à-dire que les habitants craignent des « représailles » par lesquelles ils pourraient perdre la face publiquement et voir leur réputation piétinée. C'est pourquoi les locataires délèguent presque entièrement la régulation des modes d'habiter au bailleur social et à ses agents de terrain que sont les gardiens. Ainsi, comme nous l'avons déjà détaillé, la forme de régulation alors mise en oeuvre par ces derniers concerne principalement les pratiques qui s'opèrent dans l'espace public ou au sein des parties communes. Les gardiens ne peuvent donc intervenir que sur les comportements qui ont trait à l'évacuation et au dépôt des déchets par les locataires. En aucun cas ils ne peuvent prescrire à

149 MOREL Alain, op. cit., p. 13.

150 BODINEAU Martine, « Jeter n'est pas salir : ethnométhodologie d'une enquête sur la propreté des espaces publics », in Cahiers d'ethnométhodologie, 2009 : n° 3, p. 28.

151 Comme le révèle Howard Becker, il y a une « indépendance logique entre les actes et les jugements que les gens portent sur eux ». BECKER Howard S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié, 1985, p. 210.

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leurs locataires un mode de gestion domestique des ordures ménagères en leur imposant par exemple de faire le tri.

En ce qui concerne les immeubles en situation de relégation aigue, les difficultés éprouvées tant par les habitants que par les organismes logeurs pour réguler les comportements liés aux modes d'habiter constituent un contexte de fond sur lequel il semble difficile d'agir. Par contre, en tentant de capter les représentations des habitants et de saisir les micro-pratiques qu'ils mettent en oeuvre dans la gestion de leurs déchets, il est possible de faire ressortir les rapports au déchet propre aux milieux urbains défavorisés et ainsi d'ajuster les actions de la collectivité en fonction des préoccupations des usagers.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote